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La maternité : un levier de participation politique féminine ?

Modalités, ressorts et effets des investissements politiques de la maternité

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Published on Wednesday, January 03, 2024

Abstract

Cette journée d’études vise à rassembler des travaux de sciences sociales portant sur la maternité et les investissements dont elle fait l’objet en termes de participation politique. Il s’agit d’interroger la tension entre reconduction d’un ordre politique genré et l’agency des femmes, tension à l’oeuvre depuis le début du 20ème siècle lorsque l’engagement des mères dans des espaces qui leur étaient largement inaccessibles a contribué à redéfinir les formes de la citoyenneté sociale vers une prise en charge collective des tâches de care. L’accent est mis ici sur les investissements politiques contemporains de la maternité, en s’intéressant à leurs modalités, ressorts et effets sur le champ militant et politique comme sur leur citoyenneté sociale.

Announcement

Argumentaire

Des mères de famille bourgeoises de la Manif pour tous (Della Sudda 2022) aux militantes racisées engagées au Front de mères (Ouassak 2021) ou aux mères d’élèves de milieu populaire qui se mobilisent en Seine Saint-Denis (Hadj Belgacem et Karimi 2022 ; Roux 2022), en passant par des personnalités politiques de premier plan comme Ségolène Royal (Achin et Dorlin 2007), la maternité fait l’objet d’investissements récurrents et divers dans l’espace politique contemporain.

Les travaux qui ont étudié la construction historique de l’illégitimité des femmes en politique (Bereni et al. 2008) ont montré combien les attributs traditionnels de féminité – au premier rang desquels la maternité – sont a priori excluants de l’activité politique. L’assignation des femmes au travail domestique et parental les renvoie à la sphère privée et se conjugue à la disqualification de leurs savoir-faire et connaissances. En effet, les qualités morales qui sont associées à la maternité – douceur, soin, sentimentalité, etc. – sont perçues comme antinomiques avec celles convoquées dans le champ politique – combativité, rationalité, etc. Des formes d’incompatibilité pratiques et temporelles entre travail maternel et travail politique – qu’elles soient avérées ou seulement supposées - concourent aussi à la marginalisation politique des femmes.

Pourtant, de nombreux exemples montrent que la maternité a constitué un levier historique de participation politique. Dès le début du 20ème siècle, des femmes se sont engagées en tant que mères au sein d’associations familiales, paroissiales ou caritatives (Dermenjian 2018 ; Della Sudda 2010, Cohen, 2008) dans un contexte où les partis et syndicats leur étaient largement inaccessibles et où elles étaient exclues du vote (Retif 2013) Tout au long du siècle, certaines ont continué à endosser politiquement leur rôle de « mères de famille », au sein d’associations féminines (Loiseau 2018) ou familiales (Mathieu 2018) mais aussi dans les partis (Boulland et Mischi 2015). Certains de leurs engagements ont contribué à redéfinir les formes de la citoyenneté sociale vers une prise en charge collective, au moins partielle, des taches de care. Aujourd’hui encore, alors qu’on aurait pu s’attendre au recul de ce type d’engagement après l’accès des femmes à la pleine citoyenneté politique, force est de constater que le fait d’être mère continue à fournir à de nombreuses femmes actives dans la sphère politique et militante, un motif d’engagement, un rôle féminin légitime et/ou des compétences utiles à leurs activités politiques.

Aux États-Unis et au Canada, les travaux explorant l’activist motherhood (Naples 1992) ou le participatory maternal citizenship (Currans 2017), considèrent l’investissement de la maternité comme un ressort de l’action militante. Dans cette perspective, le terme « maternalisme » a été proposé par les historien·nes canadien·nes et étatsunien·nes, S. Koven et M. Sonya, « pour caractériser les mouvements féminins d’action sociale (…) qui prennent appui sur la place traditionnellement assignée aux femmes dans la sphère privée pour revendiquer, pour ces dernières, une voix et une place dans la sphère publique » (Cohen 2008, p. 102). Cette notion, qui concerne autant la fabrique des politiques publiques que les mobilisations, suppose d’analyser les usages de la maternité à l’aune de l’agency des femmes plutôt que de la (seule) domination. Certains travaux notent toutefois que l’usage politique et militant de « cadres maternalistes » peut suivre des visées émancipatrices mais aussi participer à la défense d’un ordre genré conservateur (Carreon et Moghadam 2015). 

Dans le contexte français, les travaux qui ont traité de cette question analysent plutôt la mise en avant de la maternité dans la sphère politique comme le signe de la reconduction d’un ordre politique genré, défavorable aux femmes, qui les incite à investir des identités stratégiques conformes aux rôles féminins traditionnels pour se faire une place (Achin et Lévêque 2014 ; Achin et Paoletti 2002). Ils montrent les façons dont le genre peut certes constituer une ressource pour les femmes, par exemple dans le contexte des lois sur la parité aux élections, mais aussi une contrainte forte. Si l’investissement d’attributs maternels peut légitimer l’entrée en politique de certaines candidates en tant que femmes, il concoure ensuite précisément à marginaliser ces femmes et à limiter leurs perspectives dans le champ politique. Le recours à des attributs maternels participe alors, pour ces autrices, au maintien d’une division genrée du travail politique et militant qui s’accompagne pour les femmes de la limitation du pouvoir qui leur est concédé et d’une assignation à des domaines moins valorisants, considérés comme « féminins » (Dulong, Levêque et Matonti 2019).

C’est cette tension entre reconduction d’un ordre politique genré et agency politique des femmes, que cherche à interroger cette journée d’études en se saisissant d’un objet peu étudié : l’investissement politique de la maternité. Alors que la littérature met en avant le « poids des hiérarchies de genre dans les mobilisations sociales et politiques » (Fillieule et Roux 2009), cette journée d’études interroge les conditions dans lesquelles « les identités privées et [les] rôles féminins a priori fondateurs d’exclusion de la sphère publique [comme la maternité] continuent d’être des leviers importants de politisation des femmes » (Bereni et Revillard 2012). On tentera ainsi par cette journée de préciser les modalités, les ressorts et les effets de l’investissement politique de la maternité.

Pour explorer ce paradoxe, nous proposons trois axes de réflexion, non exclusifs les uns des autres. Les propositions de communications peuvent s’inscrire dans un des axes ou en croiser plusieurs.

Les axes :

  • Les modalités d’investissement politique de la maternité

Cette journée d’étude vise d’abord à mettre en lumière la variété des formes prises par les investissements politiques de la maternité, par les femmes et/ou par les organisations. Il s’agit d’en proposer une description empirique, en prêtant attention aux causes investies, aux pratiques militantes et politiques et aux formes organisationnelles. Les communications traitant des visées politiques des femmes qui s’engagent en tant que mères, des représentations du genre mobilisées dans leurs luttes et de leurs pratiques d’engagement seront appréciées. Une attention pourra ainsi être portée au « contenu moral et politique » des engagements comme à l’éventuelle reconversion de savoir-faire parentaux et domestiques en ressources militantes (Comer 2021).

Il nous semble en outre nécessaire de proposer une approche contextualisée de la maternité. Prenant acte de la critique intersectionnelle du white feminism (Chauvin et Jaunait 2015 ; Crenshaw 1989 ; hooks 2017) et des travaux qui ont souligné le caractère socialement situé des morales et des pratiques familiales (Serre 2009), l’un des enjeux de la journée d’études est de mieux comprendre comment les investissements politiques de la maternité sont marqués par la variété des pratiques maternelles et des morales familiales, selon la classe, l’assignation raciale et l’âge des femmes concernées. Comment les ancrages sociaux (genre, classe, race) et politiques des femmes façonnent les causes investies au nom de la maternité, les pratiques d’engagement ou les formes organisationnelles ?

Le choix d’une approche contextualisée pourra aussi permettre d’interroger l’historicité et les spatialités des investissements politiques de la maternité. Les propositions mobilisant des approches historiques ou sociohistoriques, permettant de saisir les héritages et recompositions de ces investissements, sont bienvenues. De même, celles qui interrogent les espaces à partir desquels ou dans lesquels prennent corps ces investissements politiques de la maternité seront considérées favorablement. Si l’investissement politique de la maternité peut être un levier de participation politique, dans quelle mesure coïncide-t-il avec une « lutte contre l’enfermement domestique » (Lambert 2016) ? Faut-il y voir une politisation de l’espace domestique ou une politisation à partir de l’espace domestique (Le Bars 2020) ? Enfin, dans quels espaces se construisent ces engagements ? Comment contribuent-ils à les redéfinir ? Les mères sont-elles investies surtout dans les espaces locaux ? Identifie-t-on une circulation nationale voire transnationale des causes et des pratiques investies par ces mères ?

  • Les ressorts de l’investissement politique de la maternité

Le deuxième axe de réflexion porte sur les ressorts des investissements politiques de la maternité. Pour quelles raisons et dans quelles situations la maternité peut-elle constituer une ressource pour entrer et se maintenir dans l’engagement ? À quelles conditions peut-elle être un ressort de politisation ? Dans cet axe, il s’agit d’interroger ce que les investissements politiques de la maternité doivent au caractère genré de l’ordre social, politique et institutionnel.

Les propositions pourront interroger la socialisation politique et militante à l’aune de la socialisation genrée à la parentalité (Cartier et al., 2016). La division sexuelle du travail domestique et parental et ses évolutions contemporaines peuvent-elle expliquer en partie la fabrication genrée des carrières militantes ?

Les ressorts explorés dans les communications peuvent ainsi concerner les socialisations militantes et familiales genrées de celles qui s’engagent en tant que mères. Ils peuvent décrire aussi des formes de façonnage étatique des causes, des catégories et des rôles mobilisés dans l’engagement. En effet, les rapports ordinaires à l’État sont bien identifiés comme un potentiel levier de politisation (Barrault-Stella 2021 ; Bruneau et al. 2022) et façonnent des rapports au politique qui sont différenciés selon la classe, le genre ou l’assignation raciale (Aymé et al. 2023) et concourent fréquemment au cadrage des mobilisations et des causes.

Si la fréquence des engagements en tant que mère et au nom des mères peut s’expliquer par un ordre social genré, elle peut être attribuée également à un ordre politique et institutionnel genré. Les institutions publiques participent à la construction et la diffusion de représentations et de normes genrées associées à la parentalité, différenciées selon les ancrages sociaux des publics. Peut-on expliquer la récurrence des engagements en tant que mère, par le fait que certaines politiques publiques et certain·es agent·es de l’État, derrière la neutralisation institutionnelle du genre, s’adressent de manière privilégiée aux mères, que ce soit dans le domaine des politiques sociales (Lahieyte 2018 ; Serre 2012), du logement (François 2018), de la justice familiale (Bessière et Gollac 2020) ou de l’éducation (Périer et Riban 2023) ? Comment le fait que les mères sont construites en interlocutrices (il)légitimes d’un certain nombre d’institutions sociales, concoure-t-il à l’émergence d’engagements en tant que mère ou au nom des mères ? Quel rôle jouent, par exemple, les dispositifs participatifs dédiés aux « parents », « femmes » ou « familles » qui constituent certaines mères en public de l’action publique (Chevallier 2019 ; Haapajärvi 2022) ? Quelles sont les conséquences, à l’inverse, de la fabrication étatique de maternités illégitimes, comme celle des mères voilées (Hadj-Belgacem et Karimi 2022), sur la politisation de certaines femmes ?

En définitive, cet axe invite à reposer la question du genre comme ressource en politique. La maternité peut-elle constituer une identité stratégique pour servir l’affirmation d’une féminité respectable dans le cadre de la compétition politique ? Faut-il y voir une ressource compensatoire ou alternative, mobilisée en l’absence de capitaux plus légitimes ? Constitue-t-elle une ressource contingente et fragile ou une ressource qui peut s’instituer et permettre de se maintenir en politique ? Ainsi, interroger la maternité comme ressource invite également à une prise en compte d’une approche processuelle de l’engagement et à une réflexion sur les coûts et rétributions du militantisme.

  • Effets et conséquences de ces investissements

Le dernier axe de cet appel porte sur les effets et conséquences des investissements politiques de la maternité, pour les femmes qui s’engagent, les causes qu’elles défendent et l’organisation du champ militant et politique.

En s’investissant sur des causes relatives à l’enfant et au travail parental (dimension symbolique) et dans les espaces proches du domicile (dimension pratique), ce type d’engagement permet-il aux femmes, soumises à des injonctions fortes à être une « bonne mère » de résoudre un dilemme moral (McDowell et al. 2005) et de concilier activité professionnelle, travail militant et travail parental ? Ces engagements peuvent-il entraîner des formes de renégociation des rapports de genre et des rôles parentaux, susciter des recompositions familiales ou faire évoluer les définitions de la maternité et de la féminité qu’elles investissent ? Pour les femmes qui font de la maternité un levier de participation politique, ces investissements constituent-ils une « assignation porteuse de ressources » (Siblot 2006), permettant la constitution de savoir-faire et de compétences transférables ailleurs, l’accès à des ressources voire la construction de carrières militantes et politiques ?

Dans le champ politique, quelles sont les conséquences de ces engagements sur la division sexuée du travail militant ? Participent-ils à la reconduction ou au contraire à la contestation de l’ordre politique genré qui limite la participation politique des femmes à des domaines conçus comme féminins ? Quels éventuels infléchissements de l’action publique ?

Enfin, si ces investissements sont un levier de participation politique pour certaines femmes, quels sont leurs effets pour celles qui ne se conforment pas à cet ordre politique genré ? Qu’en est-il dans ce contexte des femmes qui ne sont pas mères ou dont la maternité est disqualifiée dans la sphère publique, jugée illégitime (Hadj Belgacem et Karimi 2022 ; Paris 2018) ou déviante (Cardi 2015) ?

 

Modalités pratiques et calendrier 

Les propositions de communication devront être envoyées avant le 26 février 2024 à l’adresse suivante : jematernitepol@proton.me 

  • 26 février 2024 : date limite de réception des propositions de communications (5000 signes maximum) 
  • 11 mars 2024 : sélection des communications 
  • 6 juin 2024 : date limite d’envoi des textes de communication (maximum 30 000 signes) 
  • 20 juin 2024 : tenue de la journée d’études à l’Université Paris-Est (site de Créteil ou de Champs sur Marne)

Comité d’organisation 

Violette Arnoulet (Lab’URBA), Chloé Buton (CHREC), Félicie Roux (Lab’URBA) et Olivia Vieujean (Centre Georg Simmel, LAMC ULB) 

Avec le soutien du groupe Justice Espace Discriminations Inégalités, Labex Futurs urbains

Subjects

Event attendance modalities

Hybrid event (on site and online)


Date(s)

  • Monday, February 26, 2024

Keywords

  • maternité, genre, mobilisations, militantisme

Contact(s)

  • Félicie Roux
    courriel : felicie [dot] roux [at] gmail [dot] com
  • Violette Arnoulet
    courriel : violette [dot] arnoulet [at] u-pem [dot] fr
  • Chloé Buton
    courriel : chloebuton [at] gmail [dot] com

Information source

  • Olivia VIEUJEAN
    courriel : olivia [dot] vieujean [at] ehess [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« La maternité : un levier de participation politique féminine ? », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, January 03, 2024, https://doi.org/10.58079/vdzv

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