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Couturer le Monde : du puzzle au patchwork cartographique
Revue « Géographie et Cultures »
Published on Wednesday, December 20, 2023
Abstract
En rejetant les postures ingénues et l’enthousiasme béat pour le potentiel émancipateur des « nouvelles » technologies et outils géomatiques, mais sans pour autant accorder davantage de crédit aux postures dénonçant toutes les productions cartographiques comme des formes de manipulation, l’objectif de ce numéro thématique de Géographie & Cultures sera de proposer un regard critique qui soit à la fois informé, constructif et contextualisé sur la production cartographique contemporaine, qui transforme nos façons de voir le Monde et in fine nous transforme.
Announcement
Argumentaire
L’information géographique numérique intervient aujourd’hui aussi bien dans notre vie quotidienne (des applications géolocalisées sur nos smartphones aux arènes participatives pour la co-construction de projets d’aménagements urbains) que dans l’appréhension et le traitement des grandes questions sociales, politiques et environnementales (de la mesure par satellite de la déforestation en Amazonie à la spatialisation des risques côtiers sur le littoral). Il est donc important de porter un regard critique sur la production et la diffusion des représentations spatiales issues de ces techniques.
Adopter une grille d’analyse dite critique vise alors essentiellement à être sensible aux rapports de pouvoir qui se jouent autour de l’information géographique numérique. Dans cette perspective, il peut être fécond de se focaliser moins sur le produit fini pour se concentrer davantage sur les processus sociotechniques qui participent, en amont, à sa fabrique et, en aval, à sa diffusion et son usage. La complexification de l’objet carte peut aujourd’hui donner le sentiment que nos cadres d’analyse sont obsolètes. Les transformations technologiques de ces dernières années conduisent, en effet, à une profusion de données géographiques qui circulent, notamment en ligne. L’autorité de l’État en matière de cartographie est ainsi progressivement remise en cause par de nouveaux faiseurs de cartes : des professionnels du secteur – géographes, cartographes, data analysts, data scientists… – de plus en plus nombreux et aux profils de plus en plus diversifiés, mais aussi de nouveaux acteurs : militants, journalistes, hackers, artistes, etc.
Désormais, sur le web, les cartes sont partout. Ce constat complique l’analyse de la production des représentations de l’espace dans une perspective politique et culturelle. Les catégories d’analyse de la carte semblent, en effet, se diluer face à une information géographique qui, tout en étant omniprésente, devient diffuse, malléable et difficile à sérier : entre les globes virtuels, les traces GPS, les bases de données géographiques ou les applications de géolocalisation, la carte semble, pour paraphraser l’expression triviale écrite par Michel Audiard pour Bernard Blier (alias Raoul Volfoni) dans les Tontons flingueurs : « éparpillée par petits bouts, façon puzzle ». Face à ce nouveau puzzle cartographique, une approche critique de l’information géographique doit permettre d’en révéler sa part d’arbitraire et les inégalités spatiales — et donc aussi sociales — qui en découlent. Tenter d’y répondre nous conduit alors à préférer l’image du patchwork à celle du puzzle tant la cartographie contemporaine semble relever désormais de l’assemblage de composants hétérogènes.
Classiquement, la critique politique des cartes identifie le ou la cartographe ou son commanditaire et s’interroge sur ses intentions et ses représentations. Elle analyse, ensuite, la façon dont ses cartes sont les vecteurs de valeurs et d’idéologies et vont interagir avec d’autres acteurs. Mais, à partir du moment où les cartes sont composées sur des systèmes d’information géographique via des couches numériques produites par différents acteurs ne se connaissant pas et ayant travaillé séparément avec des objectifs distincts, on comprend que l’analyse des représentations et intentions dont les cartes sont porteuses est complexifiée : « chaque couche peut embarquer de façon implicite une représentation spécifique, qui aura des effets politiques, indépendamment des intentions de celui ou celle qui fera une carte avec celle-ci[1] ». Un exemple simple nous est fourni par les globes virtuels. Ces derniers sont produits à partir de l’agrégation d’images satellites, de photographies aériennes et de bases de données d’origines diverses. Alors que la cartographie conventionnelle pouvait s’apparenter à l’assemblage lent et progressif d’un puzzle, où des pièces de facture similaire apparaissent progressivement en fonction de l’état d’avancement de l’exploration des terres ou des arpentages permettant la collecte de données (même si, comme le montrent les exemples de la carte de Cassini ou de la Grande triangulation indienne, l’homogénéité de façade dissimulait souvent des constructions pragmatiques plus complexes), les globes virtuels et autres géovisualisations contemporaines semblent davantage relever du patchwork, c’est-à-dire, de l’assemblage de tissus cartographiques aux couleurs, formes, et textures très hétérogènes. Là où le puzzle emboîte pour mettre en ordre, le patchwork couture pour faire tenir ensemble. Or c’est précisément dans l’observation des modalités contemporaines de couturage du Monde que l’approche critique de la cartographie peut se renouveler.
Ainsi, en prêtant attention aux coutures, c’est-à-dire aux modalités d’assemblage, de recouvrement, de montage et d’ajustement, ce numéro thématique propose de mettre en exergue la diversité des pièces qui composent la carte, autrement dit de faire émerger la pluralité à la fois des gestes cartographiques et des personnes qui interviennent dans ces processus, contribuant ainsi à la géonumérisation du Monde. Se focaliser sur les coutures, c’est aussi, potentiellement, s’intéresser aux bordures rapiécées que constituent les marges cartographiques d’où peuvent surgir des blancs, les silences et les impensés du monde géonumérique, là où la donnée se raréfie, où l’algorithme est pris en défaut, rompant l’illusion d’une cartographie numérique omnisciente.
Axes
Les contributions pourront s’inscrire autour des entrées suivantes ou en proposer de nouvelles :
- Jumeaux numériques de la Terre, globes virtuels, déluge de données, big geodatas… : vers un néo-positivisme numérique ?
- Cartographie critique, SIG critique, SIG féministe, doing critical GIS, critical data studies… : quelles évolutions théoriques et méthodologiques des approches critiques des sciences de l’information géographique ?
- Souveraineté cartographique, dérégulation informationnelle : vers de nouvelles rationalités politiques ?
- Contre-cartographie, statactivisme, cartographies autochtones : de nouveaux acteurs pour de nouvelles pratiques ?
- Hétérogénéité et disparité des données : quelle équité informationnelle des territoires ?
- Utopies, dystopies et promesses technoscientifiques : quels imaginaires cartographiques hier et aujourd’hui ?
- Les nouvelles cartographies modifient-elles la place de la carte dans notre culture visuelle et notre univers mental ?
- Usages, réception, autorité, quels nouveaux statuts pour les nouvelles cartes ?
- Smartphones, GPS, et autres artefacts de géolocalisation : les objets géonumériques sont-ils encore des cartes ?
- …
Modalités de soumission et d’évaluation
Les articles (entre 35 000 et 50 000 signes maximum, résumés, illustrations et bibliographie inclus) sont à soumettre à la rédaction de la revue Géographie et cultures : gc@openedition.org
au plus tard le 5 septembre 2024.
- Pour les figures, la version en ligne peut être en couleurs, mais il est demandé aux auteurs de prévoir une version lisible en niveau de gris pour la publication papier. Pour information, la page fait 12 cm de large, merci d’en tenir compte dans la conception des illustrations.
- Les instructions aux auteur·e·s sont disponibles en ligne : https://journals.openedition.org/gc/605
- Cet appel à contributions propose d’explorer diverses géographies et accepte les propositions en anglais et en français en vue d’une publication en français.
Responsables du numéro
- Henri Desbois (Université Paris Nanterre)
- Matthieu Noucher (CNRS, UMR Passages)
Indications bibliographiques
- ACME, Special Issue « Doing Critical GIS », International Journal for Critical Geographies, vol. 21, n° 4, 2022.
- Besse J.-M. et Tiberghien G. (2017). Opérations cartographiques, Actes Sud, 352 p.
- Cattaruzza A. (2019). Géopolitique des données numériques, pouvoir et conflits à l’heure du Big Data, Le Cavalier Bleu.
- Crampton J. (2011). Maps as social constructions : power, communication and visualization », Progress in Human Geography, 25(2), 235-252.
- Crampton J. et Krygier J. (2006). An Introduction to Critical Cartography, ACME: An International E-Journal for Critical Geographies, 4 (1), 11-33.
- Cunty C. et Mathian H. (Dir.) (2023). Traitements et cartographie de l’information géographique. Iste,
- Dalton, C. M. et Taylor L. (2016). Critical data studies : A dialog on data and space. Big Data & Society, 3(1), 1–9.
- Debarbieux B. et Hirt I. (dir.) (2022). Politiques de la carte, Encyclopédie des Sciences ISTE/Wiley, 274 p.
- Desbois H. (2015). Les mesures du territoire, Presses de l’ENSSIB.
- Dodge, M., Kitchin R., et Perkins, C., (dir., 2011), The Map Reader: Theories of Mapping Practice and Cartographic Representation, Willey.
- Edney M. (2019). Cartography: The Ideal and Its History, University of Chicago Press, 324 p.
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- Gautreau P. (2021). La Pachamama en bases de données. Géographie politique de l’information environnementale contemporaine, Éditions de l’IHEAL, 310 p.
- Gautreau P., Noucher. M. ; (2022) « L’adieu aux cartes. Refaire de la cartographie politique aux temps du numérique. » in Debarbieux B.. ; Hirt, I. Politiques de la carte, ISTE-Wiley, 2022, p. 47-68.
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- Kitchin R. et Dodge M. (2011). Code/Space, Cambridge : MIT Press.
- Mericskay B. (2021b). Les effets de l’open data et du Big Data dans la fabrique des cartes de l’action publique : entre repositionnement des acteurs et démonopolisation de l’expertise autour des données territoriales. Les cartes de l’action publique: Pouvoirs, territoires, résistances, 107-130.
- Noucher M. (2017) Les petites cartes du Web. Approche critique des nouvelles fabriques cartographiques. Éditions de la Rue d’Ulm – Presses de l’Ens.
- Noucher M. (2023) Blancs des cartes et boîtes noires algorithmiques, CNRS Éditions.
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[1] Gautreau et Noucher, 2022, p. 51
Subjects
- Geography (Main category)
Date(s)
- Thursday, September 05, 2024
Keywords
- cartographie, géographie numérique, SIG, terre virtuelle, approche critique, usage numérique, souveraineté cartographique, donnée géographique, cartographie autochtone, géolocalisation, contre-cartographie
Contact(s)
- Emmanuelle Dedenon
courriel : emmanuelle [dot] dedenon [at] cnrs [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Emmanuelle Dedenon
courriel : emmanuelle [dot] dedenon [at] cnrs [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Couturer le Monde : du puzzle au patchwork cartographique », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, December 20, 2023, https://doi.org/10.58079/ve02