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Normes et marginalités

Journée d’étude des jeunes chercheurs du Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire (CRULH)

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Published on Monday, January 15, 2024

Abstract

La journée d’étude « Normes et marginalités » s’adresse aux jeunes chercheurs (masterants, doctorants et jeunes docteurs) en histoire, histoire de l’art, archéologie et musicologie, ou travaillant dans d’autres disciplines et intéressés par le sujet. L’objectif espéré est de mieux saisir, par une réflexion synthétique, les relations ambivalentes et nécessaires qui lient les normes et les marginalités. Les communications, qui peuvent recourir à des approches variées et s’intéresser à des périodes ou à des objets divers, pourront porter sur la fabrique réciproque des normes et des marginalités, interroger la nécessité des situations ou des espaces marginaux dans une société normée, se pencher sur les expériences du normatif et du marginal, et plus largement, questionner les rapports, les interactions entre normes et marginalités, ou encore développer des réflexions de portée plus épistémologique à ce sujet.

Announcement

Argumentaire

L’existence des normes, que Durkheim caractérisait à la fois comme nécessaires à la détermination d’une société, et comme contraignantes, paraît impliquer des contrevenants, au moins d’un point de vue théorique (Durkheim, 2010 [1895]) : la règle entend tracer une frontière entre le bon et le mauvais comportement, et elle peut ainsi être vue comme génératrice de déviance. Sa définition de la norme est essentiellement antagonique, associant à son caractère obligatoire la nécessité de la sanction en cas d’infraction ; une conception conflictuelle du normatif reprise par Howard Becker, qui insistait toutefois sur la réciprocité. Si celui qui transgresse la norme est perçu comme un outsider au groupe qu’elle contribue à définir, le « transgresseur » lui-même peut estimer que la norme, ou ceux qui le jugent par rapport à celle-ci, sont étrangers [outsiders] à son propre univers (Becker, 2020 [1963]).

Penser la règle permet ainsi de penser la déviance, et inversement. Mais sortir d’un rapport trop antithétique permet de mieux percevoir des phénomènes dynamiques entre ce qui est dans la norme et ce qui ne l’est pas, de ne pas figer la réflexion. C’est pourquoi, partant de l’idée d’une centralité de la norme dans l’organisation sociale, il nous a semblé pertinent de recourir à une notion qui se réfère au décalage spatial, en engageant une réflexion sur les « marginalités », qui s’inscrivent à l’intérieur d’un système normatif, mais se situent à sa périphérie, « en deçà de la ligne imaginaire de fracture sociale » (Gueslin, Kalifa, 1999). La réflexion synoptique sur les normes et les marges, sans être neuve, questionne l’emprise du normatif sur le corps social depuis les espaces liminaires, ceux du rejet, de la tension, de l’indifférence, de la déviance, de l’écart – d’autant plus en optant pour des définitions larges, tant des normes que des marginalités[1].

Si l’association de ces deux notions engage une réflexion dialectique, susceptible de permettre une meilleure compréhension de l’organisation des sociétés, il est notable que, sans être imperméables l’une à l’autre, elles aient surtout été développées dans différents champs historiographiques. Les marginalités ont fait l’objet de plusieurs travaux d’histoire sociale à partir de la fin des années 1960, en particulier dans le contexte post-1968 (Perrot, 1975 ; Corbin, 2015 [1978] ; Farge, 1979 ; Muchembled, 1979), en lien souvent avec la sociologie ou la philosophie (Foucault, 1961). La question des normes n’y est pas absente, puisqu’elle est le référentiel par rapport auquel la marginalité est déterminée. Les études plus spécifiques sur les normes se sont plutôt développées dans le dialogue avec le droit, à la faveur de l’appel à un « tournant critique » formulé dans un numéro des Annales de 1988, dialogue affirmé dans deux autres numéros de la revue de 1992 et 2002, et qui a permis de mieux articuler les formes juridiques normatives et les pratiques sociales, en attirant par exemple l’attention sur « les phénomènes de négociation, transgression ou acceptation des normes », et sur l’historicité de ces dernières[2]. Par ailleurs, plusieurs travaux ont ouvert le cadre méthodologique, attirant l’attention sur la pluralité et l’historicité des « structures normatives » (Gauvard et al., 2002).

La richesse de cette question des normes et des marginalités ne saurait donc être épuisée par cette journée d’études, qui ambitionne de mettre en lumière une grande variété d’approches, de périodes, d’objets, que ce soit du côté des normes – normes formelles (lois, règlements) ou informelles, normes de genre, normes religieuses... – ou des marginalités – sociales (vagabonds, bagnards), sexuelles (prostituées, homosexualité), géographiques (prison, frontières, périphéries), religieuses (sectes, dissidences, hérésies)... Nous proposons quelques axes de réflexions qui peuvent inspirer les propositions de communication en histoire, histoire de l’art, archéologie ou musicologie, mais également celles de jeunes chercheurs et chercheuses issus d’autres disciplines, laboratoires ou universités.

La fabrique des normes et des marginalités

Souhaitant s’inscrire dans une approche large et pragmatique, qui conduit à écarter les considérations trop simplistes, comme celle d’une diffusion purement verticale de la norme, ou la réduction du raisonnement à l’observation des modalités d’application ou d’opposition, cette journée d’études encourage à prêter attention aux différents lieux, modes, acteurs de l’élaboration des normes, sans se limiter aux cercles dirigeants, institutions, pouvoirs souverains qui instituent des lois (Beaulande et al., 2012). De fait, les producteurs des normes, ou les « entrepreneurs de morale » selon l’appellation d’Howard Becker (1963), sont divers, amenant aussi à distinguer ceux qui créent les normes et ceux qui les font appliquer. Pour ne pas perdre de vue la dialectique au cœur de cette journée d’études, il conviendra de se questionner sur les possibles rapports entre normes et marginalités dans leur élaboration respective (Gay, 2020).

Des marginalités nécessaires ?

Du fait de leur situation périphérique, on pourra se demander si les marginalités ne sont pas nécessaires dans une société, en insistant sur les interdépendances qui peuvent les lier aux normes définissant l’ensemble du corps social. Dans le même ordre d’idées, des réflexions sur les formes « positives » de marginalité, pouvant jouer un rôle essentiel dans la société, seraient les bienvenues. En effet, les marginalités n’auraient-elles pas un certain pouvoir d’influence ou de légitimation de la normativité (Parazelli, Bellot, 2015), plus ou moins conscient ? Cet axe invite ainsi à questionner la présence nécessaire, à des degrés divers, des marginalités au sein des sociétés, ainsi que le « jeu de miroir » (Schmitt, 1978) entre marginalités et normes.

Expériences des normes et des marginalités

Des communications sur les expériences vécues des normes et des marginalités sont d’autant plus souhaitables qu’il semble exister des « marginalités d’entre-deux » (Schmitt, 1978) : certains groupes participent à la société, tout en refusant certaines de ses normes, ou développent une « “double vie”, entre visibilité et marginalité » (Tamagne, 2006). On pourra alors s’interroger sur les différences entre marginalités choisies, conscientes, parfois contestataires, et marginalités subies (Montagné-Villette, 2007). Cela conduit à questionner l’entrée dans la marginalité, mais également l’organisation, formelle ou informelle, des divers groupes marginaux, au sein desquels on peut occasionnellement observer des « cultures » ou des structures, des signes distinctifs, des normes qui leur sont propres (Freund, 1977). Il semble aussi pertinent de questionner l’agentivité (agency) des individus sur leurs situations de marginalité, que ce soit par des adaptations à la société environnante (Légeret, 2017 [2000]), ou des tentatives pour échapper, subvertir, négocier son état. Enfin, les propositions peuvent s’intéresser aux imaginaires, représentations (Kalifa, 2013) et traitements des marginalités, en se demandant comment peuvent-ils inscrire, renforcer cette position d’écart vis-à-vis de la norme (Foucault, 1961). 

Étudier les normes et marginalités

Cet axe offre la possibilité à certaines propositions de s’inscrire dans une réflexion davantage épistémologique sur les sources et méthodes permettant d’étudier les normes et les marginalités. En effet comment percevoir l’évolution, la transformation ou l’abrogation des normes ? Comment approcher les marginalités à partir de documents qui, émanant généralement du « centre » (Farge, 1997), peuvent davantage en révéler le fonctionnement interne que la voix des marginaux ? Qu’en est-il de l’approche des marginalités par les témoignages oraux de leurs acteurs, auxquels il peut être nécessaire de recourir (Joutard, 1977 ; Zinn, 2002 [1980]). Il s’agira d’ouvrir la discussion sur les difficultés liées à l’étude de ces concepts, ainsi que sur les moyens permettant de les contourner. 

Si ce panorama et ces quelques pistes de réflexion ont suscité un intérêt chez vous, vous pouvez proposer une communication pour la septième journée d’études des jeunes chercheurs du CRULH, dans l’objectif espéré de mieux saisir, par une réflexion synthétique, les relations ambivalentes qui lient les normes et les marginalités.

Modalités de contributions 

Nous invitons les jeunes chercheurs (doctorants, jeunes docteurs et étudiants en deuxième année de master) à nous faire parvenir une proposition de communication n’excédant pas 3 000 signes, accompagnée d’un CV universitaire, par mail, à l’adresse suivante : collectifcrulh@gmail.com.

La date limite d’envoi des propositions est fixée

au 25 février 2024 (minuit)

Les propositions retenues donneront lieu à des présentations orales de 20 à 25 minutes, suivies de questions. 

Une publication des actes de la journée d’études sur le carnet Hypothèses du collectif des jeunes chercheurs du CRULH (https://cjccrulh.hypotheses.org) sera proposée sur le principe du volontariat.   

Journée parrainée par

  • Christine Barralis, maîtresse de conférences en histoire médiévale
  • Delphine Froment, maîtresse de conférences en histoire contemporaine

Organisation

  • Collectif des jeunes chercheurs du CRULH
  • Julie Bellotto, Arthur Fagnot, Elise Bidon, Raphaël Tourtet, Lylian Etienne, Chloé Dagnolo, Quentin Jeanmichel.

Références bibliographiques 

  • Beaulande-Barraud Véronique et al., La fabrique de la norme. Lieux et modes de production des normes au Moyen Âge et à l’époque moderne, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, 266 p. 
  • Becker Howard, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, Paris, 2020, [1ère éd. : Outsiders : Studies in the Sociology of Deviance, Glencoe, Free Press of Glencoe, 1963], 322 p.  
  • Corbin Alain, Les filles de noce : misère sexuelle et prostitution, xixe siècle, Paris, Flammarion, 2015, [1ère éd. : 1978], 631 p.  
  • Durkheim Émile, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 2010, [1ère éd. : 1895], 333 p.  
  • Farge Arlette, Des lieux pour l’histoire, Paris, Seuil, 1997, 148 p.  
  • Farge Arlette, Vivre dans la rue à Paris au xviiie siècle, Paris, Gallimard, 1979, 248 p.
  • Foucault Michel, Folie et déraison : histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Plon, 1961, 672 p.
  • Freund Julien, « La notion de marginalité », in Jean Schlick, Marie Zimmermann (dir.), Églises et groupes religieux dans la société française, Strasbourg, Cerdic Publications, 1977, p. 13-30.  
  • Joutard Philippe, La légende des Camisards : une sensibilité au passé, Paris, Gallimard, 1977, 439 p.  
  • Gauvard Claude et al., « Les normes », in Jean-Claude Schmitt, Otto Gerhard Oexle(dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 461-492.
  • Gay Jean-Pascal, « Sexualité et régime de normativité à l’âge confessionnel », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 147/2020. Mis en ligne le 01/12/2020, consulté le 12/08/2023. DOI : https://doi.org/10.4000/chrhc.15192.
  • Gueslin André et Kalifa Dominique (dir.), Les exclus en Europe 1830-1930, Paris, Les éditions de l’Atelier, 1999, 480 p.
  • Kalifa Dominique, Les bas-fonds. Histoire d’un imaginaire, Paris, Seuil, 2013, 395 p.
  • Légeret Jacques, L’énigme amish. Vivre au xxie siècle comme au xviie, Genève, Labor et Fides, 2017, 297 p. 
  • Montagné-Villette Solange, « Les marginalités : du subi au choisi », Bulletin de l’Association de géographes français, vol. 84, n°3, 2007, p. 305-314.
  • Muchembled Robert, La sorcière au village (xve-xviiie siècles), Paris, Gallimard, 1979, 241 p.
  • Parazelli Michel, Bellot Céline, « Normativités, marginalités sociales et interventions : présentation du dossier », Nouvelles pratiques sociales, vol. 27, n°2, 2015, p. 19-26.
  • Perrot Michelle, « Délinquance et système pénitentiaire en France au xixe siècle », Annales. Économies, sociétés, civilisations, vol. 30, n°1, 1975, p. 67-91.  
  • Schmitt Jean-Claude, « Histoire des marginaux », in Jacques Le Goff (dir.), La nouvelle histoire, Paris, CEPL, 1978, p. 344-369.
  • Tamagne Florence, « Histoire des homosexualités en Europe, un état des lieux », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, vol. 53-54, n°4, 2006, p. 7-31.  
  • Zinn Howard, Une histoire populaire des États-Unis. De 1942 à nos jours, Marseille, Agone, 2002, [1ère éd. : A People’s History of the United States, New-York, Harper & Row, 1980], 811 p.

Notes

[1] De nombreux événements scientifiques, dont la liste ne peut être exhaustive ici, ont déjà interrogé les questions de normes et de marginalités : colloque « Norme et marginalités » à l’Université Libre de Bruxelles, 11-12 mai 1990. Actes publiés sous le titre Norme et Marginalités. Comportements féminins aux 19e-20e siècles, Bruxelles, ULB, 1991, 142 p. ; journée d’études à l’Université de Lausanne « De la marge à la norme : les processus de réforme dans la pratique et la théorie des arts (XVIIIe-XIXe siècles) », 25 mars 2022 ; XLVIe rencontre du Réseau des médiévistes belges de langue française (RMBLF) autour du thème « Marges, marginaux et marginalités au Moyen Âge. Transgressions et expériences de la norme (Ve-XVe siècles) », 6-7 octobre 2022, à l’Université Libre de Bruxelles.

[2] « Histoire et sciences sociales. Un tournant critique ? », Annales ESC, vol. 43, n°2, 1988, p. 291-293 ; « Droit, histoire, sciences sociales », Annales ESC, vol. 74, n°6, 1992 ; « Histoire et droit », Annales. Histoire, Sciences Sociales, vol. 57, n°6, 2002.

Subjects

Places

  • Espace Rabelais, 2ème étage, salle de thèse - Île du Saulcy
    Metz, France (57000)

Event attendance modalities

Hybrid event (on site and online)


Date(s)

  • Sunday, February 25, 2024

Attached files

Keywords

  • normes, marginalités, marges, marginaux, normativité

Contact(s)

  • Collectif des jeunes chercheurs du CRULH
    courriel : collectifcrulh [at] gmail [dot] com

Information source

  • Arthur Fagnot
    courriel : arthur [dot] fagnot [at] univ-lorraine [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Normes et marginalités », Call for papers, Calenda, Published on Monday, January 15, 2024, https://doi.org/10.58079/vkz5

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