Published on Thursday, January 25, 2024
Abstract
Si l’on a tendance à restreindre l’étude des enjeux écologiques au cinéma à leur présence thématique, se pourrait-il que ces derniers soient inscrits dans les formes elles-mêmes ? comme des survivances et des formules d’images latentes qui échapperaient à la lecture thématique ? C’est à une telle hypothèse que nous souhaitons répondre, en invitant à étudier la présence de sujets écologiques dans les films d’animation moins à partir de leur présence thématique qu’à partir des formules esthétiques que ces films déploient. La présente journée d'étude sera donc l'occasion de pratiquer et d'interroger l'approche esthétique du film d'animation, en espérant que celle-ci mène à identifier de nouveaux territoires pour penser les enjeux écologiques au cinéma.
Announcement
Argumentaire
Une approche esthétique des films d’animation peut-elle amener à identifier de nouveaux territoires pour penser les enjeux écologiques au cinéma ? C’est à une telle hypothèse que nous souhaitons répondre, en invitant à étudier la présence de sujets écologiques dans les films d’animation moins à partir de leur présence thématique qu’à partir des formules esthétiques que ces films déploient. Appliquée au cinéma d’animation cette démarche inviterait à rouvrir le débat sur un corpus filmique souffrant parfois d’un certain manque de légitimité : d’abord car le cinéma d’animation est rarement envisagé comme un objet d’étude pleinement esthétique, mais encore car celui-ci use beaucoup de procédés anthropomorphiques lorsqu’il met en scène des animaux ou des objets inanimés comme le souligne Edgar Morin dans Le cinéma ou l’homme imaginaire1.
C’est grâce à l’apport des récents travaux de Lorraine Daston et de Gregg Mitman qu’il semble possible de suivre une telle démarche. En proposant dans leur introduction à l’ouvrage Thinking with Animals. New Perspectives on Anthropomorphism (2005) de réévaluer l’anthropomorphisme en se concentrant moins sur “l’anthropos” que sur le « “morphos” de l’anthropomorphisme [qui] est tout aussi important (…) [pour] suivre différents modes de transformation et de changement de forme à travers les espèces2 », les auteurs invitent à décorréler le résultat obtenu – une ressemblance avec la figure humaine -, du travail esthétique et formel dont il procède.
Aussi, si certains films d’animation usant de procédés anthropomorphiques se voyaient jusqu’ici interprétés comme faisant état d’un certain anthropocentrisme, il devient possible d’en fournir une nouvelle analyse. Comme le suggèrent Daston et Mitman, d’une part l’anthropocentrisme et l’anthropomorphisme ne se confondent pas3 ; d’autre part l’anthropomorphisme demeure une manière de penser « avec » le non-humain, notamment car il est susceptible de nouer de nouvelles relations inattendues. C’est que, comme le suggère Jane Benett dans Vibrant Matter, l’anthropomorphisme est susceptible de « révéler des isomorphismes » en « mettant en lumière des parallèles structurels entre les formes matérielles de la « nature » et celles de la « culture »4 », à même de défaire l’hermétisme des catégories ontologiques (humain, animal, sujet, objet, etc.) Aussi, une telle approche constituerait une possibilité d’élargir le corpus des enjeux écologiques dans les films d’animation, en s’intéressant moins à la ressemblance humaine qui résulte de tels procédés qu’au travail esthétique engagé pour y parvenir.
Mais encore s’intéresser à la forme mise en jeu dans les images plutôt qu’à leur signifié, à la manière dont les images pensent plutôt que ce à quoi elles pensent, peut également ouvrir de nouvelles perspectives. Depuis Aby Warburg, l’iconologie s’intéresse à la survivance des anciens modes de représentation (Nachleben), en s’intéressant « simultanément aux migrations dans l’espace, aux transpositions dans les médiums et les techniques, ainsi qu’aux transpositions textuelles et figuratives d’une culture à une autre5. » Le geste méthodologique est donc bien celui d’une enquête visant à retracer les chemins ou migrations des images. Mais comme le précise Maud Hagelstein, si l’iconologie est « originellement liée à l’étude des mouvements qui animent les formules de l’art », elle s’intéresse moins à leurs « significations instituées », qu’aux « modifications qu’elles connaissent à chaque fois qu’elles sont reprises et retravaillées par un artiste. 6 » Aussi, une approche esthétique du cinéma d’animation nourrie des apports de l’iconologie inviterait à saisir la survivance d’images en se détachant de ce qu’elles cherchent à dire explicitement. N’y a-t-il pas là une méthode efficace pour élargir les corpus de l’écologie au cinéma ? En effet, si l’on a eu tendance à restreindre l’étude des enjeux écologiques au cinéma à leur présence thématique, il se pourrait que ces derniers soient inscrits dans les formes elles- mêmes : comme des survivances et des formules d’images latentes qui échapperaient à la lecture thématique.
En effet, si le cinéma d’animation constitue déjà un site de réflexion particulièrement riche pour étudier la crise environnementale et la « crise de la sensibilité » qui la caractérise7, comme en témoignent l’œuvre d’Hayao Miyazaki ainsi que certaines récentes productions comme WALL-E (2008) qui prennent directement pour sujet la crise écologique et ses conséquences, de nombreux autres films d’animation traitent de ces mêmes questions d’une manière souterraine, soit à travers la présence de motifs, de figures et de survivances d’images. Pierre de touche de l’iconologie filmique, le motif invite à interroger la rémanence des formes dans les œuvres cinématographiques, en même temps qu’il permet d’accéder à la part cachée, inconsciente, des images cinématographiques. C’est donc à partir des apports de l’iconologie filmique qu’il semble possible d’interroger la présence de sujets écologiques dans les œuvres cinématographiques selon ces nouvelles modalités.
En effet, si les liens entre crise environnementale et film d’animation ont fait l’objet de nombreuses études8, ceux-ci ont surtout été envisagés sur le plan thématique : dans l’espace anglo-saxon, les travaux de Murray et Heumann ont étendu l’approche écocritique au domaine du film animé, en soulignant que le film d’animation invitait le public « à revoir sa perception de l’environnement9. » Or comme le résume Ursula K. Heise, si cette perspective thématique a fourni de précieuses informations en soulignant l’ampleur des préoccupations environnementales dont le cinéma d’animation est le lieu, pour autant, « bon nombre des caractéristiques formelles le distinguant des autres types de film, (…) se seraient perdues en cours de route10 ». C’est que le cinéma d’animation est un espace de réflexion privilégié pour penser l’anthropomorphisme et les questions d’ontologie, comme en témoignent certains travaux : fondés sur une approche du film d’animation à partir de ses dimensions technique et médiumnique, ceux-ci ont en effet permis de souligner les liens étroits entre animisme et animation, répondant ainsi au souhait d’Ursula Heise qui entend s’intéresser aux stratégies esthétiques propres au cinéma d’animation, ce « genre esthétique qui noue un dialogue étroit avec la réification de la nature et ses alternatives éventuelles dans la société moderne11 ». Aussi, dans ses travaux, Thomas Lamarre interroge le mode d’existence des objets animés en comparant les théories de Taihei Imamura et de Sergueï Eisenstein avec la philosophie naturelle non-dualiste du philosophe britannique Alfred North Whitehead12, là où Dick Tomasovic interroge l’idée récurrente du cinéma d’animation comme « don de vie » au profit d’une animation de la mort ou de ce qu’il appelle des « thanatomorphoses13 ». Ces travaux, en soulignant les liens entre vie, technique et animation ont donc permis d’interroger le statut des images « animées » mais également de montrer que le cinéma d’animation pouvait être le lieu d’une sensibilisation sans équivalent à la vie des existences non-humaines.
Mais encore, interroger la présence de sujets écologiques dans le cinéma d’animation à partir de la méthode iconologique permettrait de garder à l’esprit les spécificités de celui-ci vis-à-vis de la question du vivant ; et ce notamment car ce sont ces caractéristiques qui en feraient un objet d’étude iconologique privilégié. Comme l’a rappelé Marie Rebecchi à partir des écrits d’Eisenstein sur Walt Disney14, le cinéma d’animation est le lieu d’une véritable « plasmaticité » des formes ; une faculté d’élasticité et de transformation des figures qui n’est pas sans évoquer la vocation profonde de l’iconologie qui cherche à « rendre compte des métamorphoses iconographiques des formules visuelles15 ». L’iconologie et le cinéma d’animation partageraient en effet une affinité toute particulière avec le concept de métamorphose, comme en témoigne le modèle de la survivance qui doit se comprendre selon Jean-Michel Durafour moins à partir de la notion d’héritage que de celle d’hérédité : « Car, contrairement à l’héritage, l’hérédité permet d’hériter sans que meurent ceux dont on hérite, mieux : une part de ce qu’ils sont reste à jamais vivante, sous des cures de variations, à travers leur descendance16. » C’est justement dans cette manière de penser la continuité souterraine de la forme que l’on peut saisir une véritable proximité avec la métamorphose où « ce qui est transformé continue d’exister et de faire sentir sa puissance d’agir, quoique sous une autre forme et une autre apparence17. » Aussi cette attention portée aux formes et à leurs transformations dont l’iconologie est la garante permet de dégager les images de leur statut d’artefact pour leur restituer leur agentivité. C’est donc à une écologie de l’image que nous invite l’iconologie puisque l’image est approchée comme un phénomène vital, susceptible de se transformer, de disparaître et de réapparaître sous des formes nouvelles. En véritable science des liens, l’iconologie s’intéresse en effet moins à l’image elle-même plutôt qu’au réseau racinaire qu’elle abrite souterrainement, à l’instar de l’écologie qui s’intéresse aux relations entre individus, ainsi qu’à celles que ceux-ci entretiennent avec leur milieu.
Cette étude des relations d’images entendue au sens large apparaîtrait dès lors comme le point de rencontre tout trouvé pour approcher le film d’animation depuis une double perspective, écologique et iconologique. Il s’agira donc d’étudier les enjeux écologiques dans le cinéma d’animation à partir, notamment, de survivances d’images : comme dans Hare Conditioned (Chuck Jones, 1945), Paddington (Paul King, 2014) et Madagascar (Eric Darnell, Tom McGrath, 2005), où la trace des pratiques de naturalisation et de collection d’êtres vivants apparaît tantôt sous la forme de motifs, tantôt sous une forme métamorphosée, selon des effets d’image (immobilité iconique, effets photographiques). Mais encore, il s’agira également d’inviter à étudier les relations entre les individus et leur milieu, à travers leurs formulations esthétiques : par exemple, en s’intéressant à la manière dont les interactions entre espèces sont figurées dans l’espace du cadre filmique, selon des transformations et des variations d’échelles comme dans The Wild (Steve Williams, 2006), Bee Movie (Simon J. Smith, Steve Hickner, 2007) ou Zootopia (Byron Howard, Rich Moore, Jared Bush, 2016). Mais encore, il pourrait également s’agir de se pencher sur l’anthropomorphisme et ses occurrences dans le cinéma d’animation, à partir d’une approche pleinement esthétique, à même de dégager des facteurs de ressemblance et de dissemblance propices à produire des continuités fécondes sur le plan écologique : humain/animal, humain/végétal, etc.
Axes thématiques
- Animation et animisme : interrogations “médiales”
- Du cinéma d’animation comme objet d’étude iconologique
- Nouveaux enjeux du numérique et questions de plasticité des formes
Modalités de soumission
Les propositions de contribution sont à envoyer à l’adresse suivante : je.ecologie.animation2024@gmail.com
avant le 1er mars 2024
Elles prendront la forme d’un résumé de 2500 signes au maximum accompagné d’une bibliographie indicative ainsi que d’une courte biographie.
La journée d’étude se déroulera en deux temps : une première journée aura lieu le 17 mai 2024 à l’université d’Aix-Marseille. La seconde journée aura lieu à l’université Toulouse Jean Jaurès le 18 octobre 2024.
Organisateurs
- Marianne de Cambiaire (Doctorante Aix-Marseille université / ATER Toulouse II)
- Marie Rebecchi (MCF, Aix-Marseille université)
- Vincent Souladié (MCF, université Toulouse - Jean Jaurès)
Comité scientifique
- Patrick Barrès (Université Toulouse – Jean Jaurès)
- Teresa Castro (Université Paris III Sorbonne-Nouvelle)
- Sébastien Denis (Université Paris I Panthéon-Sorbonne)
- Jean-Michel Durafour (Aix-Marseille université)
- Sophie Lécole-Solnychkine (Université Toulouse – Jean Jaurès)
- Antonio Somaini (Université Paris III Sorbonne-Nouvelle)
- Benjamin Thomas (Université de Strasbourg)
- Dick Tomasovic (Université de Liège)
Notes
1 Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire, Paris, Editions de Minuit, 1956, p. 76
2 Notre traduction. Lorraine Daston, Gregg Mitman (dir.), « The How and Why of Thinking with Animals », in Thinking with Animals. New Perspectives on Anthropomorphism, New York, Columbia University Press, 2005, p. 6
3 Op. cit., p. 4
4 Notre traduction. Jane Benett, Vibrant Matter. A Political Ecology of Things, Durham, Duke University Press, 2010, p. 99
5 Notre traduction. Philippe Despoix, « “Translatio” and remediation : Aby Warburg, Image Migration and Photographic Reproduction”, SubStance, vol. 44, n° 2, 2015, p. 129
6 Maud Hagelstein, « Aby Warburg », in Emmanuelle André, Jean-Michel Durafour, Luc Vancheri (dir.), Dictionnaire d’iconologie filmique, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2022, p. 656
7 Baptiste Morizot, Manières d’être vivant : enquête sur la vie à travers nous, Arles, Actes Sud, 2020
8 Robin L. Murray, Joseph K. Heumann, That’s All Folks ? Ecocritical Readings of American Animated Features, Lincoln, University of Nebraska Press, 2011 ; David Whitley, The Idea of Nature in Disney Animation : from Snow White to WALL-E, London, Routledge, 2012 ; Alexander Wilson, The Culture of Nature : North American Landscape from Disney to the Exxon Valdez, Toronto, Between the Lines, 1991 ; Deidre M. Pike, Enviro-Toons : Green Themes in Animated Cinema and Television, Jefferson, McFarland & Company, 2012
9 Robin L. Murray, Joseph K. Heumann, Op. cit., p. 2
10 Notre traduction. Ursula K. Heise, « Plasmatic Nature : Environmentalism and Animated Film », Public Culture, 2014, p. 303
11 Notre traduction. Ibid.
12 Thomas Lamarre, « Du mode d’existence des objets animés : vers une écologie des dessins animés », Intermédialités n° 22, 2013
13 Dick Tomasovic, « Le cinéma d’animation et ses thanatomorphoses (fragments sur le monstre, le montage, la charogne et l’animation », Cinémas, vol. 13, n° 1-2, 2002
14 Marie Rebecchi, « In a Time-Lapse. Cinéma et animation du vivant dans les années 1920 et 1930 », in Puissances du végétal et cinéma animiste : la vitalité révélée par la technique, Dijon, les Presses du réel, 2020
15 Jean-Michel Durafour, « Aby Warburg : gènes génies. Essai d’« utraquistique » en iconologie », in Marine Riguet et Ugo Batoni (dir.), Le Génie au XIXe siècle. Anatomie d’un monstre, Paris, Classiques Garnier, 2020, p. 19
16 Ibid., p. 15
17 Jean-Marc Besse, La nécessité du paysage, Marseille, Editions Parenthèses, 2018, p. 35
Subjects
- Representation (Main category)
- Mind and language > Representation > History of art
- Mind and language > Representation > Visual studies
Places
- Aix-Marseille Université
Marseille 13, France (13) - Université Toulouse - Jean Jaurès
Toulouse, France (31)
Event attendance modalities
Full on-site event
Date(s)
- Friday, March 01, 2024
Attached files
Keywords
- cinéma d'animation ; esthétique ; écologie ; iconologie
Contact(s)
- Marianne de Cambiaire
courriel : je [dot] ecologie [dot] animation2024 [at] gmail [dot] com
Information source
- Marianne de Cambiaire
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To cite this announcement
« Les enjeux écologiques du cinéma d’animation », Call for papers, Calenda, Published on Thursday, January 25, 2024, https://doi.org/10.58079/vo6d