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Autour de la topophilie

Penser les formes d’attachements aux lieux

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Published on Tuesday, February 06, 2024

Abstract

Chaque année, les doctorant·es du laboratoire Analyse comparée des pouvoirs (ACP) de l’université Gustave Eiffel organisent une journée d’étude pluridisciplinaire. Cette année, le thème porte sur la topophilie c'est à dire l’attachement aux lieux. L’objectif de cette journée est donc de réfléchir à la façon dont les chercheur·ses en sciences sociales,notamment en histoire, géographie, sociologie, anthropologie, sciences politiques ou encore ensciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS) travaillent les questions de relations affectives et d'ancrage des personnes avec les lieux qu’ils et elles fréquentent.

Announcement

Journée d'étude des doctorant·es d'ACP - 26 avril 2024 - Campus Descartes

Argumentaire

« Les lieux [...] forment la trame élémentaire de l’espace. Ils constituent sur une surface réduite et autour d’un petit nombre de personnes les combinaisons les plus simples, les plus banales, mais aussi peut-être les plus fondamentales des structures de l’espace : le champ, le chemin, la rue, l’atelier, la maison, la place, le carrefour... Comme le dit fort bien le mot, par les lieux, les hommes et les choses se localisent. » (Frémont, 1976, p.149-150). Comme l’affirme Armand Frémont, les lieux constituent un vecteur essentiel d’ancrage dans le monde. Au-delà d’un espace délimité formellement, administrativement, le lieu est une formation culturelle composée de divers objets, auxquels sont rattachés un récit, un narratif, qui lui donne du sens (Ruan et Hobgen, 2007). Les individus entretiennent en effet des formes d’attachement et des rapports spécifiques à ces portions d’espace à l’étendue limitée, souvent envisagées dans une logique de proximité. Dans l’espace urbain on relie cette portion au quartier « le domaine dans lequel le rapport espace / temps est le plus favorable pour un usager qui s'y déplace à pied depuis son habitat » (Mayol, De Certeau, 2006). Ces espaces d’interconnaissance correspondent aussi à des cadres d’actions et de représentations individuelles et collectives.

S’il n’existe pas de concept précis en français pour qualifier le rapport singulier et sensible aux lieux, le néologisme anglais de « topophilia », forgé par le géographe sino-américain Yi-Fu Tuan, renvoie à « tous les liens affectifs des êtres humains avec l’environnement matériel. Ces derniers diffèrent beaucoup en intensité, subtilité, et mode d’expression » (Tuan, 1974, p.93) et peuvent correspondre à un spectre d'attitudes variées (peur, rejet, attraction, fascination...).

Les évolutions à l’oeuvre au coeur de la mondialisation et de l’accroissement des échanges de biens, de personnes et d’informations semblent pourtant remettre en question la possibilité d’un attachement à cette structure élémentaire de l’espace physique et social qu'est le lieu, consacrant des réalités en tous points opposées que Marc Augé qualifie d'ailleurs de « non-lieux ». En lien avec les préoccupations environnementales, on constate parallèlement une revalorisation du territoire et du local, qui devient gage de qualité dans les pratiques de consommation, ainsi qu’un moyen de distinction et de valorisation sociales. Ces éléments conduisent à repenser l’équilibre entre l’espace anthropique, urbanisé, et l’environnement entendu dans sa dimension écologique.

De par leurs objets et méthodes, les sciences humaines et sociales se sont intéressées aux lieux : on peut penser aux lieux de mémoire (Nora, 1984-1992) qui explorent les dynamiques collectives de construction sociale de la mémoire. Ou encore aux études géographiques et sociologiques consacrées aux mutations des espaces habités – du logement, à la ville – durant la seconde moitié du XXème siècle (Lefebvre, 1968 ; Chombart de Lauwe,1970), sans omettre l’analyse des « effets de lieu » induits par la position des individus dans l’espace social et physique par Pierre Bourdieu (Bourdieu, 1993). Puisqu’elles ne peuvent faire l’impasse sur la délimitation d’un périmètre d’étude, c’est-à-dire d’un cadre géographique et historique, les sciences humaines et sociales sont constamment travaillées par des débats épistémologiques portant sur les échelles d’analyse (Lepetit, 1993). Tandis que certains travaux privilégient l’observation d’unités spatiales réduites en opposition aux grandes monographies nationales, d’autres explorent l’articulation des échelles locale et globale (Ghobrial, 2020), élargissant encore davantage les manières d’envisager les lieux. Malgré cela, la question de l’attachement au lieu demeure un objet difficile à appréhender dans les sciences humaines et sociales. Du fait de sa dimension émotionnelle et donc phénoménologique et psychologique, il a plutôt été étudié en littérature et en philosophie (De Certeau ; Merleau-Ponty). De récentes études replacent toutefois les rapports affectifs au coeur de l'analyse, à l’instar des travaux de Léa Sébastien (2016 ; 2022).

Dès lors, le but de cette journée est d’étudier les rapports émotionnels complexes et ambivalents aux lieux entretenus par les usager·es dans les environnements urbains, compris au sens large comme l’environnement construit, urbanisé, qui façonne les villes – en ce sens, les espaces ruraux et « naturels » ne retiendront pas notre attention. Comment les lieux sont-ils vécus, habités et affectés par les individus et les groupes ? Quelle est l’origine de l’attachement ? Pourquoi et comment est-il suscité ? Ceci amène à saisir les représentations de l’espace, leurs variations dans le temps et leurs dynamiques multiples. Alors que l’on observe des tensions entre le monde connecté et globalisé d’un côté et la valorisation de l'échelle locale et l’urgence climatique de l’autre, comment l’attachement aux lieux émerge-t-il dans les contradictions qui traversent nos sociétés ? La journée s’inscrira dans une perspective interdisciplinaire et exploratoire, visant à mesurer les apports et les limites éventuelles de l’étude de l’attachement au lieu.

AXE 1 : Quelles attaches ? Documents et méthodes pour étudier la construction de l’attachement au lieu

La pratique quotidienne d’un lieu constitue un vecteur important d'attachement à l'ensemble des endroits formant le cadre de vie ou l’« espace vécu » (Frémont,1976). De la maison aux lieux de travail, de pratiques récréatives et de loisirs (à l’image des lieux sportifs comme les stades, les gymnases ou les piscines ; ou encore des jardins urbains, partagés ou non), religieuses, associatives, les individus parcourent et habitent quantité de lieux où se forgent des rapports de voisinage et des liens sociaux qui contribuent à ancrer les personnes dans un territoire (Besse, 2013 ; Canepari, Crisci, 2019 ; Ago, 2021).

La relation affective au lieu n’implique pas nécessairement un ancrage de longue durée, c’est plutôt l'expérience de la familiarité (Tuan 1977 ; Caro 2019) qui semble être un des vecteurs d’attachement – ce qui pose la question des rapports affectifs que les personnes étrangères à la ville, de passage ou récemment installées peuvent entretenir avec les lieux urbains (Bottin, Calabi, 1999 ; Canepari, Regnard, 2018). Quelles formes d’ancrage développent-elles, par exemple dans un immeuble d’habitation (Langrognet, 2023) ? Plus largement, quels types d’attachement sont noués aux lieux fréquentés de manière ponctuelle (en voyage ; en pèlerinage) ou fractionnée (Gardella, 2016) ? Il s’agit en d’autres termes d’associer l’étude des rapports affectifs au lieux à celle des mobilités et à la manière dont ces dernières reconfigurent et produisent de nouvelles formes urbaines.

Les lieux étant façonnés par les rapports réciproques entre l’espace physique et l’espace social (Lefebvre, 1974 ; Bourdieu, 1993 ; Caro, 2019), il est nécessaire de forger des outils méthodologiques adéquats pour saisir les rapports affectifs qui s’y nouent. Comment prendre en compte le caractère dynamique de l'attachement, puisqu'il n'est pas inné mais structuré par l’expérience vécue, et varie dans le temps ? De quelle manière est-il constitutif de rapports hiérarchisés dans une perspective intersectionnelle ?

Il importe également d’identifier la nature de la documentation exploitable pour appréhender les rapports affectifs aux lieux. Si l’on songe plus aisément à la littérature, aux récits de voyage ou à différentes formes artistiques, qu’en est-il des autres types de sources ? De la même manière, que ce soit pour les géographes ou les autres chercheurs en sciences humaines, quels enjeux la cartographie – entendue comme source – soulève-t-elle pour saisir les manières de penser et de se représenter l’espace ? La figuration des lieux sur les cartes urbaines, dans le passé et le présent, traduit-elle un rapport affectif et politique (Zwer, 2023) ?

Au-delà des aspects documentaires, comment la pluridisciplinarité et la combinaison des méthodes permet-elle de saisir les enjeux de l’attachement ? Les échelles spatiales et temporelles d’observation doivent également être interrogées. Si différents courants des sciences humaines et sociales ont expérimenté l’étude d’objets limités (Revel, 1996), il s’agira de discuter la pertinence de ces approches pour examiner les rapports affectifs aux lieux. Peut-on réinscrire l’attachement au lieu dans un espace plus large (région, pays, monde) et ainsi réunir différentes échelles d’analyse ? Dans une perspective réflexive, l’attachement éventuel des chercheur·euses à leur terrain d’étude pourra aussi être interrogé.En retour, comment l’attachement à des portions d’espaces peut-il conduire à la fabrication de lieux à proprement dit, de la simple familiarité jusqu’aux mobilisations collectives ?

AXE 2 : Rapports aux lieux et mobilisations collectives

Toutes mobilisations s’ancrent dans un territoire, pour le défendre, pour rassembler, pour le transformer, pour s’en servir comme support de sociabilité et de socialisation.Les sociabilités et les usages des lieux urbains sont, à l’origine, imaginés par celles et ceux en charge de les concevoir, en l’occurrence les acteur·ices de l'aménagement (urbanistes, architectes, aménageurs...). Pour autant, les usage·res sont aussi des créateur·ices des lieux : les pratiques et usages quotidiens confirment ou subvertissent les usages sociaux projetés. Cet état de fait peut conduire à des conflits d’aménagement qui opposent une pluralité d’acteurs autour de visions et pratiques opposées de l’espace (Sébastien, 2022) : on peut penser à la récente destruction des jardins ouvriers d’Aubervilliers, qui permettaient de maintenir une forme de cohésion sociale à l’échelle du quartier, au profit de la construction d’une nouvelle piscine olympique. Dès lors, comment les rapports affectifs et les sentiments d'appartenance s’articulent à la destruction et à la perte des lieux (Deboulet, 2006), à leur dégradation (pollution, délabrement) ? Par capillarité, existe-t-il des formes négatives de rapports aux lieux, comme la « topophobie » ou peur des lieux (Hogben, Ruan, 2007), et en quoi consistent-elles ? Génèrent-elles des résistances, du repli ou de l’abandon ? On peut par ailleurs étendre ce questionnement aux situations d’éloignement vis-à-vis d’un lieu et au caractère nostalgique qui en découle (Epstein, 2022).

Les mutations socio-spatiales modifient les formes d’attachement au lieu. Dans une dynamique de conflit, mais pas uniquement, les rapports affectifs peuvent se traduire politiquement. Dès lors, quels types d’engagements et de politisation naissent face aux bouleversements de différentes natures qui affectent le lieu ? En d’autres termes, quels stratégies et répertoires d’action collectifs l’attachement au lieu façonne-t-il ? Du point de vue sociologique, quel rôle jouent les « histoires incorporées » (Bourdieu, 1980) des individus participant aux processus de développement des luttes urbaines ? Quelles sont les trajectoires individuelles ou collectives d’attachement à des mobilisations, plus ou moins linéaires ?

À travers les mouvements politiques, sociaux et écologiques, certains espaces, souvent délaissés, dévalués voire marginalisés, sont investis à la fois physiquement et émotionnellement (Ouassak, 2023), jusqu’à incarner, même temporairement, de nouvelles centralités et redessiner la géographie des luttes – à l’instar des rassemblements sur les places publiques lors des manifestations Nuit Debout au printemps 2016 (Baciocchi, Bidet et al., 2020), ou encore des ronds-points occupés par les Gilets Jaunes, incarnant des mobilisations d’ampleur nationale (Bernard de Raymond, Bonin et alii., 2023). L’appropriation matérielle et affective d’une portion d’espace comme support de mobilisations collectives engendre de nouveaux narratifs, donnant une signification à l’espace et le transformant ainsi en un véritable lieu. D’autres mobilisations, comme les occupations illégales d’immeubles abandonnés ou de friches urbaines, se manifestent précisément par la présence sur un lieu dans la durée et une requalification par la pratique. Ce faisant, un squat devient un espace d’habitation et un lieu de vie pour celles et ceux qui y résident (Péchu, 2010).

Enfin, l’attachement aux lieux représente un vecteur de patrimonialisation, voire de sanctuarisation. La patrimonialisation peut être imaginée par les pouvoirs publics comme moyen de fédérer un groupe social dans un lieu, donc de susciter l’attachement d’une population (Djament, 2020). La patrimonialisation peut aussi provenir d’un groupe social qui se construit grâce à un lieu du passé ou qui tend à défendre son « lieu » au sens d’espace social face à une menace. La patrimonialisation sera alors un point de ralliement, voire un argument stratégique dans des mobilisations collectives. Dans la lutte pour la préservation de leur quartier de logements populaires menacé de destruction, la population de la Butte Rouge à Chatenay-Malabry (92) valorise le caractère patrimonial de l’architecture modernistes de cette cité-jardin des années 1930.

Modalités de contribution

Cette journée d’études se veut pluridisciplinaire et ouverte à différents champs de recherche issus des sciences humaines et sociales. Les communications se feront en français ou en anglais. Les intervenant·es seront invité·es à s’exprimer et à présenter des réflexions sur leur(s) cas d’étude pendant vingt minutes suivies d’une dizaine de minutes de questions et d’échanges.

Un résumé d’une page au maximum de la communication envisagée ainsi qu’un court CV sont à envoyer à l'adresse mail suivante : doctoratacp@gmail.com

avant le lundi 26 février 2024.

Calendrier

  • Date limite de rendu des propositions : lundi 26 février 2024
  • Retour du comité d’organisation sur les propositions : 4 mars 2024 (au plus tard)
  • Date de la journée d'études : 26 avril 2024

Lieu : Université Gustave Eiffel, Cité Descartes sur le campus de Marne-la-Vallée, Bois de l'Étang, aile C. 5 Rue Galilée 77454 Champs-sur-Marne.

Comité d'organisation

  • Idil Kafescioğlu
  • Anaïs Parmentier
  • Pauline Rocca
  • Aliénor Wagner-Coubès

Comité scientifique

Les membres du Laboratoire Analyse Comparée des Pouvoirs (ACP).

Places

  • bâtiment bois de l'étang aile C - 5 rue Galilée CEDEX 2
    Champs-sur-Marne, France (77454)

Event attendance modalities

Hybrid event (on site and online)


Date(s)

  • Monday, February 26, 2024

Keywords

  • topophilie, attachement, ancrage, lieu, espace, mobilisation, réseau, ville, urbain, quartier, méthodologie,

Information source

  • Anaïs Parmentier
    courriel : doctoratacp [at] gmail [dot] com

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Autour de la topophilie », Call for papers, Calenda, Published on Tuesday, February 06, 2024, https://doi.org/10.58079/vrez

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