HomeLes appropriations de l’eau, de l’Antiquité à nos jours
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Published on Wednesday, February 14, 2024

Abstract

L’appropriation de l’eau est un enjeu essentiel des sociétés humaines. Les différents acteurs politiques, religieux, économiques… ont tenté, par diverses manières, de contrôler la ressource en eau et le territoire qui l’entoure. Cependant, les conditions naturelles (pénurie, inégale répartition) et anthropiques (pollutions, fraudes) entraînent des arbitrages entre les usages de l’eau, qui peuvent déboucher aussi bien sur des gestions partagées que sur des conflits et des tensions. L’anthropocène et le dépassement de la limite planétaire de l’eau douce ont également renforcé la conscience ancienne des sociétés envers la destruction et la création de déséquilibres dans la gestion de cette ressource.

Announcement

Argumentaire

L’eau est une ressource inégalement répartie et souvent convoitée. Le premier conflit historiquement documenté concerne déjà l’appropriation d’un territoire irrigué : la guerre qui opposa les cités mésopotamiennes de Lagash et d’Umma il y a près de 4 500 ans (Gleick et Hatami, 1994). Cet exemple illustre la question fondamentale de l’appropriation de l’eau, c’est-à-dire sa prise de contrôle par les acteurs afin de répondre à leurs besoins et de servir leurs intérêts. Ces acteurs peuvent être les pouvoirs politiques, les institutions religieuses, les communautés d’habitant⋅e⋅s ou encore les entreprises et les acteurs économiques.

Posséder l’eau, c’est soumettre la ressource et le territoire alentour à son pouvoir. Cependant, du fait de sa fluidité naturelle, il est particulièrement difficile de se l’approprier (Charbonnier, 2020). C’est pourquoi les sociétés ont très tôt et de manière récurrente mis en place des processus juridiques, sociaux ou matériels, pour organiser l’exploitation de la ressource comme pour résoudre les conflits d’usage. On peut ainsi identifier la propriété juridique et économique sur les eaux, les restrictions physiques d’accès, l’affirmation par la guerre ou par le droit d’une souveraineté politique, l’aménagement des cours d’eau (Lemire, 2014)… Ces différentes stratégies dépendent des acteurs, de leurs échelles d’action ou de la situation hydrologique. Des raisons naturelles comme le flux amont/aval ou les différences saisonnières de débit, mais aussi anthropiques, posent aussi la question de la répartition de l’eau et encouragent parfois les acteurs à mettre en place des politiques de coopération voire de partage, dont la gestion comme bien commun est un exemple (Ingold, 2008). Enfin, les évolutions théoriques et écologiques récentes ont entraîné une remise en cause de l’appropriation humaine des cours d’eau, allant jusqu’à l’attribution d’une personnalité juridique à des rivières (O'Donnell, 2018).

Les processus d’appropriation peuvent être perturbés quand les sociétés peinent à garantir un approvisionnement suffisant, du fait d’épisodes environnementaux peu favorables (manque de pluviométrie, canicules, inondations qui rendent les eaux impropres à l’utilisation, gel, aridité, etc.). Dans les contextes de pénurie ou de risque de pénurie, les incertitudes mènent à des tensions plus ou moins fortes autour de l’accès à l’eau (se matérialisant de différentes manières, de la fraude au conflit) et questionnent la légitimité des acteurs à se l’approprier. Dans ces contextes de tension, cette légitimité des différentes entités (association, pouvoir public, administration) à arbitrer la répartition de la ressource est remise en cause, de même que leurs critères de gestion (Ingold, 2012, 2014, Locher, 2020). Ce sont alors les modalités d’appropriation de l’eau qui sont discutées, notamment son statut comme bien personnel ou bien commun. L’enjeu est aussi de hiérarchiser les activités consommatrices d’eau, de l’usage alimentaire et domestique aux moulins, de l’agriculture à l’industrie en passant par des usages ludiques ou récréatifs. On constate aussi comment, alors que la vulnérabilité de certaines de ces activités aux événements naturels diminue progressivement, ces hiérarchisations évoluent (Vidal-Naquet, 1993, Le Roy Ladurie, 1967).

Outre la pénurie, la contamination de l’eau par ceux qui se l’approprient (de fait ou de droit) est aussi génératrice de tensions. Les activités artisanales comme la tannerie ou le lavage des laines sont des sources permanentes de pollution (Jarrige, Le Roux, 2017). À l’âge industriel, la dégradation des cours d’eau s’aggravent, ceux-ci étant de plus en plus exploités par les détenteurs des moyens de production, notamment dans le secteur textile (Gagnepain, 2021). En outre, du fait de l’urbanisation croissante des sociétés contemporaines, les cours d’eau sont souvent devenus des égouts à ciel ouvert, où se déversent massivement les déchets industriels et domestiques. 

L’impact sanitaire de ces pollutions n’est pourtant pas ignoré. Hippocrate voyait déjà dans la salubrité de l’eau (mais aussi celle de l’air et des sols) un élément essentiel au maintien de la bonne santé des individus. Jusqu’au XIXème siècle, la théorie hippocratique des miasmes est restée dominante dans les pays où la culture grecque a imprégné la pensée médicale. D’après cette théorie, les milieux insalubres rejetteraient des substances aussi invisibles que toxiques. Une fois polluée, l’eau contaminerait ainsi l’air, engendrant des épidémies (Fournier, 2008). La théorie microbienne avancée par Pasteur a battu en brèche cette conception miasmatique, mais elle n’affirme pas moins qu’une eau polluée est potentiellement vectrice de maladies.

De la même manière que les sociétés ont depuis longtemps produit des savoirs complexes sur la nocivité d’une eau insalubre, elles ont une conscience ancienne des modifications de leur environnement, et plus particulièrement des déséquilibres qui affectent le cycle de l’eau (Giret, 2023, Fressoz, Locher, 2020). Dès l’époque moderne, les débats se multiplient autour de l’influence néfaste de la déforestation, de son rôle dans la pluviométrie trop variable et dans la multiplication des sécheresses et des inondations, de même que dans la difficulté des sols à absorber l’eau de pluie et à renouveler les aquifères. Les questions d’appropriation se couplent alors d’enjeux de bonne gestion. Cette conscience d’un impact fort des activités humaines sur le cycle de l’eau n’empêche pas l’appropriation accrue de cette ressource par des activités de plus en plus consommatrices. Ce phénomène commence avec la révolution industrielle et s’accentue tout au long des XXème et XXIème siècles, alimentant le déséquilibre dans le cycle de l’eau et l’appauvrissement de la ressource. 

Depuis le début des années 2000, le rôle des sociétés humaines est également reconnu par les sciences du système Terre, avec l’entrée dans l’Anthropocène, époque dans laquelle l’humanité est une force géologique à part entière (Bonneuil, Fressoz, 2013). Dans cette époque, le dépassement de la limite planétaire de l’eau douce (Nature, avril 2022) et la pollution des réservoirs naturels (mers et océans, cours d’eau, glaciers, aquifères) font des guerres de l’or bleu un sujet toujours très actuel, 4500 ans après le premier conflit lié à cette ressource.

Conditions de soumission

Cet appel à communication s’adresse en priorité aux doctorant.e.s, post-doctorant.e.s et jeunes chercheur.euse.s. Les contributions pourront porter sur tous types de territoires, d’échelles géographiques et de périodes historiques. Il est cependant attendu de bien définir le cadre territorial et de s’appuyer sur un travail d’archives. 

Les communications devront durer 20 minutes et seront acceptées en français et anglais.

Les propositions doivent pouvoir s’intégrer dans un ou plusieurs des axes suivants :

  • modes de gouvernement et de gestion de l’eau
  • conflits d’usage et tensions entre acteurs
  • pollutions et qualité de l’eau
  • accessibilité et répartition de la ressource, inégalités d’accès

Calendrier

  • 15 mars 2024 : date limite pour soumettre une proposition (2.000 signes), accompagnée d’un court CV

  • 12 avril 2024 : sélection des propositions
  • 12 juin 2024 : tenue de l’événement à l’université de Lille SHS (salle de séminaire de l’Institut de Recherches Historiques du Septentrion)

Contact : appropriationh2o@gmail.com

Organisateur⋅ices

  • BOUNOUA Samy, ULille, IRHiS
  • KOWALSKI Hélène, ULille, IRHiS
  • VIDON Hugo, Paris I Panthéon Sorbonne, LaMOP

Comité scientifique

  • ALLINNE Cécile, UniCaen, centre Michel de Boüard CRAHAM
  • DEUDON Laetitia, UPHF, LARSH
  • LOCHER Fabien, CNRS, GRHEN
  • INGOLD Alice, EHESS, GRHEN

Bibliographie

BONNEUIL C. FRESSOZ J.-B., L’événement Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2016

CHARBONNIER P. Abondance et liberté. Une histoire environnementale des idées politiques, Paris, La Découverte, 2020

FOURNIER P., « Zones humides et “aérisme” à l’époque moderne », in Zones humides et santé. Actes de la journée d’étude 2008 du Groupe d’Histoire des Zones Humides, Paris, GHZH, 2010

Id., LAVAUD S. (dir.), Eaux et conflits dans l’Europe médiévale, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2012

FRESSOZ J.-B., LOCHER F., Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique, XVe-XXe siècles, Paris, Seuil, 2020

GAGNEPAIN Y., « Du canal de Roubaix à l’insalubrité de la vallée de l’Espierre. Une histoire environnementale du contrôle de l’eau par les industriels de Roubaix au XIXe siècle », Histoire Politique [En ligne], vol. 43, février 2021

INGOLD A., « Les sociétés d’irrigation : bien commun et action collective », Entreprises et Histoire, vol. 50, no. 1, 2008, p. 19-35

Id., « Conflits sur les eaux courantes en France au XIXe siècle entre administration et justice. De l’enchevêtrement des droits et des savoirs experts », in id., (ed.), Faire la preuve de la propriété. Droits et savoirs en Méditerranée (Antiquité – Temps modernes), Rome, Ecole française de Rome, 2012

Id., « Les communs au prisme de l’État au XIXe siècle. Propositions pour sortir l’histoire des communs de l’ombre portée de l’administration étatique », in LOCHER F. (dir.), La nature en communs. Ressources, environnement et communautés (France et Empire français, XVIIe-XIXe siècle), Paris, Champ Vallon, 2020

JARRIGE F. LE ROUX T., La contamination du monde. Une histoire des pollutions à l’âge industriel, Paris, Seuil, 2017

LE ROY LADURIE E., Histoire du climat depuis l’an mil, Paris, Flammarion, 1967

LEMIRE V., La soif de Jérusalem. Essai d’hydro-histoire, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2011

O’DONNELL E., Legal Rights for Rivers: Competition, Collaboration and Water Governance, Londres, Rootledge, 2018

VIDAL-NAQUET P., Les ruisseaux, le canal et la mer. Les eaux de Marseille, Paris, L’Harmattan, 1993

Places

  • Salle de séminaire - Institut de Recherches Historiques du Septentrion 3, rue du Barreau
    Villeneuve-d'Ascq, France (59)

Event attendance modalities

Full on-site event


Date(s)

  • Friday, March 15, 2024

Attached files

Keywords

  • eau, bien commun, propriété, souveraineté, pollution, pénurie, conflit d'usage, anthropocène

Information source

  • Hugo Vidon
    courriel : hugo [dot] vidon [at] univ-paris1 [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Les appropriations de l’eau, de l’Antiquité à nos jours », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, February 14, 2024, https://doi.org/10.58079/vtwo

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