HomeSciences sociales et drogues en Afrique francophone : diversification des usages, transformation des pratiques
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Published on Wednesday, February 14, 2024

Abstract

L’augmentation de la production, de la diffusion et du transit des stupéfiants en Afrique de l'Ouest, la diversification des produits et des usages (nouvelles drogues, médicaments détournés de leur indication, nouvelles formes de consommation), liées à la mondialisation des stratégies économiques et des modèles culturels, constituent un défi pour la définition de politiques des drogues respectueuses des droits humains. Dans un contexte répréssif, des centres pilotes proposent un traitement et une prévention par la réduction des risques (RDR), mais la demande de soin reste importante (incluant le tabac, le cannabis, l’alcool…). Quelles tensions créent ces évolutions ? Quels modèles de traitement juridique, médical et social sont proposés et à soutenir ? Le colloque vise à apporter des éclairages interdisciplinaires sur ces questions (sciences sociales, addictologie, santé communautaire et savoirs expérientiels) face à la demande d’évolution des politiques des drogues en Afrique et dans le monde, en rassemblant les connaissances et en identifiant les priorités de recherche.

Announcement

Présentation

Les drogues et les addictions constituent un domaine de recherche relativement nouveau en Afrique francophone sud-saharienne, où peu de chercheurs en sont spécialistes. Le colloque vise à promouvoir la recherche face à cette menace sociétale et sanitaire, qui n’est pas limitée aux populations marginales, mais concerne les individus et les collectifs de multiples espaces sociaux dans des sociétés africaines exposées à la mondialisation

Sur le plan scientifique (production de connaissances), le colloque vise à :

  • Rassembler les chercheurs, la documentation, les connaissances et les expériences sur les pratiques de consommation de drogues et leur traitement social, judiciaire et sanitaire, en Afrique de l’ouest francophone
  • Analyser d’une part les particularités liées aux contextes africains et les écarts avec les analyses globales, et d’autre part les évolutions et transformations récentes dans les produits et les pratiques de production, circulation et consommation, les espaces sociaux concernés, les réponses sectorielles et inter-sectorielles, et leurs approches scientifiques
  • Identifier des questions de recherche prioritaires pour l’Afrique de l’ouest et inclure cette région dans les débats transnationaux sur les perspectives de recherche en accompagnement des politiques des drogues

Sur le plan opérationnel (production d’avancées stratégiques), le colloque vise à :

  • Identifier et discuter les facteurs favorables et les obstacles pour la mise en place de politiques, stratégies, mesures et actions faisables, adaptées au contexte, socialement acceptables et éthiquement justes, dans le traitement juridique, sanitaire et social des drogues et des risques et dommages associés
  • En prenant en compte la dimension nationale et régionale ouest-africaine
  • Et en co-construisant les propositions par l’échange entre scientifiques (en sciences sociales et addictologie), acteurs opérationnels, acteurs communautaires et PUD au Sénégal, en Afrique de l’Ouest et à l’international.

Thêmes des communications attendues

  1. Actualité des drogues et de la réponse en Afrique de l’ouest et francophone et/ou comparée
  2. Transformation des systèmes juridique et sanitaire, interfaces pour les PUD
  3. Des usages qui se transforment : médicaments détournés et interfaces stupéfiants - remèdes
  4. Des drogues et sociabilités en transformation : nouveaux produits et espaces sociaux et/ou numériques
  5. Genre, femmes et diversité : intersectionnalité et transformation sociale
  6. Les évolutions dans le monde communautaire : associations et interventions de PUD et médiateurs
  7. Les transformations du risque et l’expérience des PUDvVIH et VHC
  8. La RDR : Transformations et/ou adaptations dans les systèmes de soins et au-delà
  9. Faire de la recherche sur les drogues : priorités, enjeux et perspectives

Le colloque aura lieu à Dakar du 21 au 23 mai et pourra être suivi en présentiel ou distantiel.

Conditions de soumission

L'appel à communications est ouvert

jusqu’au 17 mars 2024

pour des analyses en sciences sociales, addictologie et santé communautaire, portant sur l’Afrique de l’ouest francophone ou pertinentes pour cette région.

Le dépôt des propositions de contribution se fait via le Site SciencesConf du colloque, sur la page https://scidaf2024.sciencesconf.org

Il faut préalablement avoir créer un compte HAL.

Un avis de réception vous sera adressé par email rapidement. Vous serez ensuite informée.e par email de la suite donnée à vos démarches.

Responsables scientifiques

  • Rose André Faye (CRCF/RESCIDAF)
  • Alice Desclaux (IRD)
  • Albert Gautier Ndione (UCAD)
  • Idrissa Ba (CEPIAD)
  • Mbissane Ngom (LER-DHDAJE)

Institutions organisatrices et partenaires

  • CRCF
  • IRD
  • UCAD
  • RESCIDAF
  • en partenariat avec CEPIAD, LER-DHDAJE, HARENE

Argumentaire

Les changements globaux actuels dans la production et la circulation internationale des drogues concernent l’Afrique et remettent en question ses réponses juridiques, sanitaires et sociales (ONUDC 2023). L’Afrique de l’Ouest est depuis longtemps engagée dans une consommation considérée comme secondaire au transit des drogues vers l’Europe, en provenance d’Asie pour l’héroïne et d’Amérique du Sud pour la cocaïne. Les conflits et l’extension des zones hors de contrôle des États, notamment au Sahel, ont accru les connexions avec le crime organisé et le trafic humain et renforcé les circulations trans-sahariennes de produits. L’Afrique de l’Ouest apparait aussi de plus en plus comme un marché pour les drogues, en interne et au niveau international.

Sur ce marché, sont apparues les nouvelles substances psychoactives (NPS), dont la composition est dans certains cas connue (par exemple les dérivés de l’ecstasy, les cannabinoïdes et les cathinones de synthèse) et dans d’autres cas indéterminée (par exemple des produits inédits, des mélanges de produits circulant au Sénégal, en Sierra Léone et en Afrique du Sud sous le nom de kush, ou d’autres qui peuvent contenir des Stimulants de Type Amphétamine, STA) (Cole 2018 ; 2024). Ces NPS peuvent être produits en Afrique avec des équipements et matériels sommaires à partir de précurseurs provenant souvent de Chine et disponibles entre autres sur le darknet, ce qui met en défaut l’approche réglementaire et le contrôle du trafic et pose des problèmes spécifiques aux usagers et aux professionnels (Sahed et al., 2022).

L’accès à internet et aux réseaux sociaux, en croissance exponentielle en Afrique de l’Ouest, facilite à la fois l’approvisionnement et la diffusion de recettes (compositions et modes de préparation) comme dans le cas de la lean (contenant des sodas sucrés et divers médicaments). Ces nouveaux produits peuvent être des créations locales, et/ou des variantes de substances promues par les modèles culturels globalisés (au travers de vidéoclips, musique…) adoptés par les jeunes. La production microlocale et artisanale de ces mélanges, qui efface en partie la distinction entre les rôles de (re)vendeurs et consommateurs, n’impose pas aux personnes qui les utilisent une dépendance socioéconomique identique à celle qu’induit la consommation d’héroïne. Les risques médico-psychiques encourus sont aussi différents : ces drogues peuvent être létales par surdose ou par toxicité (hépatique, rénale, etc) plutôt que par addiction, ce qui implique que les systèmes de soins doivent apporter des réponses au travers de leurs services d’urgences et de leurs centres anti-poisons, en mobilisant les laboratoires de toxicologie, au-delà des structures spécialisées dans les addictions. Ces transformations de l’offre de drogues imposent des adaptations dans les réponses.

Une autre catégorie de produits consommés en Afrique qui posent un problème de santé publique d’actualité est celle des médicaments détournés de leurs indications. Parmi les opioïdes, alors qu’une épidémie majeure dûe aux surprescriptions médicales abusives à partir des années 1990 provoque en Amérique du Nord plusieurs de 100 000 décès par an, c’est le Tramadol qui s’est diffusé en Afrique de l’Ouest. Ce phénomène a été analysé en détail par l’ONUDC au travers d’enquêtes réalisées entre autres dans plusieurs pays francophones (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Niger, Togo) (UNODC, 2017). Leurs résultats ont montré que sa diffusion y est favorisée par une production locale (Ghana, Nigéria) qui complète les importations facilitées par l’existence d’un vaste marché illicite des médicaments, et par la porosité structurelle entre secteurs pharmaceutiques formel et informel (Baxerres).

De plus, cette diffusion révèle les limites des capacités de régulation de la prescription et la consommation des produits pharmaceutiques ainsi que de contrôle de la circulation des médicaments « de qualité inférieure et contrefaits » par les autorités nationales et régionales et les services de police et de douanes. Le Tramadol n’est pas seulement utilisé comme un médicament antalgique plus accessible sur le marché informel que dans les pharmacies et dont les utilisateurs deviennent dépendants. Il est consommé principalement pour améliorer les capacités d’endurance de professionnels tels que les chauffeurs de moto-taxis pour augmenter leurs capacités dans des milieux où les travailleurs sont précaires et soumis au rendement ou à la compétition (comme les amphétamines étaient utilisées depuis plusieurs décennies par les chauffeurs routiers, les orpailleurs et les cultivateurs dans des périodes de travail agricole intense). Ces motifs de consommation qui créent des formes d’addiction au niveau de populations impliquent de transformer l’approche de la prévention et du soin pour les insérer dans des réponses sociétales. L’efficacité protectrice des réglementations pour les populations doit être questionnée, alors que de nouveaux produits addictogènes sont mis sur le marché formel en Afrique, parfois sans restriction. C’est le cas des puffs, ou cigarettes électroniques contenant de la nicotine, populaires auprès des jeunes questionnés au Sénégal, commercialisées avec un packaging attractif utilisant les codes culturels globalisés visant les adolescents et les jeunes adultes. Les produits addictifs ou psychotropes apparus récemment relancent la question des limites des dispositifs juridiques et sanitaires et de leur nécessaire évolution face aux transformations de l’offre de drogues.

Au cours des dix dernières années, des initiatives ont permis de développer les soins pour les addictions en Afrique de l’Ouest, à l’interface entre santé mentale, santé communautaire, lutte contre le VIH et les hépatites virales. Des projets soutenus par les institutions de santé globale ont installé la Réduction des risques et des dommages comme stratégie de prévention et de prise en charge dans plusieurs pays ouest-africains. Au Sénégal par exemple, les bénéfices observés pour les PUD consommatrices de drogues injectables et prises en charge depuis 2015 ont été acquis grâce à des adaptations progressives au contexte ouest-africain de certaines normes et pratiques globales en matière de RDR. Les PUD utilisatrices d’opiacés entrées dans le programme méthadone ont souvent pu sortir d’une situation économique précaire, renouer des liens avec leurs proches, améliorer leur état de santé.

Mais ces bénéfices de la RDR, renforcée par une stratégie outreach, sont limités par des facteurs individuels (PUD isolées, troubles psychiques associés), sociétaux (absence d’opportunités de réinsertion sociale sur le marché du travail) et par les contraintes structurelles locales en termes de cadre légal/institutionnel et de ressources. De manière plus générale, l’offre de RDR est aussi questionnée aujourd’hui du fait des limites de son accessibilité pour toutes les PUD quel(s) que soi(en)t le (ou les) produit(s) dont elles sont dépendantes, de la focalisation du traitement sur une drogue spécifique alors que les pratiques favorisent des mélanges et poly-consommations, des difficultés d’adaptation aux attentes évolutives des PUD (refus de la « méthadone à vie »). De plus, des attentes s’expriment pour que la RDR soit proposée à de nouveaux profils de consommateurs (extension à tous les milieux sociaux notamment chez les jeunes et les femmes) et pour d’autres addictions, y compris pour des produits licites (tabac, alcool) et des comportements sans produit (jeux d’argent, écrans…). Enfin, les effets du cumul de vulnérabilités biopsychosociales liées aux addictions et du vieillissement ne sont pas encore décrits en Afrique de l’Ouest, y compris chez les personnes vivant avec le VIH (PvVIH) depuis plusieurs décennies. Pour que les interventions de RDR soient revisitées et étendues à de nouvelles populations, les initiatives locales, souvent basées sur la combinaison entre adaptations de normes globales et savoirs expérienciels, doivent être mieux connues dans leur diversité, documentées, évaluées par leurs acteurs et discutées sur des bases scientifiques.

Une autre transformation concerne les changements liés aux dimensions multiples des drogues, dans un contexte de tensions entre leurs significations locales, nationales et globales. L’Afrique de l’Ouest est notamment productrice de cannabis consommé surtout au niveau local ou national : de rares études quantifient cet usage, par exemple chez des jeunes scolarisés, avec des taux inférieurs au Bénin à ceux des pays anglophones voisins (Ghana, Libéria, Nigéria) ou de l’Afrique australe (Belete et al, 2023). Mais le cannabis est aussi une ressource agricole qui permet à des populations rurales, ayant développé des savoirs et des savoir-faire pour sa culture et sa transformation, d’obtenir des revenus et d’améliorer leur situation socioéconomique (éducation, logement, santé), comme cela a été montré en Casamance (Diatta, 2012). Jusqu’à présent, cette production est plus ou moins tolérée au Sénégal en fonction des équilibres politiques locaux, et commercialisée sur le marché illicite, en grande partie au niveau national. Mais les producteurs de cannabis peuvent être soumis aux pressions observées dans d’autres secteurs de l’agriculture africaine en faveur d’une production sous contrat pour une commercialisation à l’international, avec l’apport de variétés exogènes (qui pourraient être plus dosées en THC).

D’autres régions ou pays africains, comme le Maroc ou des pays d’Afrique australe tels que la Zambie, ont développé cette agriculture contractuelle dans le secteur formel en réservant leur production de cannabis à l’industrie pharmaceutique, un redéploiement rentable vers son utilisation comme « cannabis médical » (Afsahi, 2022). Les pays ouest-africains producteurs de cannabis devraient-ils autoriser et encourager le développement de cette production, face à un marché international potentiellement en extension, alors qu’un nombre croissant de pays dans le monde dépénalisent la consommation ou autorisent le cannabis thérapeutique ? Quels s(er)ont les effets sur les économies ouest-africaines de la nouvelle situation globale de « post-prohibition » (Corva et Meisel, 2022), définie comme la juxtaposition de pays qui légalisent partiellement ou totalement et d’autres qui continuent à prohiber la production et la consommation de cannabis ? Les dimensions multiples des drogues, qui créent des différences de statut juridique pour un produit, ses composantes et ses dérivés, selon les contextes de production et d’utilisation, et entre pays, complexifient la définition de politiques nationales et supranationales cohérentes, pertinentes économiquement, permettant de dépasser les approches répressives.

Pour ce qui concerne l’approche scientifique des drogues et des addictions, ces quelques observations de terrain, qui ne reflétent que partiellement la circulation des drogues en Afrique de l’Ouest, illustrent une évolution majeure de l’offre et de la consommation : les drogues ne sont pas cantonnées à des espaces sociaux marginaux, mais sont présentes dans de multiples segments des sociétés. Les modèles d’analyse en sciences sociales centrés sur la déviance ne sont plus d’actualité, et les analyses psycho-comportementales sont trop limitées pour prendre en compte des consommations étroitement liées à des contextes variés. Les sciences sociales et l’addictologie s’accordent pour considérer que le rapport aux drogues doit être pensé dans toute sa complexité comme « la rencontre entre un produit, une personne et un moment socio-culturel », selon la formule d’Olievenstein (1977) (Jauffret-Roustide 2009 ; Morel 2015). Ce rapport est encore peu documenté en Afrique. Concernant la diversité des usagers, les premières études qui ont rendu visibles les femmes ont montré au Sénégal combien leurs motifs et contextes de consommation, et leurs trajectoires, sont différents de ceux des hommes —ce qui explique en partie que les services de soin leur soient peu adaptés (Faye, 2022).

De telles études doivent encore être réalisées en désagrégeant les approches et les données pour analyser spécifiquement les expériences de diverses catégories sociales, au-delà des stéréotypes, en commençant par les catégories de genre, d’âge, socio-professionnelles, ou ayant des vulnérabilités spécifiques (comme des troubles mentaux). Des analystes avancent que les sociétés contemporaines sont addictogènes pour tous (Ben Lakhdar 2020), notamment du fait de l’idéologie capitaliste consumériste qui valorise les satisfactions à court terme – ce qui expliquerait entre autres les phénomènes d’addiction aux jeux d’argent ou aux écrans – et qui impose l’exploitation économique des travailleurs en bas de l’échelle sociale par des charges de travail insupportables sans stimulants. On peut ajouter que les sociétés protègent plus ou moins leurs populations vis-à-vis des pouvoirs globaux (firmes productrices de substances licites et illicites, maffias et crime organisé) qui encouragent la consommation et des formes d’addiction (ONUDC 2023 ; Guillaume 2019).

En parallèle, les sociétés contemporaines, en Afrique de l’Ouest comme dans d’autres régions, reposent sur des modèles culturels qui associent les drogues à des valeurs positives, en lien avec le religieux et la spiritualité, la tradition, les thérapies et le soin, et des formes de sociabilité (Goodman et al 1995). Les drogues sont utilisées comme des techniques de l’esprit qui permettent l’ouverture des « portes de la perception » vers la nature ou le surnaturel en jouant sur leur valeur symbolique, ou plus prosaïquement favorisent la créativité et la communication. Pour comprendre ce phénomène, il est indispensable de documenter les bénéfices subjectifs et objectifs des drogues et le sens qu’elles prennent pour ceux qui les produisent, les commercialisent et les consomment, comme sont documentés leurs méfaits. Cette dimension des drogues est centrale d’un point de vue anthropologique mais semble parfois ignorée dans les analyses contemporaines en Afrique. Ambivalentes d’un point de vue social, diverses drogues peuvent être valorisées ou bannies selon les contextes. Elles peuvent aussi être ambivalentes au plan pharmacologique : comme les médicaments, certains produits ont des effets différents en fonction des doses, parfois perçus comme paradoxaux. Les effets peuvent aussi varier selon les modes de préparation d’une substance ou les variétés d’une espèce végétale, à l’exemple du cannabis qui est utilisé comme stimulant ou comme relaxant selon la variété (Sativa ou Indica). Ces considérations impliquent, d’un point de vue épistémologique, de considérer les drogues par-delà leur catégorisation comme produits licites ou illicites et en se détachant de l’approche normative qui les juge néfastes, et de documenter précisément leurs perceptions, effets et usages par ceux qui les pratiquent, en incluant dans l’analyse les variations des cadres réglementaires et des valeurs morales qui leur sont associées (Cohen et Klantschnig, 2021).

Les transformations en cours complexifient un tableau déjà complexe du fait de la diversification des produits, des fonctions multiples des drogues selon les usages et les contextes socioculturels, de la diversité des catégories de populations concernées, des possibles évolutions des statuts juridiques et des réponses sanitaires qui peuvent leur être apportées, des stratégies locales d’alliance ou des tensions entre acteurs sociaux. Pour aborder leurs particularités ouest-africaines, il est indispensable de rassembler les études ethnographiques, sociologiques et juridiques, épidémiologiques et de santé publique issues du terrain.

Chacun des produits en circulation en Afrique de l’ouest doit être mieux connu, aux différentes étapes de sa « vie sociale » (recherche/expérimentation, production/transformation, diffusion, distribution/vente, préparation/consommation). Ce cadre d’analyse qui a été appliqué aux médicaments (Reynolds Whyte et al, 2002 ; Hardon 2020) permet de rendre compte et d’ordonner la diversité des espaces sociaux, des contextes culturels et des acteurs concernés par les drogues. Les « réponses sociales » communautaires et institutionnelles doivent aussi être mieux documentées pour comprendre ce qu’est, et pourrait devenir, une RDR « par le bas », imaginée ou adaptée par ses acteurs, dans leur diversité d’âge, d’espaces de consommation, en incluant les espaces socionumériques (Benso 2017a ; Benso 2017b ; Benso 2018). Il est aussi nécessaire d’analyser l’entrecroisement de ces réponses et leurs décalages, les interactions consensuelles ou conflictuelles entre institutions ou groupes sociaux (et avec la population générale), en abordant les effets de la médicalisation et des mobilisations communautaires des PUD et d’autres acteurs communautaires, en parallèle à la répression vis-à-vis de l’offre et de la consommation des drogues. Pour cela, des approches théoriques des drogues et des addictions systémiques, écologiques, ou syndémiques, qui prennent mieux en compte leur complexité et leur caractère multi-dimensionnel, et des approches co-construites qui permettent de passer de l’interdisciplinarité à la transdisciplinarité, ouvrent des perspectives. La notion de RDR, qui relève de la santé globale, peut être réexaminée au vu de l’apport des savoirs expérienciels, dans des systèmes de soins qui proposent des interfaces avec la psychiatrie, où co-existent des prises en charge « traditionnelles », alors que les pratiques s’inscrivent dans des biographies « avec les drogues » sur les terrains africains ou francophones. Dans ce vaste domaine, toutes les recherches descriptives ou analytiques sont attendues, quels que soient les sites, les populations et les produits concernés, à toutes les étapes de leur vie sociale, du niveau micro-local au niveau global. Le rassemblement et la discussion de ces travaux permettra de contribuer pour l’Afrique de l’ouest aux débats transnationaux en cours sur l’avenir des politiques des drogues et la recherche qui doit les éclairer (Keane, 2021 ; Larney et al., 2021 ; Rhodes et Lancaster, 2021). De plus, le développement du Traité mondial sur les pandémies, en cours, appelle un changement de stratégie concernant les PUD, considéré comme nécessaire pour renforcer la préparation aux pandémies (INPUD, 2024). Ces préoccupations scientifiques et de santé publique sont en phase avec les principaux messages des Nations-Unies, l’ONUDC stipulant dans son dernier rapport que « la santé publique doit rester la priorité alors que la réglementation relative au contrôle des drogues évolue rapidement, notamment en ce qui concerne l’usage médical, et les pays doivent investir davantage dans la recherche afin de suivre les effets des politiques menées et de prendre des décisions éclairées » (ONUDC, 2023).

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Places

  • Dakar, Republic of Senegal

Event attendance modalities

Hybrid event (on site and online)


Date(s)

  • Sunday, March 17, 2024

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Keywords

  • drogues, addictions, Afrique, politiques, pratiques, priorités de recherche

Contact(s)

  • Rose André Faye
    courriel : rose-andre-yande [dot] faye [at] ird [dot] fr

Information source

  • Alice Desclaux
    courriel : alice [dot] desclaux [at] ird [dot] fr

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« Sciences sociales et drogues en Afrique francophone : diversification des usages, transformation des pratiques », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, February 14, 2024, https://doi.org/10.58079/vtwr

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