Dans son ouvrage « Entre l’écrit et le visuel », l’artiste théoricien Samir Triki parle des « voies de circulation entre la matière littéraire et la matière artistique, ainsi que les éléments spécifiques et endogènes qui caractérisent l’une ou l’autre ». Seules ces chaînes sont capables de renseigner sur la mesure, dans laquelle l’artiste s’attache à faire correspondre son écriture à sa pratique. C’est dans ce contexte que se déroulera cette journée d’étude, mettant en lumière l’expérience de l’un des artistes les plus célèbres, dont les œuvres sont les plus diverses et les plus ouvertes sur son être-créateur, sur l’héritage et sur l’Autre, avec toutes les contradictions, bifurcations et intersections que portent ces univers. Nous voulons parler de l’expérience de l’artiste Nja Mahdaoui, considérée comme l’une des expériences artistiques arabes et africaines les plus importantes, la plus connue et reconnue par les pays du « centre » occidental, ainsi que par les pays du Moyen-Orient.

Argumentaire

Les arts, sous toutes leurs formes, sont indissociables de la théorie et de « l’écrit ». L’histoire de l’art n’a pas seulement été racontée par des images, des sculptures et d’autres réalisations artistiques, qui sont passées de l’existence par puissance, à l’existence par action. Elle a plutôt été décrite par les écrits des historiens et des critiques. Elle a fait ainsi de ces images un nouveau point de départ d’investigations, et un point d’ancrage pour les images imagées.

Au niveau microscopique, plus précis, les relations entre la praxis et la théorie semblent de plus en plus complexes : en effet, les miniatures accompagnaient les manuscrits byzantins, persans, ottomans, indiens, etc., et les textes soutenaient également les œuvres des artistes. Il ne s’agit pas seulement des écrits d’écrivains et de critiques, mais également des écrits rédigés par des artistes sur leurs propres réalisations artistiques, en vue de justification, ou d’une approche plus communicative et pénétrante, lorsque la communication avec le lecteur était impossible, ou non évidente. C’est en effet, dans ce contexte, que s’inscrivent les écrits de Paul Klee, de Wassily Kandinsky et de bien d’autres artistes...

Quant à certains artistes, leur création artistique s’est entremêlée, et l’écriture s’est ouverte aux arts visuels. Peut-être n’ajouterons-nous pas grand-chose, quand on se réfère aux œuvres d’artistes du mouvement « Art Conceptuel », comme l’œuvre « One and Three Chairs », où l’artiste Kossuth a inclus une définition de chaise, dans son installation, composée d’une chaise, d’une photographie, ici, la chaise est une définition du terme chaise, « empruntée au Dictionnaire ». Dans un contexte différent, Magritte, dans sa série d’œuvres « Trahison des images », a cherché à combiner le visuel et le lisible, en juxtaposant l’image d’une pipe à la phrase « Ceci n’est pas une pipe », traitant ainsi, de la dualité présentation-représentation.

Bien que Jacques Derrida ait parlé du créateur qui produit, dans l’âme de l’écrivain, « Un peintre qui vient après l‟écrivain, et dessine dans l‟âme des images correspondant aux paroles … cette complicité est constante, comme on sait, entre peinture (Zoographia) et écriture, chez Platon, et après lui. »– tout en soulignant, à ce niveau, que cette théorie soulève l’idée de la suprématie de la pensée écrite sur la praxis ; étant donné que l’écrit précède la pratique-, et bien que certains chefs- d’œuvre soient, plus rhétoriques que la plupart des langues, au point qu’il n’y a pas de mots, qui puissent révéler les merveilles de « la Joconde » de Léonard de Vinci, et que les écrits relatifs au tableau « La Liberté guidant le peuple », ne pourraient rivaliser avec la composition esthétique, et l’expression picturale, fournies par Delacroix, (de nombreux exemples dans ce contexte sont valables et édifiants ), la distinction différentielle entre l’artiste et l’écrivain est devenue - depuis le début du XXe siècle - un passé archaïque qui ne peut être restauré ou ravivé. D’ailleurs, l’artiste ne s’intéresse plus seulement à la pratique artistique, mais aussi à la théorisation,  d’autant  plus  que  l’art  est  allé  au-delà  de  l’expression  des préoccupations de la vie, et de son imitation de diverses manières, et que la pensée sur l’art s’est intéressée aux questions et problématiques artistiques, en amont et en aval.

Que l’« écrit » accompagne la pratique artistique, la précède ou la suive, ce sont les écrits de l’artiste sur son expérience - théorisant sa pratique, photographiant ses idées, les sculptant, les traduisant en céramiques, en gravures, ou à travers des genres artistiques contemporains (tels que la performance, les happenings, l’art vidéo ou les programmes d’intelligence artificielle, et ce qu’ils apportent dans des traitements, tantôt étonnants, tantôt étranges) - qui demeurent les écrits les plus intéressants, et les plus proches de l’expérience artistique. Cela dérive, en effet, du lien qu’ils entretiennent avec la réalisation artistique, la pensée et le parcours de l’artiste. Ces écrits, même s’ils contredisent la pratique, ou s’en écartent, ils seront fidèles à l’idée que pourrait se faire un critique ou un chercheur, du rapport entre pratique et théorie, et de la distance qui peut les séparer.

Dans son ouvrage « Entre l’écrit et le visuel », l’artiste théoricien Samir Triki parle des « voies de circulation entre la matière littéraire et la matière artistique, ainsi que les éléments spécifiques et endogènes qui caractérisent l’une ou l’autre ». Seules ces chaînes sont capables de renseigner sur la mesure, dans laquelle l’artiste s’attache à faire correspondre son écriture à sa pratique.

C’est dans ce contexte que se déroule cette journée d’étude, mettant en lumière l’expérience de l’un des artistes les plus célèbres, dont les œuvres sont les plus diverses et les plus ouvertes sur son être- créateur, sur l’héritage et sur l’Autre, avec toutes les contradictions, bifurcations et intersections que portent ces univers. Nous voulons parler de l’expérience de l’artiste Nja Mahdaoui, considérée comme l’une des expériences artistiques arabes et africaines les plus importantes, la plus connue et reconnue par les pays du « centre » occidental, ainsi que par les pays du Moyen- Orient. Cependant, cette expérience, malgré sa valeur qualitativement riche, risque d’être incomprise, et souffre d’un discernement tronqué de la part de la majorité des critiques d’art, même si l’artiste a produit des écrits explicatifs d’une importance majeure. Ces écrits, ne peuvent continuer à être ignorés, d’autant qu’ils témoignent  de l’accumulation de ses expériences, et de leur adaptation aux technologies modernes, dans l’objectif d’une édifiante transmission de ses idées. Il s’agit en l’occurrence de la création d’un fonds d’archives (en cours), qui regroupe ses écrits et entretiens à la presse, ainsi que des vidéos, dans lesquelles il explique son approche plastiques et ses choix.

Ce qui nous frappe le plus dans l’expérience de l’artiste Nja Mahdaoui, c’est qu’elle a été traitée pendant des années, comme une expérience calligraphique, et qu’à chaque fois qu’elle est évoquée, elle est classée - sous prétexte qu’elle repose sur l’écriture et la lettre - comme une expérience calligraphique, répondant aux exigences du lettrisme, fondé par un groupe d’artistes à la fin du 20ème siècle.

Évoquant le fait de réduire son expérience aux traitements lettristes, l’artiste Nja Mahdaoui déclare : « Michel Tapié m’a initié à l‟univers de l’art informel basé sur le signe, et je me suis efforcé, tout au long de ma carrière, de dissiper toute confusion sur mon expérience, qui est une expérience abstraite, et qui n'est pas liée au Lettrisme. À mes débuts, les expériences des artistes asiatiques et iraniens ont attiré mon attention, et je n’avais aucune connaissance du mouvement lettriste dans le monde arabe... Pourtant, mon expérience est encore lue d’une manière qui s’écarte de son essence. » Quoique ces classifications aient été émises, même par des universitaires qui ont fourni des lectures superficielles et formelles de cette expérience artistique, celle-ci a prouvé sa ténacité et sa robustesse, fondées sur une réflexion savante, en témoignent sa résilience et son aboutissement d’une part, et l’intérêt manifesté par les critiques arabes et occidentaux, ainsi que leurs écrits, sur et autour d’elle, d’autre part. Par ailleurs, la source capitale pour les chercheurs dans le domaine des arts visuels, voire les théories qui leur sont assignées, sont l’abord les écrits poïétiques de l’artiste Nja Mahdaoui, puis ses propres mots, et enfin son ouverture aux questions et interpellations. N’est-il pas avide de dialogue, et n’utilise- t-il pas les signes graphiques pour les libérer de leur caractère le plus fermé, à savoir leur attachement à des sons et à des cultures spécifiques, ainsi que leurs agencements en mots, porteurs de significations et de cadences spécifiques ?

C’est dans cette perspective que l’artiste a libéré la lettre de son contenu limité, en termes d’ouverture à l’Autre, culturellement différent, pour entamer un dialogue de métissage culturel et d’influences mutuelles. Ainsi, l’œuvre artistique s’achèvera dans son esprit, comme toute œuvre artistique plastique abstraite qui s’adresse à l’âme et à l’esprit, et ne se contente pas de la représentation directe d’une idée ou d’un sujet.

Ces journées d’études sont donc censées révéler une expérience ouverte aux lecteurs de toutes spécialités, avec l’ambition d’ajuster des idées qui nous ont été transmises depuis des décennies, comme des axiomes, que nous espérons dépourvoir de leurs préjugés longtemps sclérosés. Parce qu’ils se sont révélés réducteurs et inadéquats, pour comprendre l’expérience de l’artiste, peut-être parce que nous n’avons pas appris à voir de nos propres yeux, et que nous regardons les choses sous des angles imposés, que les événements ont dépassés, ou parce que l’artiste n’a pas présenté au lecteur « le penseur » qui l’incarne d’une manière, à même de lire sa théorie, aussi bien que sa pratique. C’est ce que l’artiste a réalisé récemment, en réunissant et en compilant quelques-uns de ses textes phares dont certains susciteront l’émotion de chercheurs curieux, qui ne se contentent pas d’être des consommateurs passifs, et dont l’ambition ne se satisfait, qu’en retournant aux sources. C’est à eux en particulier, que s’adresse cette journée d’étude, afin d’aborder une problématique qui portera sur le rapport entre les écrits et la praxis dans l’expérience de l’artiste Nja Mahdaoui, à travers un certain nombre de questions liées à ce sujet, et notamment :

1. L’héritage patrimonial selon l’artiste « Nja Mahdaoui », entre légitimation de la praxis et un prétexte en vue du dialogue culturel.
2. L’évolution des discours écrits et visuels dans l’expérience de l’artiste « Nja Mahdaoui ».
3. Les réalisations actuelles de l’artiste « Nja Mahdaoui », au sein des expériences arabes et occidentales : dans quelle mesure elles adoptent l’évolution technique et conceptuelle ?
4. À la lumière de la multiplicité et de la diversité des expériences de l’artiste Nja Mahdaoui (peinture, sculpture, tissage, tapisserie, sculptures, performance, design graphique, sérigraphie...) et de la diversité des supports, dans quelle mesure l’artiste réussit-il à formuler des concepts procéduraux, qui dépassent l’expérience subjective pour se convertir en « une école », à part entière ?

Comité scientifique

• Pr. Kamal Skander
• Pr. Arbi Dhifaoui
• M.C. Mohamed Jerbi
• Pr. Samir Triki
• M.C. Mondher Mtibaa
• Pr. Mootaz Enad Ghazwen
• Pr. Mounira ben Mustapha
• M.C. Habib Zouinakh

Comité d’organisation

• Dr. Basma Hnana
• Dr. Imen Tahari
• Dr. Kaouthar Dammak
• Dr. Nihel Lehyeni
• Dr. Zinet Bouhajeb
• Dr. Emna Maazoun
• Mme. Sabeh Mouelhi
• Mme. Emna Mednini
• Mme. Ahlem Dhaoui
• Mme. Chebla Fandouli
• Mme. Islam ben Dhaou
• Mme. Fatima Regaieg

Coordinatrice 

• Dr. Zinet Bouhajeb

Agenda

Le 06 mars 2024 

dernier délai pour recevoir des propositions (dans la limite de500 mots, en précisant l’axe de recherche choisi) à l’adresse email : croisementecritsetpraxis@gmail.com

Les interventions peuvent être en français, en anglais ou en arabe

• Le 26 mars 2024, réponses du Comité
• Les 26 et 27 avril : les journées d’étude.