Les déplacements forcés et la construction de l’hospitalité
Revue « Cahiers de recherche sociologique »
Published on Monday, February 26, 2024
Abstract
Le numéro thématique des Cahiers de recherche sociologique portant sur le phénomène des déplacés forcés et l’hospitalité cherchera à comprendre, sous des éclairages novateurs, les rapports entre les populations migrantes forcées (ou déplacées forcées) et les populations que l’on pourrait qualifier de « déjà-là ». Afin de bien garder la focale sur cet enjeu, le présent numéro ne s’intéressera pas tant aux causes des migrations forcées ni aux réponses étatiques à ce phénomène social, il se concentrera plutôt sur les scénarios du déploiement de l’hospitalité, entendus comme l’ensemble des conditions, interactions et négociations qui ont lieu entre les déplacés qui arrivent et la population qui est « déjà-là ». Pour ce numéro, des études sur l’hospitalité en Europe et dans les Amériques nous intéressent particulièrement. Ces études peuvent porter sur des localités précises, des régions ou sur un ensemble d’expériences à l’intérieur d’un pays ou dans des espaces frontaliers.
Announcement
Direction scientifique
Sous la direction de Leila Celis (UQAM) et Martin Hébert (Université Laval)
Argumentaire
Le numéro thématique portant sur le phénomène des déplacés forcés et l’hospitalité cherchera à comprendre, sous des éclairages novateurs, les rapports entre les populations migrantes forcées (ou déplacées forcées) et les populations que l’on pourrait qualifier de « déjà-là ».
Les migrations forcées, qui ont lieu tantôt à l’intérieur des frontières des États ou entre ceux-ci, sont devenues l’un des plus grands défis sociopolitiques du 21e siècle (ICRC 1998 ; IDMC 2015 ; UNHRC 2014 ; Brun 2005) et ne pourront que s’accroître au cours de prochaines années. Elles sont liées autant à des violences de différents types (persécution politique, religieuse, ethnique, raciale, basée sur le genre ou l’identité sexuelle ; développement économique ; crime organisé ; guerres coloniales ou impériales de contrôle territorial) qu’à des catastrophes environnementales et des crises économiques profondes. Ces différents phénomènes mettent en danger la sûreté des populations et les forcent à fuir leur chez-soi pour protéger leur vie.
La réception des personnes déplacées a généralement été abordée en termes de racisme (Taguieff 1990, 2015) et/ou d’aide humanitaire (Dozon, 2011). Dans ces perspectives, l’accent est mis sur les causes des déplacements (Kolmannskog et Trebb 2010) ; les situations critiques dans lesquelles se retrouvent les déplacés à leur arrivée (malnutrition, fatigue extrême, mauvais traitements (Bello, 2004) ); ou encore l’urgence des interventions qu’il faudrait mettre en place, au niveau de l’aide humanitaire ou des politiques publiques (Garay Salamanca and Comisión de seguimiento, 2010 ; Pandolfi 2011). Le caractère dramatique de la situation n’est pas seulement relié à l’ampleur inédite des déplacements forcés (ONU 2023), mais aussi au fait que les personnes déplacées sont confrontées à la mise en place de politiques étatiques de fermeture des frontières (Tyszler 2018 ; Ceyhan et Tsoukala 2002). Ces politiques affectent la libre circulation des personnes, mais elles participent aussi à la stigmatisation de ces dernières en s’inscrivant dans des discours sécuritaires, qui par un tour de force rhétorique, en viennent à présenter les populations fragilisées et victimes de violence comme un problème de sécurité. Cette situation restreint de manière sensible la protection due aux personnes déplacées en plus de les maintenir dans des situations de victimisation.
C’est dans ce double contexte d’augmentation du nombre de personnes déplacées et de fermeture des frontières que l’étude de l’hospitalité devient des plus pertinentes. Afin de bien garder la focale sur cet enjeu, le présent numéro ne s’intéressera pas tant aux causes des migrations forcées ni aux réponses étatiques à ce phénomène social, il se concentrera plutôt sur les scénarios du déploiement de l’hospitalité, entendus comme l’ensemble des conditions, interactions et négociations qui ont lieu entre les déplacés qui arrivent et la population qui est « déjà-là ».
Ce numéro des CRS prend le parti de ne pas voir les déplacés uniquement comme des victimes ou de simples bénéficiaires de services souvent, des images souvent relayées dans les écrits académiques et dans le discours public (Kakogianni, 2012 ; LaCapra, 2009 ; Peterson, 2012). Or, s’il est vrai que les personnes déplacées ont été fragilisées par les circonstances particulièrement violentes les ayant forcées à quitter leur « chez-soi », il est aussi vrai qu’elles sont bien plus que de personnes dans le besoin. Là où elles arrivent, elles contribuent à la vie politique, économique et culturelle.
Il nous importe aussi de ne pas construire un imaginaire de l’hôte à travers la figure de la générosité de classe bien nantie ou de la bienfaisance désintéressée. La plupart du temps, les hôtes sont des personnes aussi pauvres et fragilisées que les personnes déplacées forcées.
Ce numéro des CRS s’intéressera donc à l’analyse de l’agentivité des personnes déplacées forcées ainsi qu’aux conditions de cette agentivité et à ses effets dans la mise en place de solutions aux enjeux posés par les déplacements forcés. Nous privilégierons des textes qui proposent une lecture critique face aux idées reçues et qui auront le projet de les dépasser par un examen empirique de situations concrètes. Il s’agira alors de faire ressortir la complexité et les ambiguïtés des rapports hospitaliers tout en reconnaissant les personnes déplacées comme acteurs à part entière dans ces rapports. Ainsi, les analyses et perspectives retenues seront centrées sur les rapports dialectiques et de réciprocité qui se développent dans des situations d’hospitalité, tant en fonction du contexte social et historique du lieu étudié qu’en fonction des groupes qui entrent en relation lors de déplacements forcés. En ce sens, les textes reçus s’intéresseront aux conditions initiales de l’hospitalité —centrées sur les besoins immédiats et fondamentaux des personnes déplacées — et étendront leurs analyses aux circonstances et pratiques de l’hospitalité favorisant une reconfiguration des rapports matériels et des subjectivités à la fois des déplacés, des personnes « déjà-là » et de la société.
Pour ce numéro, des études sur l’hospitalité en Europe et dans les Amériques (principalement, mais non exclusivement sur les États-Unis, le Canada, le Brésil et sur la population haïtienne) nous intéressent particulièrement. Ces études peuvent porter sur des localités précises, des régions ou sur un ensemble d’expériences à l’intérieur d’un pays ou dans des espaces frontaliers. Nous invitons à une diversité d’approches méthodologiques et théoriques susceptibles d’éclairer les dynamiques décrites ici. Par ailleurs, une analyse ancrée dans les particularités empiriques de chaque terrain devait nous permettre de recevoir à la fois des articles rendant compte de recherches académiques que des contributions issues du milieu de la pratique, à savoir, des organisations et personnes qui travaillent directement dans la construction de l’hospitalité avec les personnes déplacées. Pour ces dernières, un accompagnement peut être offert.
Modalités de contribution
-
Dépôt des propositions d’article (200 à 400 mots) : 30 mars 2024
- Réponse des responsables du no : à préciser
- Pour les propositions acceptées*, dépôt des textes (8000 mots max.) : septembre 2024
- Publication : hiver 2025
Merci de transmettre vos propositions de 200 à 300 mots, indiquant vos coordonnées à : Celis.leila@uqam.ca et Martin.Hebert@ant.ulaval.ca, responsables du numéro.
Après l’acceptation d’un article par les responsables du numéro, l’article est envoyé à des évaluateurs et évaluatrices anonymes.
Responsables du numéro
- Leila Celis (UQAM)
- Martin Hébert (Université Laval)
Bibliographie
Agier, M. (2002). Aux bords du monde, les réfugiés. Flammarion.
Brun, C. (2005) « Internal Displacement », Research Guide 41, Forced Migration Online, www.http://www.forcedmigration.org/research-resources/expert-guides/internal-displacement/fmo041.pdf.
Castoriadis, Cornélius (1975), L’institution imaginaire de la société, Paris : Seuil.
Ceyhan, Ayse and Anastassia Tsoukala (2002) “The Securitization of Migration in Western Societies. Ambivalent Discourses and Policies”, Alternative, volume 27, Issue 1_suppl https://doi.org/10.1177/03043754020270S103
Collyer, M. (2019). From preventive to repressive : The changing use of development and humanitarianism to control migration. Handbook on critical geographies of migration, 170-181.
Dozon, Jean-Pierre (2011) « Colonisation, développement, aide humanitaire. Pour une anthropologie de l’aide internationale », Ethnographies de l’aide, in Ethnologie française, 41 (3), pp. 393-403.5
ICRC (1998), Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays. 30-09-1998 Article, Revue internationale de la Croix-Rouge, 831. https://www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/5fzf6z.htm
IDMC (2015), Protracted displacement : uncertain paths to self-reliance in exile, Geneva, september 2015, www.internaldisplacement.org
Martin, S. F. (2005). The Uprooted : Improving Humanitarian Responses to Forced Migration. Lexington Books.ONU 2023 : https://news.un.org/fr/story/2023/06/1136077
Pandolfi Mariella, Corbet Alice, « De l’humanitaire imparfait. », Ethnologie française 3/2011 (Vol. 41), p. 465-472
Perkowski, N. (2016). Deaths, Interventions, Humanitarianism and Human Rights in the Mediterranean ‘Migration Crisis’. Mediterranean Politics, 21 (2), 331-335. https://doi.org/10.1080/13629395.2016.1145827
Ricoeur, Paul (2006), « La condition d’étranger » Esprit, no 3-4, mars-avril : 264-275.
__________ (1990), Soi-même comme un autre, Paris : Seuil
Taguieff, Pierre-André (2015), La Revanche du nationalisme, Presse Universitaire de France, 324 p.
Tyszler, Elsa (2018) « Sécurisation des frontières et violences contre les femmes en quête de mobilité » Migrations Société 2018/3 (N° 173), pages 143 à 158
UNHCR/IDMC Observatoire des situations de déplacement interne/Norwegian Refugee Group. (2014). 33,3 millions de personnes déplacées par les conflits à travers le monde : le Nigéria figure parmi les cinq pays les plus touchés, communiqué de presse.
Subjects
- Sociology (Main category)
Date(s)
- Saturday, March 30, 2024
Attached files
Keywords
- déplacement forcé, hospitalité, migration, frontière
Reference Urls
Information source
- Mélusine Dumerchat
courriel : crs [at] uqam [dot] ca
License
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To cite this announcement
« Les déplacements forcés et la construction de l’hospitalité », Call for papers, Calenda, Published on Monday, February 26, 2024, https://doi.org/10.58079/vwuc