Les animaux fabuleux de la mythologie : doués de parole, adjuvants malfaisants…
46e congrès de la Société de Mythologie française (SMF)
Published on Friday, April 05, 2024
Abstract
Le sujet, vaste, sans entrer dans une complète étude de la « bête imaginaire », appelle aux interrogations sur la place et le rôle des animaux dans la mythologie. Quelques questions paraissent essentielles, quant aux caractéristiques qui en font des êtres fabuleux : pourquoi les animaux de la mythologie sont-ils doués de parole ? De quelle nature sont leurs relations avec les dieux comme avec les hommes ? Quelles sont leurs caractéristiques ? Que dire de leur comportement ? Quelle est leur fonction dans les contes, adjuvants ou opposants au héros ? Comment expliquer leur rôle depuis les débuts de la littérature dans les fables et dans la satire sociale ? On portera ainsi attention aux mythes, contes, légendes, rituels ou traditions populaires mettant en scène, les animaux par des comportements ou dans des situations dépassant leur nature zoologique.
Announcement
Le congrès 2024 de la Société de Mythologie française (SMF) invite l’ensemble de la communauté scientifique à une réflexion sur le folklore et les mythes liés aux animaux, dans leurs aspects fabuleux.
Argumentaire
Le sujet, extrêmement vaste, sans entrer dans une complète étude de la « bête imaginaire » en tant que telle (licorne, dragon, simorgh), appellera plutôt aux interrogations sur la place et le rôle des animaux fabuleux dans la mythologie. Il convient cependant de le mieux cerner. Quelques questionnements nous paraissent essentiels, s’agissant de certaines caractéristiques des animaux qui justement en font des êtres fabuleux : pourquoi les animaux de la mythologie sont-ils doués de parole ? De quelle nature sont donc leurs relations avec les dieux comme avec les hommes ? Quelles sont leurs caractéristiques physiques ? Que dire de leur comportement ? Quelle est leur fonction dans les contes, adjuvants ou opposants au héros ? Comment expliquer leur rôle depuis les débuts de la littérature dans les fables et dans la satire sociale ?
La Société de Mythologie française propose ainsi aux chercheurs de porter leur attention, selon son objet tel que rappelé supra, sur les mythes, contes, légendes, rituels ou traditions populaires mettant en scène, protagonistes ou non, les animaux, sous des comportements ou dans des situations dépassant leur stricte nature zoologique.
Aspects thématiques : les auteurs pourraient, entre autres directions, orienter leur regard sur les divers aspects ici exemplifiés :
Les animaux et les hommes : pourquoi (et dans quelles circonstances) les animaux parlent-ils ?
L’éminent anthropologue Claude Lévi-Strauss, a, lors d’une interview, défini les mythes comme « des histoires racontées au temps où les bêtes parlaient ». Il en est de même des contes, qui eux aussi datent « du temps où les bêtes parlaient ». Il est donc essentiel de spécifier dans la présentation de ce congrès que les relations entre les animaux et les hommes dans les mythes, légendes, contes et traditions populaires sont sous-tendues par le fait que, dans ce temps mythique antérieur à la Bible et à l'ère chrétienne, les dieux, les hommes et les animaux vivaient apparemment en harmonie au sein d’une sorte d’éden égalitaire et parlaient le même langage. Ce n'est que bien plus tard, dans la Bible, après la Chute, que les bêtes seront considérées comme asservies à l'homme, et que les héros des contes ne comprendront plus leur langage que dans certaines conditions. Dans les traditions orales (v. P. Delarue et M.-L. Tenèze), les animaux et les hommes conversent très naturellement, et ce doit être pour le chercheur un premier et essentiel sujet d’interrogation.
Le loup du Petit Chaperon rouge, déjà dans la tradition populaire, est un personnage à part entière qui s’entretient avec la petite fille en jouant le rôle de sa grand-mère (v. Y. Verdier). De même, aussi bien dans les Fables d’Ésope que dans le Roman de Renart, miroir de la société médiévale, les animaux, doués de raison et partageant les qualités et des défauts des hommes, expriment leurs volontés et leurs sentiments, leur hauteur d’esprit ou leurs vices. Cependant, certains contes mentionnent que l’accès au langage des animaux ne va pas – ne va plus ?– de soi, qu’on ne peut le comprendre que du fait d’un don reçu à la naissance, ou obtenu par accident ou par magie, par apprentissage scolaire même (v. le conte-type ATU 671 Les Trois langages, dont on connaît plus de vingt versions françaises : ainsi, chez J. Fleury, le conte Le langage des bêtes : on y apprend qu’un jeune homme échappe à la mort grâce à sa connaissance du langage des chiens, des grenouilles et surtout des oiseaux, qui connaissent le passé et l’avenir). Cette compréhension du langage animal peut encore être offerte par un dieu ou par un « animal reconnaissant », un oiseau ou le plus souvent un serpent. Cette faculté permet souvent au héros, par la connaissance du danger qui le guette, d’y échapper in extremis. Dans le domaine hagiographique, seuls quelques saints seront censés comprendre le langage des animaux, tel saint François par exemple. On pourra déjà rechercher cette relation langagière dans certaines œuvres de l’Antiquité : le Pañchatantra, les Fables d’Ésope, le roman alexandrin de L’Âne d’or d’Apulée. Par ailleurs, l’Histoire des animaux d’Aristote, l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien et le Physiologus vont, du moins sous nos climats, nourrir l’imaginaire des conteurs ainsi que des artistes.
De même, il faudrait montrer comment, au Moyen Âge, les Bestiaires, ouvrages très populaires (inspirés des Étymologies d’Isidore de Séville) tissent des correspondances entre la faune et le divin – quitte à inventer de nouvelles formes d’êtres fantastiques –, qui seront à leur tour réinterprétées avec humour par les artistes dans les marginalia des manuscrits, travestissant les hommes et se moquant autant des défauts de ces derniers que de ceux qu’ils partagent avec les bêtes (voir M. Camille, Images dans les marges).
À inventorier aussi, les fabliaux médiévaux, les ysopets, les lais souvent anonymes, qui racontent, chacun à leur façon, ces relations étonnantes.
Et surtout, il faudra interroger, parmi toutes ces sources populaires et littéraires venues de l’Antiquité, l’extraordinaire Roman de Renart, qui reproduit au sein du monde animal la société des humains, pour en tirer une vive et réjouissante satire, et qui va se développer, en plusieurs branches, sous la plume de divers auteurs successifs tout au long du Moyen Âge.
Mais c’est aussi dans les contes populaires issus de la tradition orale, remaniés parfois (v. G. Basile, Le conte des contes, et G. F. Straparole, Les Nuits facétieuses), que l’on pourra rechercher la place et le rôle joué par les animaux justement qualifiés de « fabuleux » auprès des hommes via la parole. Le conte-type très répandu ATU 303 (Le Roi des poissons, ou la bête à sept têtes), met en scène deux frères, aidés chacun dans sa quête par des animaux (chez Basile, on en connaît une version sous le titre « La Biche ensorcelée »).
Autre sujet d’étude, les Fables de La Fontaine, plusieurs siècles plus tard, s’inspirant d’Ésope et du Pañchatantra (et des ysopets médiévaux, tels ceux de Marie de France). Il décrira à son tour le monde animal, pour peindre de façon plaisante et satirique les travers de la société du XVIIe siècle, en particulier ceux des gens de cour, tandis que Charles Perrault et Mme d’Aulnoy reprendront, dans un style précieux, des contes populaires traditionnels issus du folklore non seulement français et européen, mais mondial.
Puis viendront les frères Grimm, pour rassembler l’ensemble des contes merveilleux européens, ainsi que les folkloristes A. Aarne et S. Thompson pour effectuer une précieuse classification typologique de tous les contes populaires connus (du moins dans le domaine européen), répertoriés et numérotés par « contes types », et enfin Vladimir Propp, qui dégagera la structure des contes russes selon un schéma dit « actantiel » concernant les rôles traditionnels des différents protagonistes des contes et l’objet de leur quête.
Cette recherche des différentes variations des récits folkloriques n’est bien entendu toujours pas achevée. Les légendes, en particulier, à la différence des contes, n’ont fait l’objet d’inventaires que dans peu de pays. Par son Atlas mythologique de la France, qui inventorie précisément ce matériel légendaire, la SMF entend modestement y contribuer.
Quelle place les animaux occupent-ils entre les dieux et les hommes ? Sont-ils doués de raison ? Ont-ils une âme ?
On recherchera les qualités « physiques » et « intellectuelles » accordées par l’homme aux bêtes fabuleuses qui représentent à leurs yeux le courage, la force, la noblesse de cœur, ce qui permettra à la noblesse de s’inventer des blasons fondés sur la bravoure des animaux, fabuleux ou non, les plus redoutables et les plus sauvages : l’ours, le lion, le dragon, voire le couple étonnant que forment l’homme sauvage et la sirène, hybrides fantastiques. Car, tout en étant persuadés que Dieu a créé les animaux pour qu’ils leur fussent soumis, les hommes du Moyen Âge se sont demandé s’ils avaient une âme et s’ils étaient doués de raison. En effet, si saint Augustin – contrairement à saint Paul – refuse l’âme aux animaux, saint François pense qu’ils sont frères des hommes. On leur imagine donc un paradis et on prie pour leur résurrection. En contrepartie, ils peuvent être déférés devant les tribunaux, jugés, et la force publique applique la sentence : M. Pastoureau (Une histoire symbolique du Moyen Âge) évoque le cas d’une truie accusée et condamnée pour avoir mangé un enfant. Et si Thomas d’Aquin, comme son maître Albert le Grand, affirme que la frontière entre l’homme et l’animal est infranchissable, le corps velu de l’« homme sauvage », dont l’existence ne semble pas remise en question ( !) questionne le rapport entre l’humain et l’animal, et c’est ce thème que développe le roman de Valentin et Ourson.
Les animaux sont-ils susceptibles d’avoir une double nature ?
Dès la plus haute Antiquité, des mythes égyptiens autant que sumériens ont mis en relation étroite le divin, l’humain et le règne animal. Dans les récits sumériens, les dieux sont décrits comme des hommes ; et les animaux, décrits dans des termes anthropomorphiques (renard, corbeau, mouche…), interagissent avec eux d’égal à égal. Déjà les bêtes parlent, conversent avec les gens, portent assistance aux dieux et aux hommes, leur apportant la chance et demandant des récompenses, attitude qui correspond à l’imaginaire des contes de fées où l’irréel devient plausible (v. Jeremy Black). En Égypte, il n’y a pas de barrières dans le domaine du vivant, et hommes et animaux sont susceptibles, au même titre et souvent ensemble, d’être le support du divin. L’aspect animal de la divinité est une métaphore explicitant certaines de ses caractéristiques essentielles et révélant, tout en la dissimulant, sa nature ; ce qui apparaît clairement dans l’art, où les dieux, hybrides, sont pourvus de têtes animales : par exemple Hathor à tête de vache, Anubis à tête de chacal, ou Bastet à tête de chatte.
À ce titre, on pourra rechercher quelles divinités anciennes, égyptiennes, gallo-romaines ou celtes se profilent derrière la figure de certains animaux fabuleux de la culture populaire médiévale : la jument de Gargantua, le cheval Bayard, la bête à Blaisot… possèdent sans doute quelques caractéristiques d’Epona. Dans la mythologie chrétienne, saint Christophe, passeur psychopompe, est représenté avec une tête de chien, qui le rapproche du dieu Anubis, mais dont l’origine pourrait aussi bien être celtique (v. Ph. Walter). Des héros de contes populaires naissent sous une apparence animale, ainsi, dans le conte d’Asinarius, né ânon, mais qui, amoureux de la princesse qu’il réussit à épouser, perd sa peau d’âne lors de la nuit de noces après que le roi son beau-père l’a brûlée (conte type AT 425). Quant au « loup garou » auquel croyaient nos ancêtres dans les campagnes, il participe lui aussi d’une double nature, humaine et animale, en bonne ou mauvaise part, car homme le jour et bête la nuit, il peut aussi bien être la victime d’une malédiction qu’un criminel qui se cache sous la peau d’un loup. Il est plutôt situé du côté du côté de la sorcellerie et du diable que de Dieu, dans un contexte où les cultes antérieurs à l’avènement du christianisme ont été étouffés, et où les animaux sont devenus soit les serviteurs des saints, soit ceux du diable.
Quelles sont les caractéristiques des animaux fabuleux ? Sous quelles apparences se présentent-ils ? Sont-ils le fruit d’une métamorphose ?
Les animaux fabuleux ne sont pas pour autant fantastiques. Sauvages ou domestiques, ils peuvent cependant apparaître sous des formes hybrides, à la suite de métamorphoses. L’hybridité est la plupart du temps le fruit d’une métamorphose, passagère ou permanente, généralement rapprochée, dans la mythologie grecque, de la monstruosité. Les hybrides effraient. Fruits de transgressions sexuelles (le Minotaure), ou alimentaires (les compagnons d’Ulysse métamorphosés en porcs par Circé), ils montrent ce qu’il ne faut pas faire. Mais en contrepartie, celui qui combat victorieusement le monstre en sort grandi : ainsi les héros Thésée, ou Persée.
On pourra montrer qu’il en est de même dans les récits populaires et la littérature du Moyen Âge, lors du combat d’un héros (Geoffroy la Grand’Dent, fils de la fée Mélusine) ou d’un saint sauroctone (Michel, Romain, etc.) contre un dragon ou le diable, qui se cache sous de multiples formes.
Mais on peut considérer qu’une autre forme d’hybridité relève de métamorphoses dues à la magie : l’enchanteur Merlin, figure incontournable de l’épopée arthurienne, né d’une vierge et d’un diable, velu comme un ours, et qui, comme les oiseaux des contes, connaît le passé et l’avenir, est susceptible de se muer à sa guise en homme ou en animal, le plus souvent en cerf.
La complainte de La blanche biche narre l’histoire d’une jeune fille prénommée Marguerite, transformée en biche et tuée sous cette apparence par son frère, un cruel chasseur (v. B. Charnier). Dépecée et servie en rôti au banquet, elle prend la parole pour inviter les convives à la manger. La relation entre la biche et sainte Marguerite (sortant victorieuse du dragon qui l’a dévorée, et de ce fait patronne des accoucheuses) laisse à penser que les deux personnages se réfèrent à une même divinité antérieure au christianisme.
De même, à l’origine de la légende de la « cane de Montfort », il y a une vertueuse jeune fille prisonnière du licencieux seigneur de Montfort. Dans cette légende christianisée, elle prie saint Nicolas de la délivrer, et elle est miraculeusement transformée en cane. De même que sainte Colombe sera transformée en… colombe par Dieu, afin de la préserver des assiduités d’un curé luxurieux. Les récits hagiographiques multiplient ce genre de métamorphoses voulues par Dieu pour sauver de pures demoiselles de la luxure et les transformer en saintes.
La fée Mélusine, nymphe sylvestre, est muée en femme serpente ou en dragon à la suite d’une malédiction. Les fées (ou saintes) Pédauques, se présentent comme de jolies femmes-oiseau, car dotées de pattes d’oie, ou de pieds palmés, qui aident les hommes et s’en font épouser à condition qu’ils respectent un tabou, celui de chercher à découvrir leur difformité. La métamorphose concerne aussi les fées oiseau, qui pour se baigner, ôtent leurs robes de plume et deviennent de belles jeunes filles que les hommes épousent, mais qui disparaissent dès qu’elles retrouvent leurs habits de plume (v. Cl. Lecouteux, Mélusine et le chevalier au cygne ; Ph. Walter, Ma mère l’oie).
Enfin, il faudrait montrer que la métamorphose concerne également les femmes et les hommes victimes d’un sort, qui ne seront sauvés que grâce à l’abnégation du héros ou de l’héroïne qui les délivrera : dans le conte de La belle et la bête, la belle en acceptant d’épouser la bête, hybride effrayant d’homme et de lion, le délivre de sa nature monstrueuse (c’est le schéma général des contes du cycle du « fiancé animal », ATU 425) ; dans Le Bel inconnu, de Renaut de Beaujeu, le héros doit, pour délivrer la fille du roi, donner un « fier baiser » au serpent ou « guivre » sortie d’une armoire ; dans La chatte blanche (ATU 402, dont on connaît près de quarante versions françaises), son amoureux doit lui couper la tête et la queue, etc.
Quelles relations les animaux fabuleux entretiennent-ils avec l’Autre Monde ?
De la métamorphose à la métempsychose : Qu’en est-il dans les mythes, contes et légendes populaires ?
Dès l'Antiquité gréco-romaine les animaux peuvent cacher sous leur apparence un être victime des dieux, ou puni par les dieux : la nymphe Io transformée en génisse par Zeus pour tromper la jalousie d’Héra, le chasseur Actéon métamorphosé en cerf par Artémis outragée, la nymphe Callisto muée en ourse, puis transformée par Zeus en constellation. S’agissant d’humains métamorphosés en animaux, les qualités de l’animal sont des projections anthropomorphiques, mais si on leur prête des qualités humaines, leurs qualités animales n’en sont pas pour autant niées. Ainsi Io, comme Callisto, souffrent comme des femmes sous leur apparence de vache et d’ourse, quoique leur nouvelle nature les force irrésistiblement à adopter un comportement animal. Dans d’autres cas, la métamorphose transformant l’animal définitivement en pierre, elle aboutit à une sorte de mort (v. P. Sébillot, La faune). Un autre registre, celui des hommes primordiaux de l’Irlande, Tuan et Fintan, témoigne de leur longévité surhumaine rythmée par des métamorphoses animales : ils vieillissent en se réincarnant successivement en cerf, sanglier, faucon et saumon, et à chaque mue, recouvrent leur jeunesse. Cette série de métamorphoses au sein du bestiaire celtique évoque bien entendu la théorie de la réincarnation développée par Pythagore – probablement héritée de la mythologie égyptienne – qui parcourt déjà les Métamorphoses d’Ovide.
Les animaux messagers ou psychopompes
Quel est leur rôle ? Ils servent de medium entre ce monde et l’autre, celui des esprits et de la féerie. On montrera que sont aussi des animaux « guides », qui entraînent le héros vers un destin qui peut éventuellement lui être fatal. En Égypte, en Grèce, en Étrurie ancienne, ce sont déjà des sirènes ailées ou des chevaux qui guident le défunt vers le monde des morts. On trouvera dans les contes folkloriques, les légendes médiévales souvent d'inspiration celtique, les aventures de héros qui, poursuivant un animal sauvage, cerf, sanglier, oiseau merveilleux, rencontrent un personnage de l'autre monde, bienveillant ou non. Ces animaux messagers et en même temps psychopompes peuvent aussi se présenter sous forme de cheval, de sanglier, de biche, de sirène,comme nous l’avons vu plus haut.
Comment les reconnaît-on ? Ils se distinguent généralement par leur couleur blanche, spécifique de l’autre monde (v. les Lais féeriques de Marie de France : Yonec, Guiguemar, Graelent, et les Lais anonymes).
Les animaux nourriciers
On recherchera quels animaux font office de mère de substitution, sachant que l’idée, qui n’est pas nouvelle, s’explique par la croyance en la vertu nourricière du lait des bêtes sauvages, qui va transmettre à l’enfant leur force et leur puissance. On pense immédiatement à la louve qui allaite Rémus et Romulus à l’origine de Rome. Mais il s’agit d’une tradition connue aussi pour orientale : en Égypte, la déesse vache Hathor nourrit Pharaon ; une chienne allaite le Perse Cyrus ; Zeus a été allaité par la chèvre Amalthée. La chèvre, animal rebelle qui relève de deux mondes, le sauvage et le civilisé, animal préféré d’Artémis, participe à la protection des tout-petits. Son lait (que l’on pense alors déjà cuit) facilite le passage entre « le cru et le cuit » et l’accès à la vie sociale.
D’autres bêtes farouches se montrent-elles de bonnes mères de substitution ? L’ourse, qui dans la mythologie grecque participe de la puissance et de la brutalité la plus sauvage, nourrit Atalante, jeune fille dont la force et la vélocité évoquent les aptitudes de sa nourrice.
Selon Aristote, le petit enfant se présente comme une forme intermédiaire entre l’animal, dont il détient certains traits psychiques, et les hommes. Artémis, déesse des marges, va guider l’enfant élevé par les bêtes vers la socialisation. Le Moyen Âge fera d’Ourson, frère de Valentin, égaré dans la forêt et élevé par une ourse, un vigoureux chevalier dont l’apparence est plutôt celle d’un homme sauvage, fort et velu comme un plantigrade, tandis que Tristan de Nanteuil, dans la chanson de geste sous ce nom, sera nourri par une sirène. Les fils de Mélusine, allaités eux aussi par la sirène – ou serpente – qu’est leur mère, grandiront de façon prodigieuse, et seront de fiers combattants.
Les animaux bienveillants dans les contes populaires et dans la littérature hagiographique : Quelle sorte d’aide procurent-ils au héros ?
Les « animaux nourriciers » sont les premiers à se montrer bienveillants envers l’homme. D’autres – dans les contes folkloriques – vont se comporter comme des « adjuvants », conseiller les héros, s’en faire les messagers, et les tirer d’affaire lorsqu’ils sont dans une situation périlleuse, bien souvent au péril de leur propre vie. Il peut s’agir, dans les mythes, de « messagers célestes » qui vont les conduire vers leur destin ; d’ « animaux reconnaissants », que le héros a sauvés d’un mauvais pas, et qui vont s’attacher à lui, tel le lion, dans Le Chevalier au lion, de Chrétien de Troyes. D’autres animaux vont intervenir dans des « mythes de fondation », comme la vache portant un signe lunaire au flanc qui guide Cadmos vers le lieu de la fondation de Thèbes. Dans la mythologie chrétienne, ce seront généralement des bœufs qui, ayant découvert une statue de la Vierge, choisiront le lieu de la dévotion en s’immobilisant à l’endroit de leur choix (voulu par Dieu). Si l’on suit le « schéma actantiel » du conte traditionnel proposé par V. Propp, on voit que le récit met en scène un héros, jeune, pauvre et peu aguerri, qui doit, pour sortir d’une situation difficile, s’approprier ou acquérir pour une autre personne dont il dépend un objet quelconque. Il ne peut y parvenir seul, et selon son mérite, va gagner l’amitié d’ « adjuvants », humains ou animaux, qui lui prêteront main forte dans sa quête et finalement l’aideront à sortir des difficultés de l’enfance ou de l’adolescence pour le faire accéder à la maturité, à la sagesse, et à l’amour. Il en est ainsi du fils de meunier qui, dans le conte de Perrault Le Chat botté (variante du conte-type ATU 545B, répandu dans le monde entier, mais où le héros peut être un autre animal, par exemple un renard, un coyote ou une gazelle), confie sa destinée à un chat des plus astucieux, véritable héros du conte.
Si l’on prend l’exemple du conte de Peau de mille bêtes, variante de Peau d’Âne (ATU 510B) collectée par les frères Grimm, ce sont tous les animaux de la forêt qui vont donner un morceau de leur peau pour confectionner le manteau qui permettra à la princesse de fuir incognito et d’échapper à son père incestueux. Messagers des êtres de l’Autre Monde, les animaux adjuvants du héros dans les contes de fées vont donc jouer un rôle clé pour faciliter la quête de celui-ci. Dans les récits hagiographiques, du côté des saints ermites, le lion de saint Jérôme, soigné par ce dernier qui lui retire une épine du pied, lui sera fidèlement reconnaissant. Citons aussi, parmi d’autres, le cochon de saint Antoine, et le loup de sainte Austreberthe, qui, sévèrement tancé pour avoir mangé l’âne du couvent, accepte de se racheter en le remplaçant dans sa tâche.
Les bêtes malfaisantes
De quelle nature sont leurs manifestations malfaisantes ? Physiques ou psychiques ? Elles sont légion dans nos campagnes, et sont la plupart du temps associées à la couleur noire (évidemment affiliée au diable : poule noire, bouc, crapaud…). On pense immédiatement au loup du Petit Chaperon rouge, qui est, par sa nature de loup, l’ennemi de l’homme par excellence, en un temps où il est le prédateur principal des campagnes. Mais il faut aussi voir derrière ce loup, car la leçon du conte (et ses versions) sont multiples, un prédateur sexuel. Qu’en est-il des autres êtres fabuleux qui hantent le pays ?
Dans la littérature orale et écrite, en suivant, par exemple, les enquêtes de P. Sébillot dans Le folklore de la France, La faune ; celles de C. Joisten, A. Joisten et C. Abry, dans Les êtres fantastiques des Alpes, ou encore dans l’Atlas de la SMF, on est écrasé sous le poids des bêtes fantastiques, voire diaboliques, souvent susceptibles de se muer en hybrides, qui courent la campagne : cheval Mallet, qui charge le voyageur sur son dos et va le jeter dans une mare ; cheval Bayard, dont le dos s’allonge pour y faire asseoir les quatre fils Aymon ; Bête à Blaisot (de saint Blaise ?), hybride de chèvre par la tête, loup par le corps, qui se tient le long des ruisseaux et accompagne silencieusement le voyageur attardé, grossissant démesurément à vue d’œil ; loup-garou bien sûr ; bête faramine, tantôt chien ou loup monstrueux, tantôt oiseau ; galipote, qui saute sur le dos du voyageur nocturne et pèse outrageusement sur ses épaules ; animaux hybrides de type dragon :Tarasque, dracs ; lièvre qui parle ; oiseau de malheur, oiseau qui fait oublier le temps… etc., dont on ne peut se prémunir que par toute une série de rituels complexes.
Quelle aide invoquer contre ces bêtes généralement considérées comme diaboliques ? Les saints médiévaux vont en général constituer le meilleur recours contre ces mauvaises rencontres, ils maîtrisent, pour certains, les animaux les plus dangereux et les plus diaboliques et parviennent, grâce à Dieu maître de la Création, et à leurs discours diplomates, à s'en faire obéir : ainsi Antoine, qui résiste, dans le désert, face à toute sorte de bêtes diaboliques en leur opposant sa foi ; Romain, saint sauroctone comme beaucoup d’autres qui débarrassent le pays de dragons diaboliques, en l’occurrence, la Gargouille qui ravage Rouen ; Blaise (protecteur du bétail et maître des bêtes sauvages) et le loup.
D'autres séduisent par le charme de leurs paroles les oiseaux, tel François, reprenant à son compte le pouvoir du poète thrace Orphée charmant par son chant tous les animaux, même les plus féroces. Au cours du temps, rien ne change, mais la spécificité du Moyen Âge est, malgré tout, de séparer les animaux bénéfiques des maléfiques, qui sont tous du côté des sorciers et du diable (alors que L'Âne d'or d'Apulée n'était qu'un homme victime de sorcellerie qui finit par devenir adepte du culte d'Isis).
Les animaux dans la satire sociale : Quel est leur rôle ?
Enfin, dans le folklore autant que dans la littérature la plus ancienne (Inde, Perse, Mésopotamie), des figures animales de "tricksters", renards en particulier, deviennent à travers les Fables d'Ésope, le Roman de Renart, le Roman de Fauvel (ici c’est un cheval qui joue le rôle du trickster), les fabliaux, les marginalia désopilantes des manuscrits médiévaux, puis dans les Fables de La Fontaine, etc., des animaux dont les fredaines ont à voir avec les errances de la société, et qui triomphent dans le domaine de la critique sociale. Le principe de la satire est d’autant plus efficace que les animaux et les hommes partagent bien des défauts. Dès le Moyen Âge, poursuivant la coutume des Saturnales romaines, les rituels carnavalesques jouent sur ce thème, lors des Fêtes de l’ours dans les Pyrénées (v. D. Pauvert), des Fêtes des fous ou Fêtes de l’âne à Paris, où c’est un âne qui dit la messe ! (v. Cl. Gaignebet) de même que lors des Mystères joués sur les parvis des cathédrales, où les « bestes débonnaires » sont opposées aux « bêtes félonnes » et diaboliques.
Modalités de soumission
Langues acceptées : français, anglais.
Les propositions sont recevables pour trois formes de contributions : communication orale lors du congrès, qui sera dans le délai mentionné ci-après suivie de sa transcription développée par l’auteur pour la parution aux Actes ; présentation sous forme de poster (communication affichée) lors du congrès ; article écrit en vue de parution avec les Actes.
Pour la soumission au Comité scientifique, les propositions de communication, de poster et de contribution écrite ne devront pas dépasser 3000 signes, bibliographie et espaces comprises. Ces propositions consistent en l’exposé du projet, comportent un titre, trois à cinq mots-clés ; elles sont accompagnées des coordonnées du contributeur y compris son adresse numérique et postale, et, s’il le souhaite, son statut professionnel et les éventuelles affiliations institutionnelles.
Ces propositions de contributions devront être envoyées exclusivement à :
congres.smf@orange.fr
avant le 31mai 2024.
Aucune soumission par courrier postal, ou via une autre adresse courriel, ne sera prise en compte.
Les propositions de contributions orales basées sur la thématique du congrès mais qui n’y correspondraient que partiellement pourront être réorientées soit vers la réalisation d’un poster soit vers une parution aux sections ad hoc du Bulletin de la SMF, sous réserve de l’avis de son directeur des publications
Calendrier
-
31 mai 2024 : clôture des offres de contributions
- 15 juin 2024 : notification aux auteurs des décisions du comité scientifique sur les propositions de contribution
- 31 juillet 2024 : transmission par les auteurs des textes avec leurs résumé et mots-clés, des posters et des présentations numériques au comité scientifique, pour organisation effective des séances du congrès
- 31 octobre 2024 : remise des textes définitifs pour publication à partir de 2025 dans les Actes du congrès
Comité scientifique
- Guillaume Leroy, Maîtrise d’Histoire médiévale, Master en Sciences cognitives, président de la Société de Mythologie française ;
- Jacques Berruchon, pneumologue, cancérologue retraité, membre des conseils d’administration de la Société nantaise de Préhistoire et de la SMF, chercheur indépendant : organisations des espaces sacrés, héritages préhistoriques ;
- Françoise Clier-Colombani, professeur certifiée hors classe en lettres modernes, maîtrise en littérature comparée et en histoire de l’art (Paris X), docteur en histoire et civilisation (EHESS), chercheuse indépendante, notamment autrice de livres sur la fée Mélusine ; direction conjointe de «Patrimoine légendaire et Culture populaire : le gai savoir de Claude Gaignebet», (L’Harmattan, 2019), vice-présidente de la SMF ;
- Martine Genevois, chercheuse indépendante, animation de la Commission SMF de l’Atlas mythologique, direction conjointe de «Patrimoine légendaire et Culture populaire : le gai savoir de Claude Gaignebet», (L’Harmattan, 2019), vice-présidente de la SMF ;
- Guillaume Kauss, chercheur indépendant, secrétaire de la SMF ;
- Bernard Laurent, relecteur de la publication «Mythologie française», trésorier de la SMF ;
- Jean-Pierre Martin, ingénieur, membre du conseil d'administration de la SMF, rédacteur des Infobrèves de l’association, chercheur indépendant en mythologie, ethnobotanique, archéoastronomie ;
- Claude Maumené, agronome, guide conférencier, membre de la Société Européenne d’Astronomie dans la Culture, chercheur indépendant : notamment archéoastronomie, vice-président de la SMF ;
- Dominique Pauvert, agrégé d'histoire, docteur en Histoire de l'Art, préhistorien, ethnologue, occitaniste, chercheur associé au laboratoire MICA (Université Bordeaux Montaigne), mythologue, vice-président de la SMF ;
- Michel Tinet, géographe, chercheur indépendant.
Subjects
- Language (Main category)
- Mind and language > Language > Literature
- Mind and language > Representation
Places
- Salle polyvalente allée des Loisirs
Cieux, France (87520)
Event attendance modalities
Full on-site event
Date(s)
- Friday, May 31, 2024
Attached files
Keywords
- mythologie, animaux fabuleux, folklore, littérature merveilleuse, légende dorée
Contact(s)
- Françoise Clier-Colombani
courriel : francoiseclier [at] wanadoo [dot] fr - Bernard Laurent
courriel : smftresor [at] yahoo [dot] fr - Guillaume Kauss
courriel : secretariatsmf [at] orange [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Bernard Laurent
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To cite this announcement
« Les animaux fabuleux de la mythologie : doués de parole, adjuvants malfaisants… », Call for papers, Calenda, Published on Friday, April 05, 2024, https://doi.org/10.58079/w68a