Published on Monday, April 08, 2024
Abstract
Les sociétés contemporaines se tournent de plus en plus vers la justice pénale pour résoudre des problèmes sociaux complexes, notamment la pauvreté, l’itinérance, la santé mentale et la justice des mineurs. On assiste ainsi à une forme de judiciarisation des problèmes sociaux. Cette judiciarisation se traduit par le fait de recourir au système judiciaire pour gérer des situations de nature psychosociale. Les personnes présentant un problème de santé mentale sont surreprésentées dans les systèmes pénal et correctionnel. Les données de recherche indiquent que les personnes ayant des problèmes de santé mentale ont accès à la justice comme toute personne, mais qu’elles peuvent difficilement faire valoir leurs droits ou dénoncer les conditions judiciaires, notamment de remise en liberté, auxquelles elles doivent répondre quotidiennement. Ce numéro de la revue Travail social a pour objectif de proposer une lecture renouvelée des enjeux et des paradigmes dans le domaine de la santé mentale et de la justice.
Announcement
Direction du numéro
Audrey-Anne Dumais Michaud, Yanick Charette et Geneviève Nault École de travail social et de criminologieUniversité Laval (Québec, Canada)
Argumentaire
Les sociétés contemporaines se tournent de plus en plus vers la justice pénale pour résoudre des problèmes sociaux complexes, notamment la pauvreté, l’itinérance, la santé mentale et la justice des mineurs (Bellot et Sylvestre, 2017 ; Bernheim, 2019 ; Dumollard et al., 2021 ; Roy et al. 2020). On assiste ainsi à une forme de judiciarisation des problèmes sociaux. Pour Commaille et Dumoulin (2009), cette judiciarisation se traduit par le fait de recourir au système judiciaire pour gérer des situations de nature psychosociale. Les personnes présentant un problème de santé mentale sont surreprésentées dans les systèmes pénal et correctionnel (Fazel, 2002 ; Fazel et Seewald, 2012). Les données de recherche indiquent que les personnes ayant des problèmes de santé mentale ont accès à la justice comme toute personne, mais qu’elles peuvent difficilement faire valoir leurs droits ou dénoncer les conditions judiciaires, notamment de remise en liberté, auxquelles elles doivent répondre quotidiennement (Bernheim, Laniel et Jannard, 2018). Ce numéro de la revue Travail social a pour objectif de proposer une lecture renouvelée des enjeux et des paradigmes dans le domaine de la santé mentale et de la justice.
De manière concrète, les questions reliées à la criminalisation de la santé mentale touchent l’ensemble des étapes du processus pénal : de l’interpellation policière à la sortie des milieux de détention ou hospitalier. Munetz et Griffin (2006) ont développé un modèle d’organisation des services ayant pour objectifs de réduire l’implication du système de justice dans la vie des personnes aux prises avec un problème de santé mentale, le nombre d’admissions en milieu carcéral et le temps passé dans le système judiciaire. Tout au long de la trajectoire de services - du contact policier à la sortie de détention ou du système hospitalier -, il est proposé de déployer un continuum de programmes visant à détourner la personne du système judiciaire.
L’un des débats concernant la criminalisation des personnes ayant un problème de santé mentale se rapporte au rôle des policiers lors des interventions auprès des populations marginalisées. Bien que la plupart des personnes ayant un problème de santé mentale ne commettent pas de délits, ces dernières ont souvent des interactions avec la police (Fazel et Seewald, 2012 ; Fisher, Silver et Wolff, 2006 ; Teplin, 1990). Les données suggèrent que les personnes ayant un problème de santé mentale seraient près de deux fois plus souvent inculpées ou arrêtées à la suite d’un contact avec la police, par rapport aux personnes sans problème de santé mentale (Cotton et Coleman, 2010). Comment expliquer cette surreprésentation des personnes ayant des problèmes de santé mentale dans les interactions policières?
À cet effet, la littérature avance deux hypothèses (Sapers et Zinger, 2012). Tout d’abord, il est entendu que le manque d’accès aux soins, aux ressources et à un soutien approprié laisse souvent les personnes à elles-mêmes, les menant à vivre dans des situations de grande vulnérabilité et à cumuler des problèmes sociaux complexes (Otero, 2007). Faute d’alternative, ce sont d’ailleurs souvent les familles qui déclenchent le processus de judiciarisation (Baucage, Racine et Mauger, 2014; Hartford, Carey, et Mendonca, 2007). Ensuite, les personnes ayant un problème de santé mentale sont accusées de délits qui « attirent » davantage l’attention de la police étant donné leur nature (p. ex. troubler la paix, méfaits publics) (Cotton et Coleman, 2010). En conséquence, les services de police jouent un rôle décisif lors de l’arrestation des personnes ayant un problème de santé mentale (Rossler, Terrill, 2016 ; Wittmann, Goren, Hampel, Petersen et Jörns-Presentati, 2021). Plusieurs villes québécoises (ex, Terrebonne, Montréal, Trois-Rivières.) ont ainsi développé des initiatives visant à mieux former les corps policiers et à déployer des équipes mixtes combinant un policier et une intervenante afin de répondre aux appels concernant des enjeux psychosociaux. Bien que de plus en plus de ces équipes voient le jour, les résultats des études sont mitigés quant à leur efficacité et à leur fonctionnement (Rutland et RAPSIM, 2023 ; Shapiro, Cusi, Kirst, O’Campo, Nakhost et Stergiopoulos, 2015).
En outre, depuis le début des années 2000, des tribunaux spécialisés sont déployés au Québec afin de réduire la criminalisation et la détention des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale devant répondre à des accusations criminelles (Dumais Michaud, Charette et Lemieux, 2021). Ces tribunaux, connus sous le nom de Programme d’accompagnement justice et santé mentale (PAJ-SM), visent à renforcer l’arrimage avec les services de santé et services sociaux pour les personnes accusées. Or, depuis leur implantation sur le territoire québécois, peu de travaux éclairent sur leur fonctionnement, leur efficacité ou les expériences des personnes visées par ces tribunaux.
De manière transversale, les objectifs de ces équipes et programmes font appel à une question classique, mais non résolue en travail social, en sociologie et en criminologie : quelle pratique doit-on mettre de l’avant pour accompagner les personnes ayant un problème de santé mentale et accusées de délits? Doit-on les punir ou les soigner?
Cette tension entre soin et contrôle est particulièrement saillante dans le domaine de la santé mentale et de la justice afin d’analyser l’entrecroisement du risque, de la dangerosité, des problèmes de santé mentale et des droits individuels. Si ces programmes contemporains font écho à une hybridation des pratiques, il n’en demeure pas moins que la surveillance, la médicalisation, la construction du risque et la judiciarisation des problèmes sociaux complexes demeurent en filigrane (Quirouette et al., 2016 ; Maurutto et Hannah-Moffat, 2006 ; Nault et Larose-Hébert, 2021 ; Ouellet et al., 2021).
Ce numéro thématique de la revue Travail social sollicite des contributions originales s’insérant à l’intersection de la santé mentale et de la justice. Pour cet appel, trois axes sont développés de manière large afin de réfléchir avec la communauté scientifique sur des enjeux complexes et singuliers au domaine de la santé mentale et de la justice.
- Politiques, programmes et pratiques sociales. Le premier axe cible des textes qui porteront sur le développement des politiques, des programmes et des pratiques sociales à l’intersection de la santé mentale et de la justice. Les textes pourront notamment s’attarder aux enjeux complexes liés à l’évaluation du risque, aux initiatives planifiant la sortie des milieux hospitaliers ou de détention ou encore au déploiement des équipes policières spécialisées. Les recherches touchant les tribunaux spécialisés ou encore les services en détention sont également pertinentes.
- Droits sociaux et savoirs expérientiels. Les propositions pourront aborder des notions liées au profilage des populations marginalisées, aux droits sociaux des personnes ciblées par des mesures judiciaires et à la valorisation des savoirs expérientiels des personnes judiciarisées ou à risque de judiciarisation et qui vivent des problèmes de santé mentale.
- De l’accès au terrain de recherche au transfert des connaissances. Cet axe invite des propositions ancrées dans les défis méthodologiques associés à la réalisation de projets de recherche dans des terrains difficiles, voire hostiles (accès aux données, aux récits des acteurs sociojudiciaires, etc.). Les propositions pourront aussi discuter d’initiatives novatrices déployées pour le transfert et la mobilisation des connaissances.
Calendrier
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17 juin 2024 Date limite de soumission de la lettre d’intention (résumé)
- 28 juin 2024 Retour aux autrices et auteurs ayant soumis une lettre d’intention : acceptation ou non de la proposition
- 20 octobre 2024 Soumission de la version complète des articles qui fera l’objet d’une évaluation par les pairs
- Hiver 2025 Réception par les autrices et auteurs des commentaires formulés par les personnes évaluatrices
- Printemps 2025 Soumission d’une révision remaniée de l’article au regard des commentaires des personnes évaluatrices
- Printemps 2025Les autrices et auteurs reçoivent les commentaires finaux des personnes évaluatrices (le cas échéant) et les versions finales sont approuvées
- Été 2025 Révision linguistique et mise en page des articles
- Automne 2025 Publication du numéro thématique
Modalités de contribution
Nous demandons aux autrices et aux auteurs qui prévoient soumettre un article de rédiger une lettre d’intention (résumé) et de l’acheminer en format Word au secrétariat de la revue Travail social [revue.ts@ulaval.ca], au plus tard le 17 juin 2024.
Une réponse sera transmise au plus tard le 28 juin (proposition acceptée ou non).
La lettre d’intention (1 page) doit contenir les informations suivantes, dans l’ordre :
- Le titre provisoire de l’article
- Type de contribution : a) article présentant des résultats empiriques ; b) recension des écrits ; c) analyse théorique ou d) récit de pratique.
- Les noms et les coordonnées de l’ensemble des personnes contributrices : prénom et nom, statut (professeur·e, étudiant·e, intervenant·e, gestionnaire, etc.), département et université (ou organisation) d’attache, courriel professionnel
- Un résumé de la proposition (300 à 500 mots maximum)
Les manuscrits complets (entre 8 000 et 10 000 mots pour un article empirique ; entre 6 000 et 8 000 mots pour une recension des écrits ou une analyse théorique, incluant les tableaux, les graphiques, les références et les notes de bas de page ; et entre 3 000 et 5 000 mots pour un récit de pratique) des propositions retenues devront être soumis au plus tard le 20 octobre 2024.
À propos de la revue
Fondée en 1951, Travail social (anciennement Service social) est une revue scientifique francophone consacrée à l’étude des problématiques et des pratiques sociales, l’évaluation des programmes d’intervention et l’analyse des perspectives théoriques pertinentes pour la discipline du travail social. Dans une visée de dialogue interdisciplinaire, les contributions s’inscrivent dans différents champs de savoirs professionnels et disciplinaires.
Les travaux publiés dans la revue portent sur le travail social professionnel, les enjeux sociaux contemporains au Québec et ailleurs dans le monde, les méthodologies fondamentales du travail social, la collaboration interprofessionnelle et l’analyse critique de l’organisation des services, des politiques publiques et des législations. Les membres de la communauté scientifique (chercheur·es et étudiant·es) et professionnelle (intervenant·es, analystes et gestionnaires) y publient des résultats de recherches empiriques, des recensions des écrits, des analyses théoriques et des récits de pratique qui font état de l’évolution des idées et des pratiques dans leurs champs de recherche et d’intervention respectifs.
La revue Travail social est éditée par l’École de travail social et de criminologie de l’Université Laval (Québec, Canada). Les articles soumis sont évalués par les pairs à double insu. Depuis 2002, la revue est accessible en ligne sur la plateforme Érudit.
Subjects
- Sociology (Main category)
- Society > Ethnology, anthropology > Social anthropology
- Society > Geography > Migration, immigration, minorities
- Society > Law > Sociology of law
- Mind and language > Psyche > Psychology
- Society > Political studies > Political and social movements
- Society > Sociology > Urban sociology
- Society > Sociology > Criminology
Date(s)
- Monday, June 17, 2024
Attached files
Keywords
- santé mentale, justice, criminalisation, problèmes sociaux, travail social, intervention, police, politique, programmes sociaux, savoirs expérientiels, transfert de connaissances
Reference Urls
Information source
- Kévin Lavoie
courriel : revue [dot] ts [at] ulaval [dot] ca
License
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To cite this announcement
« La criminalisation des problèmes de santé mentale », Call for papers, Calenda, Published on Monday, April 08, 2024, https://doi.org/10.58079/w6m1