Published on Monday, April 29, 2024
Abstract
Souvent abordés dans la littérature scientifique de façon indépendante, la musique, le corps et le sport sont pourtant trois éléments qui entretiennent une relation multidimensionnelle dont l’étude gagnera à être étendue et approfondie. Pensé autour de trois entrées (les musiques sportives ; performances sportives, performances musicales ; exprimer la musique par corps), cet appel à contribution pluridisciplinaire invite à explorer davantage l’articulation entre le (ou les) sport(s) et les pratiques musicales (que celles-ci soient produites dans un cadre sportif ou, au contraire, qu’elles se fassent le relais ou la critique des activités physiques institutionnalisées), comme la dimension corporelle fondamentale de ces deux pratiques culturelles.
Announcement
Argumentaire
Souvent abordés dans la littérature scientifique de façon indépendante, la musique, le corps et le sport sont pourtant trois éléments qui entretiennent une relation multidimensionnelle dont l’étude gagnera à être étendue et approfondie. Bien qu’a priori perçue comme « originale », cette thématique permet une pluralité d’approches que certains travaux se sont déjà proposés d’explorer, en particulier concernant la scène punk (à ce propos, voir la journée d’étude réalisée dans le cadre de l’ANR PIND, « Le corps punk » : http://pind.univ-tours.fr/events/appel-a-contribution-le-corps-punk) ou les musiques du spectacle sportif (Bateman et Bale, 2009). Dans cette continuité, nous aimerions approfondir l’articulation entre le (ou les) sport(s) et les pratiques musicales, que celles-ci soient produites dans un cadre sportif ou, au contraire, qu’elles se fassent le relais ou la critique des activités physiques institutionnalisées.
Appréhendé ici dans son sens anthropologique, le sport regroupe des « jeux de compétition sérieux, fondés sur la recherche de la performance physique face à une difficulté affrontée intentionnellement » (Bromberger, 2021 : 827). L’enjeu est de pouvoir l’associer à diverses techniques du corps (Mauss, 2001) afin de comprendre de quelles manières la musique participe à lui donner un sens. L’ensemble des musiques peut faire l’objet d’une réflexion portant sur ce thème, qu’il s’agisse des musiques dites actuelles ou d’autres formes musicales, historiquement ou géographiquement situées. L’un des enjeux est également de mettre en tension la culture populaire – en tant qu’ensemble de modèles culturels diffusés par les médias de masse (Pasquier, 2005) – et les contre-cultures musicales (Robène et Serre, 2022). Afin de penser conjointement sport(s) et musique(s), trois thèmes, non exhaustifs, peuvent être retenus.
Les musiques sportives
En premier lieu, il s’agit d’aborder la question des musiques sportives. Comment le sport est-il exposé dans la musique ? Comment est-il mis en mots et en notes ? Par exemple, les fanfares olympiques et les musiques officielles des diverses compétitions ont pour objectif de célébrer les mythes et idéaux construits, relayés et vendus par ces spectacles sportifs (Guegold, 1996). À l’inverse, au sein de la culture punk notamment, de nombreuses chansons tendent à critiquer le système sportif traditionnel. Déjà en 1988, l’album Sprint de Ludwig von 88 portait spécifiquement sur les Jeux olympiques de cette année et en faisait une critique acerbe. Environ vingt ans plus tard, en 2009, les Fatals Picards proposent à leurtour une chanson (« Chinese Democracy ») à l’encontre des Jeux. Les exemples de mise en perspective du modèle sportif hégémonique sont légion, y compris en dehors du champ du rock alternatif, à l’image de la critique acerbe du Paris-Dakar faite par Renaud en 1991 (« 500 connards sur la ligne de départ »). Parallèlement, le sport est aussi plébiscité dans la musique comme étendard de la culture populaire. Le cyclisme devient alors l’objet de toutes les attentions, notamment si l’on pense à la passion de Didier Wampas pour le Tour de France, qui se retrouve dans les morceaux composés par le groupe. Dans le hip‑hop, l’évocation du basket-ball, du football ou de la boxe est monnaie courante, tant ces pratiques artistiques et sportives partagent une rythmicité particulière et une dimension physique commune (Chang, 2005). Il s’agit ainsi de s’interroger sur le contenu des productions musicales qui prennent comme thème le domaine sportif. S’agit-il de critiquer un ordre social – sportif – établi ou, au contraire, de rappeler la place prégnante du sport dans nos sociétés contemporaines et d’en faire la promotion ? Pour le dire autrement, le sport est-il un facteur de résistance à travers sa mise en musique ou, à l’inverse, celle-ci participe-t-elle à valoriser l’activité physique et le spectacle sportif mondialisé ? Plus encore, d’un point de vue méthodologique, comment des corpus peuvent-ils être délimités en fonction de différentes cultures musicales ou d’aires géographiques plurielles ?
Inversement, il est aussi possible de se questionner sur les manières dont des musiques pénètrent le monde du sport. En effet, certaines chansons sont devenues des hymnes sportifs alors même que leur contenu ne fait pas référence à la pratique physique. Ainsi en est-il des morceaux « I will survive » ou « Seven Nation Army ». Comment expliquer la permanence, au fil des ans et des rencontres sportives, de ces chansons ? Comment le sport en vient-il à investir le domaine musical ? Quels usages sont faits de ces musiques dans le champ sportif ?
Enfin, ce premier thème peut également être abordé sous un angle différent : quelles sont les musiques plébiscitées par les sportifs, amateurs ou professionnels, pour leur entraînement ? Les usages de la musique dans le cadre de la performance sportive pourraient être questionnés afin de faire émerger des tendances. Si, dans la plupart des sports, elle est interdite pendant la compétition (notamment dans les activités d’endurance), à l’inverse, dans le sport non fédéral (pratiqué individuellement ou dans un cadre marchand), la musique accompagne bien souvent la dépense énergétique, que l’on pense à la course à pied ou à la zumba. Comment expliquer alors ces différences et mieux comprendre la place de la musique dans le sport, au sens large ?
Performances sportives, performances musicales
Le deuxième thème retenu met davantage l’accent sur les pratiques de scène et invite à une comparaison entre les dimensions sportive et musicale de la performance. Il s’agit ici de s’interroger sur les mises en œuvre de ce qui constitue des préambules à l’entrée sur scène : répétition, entraînement, échauffement, etc. Plus encore, il peut être question de porter une attention aux performances scéniques existantes lors de concerts, que ceux-ci soient réalisés par des musiciens professionnels ou amateurs. La performance artistique semble à première vue se distinguer de son homologue sportive. Si, au sein des compétitions, la performance vise la victoire face à un adversaire par le respect d’un ensemble de règles garantissant l’égalité dans l’affrontement, sur scène, elle consiste à potentiellement rediscuter, transgresser les règles ou bien s’en affranchir (Mignon, 2005). Pour autant, les deux nécessitent un ensemble de ressources physiques et un entraînement technique pouvant aller jusqu’au dépassement de soi. Ainsi, quels liens peuvent être tissés entre ces deux types de performance ? La répétition musicale peut-elle être assimilée à un entraînement sportif ? Comment les techniques d’entraînement ont-elles évolué historiquement ? Par ailleurs, qu’il s’agisse des temps de répétitions ou de représentations scéniques, la performance s’inscrit aussi dans un contexte festif. L’effervescence collective peut limiter la justesse technique lorsque, par exemple, des spectateurs investissent la scène ou lorsque des chants sont entamés par le public et couvrent partiellement la musique jouée en live. Dès lors, comment les interprètes s’adaptent-t-ils à ces conditions pour continuer à performer ? D’autres rapports à la performance physique et à l’entraînement de ceux couramment diffusés dans le monde sportif peuvent-ils émerger ? L’hygiène de vie des musiciens peut également être interrogée, aussi bien concernant leurs pratiques sportives que la consommation de produits « dopants », de drogues ou d’alcool, ou encore le recours à la méditation et à la sophrologie. En quoi la vie de musicien mobilise-t-elle une certaine forme d’entretien du corps proche de celle du sportif ? La pratique scénique complète-t-elle et renforce-t-elle l’activité physique ou vient-elle au détriment de celle-ci ? Comment la musique peut-elle devenir une pratique corporelle de loisirs à part entière ?
De la même manière, du côté des spectateurs, quelles formes d’actions physiques et corporelles sont mises en jeu lors de musiques vécues en live ? Si la pratique du pogo (Robène, Roux et Serre, 2019) est née au sein de la culture punk, elle n’en est plus l’apanage aujourd’hui puisqu’il est possible de voir émerger de telles performances collectives au sein de la culture hip-hop, en particulier en lien avec l’hybridation des styles musicaux. À l’inverse, la corporéité attachée à la musique classique ou militaire interroge quant à son rapport au corps extrêmement contrôlé, du côté tant des interprètes que des publics. Cette corporéité contrôlée évolue-t-elle lorsqu’il s’agit de jouer des hymnes nationaux ou des fanfares olympiques ?
En outre, la musique occupe une place centrale au sein du spectacle sportif et rythme les performances. Il suffit, pour cela, de penser aux musiques accompagnant les chorégraphies des patineurs (Harman,Bianchetti Garbato et Forberg, 2009) ou encore aux chants des supporters (Eichberg, 2009). Comment ces chansons favorisent-elles également la structuration d’une pratique physique, comme le renforcement d’une communauté ? Il est possible d’évoquer, à cet égard, les matchs de roller derby qui abandonnent progressivement la musique sur le track à mesure que l’activité se sportivise (Messey, 2024). De manière générale, comment l’expérience musicale sous toutes ses formes est-elle vécue au sein du domaine sportif ?
Comment exprimer la musique « par corps » ?
Enfin, le troisième axe propose de mettre l’accent sur les manières dont les corps s’exposent au cours de l’expérience musicale (Small, 2019). D’abord, comment la musique est-elle physiquement exprimée ? Comment produit-elle des corporéités spécifiques ? Les gestes, les techniques corporelles, les façons de se comporter, etc. sont autant de marqueurs d’une identité culturelle qui se laisse deviner à travers l’écoute et l’expression de la musique. L’instrument se présente ainsi comme un « transducteur » qui traduit les mouvements corporels en son (Bailly, 2001) et le musicien s’empare d’un style de jeu (Bromberger, 2020) qui s’expose à travers des gestes musicaux. Par ces manières de faire sonner l’instrument, le corps s’implique dans la musique (During, 2001). Qu’il s’agisse de gestes effectifs, figuratifs ou d’accompagnements (Delalande, 1988), les façons d’interagir avec l’instrument peuvent avoir une portée symbolique. Par exemple, le mouvement de poignet d’un guitariste de rock est différent de celui d’un guitariste de pop. Ces styles de jeu, loin d’avoir une répercussion évidente sur le son produit, sont autant de signes véhiculant une pensée sonore (Anakesa Kululuka, 2001). De la même manière, la fausse note, qui traduit un relâchement physique, psychologique ou émotionnel, peut être valorisée comme une forme d’expression transgressive d’un ordre corporel institué. Les styles de jeu seraient-ils alors des modes d’expression d’une posture politique propre à chaque communauté musicale, voire à chaque interprète ? Plus largement, comment les techniques de jeu sont-elles élaborées au sein des diverses scènes musicales ? Dans cette logique, les gestes nourrissent une expérience sensible du jeu instrumental. Alors que les normes de tenues et de réserve corporelle mentionnées dans les traités de civilités de l’Ancien Régime continuent de nourrir certaines traditions musicales (Mabru, 2001), d’autres instrumentistes font de leur expérience sur scène un exutoire et un défouloir subtil ou intense. Comme le sport, la musique induit ainsi des rapports au corps particuliers qu’il s’agit de questionner. Plus encore, la musique illustre-t-elle la façon dont les individus se positionnent corporellement les uns par rapport aux autres ? L’ethnomusicologue Simah Arom, dans son étude portant sur les Pygmés (1991), montre que la manière dont les membres du village ajustent leur partie de chant les unes par rapport aux autres sur la route de la chasse illustre la structure des relations au sein de la communauté. Partant de là, l’unisson devient-il un moyen de construire un corps collectif témoignant d’une relation horizontale entre les membres du groupe ? Selon cette logique, la manière dont les corps sont montrés et mis en scène témoigne d’interactions situées et de modèles culturels variés. Devine-t-on, comme dans le sport, une organisation genrée des façons d’être et de faire de la musique ? De plus, comment les musiques racontent-elles le(s) corps ? Comment ceux-ci sont-ils déconstruits et reconstruits, comme par exemple à travers les textes de Grand Corps Malade, ou encore, les paroles de l’hymne féministe « Debout les femmes » ? Autrement dit, quels corps réels et imaginés la musique met-elle en lumière ? De même, comment les corps sont-ils mis en mouvement par la musique, notamment dans un cadre éducatif ? De l’éducation physique militaire rythmée par les chants à l’utilisation de la musique pour apaiser les classes lors des temps calmes, en passant par les cours d’éducation musicale et la dimension tantôt émancipatrice, tantôt cadrante des comptines, la musique peut contenir et relayer des projets éducatifs et corporels différents. De même, ces discours autour de la musique participent à façonner le rapport entre l’individu et la société qui le forme, entre élaboration de normes corporelles ou promotion de l’individu et de son expression créatrice. En somme, dans ce cadre, comment la musique met-elle en mouvement ou non les corps à éduquer en lien avec le monde social qui les entoure ?
Ces trois axes ne sont bien entendu pas exhaustifs et toute proposition qui s’intéressera aux relations unissant, d’une manière ou d’une autre, le sport et/ou le corps et la musique sont les bienvenues.
Modalités de soumission
Les propositions d’articles (50 000 signe max), aux normes de la revue sont à envoyer aux trois adresses suivantes :
- sacha.thiebaud@univ-fcomte.fr
- audrey.tuaillon-demesy@univ-fcomte.fr
- yann.descamps@univ-fcomte.fr
avant 15 septembre
Calendrier indicatif
- Réception des textes : jusqu’au 15 septembre 2024
- Processus d’évaluation : automne 2024
- Retours aux auteurs : hiver 2025
- Publication : fin 2025
Coordinateurs
- Sacha Thiébaud - Doctorant, Université de Franche-Comté, laboratoire C3S
- Yann Descamps - Maître de Conférences, Université de Franche-Comté, laboratoire C3S
- Audrey Tuaillon Demésy - Professeure des Universités, Université de Franche-Comté, laboratoire C3S
Bibliographie
Anakesa Kululuka, A. (2001). Du fait gestuel à l’empreinte sonore. Cahiers d’ethnomusicologie, 14, 225-239.
Arom, S. (1991). La musique omniprésente. In J. Thomas, S. Bahuchet, A. Epelboin & S. Fürniss (dir.), Encyclopédie des Pygmées Aka (p.227-234). Livre I, fasc. 2. Louvain, Editions Peeters.
Bailly, J. (2001). L’interaction homme-instrument. Vers une conceptualisation. Cahiers d’ethnomusicologie, 14, 131-146.
Bateman A., J. Bale (dir.) (2009). Sporting Sounds : Relationships between Sport and Music. Londres, Routledge.
Bromberger, C. (2021). Sport. In P. Bonte, M. Isard (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie (p. 827-828). Paris, PUF.
Bromberger, C. (2020). Style de jeu, style de club, style de ville ? Éducation sentimentale et marque d’appartenance urbaine à travers le football à Marseille et ailleurs. Ethnologie française, 50, 591 – 598.
Chang, J. (2005). Can’t Stop, Won’t Stop : A History of the Hip-Hop Generation. Londres, Picador.
Delalande, F. (1988). La gestique de Gould : éléments pour une sémiologie du geste musical. In G.Guertin (dir.), Glen Gould Pluriel (85-111). Québec, Louise Courteau.
During, J. (2001). Hand Made. Pour une anthropologie du geste musical. Cahiers d’ethnomusicologie, 14, 44-70.
Eichberg, H. (2009). The Energy of Festivity : Atmosphere, Intonation and Self-Orchestration in Danish Popular Sports. In A. Bateman, J. Bale (dir.), Sporting Sounds : Relationships between Sport and Music (p.99-112). Londres, Routledge.
Guegold, W.K. (1996). One Hundred Years of Olympic Music : Music and Musicians of the Modern Olympic Games, 1896-1996. Mantua, Ohio, Golden Clef Publishing.
Harman, G.S., Bianchetti Garbato, S. & Forberg, D. (2009). Music and Figure Skating, In A. Bateman & J. Bale (dir.), Sporting Sounds : Relationships between Sport and Music (p.85-94). Londres, Routledge.
Mabru, L. (2001). Vers une culture musicale du corps. Cahiers d’ethnomusicologie, 14, 101-116.
Mauss, M. (2001). Sociologie et anthropologie, Paris, PUF.
Messey, O. (2024). « C’est du sport, tu t’attendais à quoi ? ». D’un entre-soi permissif à un sport inclusif : le cas du roller derby français. Thèse de doctorat en Sciences du Sport, Besançon, Université de Franche-Comté.
Mignon, P. (2005). Les artistes sont-ils des sportifs qui s’ignorent... et inversement ?, Les cahiers de l’INSEP, 36, 31-46.
Pasquier, D. (2005). La "culture populaire" à l’épreuve des débats sociologiques. Hermès, 42(2), 60-69.
Robène, L., Roux, M. & Serre, S. (2019). Pogoter n’est pas jouer ? Punk, pogo et combats figurés. Ethnologie française, 175(3), 549-567.
Robène, L. & Serre, S. (2022). On stage/Backstage. Chroniques de nos recherches en terres punk, Paris, Riveneuve.
Small, C. (2019). Musiquer. Le sens de l’expérience musicale, Paris, Philharmonie de Paris éditions.
Subjects
Date(s)
- Sunday, September 15, 2024
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Keywords
- sport, corps, musique
Information source
- Yann Descamps
courriel : yann [dot] descamps [at] univ-fcomte [dot] fr
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To cite this announcement
« En rythme ou à contre-temps ? Les sports et les corps en musiques », Call for papers, Calenda, Published on Monday, April 29, 2024, https://doi.org/10.58079/xt3t