Occupations et lieux collectifs à usages mixtes. Circulations, appropriations, rejeux
Séminaire 2025
Published on Friday, May 17, 2024
Abstract
L’objectif de ce séminaire sera ainsi d’étudier les échanges d’idées et de pratiques au-delà des organisations partisanes et syndicales. Nous chercherons à relocaliser les espaces de ces circulations en prenant comme hypothèse forte que les lieux et occupations collectives constituent des interfaces où elles se cristallisent.
Announcement
Argumentaire
Depuis la fin du XXe siècle, la présence des partis politiques dans l’espace public se fait plus discrète, et le socle doctrinal marxiste est de moins en moins mobilisé (Cervera-Marzal, 2021 ; Talpin, et al. 2022). Un rejet ou a minima une reconfiguration affecte ainsi les rapports entretenus entre les mouvements sociaux et les organisations militantes syndicales et partisanes (Dechézelles, 2017 ; Pleyers, 2016). Ce refus de l’encadrement militant et partisan éclaire pour partie l’intérêt renouvelé pour des séquences contestataires du passé, Révolution française et Commune de Paris en tête. Or, au XXe siècle, ces organisations politiques ont joué un rôle central dans la circulation et la transmission de répertoires d’actions, d’idées, et dans la formation militante. Dès lors, comment penser ces circulations au-delà des organisations partisanes ?
La sociologie des mobilisations a longtemps appréhendé les lieux collectifs à usages mixtes en les opposant aux mouvements sociaux. Ils ont pu être décrits tantôt comme des « ressources pour la mobilisation » (Sommier, 1998), tantôt comme des espaces de retraite (Hervieu, Hervieu-Léger, 1979) ou d’exit post-mobilisation (Hirschman, 1970). Dès lors que ces lieux collectifs n’adressent pas de revendications explicites aux pouvoirs publics, ils sont souvent exclus de la définition des mobilisations (Tarrow, Tilly, 2008). Les formes d’engagements dans ces espaces relèveraient plutôt de l’interstitiel, c’est-à-dire de tentatives de s’organiser hors du capitalisme sans toutefois chercher à le combattre (Wright, 2020a).
Pourtant, des recherches récentes suggèrent que certaines occupations collectives sont traversées par plusieurs formes d’engagement — symbiotique, de rupture, préfiguratif (Yates, 2015 ; Wright, 2020b). L’occupation d’un espace peut ainsi prendre une forme agonistique, voire constituer une condition essentielle de la lutte (Baschet, 2018 ; Bulle, 2020). De plus, les formes d’engagements « feutrés », plus « doux » (Tournadre, 2024), et tournés vers la réinvention de la vie quotidienne, à travers un lieu de vie et d’activité par exemple, s’articulent souvent avec des formes d’engagements plus « frontaux », revendicatifs, voire même révolutionnaires (Capitaine & Pleyers, 2016 ; Douat, 2024a ; (Graeber, 2011).
L’objectif de ce séminaire sera ainsi d’étudier les échanges d’idées et de pratiques au-delà des organisations partisanes et syndicales. Nous chercherons à relocaliser les espaces de ces circulations (Siméant-Germanos, 2012) en prenant comme hypothèse forte que les lieux et occupations collectives constituent des interfaces où elles se cristallisent (Combes, Gariby, Goirand, 2016).
L’espace est à la fois « cadre, moyen et enjeu des mobilisations collectives » (Hmed, 2009 ; Nicholls, 2009). Comme cadre, il joue un rôle dans les circulations militantes puisque la « co-présence » des individus et le partage d’une même configuration territoriale favorisent la convergence des revendications et identités politiques (Cohen, 2015 ; Hmed, 2009). Pour les mouvements sociaux les moins institutionnalisés, comme les squats ou encore les occupations de places, l’espace est souvent le principal moyen de la mobilisation (McAdam et al., 2001). Enfin, il est également un enjeu de mobilisation autour de ces lieux, puisque c’est souvent son accaparement, sa détérioration, ou encore son cantonnement à une fonction spécifique par les pouvoirs publics qui constitue l’objet de la contestation. Les lieux collectifs à usages mixtes (squats, tiers-lieux, coopératives intégrales, etc.) s’inscrivent ainsi dans un mouvement de déspécialisation de l’espace (Douat, 2024b) allant en partie à l’encontre du développement de l’aménagement territorial et du capitalisme industriel.
En plaçant notre focale sur les circulations depuis et vers les lieux collectifs, nous examinerons leur ancrage matériel, spatial et temporel. L’enjeu sera de dépasser d’une part les oppositions traditionnelles entre mouvements sociaux et institutions (Evans, Boyte, 1992 ; Polletta 1999), et d’autre part celles entre moments routiniers et événements (Dobry, 2009). Dans une approche continuiste du social, nous proposons d’appréhender ces espaces comme des points d’observation privilégiés, incarnant dans des usages quotidiens des dynamiques circulatoires que la recherche, notamment en histoire, repère d’ordinaire plus aisément dans les séquences révolutionnaires (Chartreux et al., 2013 ; Bantigny, 2017 ; Deluermoz et al., 2023). Les contributions devront dès lors prendre soin de ne pas séparer analytiquement les dynamiques circulatoires des espaces : ces derniers ne sont pas de simples véhicules d’informations, mais de véritables filtres à travers lesquels des éléments (objets, signes, pratiques, etc.) sont appropriés, remodelés, voire réactualisés.
Le cas échéant, ces circulations devront être pensées dans un cadre transnational. Ainsi, certains mouvements comme l’altermondialisme ont été les lieux de circulation d’idées et pratiques politiques des Suds vers les Nords, renouvelant les internationalismes ouvriers (Graeber, 2002), et réactualisant certaines pratiques contestataires à l’image de la barricade, comme lors de la Commune d’Oaxaca en 2006 au Mexique. De récentes synthèses historiques ont de surcroît remis en cause la centralité de l’espace atlantique dans ces dynamiques circulatoires, au profit d’ancrages polycentriques à échelle impériale et continentale, notamment en Amérique du Sud ou en Asie (Bantigny et al., 2023 ; Palieraki, 2017). Cette décentralisation de la circulation des idées pose la question de la décolonisation des cadrages et stratégies militantes, et des tentatives épistémiques pour construire un « pluri-versalime » non occidentalo-centré (Grosfoguel, 2010). Les communications abordant des terrains extra-européens seront dès lors les bienvenues.
-
Résurgences et rejeux : une approche comparée
Les mouvements sociaux récents présentent divers points communs entre eux ou avec des formes d’engagement plus anciennes — comme les communautés naturistes de la fin du XIXe siècle (Coste, 2024). Cela s’observe d’abord dans l’usage de certaines formes d’actions comme les occupations (Göle, 2022), les luttes contre des projets d’aménagement ( Dechézelles, Olive, 2017 ; Combes, 2010), ou les engagements préfiguratifs (Pruvost, 2024). Les modes d’organisation présentent également des similitudes, en atteste la centralité des pratiques délibératives (Le Mazier, 2015 ; Van Outryve, 2024). Ensuite, ces expériences partagent un corpus mouvant de références théoriques, historiques ou symboliques. Enfin, de nombreux messages et actions de soutien entre lieux collectifs (Pleyers et Marlies, 2013) témoignent de dynamiques de solidarité entre ces espaces. Ainsi, des « ponts entre leurs revendications et leurs identités » existent (McAdam, Tarrow, Tilly, 2001) y compris en dehors de mouvements sociaux, et l’objectif sera dès lors de les prendre au sérieux dans l’analyse.
Pourtant, la mémoire des luttes antérieures ne suffit pas toujours à expliquer l’homologie entre passé et présent. L’ancrage matériel dans des lieux occupés permet-il de comprendre les similitudes entre des expériences politiques éloignées dans le temps et l’espace ? En effet, au-delà des appropriations de luttes similaires, on constate des résurgences ou des rejeux de certaines formes d’organisation collective et idées politiques. Comment penser ces retours ? Peut-on (doit-on) comparer les résurgences présentes à des formes du passé ? Ces dernières ne sont-elles pas des actualisations d’éléments antérieurs dans le présent des contemporains d’alors ? Y a-t-il des lieux qui servent d’espace de survivance pour certaines formes de vie, entretenant leur existence dans le présent, rechargeant leur efficacité citationnelle ?
-
Incarner les circulations : acteurs, actrices et objets
Nous porterons également une attention particulière aux communications interrogeant les rôles de « passeurs » (Blum, 2017), de « médiatrices » (Félici & Verhaeghe, 2019) ou encore de « courtiers » (Sommier, 2010) dans la circulation, et la transformation d’idées et de pratiques militantes (Palieraki, 2017 ; Trespeuch-Berthelot, 2017). Les échelles microsociologiques et microhistoriques pourront être privilégiées, afin d’analyser les « processus vécus de diffusion de la politique contestataire », le (multi) positionnement de ces acteurs et actrices et leurs mobilités (Sommier, 2010).
Il s’agira également de nous intéresser aux canaux de ces circulations. Le travail militant de diffusion peut en effet être effectué à distance, via les médias ou les réseaux sociaux, tout comme il est incarné aussi matériellement par les migrations, ou des « voyages militants », à mi-chemin entre militantisme et tourisme politique (Melenotte, Di Chirot, 2010, Apostoli Cappello, 2017b).
Les transformations, appropriations ou processus de codage/recodage des idées, entre les contextes de production et ceux de réception seront discutées (Bourdieu, 2002 ; Hall, 1994). Nous chercherons à comprendre comment sont adaptées localement des idées — comme la thématique de l’autochtonie, importée du Chiapas dans des communautés néorurales italiennes (Apostoli Cappello, 2017a). Mais la distance peut être également d’ordre temporel. Aussi, lorsque les acteurs et actrices font référence à des éléments du passé, il faudra comprendre comment ces référents « inactuels » (Wahnich, 2020) sont actualisés dans des pratiques, usages et actions ancrées dans le quotidien des acteurs et actrices.
Nous nous demanderons également comment certaines histoires, mémoires et héritages sont mobilisés pour inspirer, faire modèle ou contre-modèle dans ces lieux. Des travaux ont montré le besoin de transmission générationnelle permanent induit par le renouvellement constant des acteurs et actrices culturelles, lié aux cycles de naissances et de décès. Ainsi, les individus en vieillissant transmettent aux générations suivantes la mémoire des événements vécus pendant leur jeunesse, primordiaux dans la construction de leur vision du monde (Mannheim, 1991). Quelle est la place des lieux dans ces processus de transmission entre les générations ? Ces modalités d’échanges ont-elles à voir avec des attachements d’ordre émotionnel à ces espaces et, si oui, comment en rendre compte sans disqualifier voire dépolitiser dans l’analyse ces modes de transmission ?
Les circulations matérielles jouent également un rôle dans ces transferts d’imaginaires et de théories militantes. L’étude des objets, à la fois matériels et symboliques, permettra de tracer une cartographie de cette circulation des idées et imaginaires. À l’image du keffieh palestinien, du parapluie hongkongais ou encore de textes comme le Petit livre rouge (Lovell, 2019) ou L’insurrection qui vient (Palheta, 2016), la réception et la réappropriation d’objets nous intéresseront particulièrement.
Modalités de soumission
Les propositions de communication devront faire une page maximum. Elles devront préciser le type de lieu collectif ou d’occupation étudiée, la méthodologie retenue, et présenter des questionnements en lien avec les thématiques du séminaire, ainsi que les premiers résultats. Des communications de toutes les disciplines des sciences humaines et sociales seront les bienvenues : histoire, sociologie, science politique, anthropologie, géographie, urbanisme, etc. Les jeunes chercheurs et chercheuses sont particulièrement les bienvenu·es.
Les propositions sont à envoyer à : seminairelieuxcirculations@gmail.com
avant le 20 juin 2024
Calendrier
- 20 juin 2024 : Date limite d’envoi des propositions
- 1er juillet 2024 : Notification d’acceptation ou de refus des propositions
- Janvier — juin 2025 : Déroulement du séminaire (6 séances)
Informations pratiques
- Le séminaire se déroulera sur le site de l’Université Paris Cité, Campus Grands Moulins, 75013 Paris.
- L’équipe organisatrice pourra prendre en charge les frais de transports et, si besoin, d’hébergement des participant·es.
- Les communications pourront être regroupées en binômes afin de croiser deux présentations au cours de la même séance.
Comité d’organisation
- Thomas Caubet (ICT – Paris Cité)
- Coralie Douat (Labex PasP-ISP – Paris Nanterre)
- Elena Mejias (ISP – Paris Nanterre)
Subjects
- Sociology (Main category)
- Society > Ethnology, anthropology
- Society > Geography
- Society > History
- Society > Political studies
Date(s)
- Thursday, June 20, 2024
Attached files
Keywords
- lieux collectifs, occupation, circulation, appropriation, rejeux, mobilisation, mouvements sociaux
Contact(s)
- Thomas, Coralie, Elena Caubet, Douat, Mejias
courriel : seminairelieuxcirculations [at] gmail [dot] com
Reference Urls
Information source
- Coralie Douat
courriel : marges [dot] ruines [at] gmail [dot] com
License
This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.
To cite this announcement
« Occupations et lieux collectifs à usages mixtes. Circulations, appropriations, rejeux », Call for papers, Calenda, Published on Friday, May 17, 2024, https://doi.org/10.58079/11oje