Dualisations des services publics : transformations de l’emploi, des pratiques et des représentations professionnelles
Revue « Travail et Emploi »
Published on Monday, June 03, 2024
Abstract
Ce dossier vise à documenter l’impact de la dualisation des services publics, sur les transformations des emplois dans les services publics, sur l’organisation du travail dans les différents services, et partant, sur les pratiques professionnelles des agent·es ainsi que les représentations qu’iels ont de leur travail et de leurs missions. Ce dossier entend rassembler des contributions pluridisciplinaires dans le champ de celles couvertes par la revue Travail et Emploi (sociologie, économie, droit, gestion, histoire, sciences politiques) et a pour ambition d’agréger un corpus inédit d’enquêtes empiriques (tant qualitatives que quantitatives) sur des terrains variés au sein d’organisations publiques. Les perspectives transnationales seront valorisées.
Announcement
Coordination scientifique
- Clément Carbonnier (Université Paris 8, LED),
- Jérémy Geeraert(CESDIP, CNRS),
- Florence Ollivier (LAP – EHESS)
- Déborah Ridel (Arènes, EHESP).
Argumentaire
La « modernisation » de l’État, observée depuis les années 1980, a eu des effets sur l’ensemble des services publics, qu’ils relèvent des administrations (santé, éducation, transports, sécurité, justice, etc.) ou des entreprises publiques (communication, énergie, etc.). La modernisation telle que façonnée par le New Public Management, s’est traduite par une responsabilisation et une autonomisation des services publics du point de vue budgétaire, dans un contexte fortement contraint. Elle s’est également concrétisée par la généralisation de l’utilisation d’outils de management, par l’importation de valeurs issues du secteur privé, voire par des privatisations d’entreprises. Sa mise en œuvre a souvent eu comme objectif une augmentation de la productivité du travail et une réduction des coûts de fonctionnement. Cette évolution a généré une dualisation des services publics, entre, comme le précise Yasmine Siblot, « des services rentables gérés suivant des normes managériales et commerciales et des services à destination des populations considérées comme uniformément démunies, gérés suivant des objectifs de politiques sociales » (2006, p.14). La dualisation est aussi celle des statuts, entre fonctionnaires et non-titulaires, les contractuel·les représentant 22% des effectifs de la fonction publique dans son ensemble en 2021, contre 11% en 2011.
La littérature a mis au jour différentes modalités de la dualisation des services publics invitant à penser ce phénomène dans sa pluralité. En effet, celui-ci peut s’incarner dans les espaces physiques, avec par exemple un accueil spécifique des publics démunis (supposant leur identification, puis une orientation différenciée) distinct de celui pour les autres publics, comme dans les Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) que Céline Gabarro et Pascal Martin ont étudiées ou les services d’urgences enquêtés par Déborah Ridel. Dans d’autres cas, cette dualisation prend la forme d’une dématérialisation des services pour la plupart des usager·es et d’un accueil physique des publics en difficulté ou jugés « difficiles », comme c’est le cas à La Poste ou à la Caisse des allocations familiales (CAF). Enfin, elle peut se matérialiser par la création de structures dédiées à la prise en charge de la précarité, comme dans les Permanences d’accès aux soins de santé qui permettent de décharger les services d’urgences des cas nonurgents et de rationaliser l’activité hospitalière. Une partie des travaux en sciences sociales s’intéressant aux effets de la modernisation des services publics aux réformes budgétaires et managériales centrent leurs analyses sur le niveau macrosocial et organisationnel. Ils ont permis d’acquérir une bonne connaissance des mécanismes de rationalisation de l’activité mais laissent de côté les transformations des pratiques et des représentations sur le terrain. De leur côté, les travaux qui se sont intéressés aux acteurs de terrain se sont concentrés sur les rapports de ces derniers avec les usager·es, dans des institutions telles que La Poste, l’hôpital ou Pôle Emploi. Cette sociologie de l’État et de ses fonctionnaires en action a constaté des évolutions dans les pratiques en actes qui sont liées à ces réformes : individualisation, personnalisation des aides et prestations ou traitement différentiel des usager·es et logiques de catégorisation. Ces recherches ont notamment montré que ce que l’on peut appeler « la deuxième vitesse du service public » ne constitue pas un espace protégé des logiques gestionnaires et des économies budgétaires. Au contraire, les services spécialisés qui en relèvent s’intègrent et s’adaptent aux logiques du New Public Management. Dans certains cas, ces modes de gestion ont toutefois permis de valoriser des services dédiés aux plus fragiles. Ce dossier vise donc à approfondir empiriquement et conceptuellement les savoirs sur l’impact des formes de dualisation des services publics sur les emplois et le travail des agent·es et des salarié·es des entreprises publiques. Il souhaite mettre la focale sur les transformations de leurs pratiques et de leurs représentations au travail ainsi que sur les transformations des formes d’emplois qu’iels occupent.
1 – Transformations des structures d’emploi et de l’organisation du travail dans la « modernisation » des services publics
Le phénomène de dualisation des services publics, entre des services standardisés, rationalisés destinés à la plupart des usager·es et des services destinés aux plus démunis (c’est-à-dire aux publics dits « en difficulté ») et ses liens avec les questions d’emploi et l’organisation du travail, ont jusqu’à présent été peu explorés en sciences sociales. La modernisation des services publics s’est accompagnée d’une reconfiguration du système d’emploi public et d’un brouillage des frontières entre fonctionnaires et non titulaires. L’autonomisation et l’agencification [1] entraînent une mosaïque de profils et de statuts de travailleur·euses dans la fonction publique aboutissant non seulement à un système dual mais plus encore à une multiplicité de formes de segmentation de l’emploi public[2]. Comment cette segmentation de l’emploi se manifeste-t-elle quand on la considère à la lumière de la dualisation des services publics ? Dans l’autre sens, comment la segmentation de l’emploi a-t-elle contribué à la dualisation des services publics ? Par ailleurs, les transformations affectent aussi les formes de l’emploi avec des différenciations entre les agent·es fonctionnaires et des agent·es contractuel·les, ces derniers pouvant être sur des contrats de durées très variables[3]. En France, la contractualisation de la fonction publique et la transformation de la norme statutaire, ainsi que le recours accru aux vacations, stages et autres services civiques modifient-ils les services rendus aux usager·es ? Comment la dualisation impacte-t-elle les « acquis sociaux » dans les services publics[4] ?
Les contributions à ce premier axe peuvent se concentrer tout autant sur les formes de flexibilité, d’externalisation de l’emploi en lien avec la réorganisation du travail que sur les nouveaux métiers liés à la nouvelle gestion publique et leurs dé/qualifications.
2 — Les effets des dualisations sur les conditions de travail et les pratiques professionnelles
Cet axe s’intéresse aux effets des transformations des services publics sur les conditions de travail et les pratiques professionnelles. Partant des constats et analyses apportés par les travaux qui se sont penchés sur les effets du New Public Management sur les conditions de travail[5], ce dossier thématique a pour ambition d’apporter de nouvelles connaissances spécifiques aux conditions de travail sous l’effet des différentes formes de dualisation des services publics. Nous attendons ainsi des propositions qui apportent des éléments sur les transformations du travail dans les services publics dualisés. Comment les conditions de travail et les pratiques professionnelles des agent·es se transforment, s’adaptent, résistent au phénomène de dualisation ? Comment s’articulent dans les pratiques le New Public Management et la mission d’intérêt général de ces services publics ? La littérature anglophone a mis en avant le concept d’hybridation des pratiques professionnelles17. Comment cette hybridation se manifeste-t-elle et se traduit-elle dans les pratiques professionnelles en France ou dans d’autres pays ? Quels sont ses effets sur l’autonomie professionnelle des agent·es ? Quelle place y a-t-il, au sein d’un service public segmenté, hiérarchisé et concurrentiel, pour les agent·es et les contractuel·les travaillant dans les services spécialisés ? Y-a-t-il une correspondance entre les places occupées par les usager·es démuni·es dans la société et les places occupées par les travailleur·ses des services spécialisés à l’intérieur du champ du service public ?
3 — Les effets des dualisations sur les représentations et le sens donné au travail
Enfin, le troisième axe s’intéresse aux représentations des agent·es et contractuel·les du service public et au sens qu’ils et elles donnent à leur travail dans le contexte de dualisation. La littérature a de longue date questionné les particularités du sens que les agent·es du public donnent à leur travail, ou la motivation des salarié·es du secteur non lucratif18. Quel sens donner au travail dans un contexte de contrainte budgétaire et de néo-managérialisation ? Comment se transforment ou s’adaptent les valeurs et éthiques professionnelles 19? Que recouvre l’ethos du fonctionnaire aujourd’hui au regard des évolutions et de la précarisation des statuts d’emploi dans la fonction publique ? Comment s’agencent les discours et pratiques de résistance/détournement vis-à-vis des pratiques d’économie budgétaire et néo-managériales ou de la spécialisation vers un public démuni ? Quelles sont les spécificités des représentations au/du travail dans des espaces réservés à un traitement de la question sociale à l’intérieur du champ de l’action publique ? Quels sont les processus de dé/valorisation du travail lorsqu’on travaille dans des services publics réservés aux plus fragiles ?
Ce dossier entend rassembler des contributions pluridisciplinaires dans le champ de celles couvertes par la revue Travail et Emploi (sociologie, économie, droit, gestion, histoire, sciences politiques) et a pour ambition d’agréger un corpus inédit d’enquêtes empiriques (tant qualitatives que quantitatives) sur des terrains variés au sein d’organisations publiques. Les perspectives transnationales seront valorisées.
Modalités de contribution
Modalités de réponse et calendrier Les contributeur·trices sont invité·es dans un premier temps à proposer une intention d’article de 5 000 à 7 000 signes environs (3 à 4 pages) présentant clairement la question de recherche étudiée, les sources et les matériaux utilisés, les outils d’analyse mobilisés et les résultats attendus.
Les intentions d’article sont à envoyer jusqu’au vendredi 4 octobre 2024
par courriel, en pièce jointe, à la rédaction de la revue travail.emploi@travail.gouv.fr et aux coordinateur·rices : clement.carbonnier02@univ-paris8.fr ; geeraert.j@gmail.com ; florence.ollivier@gmail.com ; deborah.ridel@ehesp.fr.
Une réponse leur sera apportée au plus tard le vendredi 8 novembre. Les auteurs et autrices retenu·es devront envoyer leur article anonymisé avant le lundi 24 mars 2025. Pour plus de détails sur le format des articles, nous vous remercions de prendre en compte « Les consignes aux auteurs et autrices » sur le site de la revue. Les articles feront l’objet d’une évaluation par des rapporteurs et rapportrices extérieur·es au comité de rédaction, selon la procédure en vigueur (voir le document « Procédure d’évaluation »).
Cet appel à article, pour la revue Travail et Emploi, vise donc à cartographier les déclinaisons de la dualisation des services publics en matière d’emploi et d’organisation du travail (axe 1). Il s’intéresse également aux effets de ces variations de modèles organisationnels sur les conditions et les pratiques professionnelles (axe 2), ainsi que sur les représentations et le sens que les agent·es attribuent à leur travail (axe 3).
Notes
[1] BEZES P., LE LIDEC P (2016), « Politiques de l’organisation. Les nouvelles divisions du travail étatique », Revue française de science politique, vol. 66, n° 3, p.407-433.
[2] MAUCHAUSSEE M., POULARD F. (2024), « Les établissements publics administratifs et la transformation des politiques de l’emploi », Travail et Emploi, à paraître.
[3] PEYRIN A. (2019), « Les recompositions des normes d’emploi public », Revue française de socio-économie, Vol. 1, n° 22, p. 67-84 ; LOHIER C. (2024), « La place du contrat dans la reconfiguration du système d'emploi des enseignants du public en France », Travail et Emploi, à paraître.
[4] GALLENGA G. (2011), Le feu aux poudres. Une ethnologie de la « modernisation » du service public, Paris, éditions du CTHS, 304 p.
[5] DUBOIS V. (2010), op. cit. ; PIOTET F. (2002), Conseiller financier à La Poste. Métier, emploi, fonction ou grade ? La révolution des métiers, Paris, PUF, coll. « Le Lien social » ; CARTIER M. (2003), Les facteurs et leurs tournées. Un service public au quotidien, Paris, La Découverte, coll. « Textes à l’appui. Enquêtes de terrain », 336 p. ; WELLER J.-.M. (1999), L’État au guichet. Sociologie cognitive du travail et modernisation
Subjects
Date(s)
- Friday, October 04, 2024
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Contact(s)
- Déborah RIDEL
courriel : deborah [dot] ridel [at] ehesp [dot] fr - Jérémy GEERAERT
courriel : geeraert [dot] j [at] gmail [dot] com
Reference Urls
Information source
- Florence OLLIVIER
courriel : florence [dot] ollivier [at] gmail [dot] com
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To cite this announcement
« Dualisations des services publics : transformations de l’emploi, des pratiques et des représentations professionnelles », Call for papers, Calenda, Published on Monday, June 03, 2024, https://doi.org/10.58079/11rbj