HomeDu « commun » au « public » : concepts et pratiques de l’ordre social dans l’espace culturel ibéro-américain (XVIIIe-XIXe siècles)
Du « commun » au « public » : concepts et pratiques de l’ordre social dans l’espace culturel ibéro-américain (XVIIIe-XIXe siècles)
Del «común» al «público»: conceptos y prácticas del orden social en el espacio cultural iberoamericano (siglos XVIII-XIX)
Published on Tuesday, September 24, 2024
Abstract
Cette rencontre scientifique propose de réfléchir à travers deux axes fondamentaux : premièrement, les modalités selon lesquelles les conceptions corporatives et juridictionnelles traditionnelles du lien social dans la monarchie traditionnelle espagnole sont adaptées, juxtaposées, contrastées, etc. avec l’imaginaire éclairé et libéral, à partir du XVIIIe siècle et tout au long du XIXe, sur le plan institutionnel, normatif et discursif. Deuxièmement, les réappropriations, réinterprétations et usages –intentionnels ou naïfs – de ces termes par les sujets ; usages qui ont complexifié le réseau de relations traditionnellement décrit par l’historiographie en termes de résistance à la formation d’une nouvelle conception de l’autorité publique légitime.
Announcement
Argumentaire
La constitution du lien social dans ses différentes dimensions est un objet d’étude privilégié en ce XXIe siècle par les sciences humaines et sociales. Depuis la sociologie et la philosophie en particulier a émergé un champ de réflexion sur le « commun », ou les « communs », dont le caractère est fondamentalement normatif, dans la mesure où l’objectif est l’élaboration d’un nouveau régime du vivre ensemble ou, concrètement, de la communauté politique.[1] Le référent en est – au-delà des différentes approches – la révolution politique et juridique qui a investi le monde occidental de part et d’autre de l’Atlantique au cours de ce qui est désormais conçu comme l’ère révolutionnaire, à cheval entre le XVIIIe et le XIXe siècle. D’autre part, de nombreuses études se sont intéressées à la notion du « public », typiquement liée à la contemporanéité discursive, pour décrire le lien communautaire. Ces études mettent, par exemple, en lumière la relation étroite entre « le public » (tel qu’il est politiquement resignifié par la pensée libérale au tournant du siècle) et le capitalisme émergent, et donc en dernier ressort, sa construction discursive en articulation avec la propriété privée ; d’autres mettent au jour les paradoxes ou apories du nouveau régime post-révolutionnaire de la « communauté » ou de « l’espace (du) public ».
La présente rencontre scientifique internationale a pour objectif d’historiciser le passage d’une conception multiséculaire du « commun » à l’élaboration du « public » comme trope fondateur du social contemporain ; et donc d’interroger la construction et complexification d’une opposition qui tend à s’imposer dans les sciences sociales de manière manichéenne, pour tâcher de comprendre les chemins divers par lesquels s’est constitué le « public » libéral. Cette approche historique est d’autant plus pertinente concernant le monde ibéro-américain qu’il est désormais admis –du moins par une part de l’historiographie de l’ère des révolutions– que dans cette aire culturelle il n’a pas eu de table rase des catégories fondamentales de la société d’Ancien régime –corporative, juridictionnelle, et se référant fondamentalement à un ordre divin. Cette même approche est d’autant plus urgente que, malgré les apports de la « nouvelle histoire politique » américaniste, l’articulation complexe, non exempte de tensions et de conflits entre les catégories anciennes et celles nouvelles du lien social et politique, reste encore un champ en friche en termes de cas concrets ; et que l’opposition entre ces catégories (conçues encore majoritairement comme simplement hétérogènes les unes aux autres) tend à recouvrer un caractère normatif qui fait obstacle à l’analyse des champs des possibles et de laboratoires que les acteurs ont exploré pour façonner un « nouvel ordre ».
Pendant des siècles et jusqu’à la veille de l’ère révolutionnaire, dans toutes les sphères politiques de la monarchie catholique espagnole, de Manille à la Californie, en passant par Madrid et Buenos Aires, les pratiques de la vie communautaire et la description du lien social ont été reconnues, décrites et interprétées à travers des concepts proches du « commun » - le « bien commun », l’« intérêt commun », le « commun des voisins », etc. C’est dès le milieu du XVIIIe siècle que l’on peut observer ce qu’il convient de qualifier, du moins dans un premier temps, de juxtaposition sémantique. Un autre trope pour décrire les relations humaines et institutionnelles apparaît de plus en plus fréquemment dans les sources des historiens : le « public ». Ainsi, par exemple, en 1766 en péninsule ibérique, les émeutes contre le ministre réformateur Esquilache aboutissent à la création dans les villes des « députés du commun » (diputados del común) et des « procurateurs du public » (procurador síndico personero del público), dualité nominative qui renvoie à une distinction claire et volontariste entre le peuple représenté et la plèbe exclue[2]. Pour l'historien Pablo Fernández Albaladejo, l'auto acordado de 1766 (la norme qui établit cette distinction de représentation) visait à « résoudre constitutionnellement la place politique qui devait être assignée au commun » en renforçant l'ordre corporatif du royaume et en accordant « une entité corporative à l'armée de vagabonds qui commençait à faire sentir sa présence en dehors du système »[3]. Un demi-siècle plus tard, en 1816, la Diputación de Policía créée par les planteurs de sucre cubains se réfère aux « coutumes domestiques et publiques », plaçant sous le grand parapluie du « public » toute la sphère corporative par opposition à un espace domestique d'économie paternaliste qui, cependant, n'était pas pensé en termes « privés » (bien que privatifs), comme l'établiront plus tard les réformes économiques des gouvernements libéraux. Dans ce contexte, l'usage ambivalent et confus des tropes sémantiques, entre le « commun » et le « public », mais aussi entre le « domestique », le « particulier », le « privatif », a accompagné un processus de transformation profonde des pratiques d'identification collective (communale, politique et même très tôt « nationale »), à la suite de la crise monarchique ouverte en 1808, crise qui était aussi celle de la société impériale. Ensuite, la défense acharnée de l’« ordre public » qui s’amorce dans les années 1820 dans tous les espaces issus de la crise monarchico-impériale ajoute une épaisseur à la prévalence de l'adjectif « public », sans pour autant renoncer à l'argument du « commun » dans la défense, par exemple, des formes locales ou localisées d'organisation et de représentation. Au milieu du siècle, le terme « Administration Publique » commence à se généraliser, avec des majuscules à effet performatif, mais tout en englobant une série de pratiques et d'acteurs qui ne cessent d'agir et de se légitimer à travers des valeurs et des procédures liées à la centralité du « commun ».
Cette rencontre scientifique propose donc de réfléchir à travers deux axes fondamentaux :
- Les modalités selon lesquelles les conceptions corporatives et juridictionnelles traditionnelles du lien social dans la monarchie traditionnelle sont adaptées, juxtaposées, contrastées, etc. avec l’imaginaire éclairé et libéral, à partir du XVIIIe siècle et tout au long du XIXe, sur le plan institutionnel, normatif et discursif. (Perspective up-down)
- Les réappropriations, réinterprétations et usages –intentionnels ou naïfs– de ces termes par les sujets ; usages qui ont complexifié le réseau de relations traditionnellement décrit par l’historiographie en termes de résistance à la formation d’une nouvelle conception de l’autorité publique légitime. (Perspective down-up)
Au prisme de cette approche, l'objectif final est d'étudier comment tout cela a conditionné les compréhensions de l'inclusion et de l'exclusion sociales, quelle que soit la manière dont elles se sont manifestées : sous la forme de la citoyenneté du XIXe siècle, de l’appartenance communautaire (dans des communautés formelles ou informelles) ou de nouvelles identités collectives. En somme, nous partons du principe que la réflexion sur la matière et les limites du « social » que le libéralisme consacre, ne peut faire l’économie de l’analyse de tels tropes, de leurs relations discursives et des pratiques qui en découlent, dans le domaine culturel résultant de la décomposition de la monarchie hispanique au cours de la longue transition séculaire vers les États contemporains.
Modalités de soumission
Soumission d’une proposition de 300 à 500 mots, en langue française ou en langue espagnole, précisant nom et prénom, titre(s) et fonction(s) et l’institution de rattachement de l’auteur/autrice.
La proposition est à adresser aux organisatrices du colloque (toutes en copie du message) :
- laura.brondino@sorbonne-universite.fr
- amaiacabranes@gmail.com
- alina.castellanos_rubio@sorbonne-universite.fr
- emmanuelle.perez-tisserant@univ-tlse2.fr
Calendrier
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Jusqu’au 31 octobre 2024 inclus : soumission des propositions
- 15 novembre 2024 : réponse après évaluation par le Comité organisateur
- 06-07 mars 2025 : Colloque à la Maison de la Recherche de Sorbonne Université, Paris
Organisatrices
- Laura Brondino (MCF, Sorbonne Université, CRIMIC-Iberhis)
- Amaia Cabranes (MCF, Sorbonne Université, CLEA-Chac)
- Alina Castellanos Rubio (MCF, Sorbonne Université, CRIMIC-Iberhis)
- Emmanuelle Perez-Tisserant (MCF, Université de Toulouse Jean Jaurès, FRAMESPA)
Notes
[1] Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIè siècle., Paris, La Découverte, 2014.
[2] Carlos Garriga Acosta, « Députés du commun. Représentation et gouvernement des pueblos en Espagne (1766-1812) », in François Godicheau et Mathieu Grenet (dir.), Raison administrative et logiques d’empire. XVIème-XIXème siècles, Rome, Publications de l’École française de Rome, Casa de Velázquez, 2021, p. 117‑146.
[3] « (…) entidad corporada [sic] al ejército de vagabundos que empezaba a hacerse presente en el exterior del sistema ». Pablo Fernández Albaladejo, Fragmentos de monarquía, Madrid, Trabajos de historia política, 1992, p. 737.
Subjects
- History (Main category)
- Society > Law > Legal history
- Periods > Modern > Nineteenth century
- Society > Political studies > Political history
- Periods > Early modern > Eighteenth century
- Zones and regions > America > Latin America
- Society > History > Social history
- Zones and regions > Europe > Iberian Peninsula
Places
- Maison de la Recherche, Sorbonne Université - 28 Rue Serpente
Paris, France (75006)
Event attendance modalities
Full on-site event
Date(s)
- Thursday, October 31, 2024
Keywords
- commun, public, lien social, ordre social, société, monarchie espagnole, espace ibéro-américain, XVIIIe, XIXe
Contact(s)
- Alina Castellanos Rubio
courriel : alina [dot] castellanos_rubio [at] sorbonne-universite [dot] fr - Amaia Cabranes Rubio
courriel : amaiacabranes [at] gmail [dot] comi - Laura Brondino
courriel : laura [dot] brondino [at] sorbonne-universite [dot] fr - Emmanuelle Perez-Tisserant
courriel : emmanuelle [dot] perez-tisserant [at] univ-tlse2 [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Alina Castellanos Rubio
courriel : alina [dot] castellanos_rubio [at] sorbonne-universite [dot] fr
License
This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.
To cite this announcement
« Du « commun » au « public » : concepts et pratiques de l’ordre social dans l’espace culturel ibéro-américain (XVIIIe-XIXe siècles) », Call for papers, Calenda, Published on Tuesday, September 24, 2024, https://doi.org/10.58079/12cbt