La revue Scènes du Monde se propose d’interroger les diverses modalités des pratiques artistiques dans une situation de censure, de répression ou d’intimidation, au cours de l’histoire ou aujourd’hui, mais aussi le rôle des arts comme formes de résistance. Il s’agit d’explorer les pratiques du spectacle vivant, en France comme à l’étranger, dans leurs modes d’opposition aux oppressions, qu’elles émanent de régimes totalitaires, de censures ou de pressions conservatrices.

Argumentaire

La revue Scènes du Monde a le plaisir de lancer un appel à contribution pour son premier numéro. Dans le contexte actuel marqué par des tensions politiques et sociales croissantes, nous nous proposons d'explorer les rapports entre les arts et les régimes autoritaires, ainsi que le rôle des arts comme formes de résistance face aux violences, intimidations et censures des conservateurs et de l’extrême-droite.

Le monde contemporain est confronté à l'émergence de régimes totalitaires et autoritaires qui répriment la liberté d'expression et la création artistique, de même que d’idéologies intolérantes qui prônent les restrictions de ces libertés. L'Europe, et particulièrement la France, connaît notamment une montée inquiétante des mouvements et idées d'extrême-droite. Ces mouvements, alimentés par des crises économiques, migratoires et identitaires, rappellent les sombres périodes de l'histoire européenne, notamment dans l’entre-deux-guerres. Cette situation renforce la nécessité d'examiner la façon dont les arts peuvent répondre à la répression et jouer un rôle crucial dans la construction et le maintien de la conscience collective. Les mouvements d'extrême-droite ont souvent un comportement de censure, de contrôle ou d'intimidation envers les artistes et la culture en général. Ainsi, Vincent Guillon, dans l'Observatoire des politiques culturelles (26 juin 2024), étudie-t-il les attitudes des mairies gouvernées par l'extrême-droite et leurs éléments programmatiques. Les thèmes classiques du "grand remplacement", de la "dérive woke" et des “menaces” sur l'identité culturelle française y sont mis en évidence (voir Alain Policar, Le Wokisme n’existe pas, Le Bord de l’eau, 2024 ; Stéphane François, Une avant-garde d’extrême droite. Contre-culture, conservatisme radical et tentations modernistes, Éditions de la Lanterne, 2022). On peut enfin noter une généralisation et une “banalisation” de ces idées à une grande partie de la sphère politique et de la population.

La sphère latino-américaine offre également un cadre riche pour l'étude de ces thèmes. Les dictatures militaires du XX^e siècle en Amérique latine ont laissé un héritage profond, où la censure et la répression ont marqué les artistes et leurs œuvres. Des courants comme l’artivisme et le tropicalisme ont été développés dans les années 1970, quand les dictatures (Pinochet au Chili, Videla en Argentine) obligeaient les artistes à contourner la censure, à se cacher ou à s’exiler. Aujourd'hui encore, les tensions politiques dans des pays comme le Venezuela et le Brésil posent des défis importants à la liberté d'expression. L'art en Amérique latine continue de servir de moyen de résistance et de mobilisation, illustrant la puissance de la culture face à l'oppression.

Depuis la Première Guerre mondiale, le Moyen-Orient est le théâtre de conflits incessants, ayant des répercussions profondes sur les dynamiques politiques, sociales et culturelles de la région. L'histoire du Moyen-Orient a été profondément marquée par une série d'événements qui ont eu un impact durable sur la vie de ses habitant·e·s. L'une de ces périodes cruciales a été le conflit entre l’Empire britannique, le gouvernement français et l'Empire ottoman au début de vingtième siècle, un antagonisme qui a entraîné des conséquences profondes pour la région. Les relations sociales, autrefois établies sur des bases géographiques et politiques différentes, ont dû être réinventées pour refléter la nouvelle réalité politique. De nombreuses personnes ont été contraintes de quitter leur territoire d'origine en raison des nouvelles frontières et des instabilités politiques.

On peut également examiner l'histoire de l'esclavage et de l'impérialisme occidental, qui ont forcé les pratiques artistiques contestataires à développer des stratégies pour contourner les oppressions et affirmer leur identité et leur opposition. Ces tensions, souvent aggravées par des interventions étrangères et des conflits internes, ont fréquemment utilisé la censure et l'intimidation comme moyens de contrôle social et politique, bien après la fin de la période coloniale. Comme l’affirme Gareth Harris, si la censure a toujours existé, elle a pris une ampleur particulière en ce XXI^e siècle (Gareth Harris, L’Art et la censure aujourd’hui, Beaux-Arts édition, 2024).

Ce ne sont là que quelques exemples de la pluralité des registres, articulations et lieux d'oppression ou d’exercice de la censure, de leurs contours géopolitiques et historiques, que nous proposons comme socle pour réfléchir au rôle des artistes dans la construction d’une conscience collective et des pratiques performatives qui critiquent, contournent et subvertissent ces mécanismes d’assujettissement ou avertissent de leur montée en puissance. Ce besoin d’étude des rapports entre l'oppression et la résistance au sein de la production performative ne néglige pas non plus les croisements des luttes et des groupes, ciblés dans un contexte autoritaire (et même parfois démocratique), considérant par exemple la spécificité de place des femmes et des communautés LGBTQI+, de l’instrumentalisation ou de la suppression de leurs libertés, droits et corps. Ainsi, nous nous intéressons non seulement aux fonctionnements des dispositifs de contrôle, de régulation et de prohibition au sein de la création artistique contemporaine, mais aussi aux nouvelles pratiques, aux dramaturgies et aux nouveaux espaces qui surgissent précisément de la lutte ou du contournement de leur répression.

Thématiques

Nous invitons des propositions d'articles, d’entretiens, de « paroles d’artistes » et d'analyses historiques dans le domaine des arts de la scène et du spectacle vivant ainsi que les études en histoire de l’art, en sociologie et en philosophie, qui abordent, entre autres, les thématiques suivantes :

Les arts du spectacle vivant sous les dictatures

Études de cas historiques et contemporains sur la manière dont les régimes autoritaires utilisent et manipulent les arts pour asseoir leur pouvoir.

Censure et arts du spectacle vivant

Analyses des mécanismes de censure dans différents contextes géopolitiques et leurs impacts sur la production artistique.

Intimidations et persécutions

Témoignages et études sur les artistes persécuté·e·s, les formes d'intimidation et de répression qu'ils subissent.

Arts du spectacle vivant et résistance

Exemples et analyses de créations artistiques comme formes de résistance politique et sociale.

Esthétique de la résistance

Réflexions sur les esthétiques développées en réponse à la censure et à la répression.

Réseaux de solidarité

Études des réseaux et mouvements de solidarité entre artistes face à la répression.

Modalités de soumission

Les propositions d'articles doivent comprendre :

• Un résumé de 300 à 500 mots présentant l'argument principal de l'article, le cadre théorique et la méthodologie employée.
• Quelques références bibliographiques.
• Une courte biographie de l'auteur (100 mots maximum), incluant son affiliation institutionnelle et ses principaux domaines de recherche ou de création.

Les propositions doivent être envoyées à l'adresse suivante : sdm@listes.univ-paris8.fr

avant le 20 novembre 2024

Une réponse sera apportée en janvier-février 2025.

Comité scientifique

• Coquille-Chambel Marie 
• Coutelet Nathalie 
• Hashemi Omid
• Smrekar Eva

Bibliographie indicative

Arnulf Fanny, “L’art de résister : de la pratique théâtrale à la lutte pour la reconnaissance dans les favelas de Rio de Janeiro”, IdeAs, n° 17, 2021, http://journals.openedition.org/ideas/10716, consulté le 26 août 2024.

Bory Stéphanie, Otaola Paloma, Salmon Nolwenn, Tactiques de création à l’ombre de la censure, Paris, L’Harmattan, 2023.

De Vincenzo Mario, Mora Maira, “La création face à la répression: l'œuvre d’art comme poïèsis de la conscience”, Topique, n° 146, 2019/2, p. 139-152.

Etienne Anne, Megon Chris (dir.), Theatre Censorship in Contemporary Europe: Silence and Protest, University of Exeter Press, 2024.

Forbes-Erickson Amy-Rose, “Performance ‘Art’ - Dismantling Structural Racism in Colonial Monuments”, NaKaN, ttps://nakanjournal.com/performance-art-dismantling-structural-racism-in-colonial-monuments/, consulté le 24 août 2024.

François Stéphane, Une avant-garde d’extrême droite. Contre-culture, conservatisme radical et tentations modernistes, Lyon, Éditions de la Lanterne, 2022.

Hamidi Bérénice, Moreira da Silva Alexandra (dir.), Le Théâtre face aux dictatures. Luttes, traces, mémoires (Argentine, Brésil, Chili), Besançon, Les Solitaires Intempestifs, coll. “Du désavantage du vent”, 2022.

Harris Gareth, L’Art et la censure aujourd’hui, Paris, Beaux-Arts édition, 2024.

Marquez Garcia Ricardo, Snoep Nanette, Marusic Vera, Hauth Lydia, Resist! The Art of Resistance, Walter König, 2024.

Martin Laurent (dir.), Les Censures dans le monde, XIXe-XXIe siècles, Rennes, PUR, coll. “Histoire”, 2018.

O’Leary Catherine, Sanchez Diego, Thompson Michael (dir.), Global Insights on Theatre Censorship, London, Routledge, 2015.

Ory Pascal (dir.), La Censure en France à l’ère démocratique, Bruxelles, Complexe, 1997.

Policar Alain, Le Wokisme n’existe pas, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2024.

Schlesser Thomas, L’Art face à la censure. Cinq siècles d’interdits et de résistances, Paris, Beaux-Arts éditions, 2011.