Les habitants en assemblées à la fin du Moyen Âge
Europe, XIIIe-début du XVIe siècle
Published on Friday, October 11, 2024
Abstract
Les assemblées d’habitants ont une place centrale, mais encore assez méconnue dans le gouvernement des villes à la fin du Moyen Âge. Parfois considérées comme les prémices de l’organisation des communautés à l’origine des conseils municipaux, elles ont perduré dans les derniers siècles du Moyen Âge, alors que le gouvernement des villes se fondait sur une coopération croissante des élus municipaux avec le prince et ses officiers. À l’écart, en collaboration ou en opposition avec les gouvernements urbains, les assemblées d’habitants ont dans certains cas été définies comme des lieux d’une « démocratie médiévale ». Or, la vie communale médiévale se caractérise notamment par un grand dynamisme des pratiques d’assemblée ; les habitants (ou au moins une partie d’entre eux) se réunissent fréquemment, à l’échelle du quartier, de la paroisse, de la fabrique, du métier ou de la ville.
Announcement
Argumentaire
Les assemblées d’habitants ont une place centrale, mais encore assez méconnue dans le gouvernement des villes et des villages à la fin du Moyen Âge. Parfois considérées comme les prémices de l’organisation des communautés à l’origine des conseils ou de l’existence d’élus permanents , elles ont perduré dans les derniers siècles du Moyen Âge, alors que l’administration des villes se fondait sur une coopération croissante des élus municipaux avec le prince et ses officiers. À l’écart, en collaboration ou en opposition avec les représentants communaux, les assemblées d’habitants ont dans certains cas été définies comme les lieux d’une « démocratie médiévale ». Or, la vie communale se caractérise par un grand dynamisme des pratiques d’assemblée, entendues comme des réunions de plusieurs individus liés par leur appartenance à un même lieu . Les habitants (ou au moins une partie d’entre eux) se réunissent fréquemment, à l’échelle du quartier, de la paroisse, de la fabrique, du métier, du village ou de la ville, donnant lieu à des assemblées d’envergures variables à l’échelle de la communauté . Elles peuvent en outre être instituées et considérées comme légitimes (arengo, concio ou parlement public) ou encore spontanées voire condamnées par les autorités.
Cette première définition des assemblées d’habitants pourra être discutée selon les espaces envisagés par les différents intervenants, afin d’étudier également leur périmètre (habitatores , cives, chefs de famille, Bürger) et leurs modalités de réunion. Alors que se structurent les gouvernements urbains et les États, dans un contexte de croissance et de reflux démographiques et économiques ainsi que de transformations sociales et documentaires, cette étude conçoit les assemblées d’habitants dans le cadre d’une vaste Europe occidentale, comprenant non seulement les régions aux traditions urbaines et/ou communautaires fortes (Italie, Flandre, Empire), mais également les États sous contrôle princier et royal, comme les principautés et royaumes espagnols, le Saint-Empire, la France ou les Îles Britanniques.
Les premières recherches sur les assemblées d’habitants remontent au XIXe siècle. Envisagées sur un temps long combinant périodes médiévale et moderne, elles portent la marque des réflexions et des débats sur les limites du suffrage censitaire et sur la place des villes et des campagnes dans les choix politiques, qui ont émaillé la deuxième moitié du XIXe siècle. Augustin Thierry en fait ainsi le lieu de la participation politique d’une bourgeoisie triomphante préfigurant le « tiers-état », quand Albert puis Henry Babeau font de ces assemblées le creuset d’une « expérience délibérative » qui aurait préparé les habitants à l’exercice des droits politiques acquis par la Révolution. Les politiques et historiens français ont sans aucun doute été fortement influencés par le modèle italien propre à la période communale du XIIIe siècle, et par la place acquise par le Popolo dans le gouvernement des communes, qui en faisait le lieu par excellence d’une « démocratie médiévale » .
Dans l’historiographie française plus récente, les grandes monographies urbaines du XXe siècle minimisent la portée des assemblées d’habitants, vues comme une étape dans la constitution de conseils représentatifs . Le lien entre les institutions municipales et le prince ou le roi est surtout pensé à travers les interactions des officiers royaux et des conseils de ville autour des questions de fortifications ou de fiscalité. Les assemblées générales d’habitants sont envisagées comme un acteur secondaire , réduites à un rôle de validation du consensus, selon l’adage juridique « ce qui concerne tout le monde doit être discuté et approuvé par tous ». Les synthèses actuelles sur les institutions médiévales relaient cette vision, en soulignant le faible nombre de ces assemblées et de leurs participants .
Ce tableau offre un contraste saisissant avec certaines attestations de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne. Stéphane Gal et Robert Descimon mettent ainsi en avant toute la vitalité de ces réunions dans leurs travaux sur les villes de Grenoble et de Paris au XVIe siècle . Les assemblées générales font encore l’objet de discussion, de réflexion et de législation et perdurent même jusqu’à nos jours pour les villes de la Confédération helvétique. De même, ce constat d’une dévitalisation progressive des assemblées ne concorde pas non plus avec les recherches d’un certain nombre de spécialistes de l’histoire rurale, qui étudient aussi les assemblées d’habitants, chez les médiévistes ou chez les modernistes .
Cet oubli des assemblées par les historiennes et historiens des villes de la fin du Moyen Âge peut s’expliquer par deux causes principales. Tout d’abord, il peut exister une raison documentaire, qui fait que les conseils municipaux ont sans doute bien mieux conservé leurs propres archives, sans inclure forcément dans leur politique de sauvegarde des documents relatifs aux assemblées d’habitants. Ensuite, il y a peut-être une raison plus taxinomique : les assemblées sont partout dans les archives municipales, mais il peut être difficile de distinguer leur périmètre et leur visée tant leurs finalités et leurs configurations étaient variables.
Cette rencontre aura donc pour objectif de porter un regard neuf sur cette question et inaugurera d’autres échanges, notamment entre les médiévistes et les modernistes. Entre instrument politique d’une élite urbaine et chambre de validation des décisions royales ou princières, il nous semble important de réévaluer la réalité de ces assemblées d’habitants, tout en éclairant leurs spécificités par rapport aux autres acteurs du gouvernement des communautés. Ces réflexions permettront ainsi de réintroduire ces assemblées au cœur des recherches, alors que très récemment, une attention nouvelle portée aux pratiques politiques du commun et à la gestion des espaces communs par les habitants , a remis en pleine lumière leurs rôles.
Sans épuiser le champ des possibles, nous examinerons avant tout les propositions portant sur les axes suivants :
1) Désignation et évolutions institutionnelles des assemblées d’habitants
Cet axe propose d’analyser les mots utilisés dans la documentation pour désigner ces assemblées (parlement public, arengo, concio, réunion des chefs de famille…), en tant que réunion d’une communauté (communitas, universitas, Gemeinde…), dès les premières attestations et dans leurs évolutions. Il s’agira d’étudier les conditions et les moments de (re)création de ces assemblées du XIIe au XVe siècle et leurs fondements juridiques . Les liens entre les assemblées d’habitants et d’autres types de réunions, économiques et religieuses (guildes, métiers, corporations, confréries, paroisses…), restent à interroger. De cette étude pourra être esquissée la question de leur degré de représentativité : la composition de ces assemblées peut encore être approfondie, notamment en ce qui concerne la part des bourgeois ou des patriciens, au sens juridique, débattue pour les villes d’Empire , ou encore la représentation des différents métiers ou du clergé. Une attention particulière sera portée sur leur évolution diachronique et sur les différences selon les espaces.
2) Faire assemblée
Cet axe est consacré au déroulement de ces assemblées, de leur convocation à la prise de décision, avec une attention particulière aux modalités de vote . Au-delà des membres de l’assemblée, la présence d’officiers communaux, seigneuriaux, princiers ou royaux est souvent un des fondements de la légalité de ces réunions. Pour certaines assemblées, la question du contexte est primordiale, avec parfois la mention de l’existence de troubles, de circonstances de tensions ou de négociations avec les élus communaux et les officiers. Enfin, il est possible d’envisager les éventuels cultes municipaux et rituels civiques qui peuvent y être associés, voire constituer une part prépondérante de l’assemblée, et associer également femmes et enfants.
3) Les assemblées dans la vie municipale
Quels étaient les domaines de compétences et d’action de ces différentes assemblées ? Les incendies, l’impôt, la police, l’usage des eaux, le contrôle des marchés, le guet, la nomination de représentants ou d’officiers ? Peut-on lier leur présence à l’existence d’un domaine communautaire ? Comment et selon quelles modalités leur action s’articule-t-elle avec celle des représentants, conseillers, consuls ou échevins ? Y a-t-il partage ou rivalité, bonne entente ou concurrence ? Comment évoluent ces assemblées dans le contexte des XIVe et XVe siècles, marqué par les guerres et les difficultés ainsi que par des sollicitations et des interventions croissantes des princes dans la vie municipale (création d’institutions communales par les princes, comme les échevinages par le roi de France Louis XI, ou mutations des formes politiques lors de la formation des États territoriaux en Italie…) ?
4) Les traces documentaires
Procès-verbaux d’assemblées, listes de serments , mentions dans les délibérations ou dans les registres de compte, lettres de rémission princière… les traces des réunions d’habitants se retrouvent dans des écrits variés. Dans quelle mesure ces formes documentaires reprennent-elles ou influencent-elles des modèles et des techniques scripturaires municipales et notariales ? Bien que diverses, ces traces sont aujourd’hui ténues. Comment le processus de constitution des fonds d’archives communaux, notariaux, paroissiaux, privilégiant davantage certains documents par rapport à d’autres, a-t-il pu invisibiliser les assemblées d’habitants ?
Conditions de soumission
La rencontre se tiendra les 17 et 18 juin 2025 à l’Université Côte d’Azur (Nice).
Les propositions de communication (25 minutes) sont à adresser (titre et résumé d’une demi-page environ, bref CV) à l’adresse suivante : assemblees.habitants@gmail.com
avant le 30 octobre 2024
Comité d’organisation
- Cléo Rager, maîtresse de conférences, Institut Catholique de Paris, UR « Religion, Culture et Société » (EA 7403), membre associée au Lamop (UMR 8589)
- Marie-Émeline Sterlin-Cathébras, docteure, membre associée au Lamop (UMR 8589)
- Florie Varitille, maîtresse de conférences, Université Nice Côte d’Azur, membre rattachée au CEPAM (UMR 6274)
Comité scientifique
- Pierre Chastang, professeur des Universités, Université Paris-Saclay - ISP UMR7220
- Rosa Maria Dessì, professeure des Universités, Université Nice Côte d’Azur - CEPAM (UMR 6274)
- Michel Hébert, professeur émérite, Université du Québec à Montréal.
- Christopher Fletcher, chargé de recherche, CNRS - IRHIS (Lille)
- Olivier Mattéoni, professeur des Universités, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Lamop (UMR 8589)
- François Otchakovsky-Laurens, maître de conférences, Université Aix-Marseille - LA3M.
- Olivier Richard, professeur des Universités, Université de Fribourg, Suisse.
Subjects
- History (Main category)
- Society > Political studies > Political history
- Society > History > Rural history
- Society > History > Urban history
- Zones and regions > Europe
- Mind and language > Epistemology and methodology > Historiography
Places
- Pôle Universitaire Saint Jean d’Angély SJA 3 – CEPAM UMR7264 – CNRS – UNS 24, avenue des Diables Bleus
Nice, France (06)
Event attendance modalities
Full on-site event
Date(s)
- Wednesday, October 30, 2024
Keywords
- assemblées, Moyen-Âge, époque moderne, métier, villes, villages, communautés
Contact(s)
- Cléo Rager
courriel : - Marie-Emeline Sterlin
courriel :
Information source
- Florie Varitille
courriel : assemblees [dot] habitants [at] gmail [dot] com
License
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To cite this announcement
« Les habitants en assemblées à la fin du Moyen Âge », Call for papers, Calenda, Published on Friday, October 11, 2024, https://doi.org/10.58079/12gej