HomeLa société face aux vulnérabilités : réflexions et perspectives pour les disciplines de conception
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Published on Friday, October 18, 2024

Abstract

En interrogeant les vulnérabilités, en mettant en perspective les concepts et les moments critiques de la réalité contemporaine, nous souhaitons questionner de façon interdisciplinaire et interprofessionnelle les champs de la conception, tout en l’ouvrant à d’autres champs (anthropologie, sociologie, littérature, archéologie, etc.) qui partagent des interrogations communes. Nous souhaitons aussi interroger les conditions de possibilité d’un renouvellement des approches de conception qui soutiennent l’accès aux ressources, aux capacités d’action, aux stratégies de survie, aux moyens de subsistance, à la quête de sens et à l’encapacitation des personnes.

Announcement

Colloque interdisciplinaire et interprofessionnel à l'Université de Nîmes organisé par le laboratoire PROJEKT.

1er et 2 juillet 2025 - Université de Nîmes

Argumentaire

Domaine des représentations

Vulnérabilité : un mot et des relations complexes.

Le caractère polysémique et multidimensionnel de la vulnérabilité a été largement discuté dans la littérature scientifique (Becerra, 2012) et dans de nombreux champs disciplinaires. Étymologiquement la notion renvoie à la blessure tant physique que morale mais son usage langagier s’est particulièrement développé au XXe siècle (Villela, 2022). C’est un concept qui ne se limite pas à l’humain et qui peut être étendu à des aspects étatiques, économiques, ou au vivant dans son ensemble, tant ses manifestations sont diverses et plurielles à l’ère de l’anthropocène. En droit, elle relève de deux approches distinctes mais non opposées, celle de la personne et celle liée au contexte dans lequel la personne se situe. De fait, Spini, et al. (2017) rattachent la vulnérabilité à toute situation de faiblesse. Dès lors, elle n’est ni factuelle (elle peut relever d’une perception ou d’un ressenti) ni absolue (elle est évolutive). 

La notion désigne également un état de latence où la catastrophe vient agir comme un révélateur de son existence. Ainsi, la pandémie de Covid-19 a mis en relief, à une échelle sans précédent, les vulnérabilités tant individuelles que sociales, tandis que les crises géopolitiques actuelles ont souligné la vulnérabilité des systèmes démocratiques et les crises qu’ils traversent.

La notion de « crise » dans son acception grecque (krisis) de la médecine d’Hippocrate souligne un état critique. La crise est un conflit entre deux forces antagonistes (celles de conservation et celles de destruction). Dans une acception politique, la crise, voire la critique, est un discours qui diagnostique le présent en tant qu’il est absolument différent du passé dans un rapport constant à la connaissance et au pouvoir. Il permet d’expliciter les luttes en étudiant les exigences contradictoires du monde ou d’une société. La « crise de gouvernabilité des démocraties » (Chamayou, 2018) soulève une critique du libéralisme autoritaire déterminant une emprise étatique et une annihilation de la puissance publique. L’institutionnalisation de la vulnérabilité, productrice d’inégalités, est un rouage de la crise démocratique.

La vulnérabilité sociale est abordée selon des déterminants d’inégalités (sociale, économique, physique, d’accès aux ressources, territoriales, etc.) qui impliquent des déséquilibres dans les rapports de force, et donc de pouvoir (Becerra, 2012). En effet, l’insécurité matérielle ou morale induite par la vulnérabilité sociale souligne en creux les responsabilités politiques qui ont présidé à l’état de fait et dont certaines activités, organismes ou individus tirent profit (Cartier, 2005).

À ces programmes de responsabilité s’ajoutent des conditions d’interférence. On ne peut éviter de s’interroger sur les degrés d’affectation de la vulnérabilité sans étudier le champ des représentations qui impactent l’existence des sujets. Aux représentations s’ajoutent les discours itératifs sur la fin (des temps, de la biodiversité, de l’homme, etc.). Bien que très anciens, les discours téléologiques de la tradition apocalyptique ont fait place à ce que Anders (2006) conceptualisait en 1981 par l’« apocalypse sans royaume », c’est-à-dire la destruction absolue. Concept encore impensé tant il est sans prise face la multiplication des risques, les espaces pollués et ceux invivables de « zones interdites » (Tchernobyl, Fukushima). Les bouleversements réels ou projectifs sollicitent une captation de l’attention entre une perception de la vulnérabilité et des représentations du risque (Joffe, 2005). Il s’agit dès lors de reconsidérer une imagination politique autant que les conditions réelles de vulnérabilité ouvrant un spectre large de la réalité contemporaine. Mais aussi le défaut de « croyance au monde » telle que Deleuze (1985) l’envisageait : croire « au lien de l’homme et du monde ». Lien qui questionne la désirabilité comme facteur de réduction des vulnérabilités. L’aspect imaginaire considérée comme imagination productrice de vérité (Ricœur, 2024) et comme une politique des fictions peut collaborer activement à renouer le lien entre l’homme et le monde. Raconter une fable ou libérer la parole d’une expérience implique la réhabilitation des sujets au sein d’un système de vulnérabilisation. Expérience particulièrement sollicitée dans le domaine de la maladie (Le-Berre, Dumont, 2022).

Domaine de conception

Vulnérabilité : une alarme pour la sobriété

Du climat à l’éthique.

En avril 2022, le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) a averti qu’il restait peu de temps pour limiter les effets d’un réchauffement climatique à +1,5 °C en 2030. Dans ce contexte, la sobriété est largement mobilisée dans les discours politiques, dans les dimensions énergétiques, dans les tensions économiques et dans l’impératif de réduction des consommations qui imposent son usage. Pourtant c’est un concept lui aussi relativement polysémique, pouvant être compris comme « la norme du suffisant dans un monde conçu comme limité, mais non immobile » (Flipo, 2020). Les usages de la notion de sobriété soulèvent un certain nombre de difficultés et de précisions sémantiques. Elle manque d’une définition stabilisée, et souvent assimilée à la notion d’efficacité. La sobriété est difficilement modélisable : c’est avant tout une pratique sociale aux contours flous (Salomon, Jedliczka et Marignac, 2012). Une autre difficulté provient de ses conséquences : c’est une question éminemment politique mobilisant la justice sociale (notamment l’accès équitable à l’énergie), mais aussi l’économie (en comprenant les effets sur le modèle productiviste). Le dernier obstacle est d’ordre éthique : l’usage de cette notion se justifie difficilement face aux grandes inégalités structurelles (Nord / Sud) et doit, avant tout, répondre à une logique d’équité.

Crise des conceptions au défi de l’expérience humaine.

Les alertes du GIEC ont exacerbé les antagonismes entre les partisans d’un solutionnisme technologique et scientifique (Morozov, 2014) et les tenants d’une sobriété acceptée, voire émancipatrice. Alors que certains optent pour un mode de vie consistant en une « simplicité volontaire » (Gregg, 1936), ou s’attachent à vivre une « sobriété heureuse » (Rabhi, 2010), il semble important de sortir d’une vision trop romantique de la notion pour appréhender la sobriété lorsqu’elle est subie. Par exemple, les périodes de grand froid mais aussi de canicule mettent à l’épreuve l’efficacité énergétique des établissements tels que les hôpitaux et les EHPAD. Investir aujourd'hui permettrait de garantir un meilleur confort aux personnes malades et/ou âgées, aux professionnels de santé, mais aussi permettre aux établissements de réaliser, à terme, des économies significatives. L’injonction de la sobriété les met face à un chantier gigantesque car leurs vulnérabilités particulières résultent de leurs difficultés structurelles, comme le souligne notamment le rapport public annuel 2022 de la Cour des comptes. A contrario, s’il semble également important d’étudier la sobriété en partant du point de vue de ceux et celles qui sont déjà en situation de vulnérabilité, c’est parce que cela peut être porteur d’autres façons de faire. Il ne s’agit pas, bien sûr, de valoriser artificiellement ces expériences, mais d’en saisir les tensions, de comprendre les trajectoires d’adaptation à la réduction ; comment peut être géré un tel rapport au manque et de quelles ressources l’on dispose pour compenser ces pénuries. En cela, il est important de saisir la dimension collective de la gestion de la sobriété et celle individuelle de la désirabilité d’un changement profond.

Ce colloque s’articule autour de trois axes de recherche :

1. Conception / Vulnérabilité et risques : Accès aux ressources et capacités d’action sur les territoires

It’s easier to imagine the end of the world, than the end of capitalism.

Fredric Jameson (2003)

Selon Di Méo (1998), le territoire est « une appropriation à la fois économique, idéologique et politique de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire, de leur singularité ». Cette proposition se fonde notamment sur la distinction entre l’espace social et l’espace vécu.

Cet axe 1 s’intéresse à la prise en compte des risques dans les projets d’aménagement et de design ainsi qu’à leur impact dans les politiques publiques territoriales. Concilier safe et smart city (Gisclard, Douvinet et Martin, 2021) à travers des projets sobres en ressources peut-il devenir un modèle de conception ? Comment contribuer à la connaissance et la conscience des risques à l’échelle individuelle afin de redonner du pouvoir d’agir aux habitants et habitantes sur ces sujets ? Quelles sont les grammaires graphiques et visuelles qui peuvent répondre aux urgences climatiques auxquelles nous faisons face (« alerte rouge ») ? Comment mieux prendre en compte les personnes rendues vulnérables, marginalisées et/ou hors champ des politiques de gestion des risques actuelles ? 

2. Conception / Vulnérabilité et basses énergies : low-tech, contre-faire, désinnovation

« C’est comme si soudain, l’impossible lui-même était arrivé. »

Michaël Ferrier (2012)

Dans ce contexte de déplétion des ressources, certains acteurs et certaines actrices de la conception s’interrogent sur les modes de fabrication, et envisagent une attitude plus mesurée à leurs productions. Il existe dans ces alternatives une myriade de pratiques dont l’axe 2 propose de discuter trois perspectives particulièrement saisissantes. 

Premièrement, l’utilisation de « basses technologies » (Bihouix, 2014) qui œuvre pour une architecture et un design low-tech. Liées au DIY, les pratiques du low-tech permettent à toutes et tous de comprendre comment fonctionnent les technologies.

Deuxièmement, les approches issues d’un engagement associatif ou collectif qui cherchent à contre-faire. Elles s’actent par des alternatives et des mises en action, d’un « faire autrement » veillant aux ressources humaines et matérielles des territoires (Royer et Pellerin, 2022) et en instaurant de nouvelles formes de conception plus itératives, incrémentales et frugales (Royer, 2020). 

Troisièmement, la confrontation des productions théoriques actuelles et l’accomplissement de nouveaux régimes d’actions pour les disciplines de conception doit être interrogée. En effet, dans une logique de « défuturation » (Fry, 2008) liée au contexte anthropocénique, la visée projective et expansive des concepteurs implique l’intégration des enjeux politiques de renoncement (Monnin, 2023) conduisant à la désinnovation.

Cet axe propose de faire une place à la discussion de ces pistes audacieuses, entre volonté d’encapacitation et désir de frugalité.

3. Vulnérabilité et désirabilité : le choix de la sobriété

« If we do not devote the lion’s share of design work

 to the global problems of ecological devastation and social inequality,

it won’t matter what kinds of designs we produce or how we produce them »

Bonnie Nardi (2019).

Cinquante ans après l’ouvrage de référence de Victor Papanek Design for a real world (1972), la mise en garde de Bonnie Nardi lui fait écho, en prolongeant son interrogation sur le sens des projets de conception qui valorisent les projets inspirés par l’art et la culture. Les produits, services et objets conçus n’apparaissent toujours pas à la hauteur des enjeux actuels. Si concevoir pour une société plus durable revient, avant tout, à lutter contre les pauvretés écologique et sociale, cela nécessite également de faire une critique des fins, des moyens, des représentations et des effets des disciplines de conception elles-mêmes. La sobriété entendue comme « l’écologie profonde » (Naess, 1973) est un choix difficile à faire. Interroger la sobriété du point de vue de sa désirabilité, c’est assumer le fait qu’elle doit être placée du côté des émotions, de la fiction et du sens, qui soutiennent eux-mêmes nos choix éthiques et esthétiques.

L’axe 3 propose d’interroger les différentes postures face à la sobriété et la vulnérabilité afin de voir comment ces notions transforment les pratiques professionnelles des designers et concepteurs.  Comment sont- elles ou peuvent- elles être intégrées aux cahiers des charges de la conception. Il sera également l’occasion d’interroger les liens entre esthétique et social, entre sobriété et désirabilité afin d’écouter celles et ceux qui décident de faire du « design du peu » (Fétro, 2021) un choix délibéré, un art de faire heureux, critique, parfois militant.

Modalités de proposition

Le colloque accueille des propositions de contributions pouvant recouvrir des formats variés, comme suit : 

  1. Pour les personnes des communautés scientifiques et/ou professionnelles - Communication orale
  2. Pour les personnes des communautés professionnelles - Présentation d’un projet (design, architecture, urbanisme, etc.) lié à la thématique, accompagné d’un article sous format court (10 000 signes maximum).
  3. Pour les personnes des communautés scientifiques, professionnelles, issues de la société civile - Présentation d’un poster portant sur des recherches émergentes.

Les propositions sont à adresser à : beatrice.gisclard@unimes.fr et corinne.rondeau@unimes.fr

avant le 18 novembre 2024.

Direction scientifique

  • Béatrice Gisclard, MCF, Université de Nîmes
  • Corinne Rondeau, MCF, Université de Nîmes
  • Marine Royer, MCF, Université de Nîmes

Comité en charge de la sélection des propositions de contribution :

Direction scientifique + membres du comité scientifique :

  • Brigitte Auziol, MCF, Université de Nîmes
  • Karen Brunel, MCF-LRU, Université de Nîmes
  • Carine Delanoë-Vieux, chercheure (PhD), Chaire Archidessa & membre associée laboratoire PROJEKT, université de Nîmes
  • Michela Deni, PU, Université de Nîmes
  • Caroline Gagnon, PU, Université de Laval (Canada)
  • Anna Kerekes, Professeure (PhD), École des Beaux-Arts de Nîmes
  • Alexandre Monnin, MCF, ESC Clermont Business School
  • Marc Olivaux, MCF, Université de Nîmes
  • Delphine Paul, Directrice, École des Beaux-Arts de Nîmes

Places

  • 5 Rue du Docteur Georges Salan
    Nîmes, France (30)

Event attendance modalities

Full on-site event


Date(s)

  • Monday, November 18, 2024

Keywords

  • vulnérabilités, design, conception, représentation, risque, capacité, fiction, sobriété

Contact(s)

  • Corinne Rondeau
    courriel : corinne [dot] rondeau [at] unimes [dot] fr

Reference Urls

Information source

  • Béatrice Gisclard
    courriel : beatrice [dot] gisclard [at] unimes [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« La société face aux vulnérabilités : réflexions et perspectives pour les disciplines de conception », Call for papers, Calenda, Published on Friday, October 18, 2024, https://doi.org/10.58079/12j07

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