Les politiques défiguré·es : une intersectionnalité des haines en images ?
France – 1945 à nos jours
Published on Tuesday, October 29, 2024
Abstract
L’objectif central de cette journée d’étude, qui se veut interdisciplinaire, est donc de repérer les images de haine à l’égard des hommes et des femmes politiques au sein desquelles les dimensions idéologiques essentialistes se conjuguent et de comprendre leur rôle dans le rejet grandissant de la démocratie représentative et/ou la radicalisation des engagements politiques. Cette journée ambitionne de saisir les ruptures ou continuités depuis la transgression progressive de la représentation « légitime » de l’homme politique, à partir de la Libération, jusqu’aux formes les plus actuelles de méfiance, voire de détestation, des politiques dans la rue et/ou sur le Web.
Announcement
Argumentaire
Ces dernières années, de nombreux ouvrages, articles et rapports font état d’une démocratie française qui « ne va pas bien » ou « malade », pour reprendre les termes employés par les politistes Emiliano Grossman et Nicolas Sauger (2017). On parle d’une crise de la représentation politique ou d’un rejet grandissant de la démocratie représentative. La défiance, voire la haine, à l’égard des institutions et des politiques – bien qu’elle varie en fonction des espaces et des contextes – est de plus en plus prégnante (progression de l’abstention systématique ; renouveau et/ou un essor de votes ou de collectifs protestataires parfois radicaux, voire recourant à la violence ; augmentation des violences exercées à l’encontre des candidat·e·s et des élu·e·s ; etc.). Des travaux mettent aussi en évidence une hausse de la conflictualité à l’intérieur du champ politique (Baudot et Rozenberg, 2010 ; Lefébure, 2020). Certaines de ces violences à l’égard des politiques ou entre eux sont d’ordre raciste, antisémite, sexiste, homophobe, transphobe, etc. En introduisant une ou plusieurs dimension⸱s idéologique⸱s essentialisante⸱s le dénigrement se transforme en haine ; et puisque les haines le plus souvent se conjuguent, l’historienne Christine Bard parle d’intersectionnalité des haines (Bard, Blais et Dupuis-Déri, 2019). Pour l’heure, les travaux axés sur ces violences se focalisent essentiellement sur les attaques verbales (les discours) et/ou physiques (qu’elles soient personnelles et/ou matérielles), au détriment des images de haine qui constituent pourtant une autre expression de la violence, ici symbolique contre les candidat⸱e⸱s et les élu⸱e⸱s. L’objectif central de cette journée d’étude, qui se veut interdisciplinaire, est donc de repérer les images de haine à l’égard des hommes et des femmes politiques au sein desquelles les dimensions idéologiques essentialistes se conjuguent (caricatures, affiches, images numériques fixes et/ou animées, mannequins, etc.) et de comprendre leur rôle dans le rejet grandissant de la démocratie représentative et/ou la radicalisation des engagements politiques. Cette journée ambitionne de saisir les ruptures ou continuités depuis la transgression progressive de la représentation « légitime » de l’homme politique, à partir de la Libération, jusqu’aux formes les plus actuelles de méfiance, voire de détestation, des politiques dans la rue et/ou sur le Web. Il s’agira également de faire jouer le jeu des échelles entre candidat·e·s et élu·e·s locales/locaux, nationales/nationaux, européen·ne·s et/ou entre espaces de contestation. La France reste l’angle d’approche central, mais permet d’envisager une perspective comparée et transnationale.
Axes de recherche :
Les propositions pourront s’articuler à l’un ou plusieurs des axes suivants :
Axe 1 – Matérialité et pratiques
D’abord, on cherchera à identifier des images de haine à l’égard des candidat·e·s et des élu·e·s, qu’il s’agisse des plus anciennes – les caricatures – et/ou des plus actuelles, telles que les mèmes et les gifs, émanant des extrêmes et/ou des milieux considérés comme modérés. Les communications pourront également porter sur des objets (ou des images de ceux-ci), puisqu’ils « peuvent être interrogés à la fois comme des formes de langage, capables de communiquer un message politique plus ou moins explicite, et comme des dispositifs pratiques intégrant des programmes d’action » (Sorba, 2022). L’historienne Carlotta Sorba souligne leur diversité (objets de formes et de substances variées, souvent d’usage quotidien ; éléments naturels collectés et politisés ; vestiges corporels transformés en reliques), ainsi que des moments d’accentuation épisodique – lors des périodes de protestation et de révolution notamment. Par conséquent, comment les supports varient-ils et/ou se transforment-ils selon les émetteurs / émettrices, les cibles, les contextes et/ou les territoires ? De quelle façon la construction argumentative et idéologique se retrouve-t-elle ou se diversifie-t-elle en fonction des supports sélectionnés pour l’analyse ? Quels rapports spécifiques à l’espace public permettent la production ou la monstration d’objets en un lieu et un temps singuliers ?
Ensuite, il conviendrait d’inclure les pratiques de détournement et/ou d’iconoclasme – qui relèvent parfois de la « politique informelle ». Par exemple, certaines pratiques sont directement ou indirectement inspirées du mouvement situationniste (Marcolini, 2012; Trespeuch- Berthelot, 2015) – notamment du « Mode d’emploi du détournement » écrit par Guy-Ernest Debord et Gil J. Wolman (Debord et Wolman, 1956). Ils y présentent et détaillent les usages possibles du détournement, dont celui des images, à des fins politiques. Les pratiques d’iconoclasme – entendues comme « l’atteinte violente à des images ou des signes visuels » – tendent quant à elles à se laïciser et entretiennent des liens étroits avec le politique à partir de la Révolution française (Fureix, 2017). En France, ces pratiques ont davantage été étudiées pour le XIXe siècle, période de grande instabilité politique, et/ou pendant les révolutions (statues déboulonnées, portraits lacérés, etc.). Elles visent un souverain détesté, un ordre social contesté, etc. ; le geste iconoclaste permet alors d’exprimer une dissidence politique (Fureix [dir.], 2014). De quelle manière les pratiques de détournement et/ou d’iconoclasme (de nature sexiste, raciste, etc.) sont-elles utilisées afin de contester la démocratie représentative et/ou la présence de candidat·e·s et d’élu·e·s qui transgressent la représentation « légitime » de l’homme politique ? Quelles formes ces gestes prennent-ils de 1945 à nos jours ? S’agit-il d’actes isolés et/ou de pratiques unifiées et organisées ? On pense, par exemple, à la représentation de Jean-Marie Le Pen dans Laberration titrée « Rumeurs sur les mœurs du leader du Front national : Jean-Marie le ped ? » (1985) ; au photomontage de la candidate FN Anne-Sophie Leclère mettant côte à côte une photo de la garde des Sceaux Christiane Taubira et celle d'un singe (2013) ; aux portraits de Simone Veil tagués de symboles antisémites ou sexistes (par exemple sur des boîtes aux lettres du XIIIe arrondissement de Paris en 2019) ...
Axe 2 – Émetteurs / émettrices, cibles et grammaire
Les communications contribueront aussi à distinguer les émetteurs / émettrices des images selon les périodes et les espaces de contestation ou de rejet. Ils et elles peuvent être proches de différentes positions politiques (de droite ou de gauche, d’extrême droite ou d’extrême gauche, etc.), ce qui invite à penser la porosité des frontières entre les partis ou les mouvances situé·e·s de part et d’autre de l’échiquier politique et la circulation des idéologies. En effet, si les revendications ou discours conservateurs (sur fond de sexisme, de racisme, d’antisémitisme, d’homophobie, de transphobie, etc.) et leur banalisation sont bien étudié·e·s (Della Sudda, 2022 ; Faury, 2024 ; Gautier, 2017), les rapports sociaux de genre, de race, de classe, de sexualité, etc. traversent l’ensemble de la société – dont la totalité du champ politique (Dreyfus, 2020 [2009] ; Fillieule et Roux [dir.], 2009).
Il serait également intéressant d’analyser les cibles de ces images de haine, leurs évolutions ainsi que leurs différences : quelles sont les cibles privilégiées en fonction des émetteur·e·s / émettrices, des périodes et/ou des territoires étudié·e·s ? Par exemple, la présidentialisation sous la Ve République cristallise-t-elle progressivement le rejet sur le seul président ou les politiques les plus agressé·e·s sont-ils/elles des élu·e·s locales/locaux, plus proches, et mieux connu·e·s ? Existe-t-il une hiérarchie des haines à l’égard des candidat·e·s et des élu·e·s ? En effet, les politiques les plus attaqué·e·s sont-ils/elles les femmes, les personnes racisées, homosexuelles, transgenres, etc. ? Et/ou sont-ils/elles davantage les individu·e·s sujet·te·s aux discriminations multiples ? Cette hiérarchie des haines varie-t-elle selon les époques et les contextes ?
Enfin, il s’agira d’étudier la construction argumentative et idéologique de ces images, c’est-à- dire leur grammaire. Il conviendrait de comprendre comment l’on passe de la satire humoristique – nécessaire à la démocratie – à la propagande dénigrante puis haineuse contre les politiques. En effet, comme le démontrent les travaux sur les discours de haine (Guellouz, Hugonnier, Lorenzi Bailly et Moïse, 2021 ; Lorenzi Bailly et Moïse, 2021), la frontière entre un contre-pouvoir visuel légitime et la stigmatisation ou la disqualification, voire la haine, est parfois floue. Néanmoins, l’introduction d’une ou de dimension⸱s idéologique⸱s essentialisante⸱s contribue à transformer le dénigrement en haine. On pense par exemple à la féminisation d’un adversaire politique dans le but de le décrédibiliser ; aux représentations sexistes accompagnant la féminisation du personnel politique depuis 1945 ; aux stéréotypes raciaux auxquels sont régulièrement rappelé⸱e⸱s les candidat⸱e⸱s et les élu⸱e⸱s racisé⸱e⸱s ; etc. (EIRIS, 2001). Parfois ces procédés se conjuguent. Ainsi, comment ces procédés essentialisants et haineux sont-ils mobilisés et croisés en fonction des époques, des émetteur·e·s / émettrices et/ou des espaces afin de s’opposer individuellement et/ou collectivement aux politiques ? Ces procédés restent-ils les mêmes depuis 1945 ou sont-ils amenés à évoluer au fil des décennies et des contextes ?
Axe 3 – Diffusions
Les travaux sur les cultures politiques ont montré le rôle fondamental des productions iconographiques et symboliques dans leur construction (Berstein, 1999). Par conséquent, les images de haine sélectionnées dans le cadre des communications sont-elles destinées à demeurer dans un entre-soi pour constituer un signe de reconnaissance identitaire, comme on les repère dans certains milieux extrémistes ou complotistes – notamment antiféministes, masculinistes, racistes, homophobes, etc. ? Ou invitent-elles à penser la porosité des frontières entre les partis politiques/les mouvances et la circulation des idéologies dans et/ou hors du champ politique ? En effet, ces images ont-elles pour ambition de toucher/touchent-elles un plus large public ? Quels sont les modes de diffusion choisis ? Les diffusions varient-elles en fonction des images / des supports étudié·e·s ? On peut faire l’hypothèse qu’un individu s’affranchit plus facilement des contraintes légales ou de normes morales dès lors qu’il pense faire circuler une image dans un cercle privé. On s’interrogera également sur les éventuelles influences étrangères (États-Unis, Russie, etc.) et donc sur les phénomènes de transfert ou d’hybridation issus ou touchant la France.
De plus, si les violences sexistes, racistes, homophobes, etc. ont toujours existé, elles trouvent, depuis quelques années, un terrain propice à leur expression et développement par le biais des médias sociaux. Par exemple, plusieurs travaux ont mis en évidence – parfois sous couvert d’anonymat – le rôle de l’Internet dans la montée des revendications et discours conservateurs et la banalisation de la violence verbale la plus extrême : sexiste, raciste, homophobe, etc. – parfois en direction des politiques (Albertini et Doucet, 2016 ; Gimenez et Voirol, 2017 ; Longhi et Vernet [coord.], 2023). Avec le développement continu des réseaux sociaux et des outils numériques permettant de manipuler les images hors de tout contrôle, assiste-t-on – à l’instar des discours – à une banalisation de la violence visuelle la plus extrême ? De quelle manière les émetteurs / émettrices et/ou les relayeur·e·s s’accommodent-ils/elles (régulation) ou transgressent-ils/elles la censure de leur temps ? Il conviendrait donc de s’interroger sur le rôle spécifique des modérateurs des comptes de réseaux socionumériques des partis, des institutions publiques, etc. et sur l’évolution de la liberté d’expression et de la censure (Martin, 2022).
Axe 4 – Réceptions
Ce dernier axe s’intéresse aux réceptions de ces images dans le champ politique, ou plus largement dans la société civile. Il s’agira, par conséquent, de mesurer leurs impacts présumés au gré des époques et des contextes : par exemple, peut-on déterminer si l’usage de dimensions idéologiques essentialisantes participe à la dépolitisation ou à la socialisation politique (radicale notamment) des individu·e·s? Ces images favorisent-elles une visibilité accrue des mouvements antiféministes, masculinistes, racistes, homophobes, etc. ? Et/ou sont-elles l’une des causes et/ou des conséquences du rejet grandissant de la démocratie représentative ? Quels sont les rapports des Français·e·s à ces violences intersectionnelles ? Comment les hommes et les femmes politiques répondent-ils / elles publiquement aux images de haine les concernant ? De quelle façon ces réponses sont-elles relatées par la suite dans les médias traditionnels et/ou sociaux ? Ces violences ont-elles une influence sur l’engagement des femmes, des personnes racisées, homosexuelles, transgenres, etc. en politique ?
Pour finir, le mouvement des gilets jaunes – qui s’oriente « vers une critique des institutions de la démocratie représentative, et donc du gouvernement qui en est l’émanation » – a pris à défaut nombre de conceptions de la science politique et de la sociologie du militantisme (Bendali, Challier, Della Sudda et Fillieule, 2019). En effet, contrairement au paradigme dominant de l’action collective, les militant·e·s de ce mouvement – fédéré·e·s par le rejet et la dénonciation des élites économiques, sociales et politiques – ne disposent d’aucune ressource organisationnelle et sont dans leur immense majorité des profanes ou des novices en politique. Le mouvement représente ainsi un lieu d’apprentissage et de politisation pour une grande partie de ses participant·e·s. Par conséquent, en suivant ces mêmes logiques, les images de rejet des politiques amalgamées dans un « Tous pourris ! » – notamment celles mobilisant des dimensions idéologiques essentialisantes – participent-elles aussi in fine au développement d’une nouvelle forme de politisation informelle, dont « les formes, les pratiques, les activités, les expressions qui, faute de bénéficier d’une reconnaissance et d’une légitimité de la part des prescripteurs et des agents les plus influents du champ, sont “rejetées” en dehors de ce champ » (Le Gall, Offerlé et Ploux, 2012) ?
Modalités de soumission
Les propositions d’une longueur de 2000 signes maximum (espaces compris) sont attendues à l’adresse zeller.justine@hotmail.fr
jusqu’au 15 décembre 2024.
Elles doivent contenir une notice bio-bibliographique et indiquer explicitement de quel·s axe·s elles relèvent plus particulièrement, le corpus mobilisé et la période concernée.
Les propositions seront évaluées par le comité d’organisation et scientifique qui fera un retour mi-janvier.
Le colloque aura lieu le 7 avril 2025 à l'université d'Orléans.
Comité d’organisation et scientifique
- Walter Badier, maître de conférences en histoire contemporaine, ÉRCAÉ, INSPE Centre-Val de Loire, Université d’Orléans.
- Maxime Boidy, maître de conférences en études visuelles, LISAA, Université Gustave Eiffel.
- Judith Bonnin, maîtresse de conférences en histoire contemporaine, CEMMC, Université Bordeaux Montaigne.
- Alexandre Borrell, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication, CEDITEC, Université Paris – Est Créteil.
- Noëlline Castagnez, professeure en histoire contemporaine, POLEN, Université d’Orléans.
- Jérémy Guedj, maître de conférences en histoire contemporaine, CMMC, Université Côte d’Azur.
- Claire Hugonnier, maîtresse de conférences en sciences du langage, LIDILEM, Université Grenoble Alpes.
- Pierre Lefébure, maître de conférences en science politique, CERLIS, Université Sorbonne- Paris Nord.
- Martin Lefranc, doctorant en histoire contemporaine, POLEN, Université d’Orléans.
- Laurent Martin, professeur en histoire contemporaine, ICEE, Université de Paris 3 Sorbonne- Nouvelle.
- Anne-Laure Ollivier, docteure en histoire contemporaine, chercheuse associée au laboratoire POLEN, Université d’Orléans.
- Samuel Vernet, maître de conférences en sciences du langage, LPL, Aix-Marseille Université.
- Alexis Vrignon, maître de conférences en histoire contemporaine, POLEN, Université d’Orléans.
- Justine Zeller, post-doctorante en histoire contemporaine, POLEN, Université d’Orléans.
Subjects
- Modern (Main category)
- Society > Political studies > Political science
- Society > Political studies > Political history
- Periods > Modern > Twenty-first century
- Society > Political studies > Political and social movements
- Zones and regions > Europe > France
- Society > Political studies > Political sociology
- Periods > Modern > Twentieth century > 1945-1989
Places
- Orléans, France (45)
Event attendance modalities
Hybrid event (on site and online)
Date(s)
- Sunday, December 15, 2024
Attached files
Keywords
- politique, haine, image, intersectionnalité, France, époque contemporaine
Contact(s)
- Justine Zeller
courriel : zeller [dot] justine [at] hotmail [dot] fr
Information source
- Justine Zeller
courriel : zeller [dot] justine [at] hotmail [dot] fr
License
This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.
To cite this announcement
« Les politiques défiguré·es : une intersectionnalité des haines en images ? », Call for papers, Calenda, Published on Tuesday, October 29, 2024, https://doi.org/10.58079/12l6b