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City symphonies after the city symphony

Après la symphonie urbaine

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Published on Thursday, November 14, 2024

Abstract

 Loin d’être un genre anecdotique dans l’histoire du cinéma, limité à une poignée de films célèbres – Manhatta (1921), Rien que les heures (1926), Berlin : Symphonie d’une grande ville (1927), Pluie (1929), L’homme à la caméra (1929), À propos de Nice (1930) – la symphonie urbaine a continué de susciter l’engouement de nombreux cinéastes à travers le monde du début des années 1930 à nos jours. La symphonie urbaine se caractérise par une absence d’intrigue, de rythme narratif et de personnages, et une structure empruntée aux mouvements de symphonies orchestrales. Cette journée d’étude vise à s’interroger sur l’héritage des symphonies urbaines dans le cinéma postérieur aux années 1930. 

Announcement

Argumentaire

En 1932, à propos des scénarios proposés par les jeunes membres de l’école documentaire britannique, John Grierson écrivait : « Berlin [Walter Ruttmann, 1927] continue à susciter l’enthousiasme des jeunes, et la forme symphonique est toujours parmi eux le genre le plus populaire. Sur cinquante scénarios présentés par les jeunes recrues, quarante-cinq sont des symphonies d'Édimbourg ou d'Ecclefechan ou de Paris ou de Prague » (Grierson 105). Si elle est sans doute exagérée, cette affirmation témoigne néanmoins de l’importance de la symphonie urbaine au-delà des bornes temporelles qu’on lui attribue généralement (1920-1930). Loin d’être un genre anecdotique dans l’histoire du cinéma, limité à une poignée de films célèbres – Manhatta (1921), Rien que les heures (1926), Berlin : Symphonie d’une grande ville (1927), Pluie (1929), L’homme à la caméra (1929), A propos de Nice (1930) – la symphonie urbaine a continué de susciter l’engouement de nombreux cinéastes à travers le monde du début des années 1930 à nos jours.

Outre sa restriction temporelle et thématique, la symphonie urbaine se caractérise par une absence d’intrigue, de rythme narratif et de personnages, et une structure empruntée aux mouvements de symphonies orchestrales. Pour Grierson, cette structuration en mouvements, cette attention portée au rythme et à ses variations, est même la caractéristique principale du genre, qui rompt ainsi avec la tradition romanesque ou théâtrale classique régie par l’intrigue, ou avec l’art pictural classique. L’historien du documentaire Richard Meran Barsam définit d’ailleurs les symphonies urbaines comme des « vues non fictionnelles brèves et réalistes de la vie urbaine, unies au sein d'une structure rythmique [nous soulignons] plus large – une symphonie – par la récurrence d'images, de motifs et de thèmes qui assurent la continuité et la progression des idées » (Barsam 59). Une autre définition proposée par Steven Jacobs, Eva Hielscher et Anthony Kinik considère la symphonie urbaine comme « documentaire expérimental » ayant pour thème « l'énergie, la structure, les complexités et les subtilités d'une ville » (Jacobs et al. 10). Dans leur ouvrage The City Symphony Phenomenon (2018), ils distinguent plusieurs caractéristiques communes à l’ensemble des symphonies urbaines : la place centrale donnée aux icônes de la modernité (ponts mobiles, chantiers, tours et gratte-ciel, cheminées et machines d’usines, appareils de télécommunication…), une attention portée aux contrastes et à la diversité inhérents aux villes modernes, une présence discrète du réalisateur, privilégiant le mode documentaire poétique ou réflexif plutôt qu’expositoire (selon la classification de Bill Nichols), et une photographie caractérisée par la fragmentation, les plans cassés et les perspectives inhabituelles, ainsi qu’un montage rapide ou encore un recours aux split screens, évoquant la frénésie de la vie métropolitaine moderne.

Si Jacobs, Hielscher et Kinik choisissent de classer les symphonies urbaines dans le genre documentaire, d’autres les recensent dans le cinéma d’avant-garde ou le cinéma expérimental. Il est toutefois important de noter que la plupart des symphonies urbaines virent le jour à une époque où la notion de « film documentaire » n'existait pas encore (la première mention de « documentaire » en tant que genre cinématographique date de 1933) et où le cinéma « expérimental » ou « d'avant-garde » n’en était qu’à ses prémices. Par ailleurs, si les théoriciens s’accordent à dire que les symphonies urbaines appartiennent à un genre non-fictionnel, John Grierson, aussi bien que Paul Rotha ou Siegfried Kracauer, considèrent un film comme Rien que les heures (1926) d’Alberto Cavalcanti comme un représentant canonique de la symphonie urbaine, alors même que celui-ci contient de nombreux passages fictionnels et a peu de « valeur documentaire », pour reprendre les termes de Grierson. Pour Nichols (102-105), l’expérimentation poétique des symphonies urbaines et d’autres films d’avant-garde des années 1920 est même à l’origine de la naissance du documentaire en tant que genre cinématographique.

C’est probablement cette labilité formelle de la symphonie urbaine – davantage caractérisée par une représentation sensorielle de la ville que par un cadre formel strict – qui en fait un genre dont la résonance déborde largement le cadre des années 1920-1930. De nombreux films produits après les années 1930 portent ainsi les traces de la symphonie urbaine.

Il en va par exemple de The City (1939), de Ralph Steiner et Willard Van Dyke, Listen to Britain (1942) de Humphrey Jennings, Människor i stad (1947), littéralement « Gens dans la ville », mais distribué sous le titre Symphony of a City, de Arne Sucksdorff, Daybreak Express (1953/8) de D.A. Pennebaker, N.Y., N.Y. (1957) de Francis Thompson, ou encore Broadway By Light (1958) de William Klein. D’autres films, tels que In the Street (1948) de Helen Levitt, Under the Brooklyn Bridge (1953) de Rudy Burckhardt, Bridges-go-round (1958) et Skyscraper (1959) de Shirley Clarke, ou Go ! Go ! Go ! (1962-4), de Marie Menken, s’ils ne dressent pas un portrait d’une ville dans son ensemble, se concentrent sur certains aspects de New York (l’architecture, la circulation, etc.). Plus récemment, le célèbre film expérimental de Godfrey Reggio Koyaanisqatsi : Life Out of Balance (1983), composé d’une succession de plans fixes sans voix-off, centrés sur les ravages d’un monde moderne « déséquilibré », même s’il ne se concentre pas exclusivement sur une ville en particulier ou sur des zones urbaines, pourrait également être considéré comme un héritier de la symphonie urbaine. Depuis la fin des années 2000, plusieurs formes contemporaines de symphonies urbaines ont vu le jour, telles que London Symphony (2017) d’Alex Barrett, A Film about Nice (2010) de Geoffrey Cox et Keith Marley, Finisterre : A Film About London (2003), de Paul Kelly et Kieran Evans, Signal 8 (2019) de Simon Liu, Of Time and the City (2008) de Terence Davies, I Am Belfast (2015) et Stockholm My Love (2017) de Mark Cousins, ou encore London : The Modern Babylon (2008) de Julien Temple. Si les quatre premiers films sont des hommages directs aux symphonies urbaines des années 1920-1930, les suivants sont davantage centrés sur des personnages – fictifs (personnification féminine de Belfast ou personnage, joué par Neneh Cherry, qui guide le spectateur à travers Stockholm chez Cousins) ou réels (Terence Davies lui-même, les artistes londoniens sur lesquels se concentre Julien Temple), et s’éloignent en cela de la forme originale dont ils s’inspirent.

De manière générale, tous les films dits psychogéographiques (dont le déroulement suit les déambulations de personnages, visibles ou acousmatiques, à travers un espace) pourraient, eux aussi, être classés parmi les symphonies urbaines contemporaines, même s’ils suivent eux aussi une certaine logique narrative. Des films comme The London Nobody Knows (1967) de Norman Cohen, qui suit la progression du narrateur joué par James Mason, News from Home (1977) de Chantal Akerman, ou la trilogie de Patrick Keiller London (1994), Robinson In Space (1997) et Robinson In Ruins (2010) en sont des exemples représentatifs.

Dans le domaine de la fiction, enfin, certains films ont pu intégrer des caractéristiques stylistiques de la symphonie urbaine. L’ouverture de Manhattan (1979) de Woody Allen, Deux ou trois choses que je sais d’elle (1967) de Jean-Luc Godard, et plus généralement les films des nouvelles vagues (néoréalisme italien, free cinema britannique, nouvelle vague française, nouvel Hollywood), dressent un portrait des villes et de la vie urbaine contemporaine. L’héritage formel des symphonies urbaines, en particulier la forme symphonique, la construction en mouvements et la dimension rythmique, a toutefois été peu exploité dans le cinéma narratif contemporain. Pour Andréa Franco, Benjamin Léon et Nicolas Tixier (2021), il est aujourd’hui nécessaire de s’interroger sur la capacité du médium cinématographique à dépeindre les villes contemporaines comme le faisaient les symphonies urbaines, du fait de la déconnexion entre les différents espaces, la prolifération de nouveaux centres ou encore la virtualisation de la force de travail.

Selon eux, la relation entre la ville et le film est encore trop souvent envisagée selon une pratique de la réalité qui reste principalement ancrée au XXe siècle, et il s’agit de se tourner vers les nouvelles figurations contemporaines de l’inscription du cinéma dans la ville post-moderne, comme le fait l’essai filmique de Thom Andersen, Los Angeles Plays Itself (2003). Par ailleurs, la mise en forme symphonique de la ville a aussi pu connaître de nouvelles résurgences dans le pur rythme visuel du cinéma d’animation ou dans l’hybridation entre dessins et prises de vues urbaines réelles (City of Lights, Daan Verbiest et Teun van der Zalm, 2007 ; Une ville, Emmanuel Bellegarde, 2009).

Cette journée d’étude visera donc à s’interroger sur l’héritage des symphonies urbaines dans le cinéma postérieur aux années 1930. Les propositions de communication pourront s’inscrire dans les axes de réflexion suivants (liste non-exhaustive) :

  • Héritage et résurgences du genre de la symphonie urbaine après les années 1930 dans le cinéma d’avant-garde, le cinéma documentaire (par exemple les documentaires olympiques officiels) et le cinéma expérimental
  • Le cinéma psychogéographique comme manifestation de la symphonie urbaine
  • Influence de la symphonie urbaine dans le cinéma narratif ou insertion de séquences inspirées par les symphonies urbaines dans des films de fiction
  • Hommages au genre délimité de la symphonie urbaine ou, au contraire, créations en-dehors du canon
  • Nouveaux modes de représentation de la ville au XXIe siècle
  • Convergences entre symphonies urbaines et genres musicaux, notamment dans le clip
  • Regards personnels contemporains sur la ville et la vie urbaine (regards de personnes immigrées ou d’expatriées, ou encore portrait d’artistes associés à une ville)
  • Symphonies urbaines sur des villes du Sud global
  • La symphonie urbaine dans le film d’animation

Conditions de soumission

Merci d’envoyer vos propositions (en français ouen anglais), résumé de 300 mots maximum et courte notice bio-bibliographique,

avant le 31 janvier 2025

à anita.jorge@univ-tlse2.fr, zachary.baque@univ-tlse2.fr et vincent.souladie@univ-tlse2.fr.

Responsables scientifiques

  • Zachary Baqué (Université Toulouse Jean Jaurès, CAS)
  • Anita Jorge (Université Toulouse Jean Jaurès, CAS)
  • Vincent Souladié (Université Toulouse Jean Jaurès, PLH)

Bibliographie

Barsam, Richard Meran. Non-fiction Film : A Critical History. Bloomington : Indiana University Press, 1992.

Benjamin, Walter. L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Traduit par Maurice de Gandillac. 1936. Reprint, Paris : Allia, 2003.

Château, Dominique. « Le rôle de la musique dans la définition du cinéma comme art  : à propos de l’avant-garde des années 20 ». Cinémas 3, no 1 (8 mars 2011) : 7894.

Franco, Andrea, Benjamin Léon, et Nicolas Tixier. « Symphonies urbaines à rebours ». La Furia Umana Tracer les villes / Track the Cities, no 40 (mars 2021).

Gaudin, Antoine. « La Grande Ville comme proposition formelle  : des symphonies urbaines du muet aux vidéoclips contemporains, l’évolution d’une musique des images ». In Professionnalisation des métiers des arts, de la culture et des médias suivi de Art, ville, images, Abdelbaki Belfakih et Bruno Péquignot dir. Questions contemporaines. Paris : L’Harmattan, 2018.

Gauthier, Guy, Marie-Thérèse Gauthier et Daniel Sauvaget. Le documentaire, un autre cinéma : histoire et création. 5e éd. Paris : Armand Colin, 2015.

Ghent Urban Studies Team, dir. The Urban Condition : Space, Community, and Self in the Contemporary Metropolis. Rotterdam : 010 Publishers, 1999.

Grierson, John. « First principles of documentary ». Grierson on Documentary, 1966, 14556.

———. « The Symphonic Film ». Cinema Quarterly 2, no 3 (Printemps 1934) : 15559.

Hansen, Miriam. Cinema and Experience : Siegfried Kracauer, Walter Benjamin, and Theodor W. Adorno. Weimar and Now : German Cultural Criticism 44. Berkeley : University of California Press, 2012.

Jacobs, Steven, Anthony Kinik, et Eva Hielscher. The City Symphony Phenomenon : Cinema, Art, and Urban Modernity Between the Wars. New York : Routledge, 2019.

Jousse, Thierry, et Thierry Paquot, dir. La ville au cinéma : encyclopédie. Paris : Cahiers de Cinéma, 2005.

Koeck, Richard. Cine-Scapes : Cinematic Spaces in Architecture and Cities. Londres : Routledge, 2012.

Kracauer, Siegfried. Theory of Film : The Redemption of Physical Reality. 1960. Reprint, Princeton : Princeton University Press, 1997.

Nichols, Bill avec Jaimie Baron. Introduction to Documentary. 4e éd. Bloomington : Indiana University Press, 2024.

Simmel, Georg. « The Metropolis and Mental Life ». In Georg Simmel on Individuality and Social Forms, David N. Levine., 32439. Chicago : University of Chicago, 1971.

Event attendance modalities

Full on-site event


Date(s)

  • Friday, January 31, 2025

Keywords

  • cinéma, symphonies urbaines, documentaire, expérimental, ville

Contact(s)

  • Vincent Souladié
    courriel : vincent [dot] souladie [at] univ-tlse2 [dot] fr
  • Anita Jorge
    courriel : anita [dot] jorge [at] univ-tlse2 [dot] fr
  • Zachary Baqué
    courriel : zachary [dot] baque [at] univ-tlse2 [dot] fr

Information source

  • Vincent Souladié
    courriel : vincent [dot] souladie [at] univ-tlse2 [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« City symphonies after the city symphony », Call for papers, Calenda, Published on Thursday, November 14, 2024, https://doi.org/10.58079/12oid

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