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Activismes latino-américains en temps de crise(s)
Acteurs, espaces d’intervention et modes d’action aux XXe et XXIe siècles
Published on Wednesday, November 20, 2024
Abstract
Ce colloque a pour objectif de susciter des discussions sur les crises latino-américaines récentes. Comment les acteurs et les actrices politiques et sociaux se positionnent-ils·elles face aux crises contemporaines ? Quelles solutions — temporaires ou durables — proposent-ils·elles ? Les activismes se redéfinissent-ils et se réactualisent-ils au moyen de stratégies novatrices ? Dans quelle mesure ces pratiques sont-elles imprégnées de l’héritage activiste des décennies précédentes ? Ces questions visent à approfondir notre compréhension des dynamiques activistes, en examinant non seulement les contextes actuels mais aussi les continuités et les ruptures avec les formes d’activisme passées.
Announcement
Argumentaire
Les victoires électorales de Jair Bolsonaro au Brésil en 2018, de Nayib Bukele au Salvador en 2019, de Daniel Noboa en Équateur en 2023 ou encore de Javier Milei en Argentine la même année, illustrent une crise des démocraties en Amérique latine, exacerbée par des périodes de récession économique persistante. Ces cas nationaux sont particulièrement significatifs pour la région et pour le monde, notamment en raison de l'utilisation stratégique des réseaux sociaux par ces candidats conservateurs et libéraux. Néammoins, ce ne sont pas les seuls pays d’Amérique latine qui ont connu des crises au cours de ces dernières années. Parmi les principaux bouleversements du nouveau millénaire, on peut citer la crise politique de 2012 au Paraguay, déclenchée par la destitution du président Fernando Lugo par le Sénat ou encore la crise économique de 2014 au Brésil et au Venezuela. Le Venezuela a aussi été marqué par une période d'instabilité institutionnelle à partir des élections législatives de 2015 qui débouchent finalement sur la présidence autoproclamée et par intérim de Juan Guaidó en 2019. Plus récemment, la crise sociale de 2018 au Nicaragua contre la réforme des retraites, la crise postélectorale en Bolivie, l'estallido social de 2019 au Chili suivi d'une crise constitutionnelle en 2023, les manifestations de 2021 en Colombie connues sous le nom de Paro Nacional, et les mobilisations péruviennes impulsées par l'arrivée controversée au pouvoir de Dina Boluarte, témoignent de ces dynamiques. Au XXIe siècle, la crise s’est aussi illustrée par des enjeux environnementaux et par la pandémie de coronavirus. Cette dernière a notamment donné lieu, en 2021, à une vague de manifestations connue sous le nom de 11 de Julio à Cuba.
Les crises sont souvent protéiformes et impliquent nécessairement une perturbation puis une rupture et une reconfiguration aux échelles locale, régionale, nationale et internationale. Issu du latin krisis, le terme est enraciné dans le lexique médical. En effet, comme le relève Natacha Ordioni , la crise renvoie à une phase essentielle de la maladie où le médecin doit juger de sa gravité et proposer un traitement qui mènera, soit à la guérison, soit à l’issue fatale. En revanche, au XVIIe siècle, le terme de crise a connu, selon Reinhart Koselleck, un élargissement sémantique afin d’englober, de manière métaphorique, différentes sphères de la vie sociale et ainsi acquérir une signification historique. En Amérique latine, le vocable permet notamment de désigner les vagues révolutionnaires qui sont, jusqu’au XIXe siècle, à l'origine de perturbations à plusieurs niveaux, aussi bien économiques que politiques. Au XXe siècle, l’économiste argentin Raúl Prebisch redéfinit le concept en l’appliquant, cette fois-ci, aux périodes de récession des années 1930. Enfin, la crise est désormais employée comme un terme qui se réfère aux instabilités financière, politique et sociale de l’époque contemporaine.
Au XXIe siècle, et particulièrement dans le contexte actuel post ou préélectoral, la région semble connaître une crise des partis dits traditionnels, menant à une méfiance généralisée envers les institutions. De nouvelles figures publiques, qui prônent une rupture radicale au moyen de méthodes présentées comme novatrices, apparaissent sur l’échiquier politique, développent de nouveaux discours et produisent de nouvelles dynamiques contestataires. Des réseaux activistes s'organisent de manière multiscalaire, dans le but de renforcer les mouvements d'opposition. Si certains chercheurs et certaines chercheuses parlent de militantisme, nous privilégions ici le terme d'activisme, introduit dans la langue française dans son sens politique en 1916 et dont l'aspect novateur a été soulevé dans plusieurs travaux. Nora Garita envisage les activismes comme de nouvelles formes de militantismes, tandis que Nicolas Douay et Maryvonne Prévot les qualifient de « nouveaux mouvements [qui] ne s’inscrivent plus dans l’héritage direct des formes pratiques et idéologiques de leurs prédécesseurs ». Contrairement aux formes traditionnelles de militantismes, les activismes ne requerraient pas nécessairement une affiliation durable des acteurs et des actrices à une organisation politique. En effet, les prises de position peuvent être ponctuelles, s’inscrivant souvent dans un contexte de crise économique, politique ou sociale spécifique. Cette approche soulève des préoccupations quant à l’émergence d'un engagement potentiellement déstructuré, morcelé, voire une tendance à la décollectivisation des luttes. Cependant, on peut également envisager cette forme de participation citoyenne, accessible et directe, comme le reflet d’un désir de provoquer une transformation immédiate et effective des sociétés. Chaque individu aurait ainsi la possibilité d’exprimer son opinion et de prendre part aux débats publics de son temps dans des périmètres d’intervention qui ne se limitent plus à des espaces formels. De nouveaux lieux, communautaires et festifs, par exemple, sont investis et réappropriés par les activistes. En outre, les activismes présentent l'avantage de proposer des modes d’action plus diversifiés et spontanés. En témoignent les activismes artistiques, dont les premières manifestations sont observées dans les années 1960, en lien avec des événements tels que la Guerre du Vietnam, les mobilisations étudiantes comme celle de Mai 1968, les luttes écologistes ou encore l’engagement pour la libération sexuelle. L'activisme artistique a toutefois été théorisé dans les années 1990 aux États‑Unis, notamment par Nina Felshin , qui le conçoit comme un phénomène visant à concilier l'objet d'art et la vie publique. À travers une multiplicité de pratiques telles que le graffiti, le muralisme, le dessin, la performance, le théâtre, la poésie, la musique ou encore le fanzine, les artistes activistes latino-américains tentent alors de concurrencer les discours officiels et d’organiser des lieux de délibération politique dans l’espoir de contribuer à la transformation sociale.
En période de crise, la question de la pérennité des activismes se pose également. En effet, dans une époque où la satisfaction des besoins primaires constitue la principale préoccupation d’une part importante de la population, quels espaces économique, temporel, y compris mentaux restent-t-il pour la protestation ? Les mobilisations qui ont lieu dans les capitales et les grandes villes sont-elles les seuls indicateurs de la puissance des mouvements contestataires ? Qu’en est-il des initiatives plus réduites telles que les assemblées de quartier ou les rassemblements de communautés autochtones et afro-descendantes notamment établies dans les zones rurales ? Enfin, à l’ère du numérique, la circulation des activismes s’est-elle déplacée vers les cyberespaces ?
Bien que ce colloque ait pour objectif de susciter des discussions sur les crises latino-américaines récentes, nous souhaitons également explorer les modalités des activismes du siècle passé. L’abord de certains cas se prête en effet à l’association de perspectives synchronique et diachronique, ou à la mise à jour de généalogies. De telles perspectives invitent également à interroger l’évolution de la figure de l’activiste. Comment les acteurs et les actrices politiques et sociaux se positionnent-ils·elles face aux crises contemporaines ? Quelles solutions — temporaires ou durables — proposent-ils·elles ? Les activismes se redéfinissent-ils et se réactualisent-ils au moyen de stratégies novatrices ? Dans quelle mesure ces pratiques sont-elles imprégnées de l’héritage activiste des décennies précédentes ? Ces questions visent à approfondir notre compréhension des dynamiques activistes, en examinant non seulement les contextes actuels mais aussi les continuités et les ruptures avec les formes d'activisme passées.
L'analyse des enjeux et des limites des activismes latino-américains nous conduira à définir les formes, les discours et les langages élaborés par les différent·es acteurs et actrices. C'est pourquoi nous faisons appel aux chercheurs et aux chercheuses spécialisé·es dans les études hispaniques et hispano-américaines, les études culturelles, les études de genre, l’histoire de l’art, les sciences politiques, les sciences économiques, la sociologie et l’anthropologie.
Quelques axes thématiques non limitatifs qui pourront faire l’objet de questionnements :
Axe 1. Activismes en mutation
Les activismes latino-américains peuvent être abordés depuis une perspective historique. Comment ces pratiques sociales se sont-elles transformées et adaptées au fil des décennies ? De quoi les activismes actuels ont-ils hérité et quelles ruptures ont marqué leur évolution d'une époque à une autre ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de se pencher sur le XXe siècle. Les périodes de dictatures, comme au Brésil (1964-1985), au Chili (1973-1990), en Uruguay (1973-1985), en Argentine (1976-1983) ou au Guatemala (1982-1985), ont notamment, entraîné la répression systématique des activismes. Quelle place occupaient alors les acteurs et les actrices de l’opposition ? Comment s’est organisée la résistance ? Ces périodes de crises pourront également être analysées au prisme de de la mémoire et/ou des réinterprétations dont elles font l’objet.
Axe 2. Manifestations, marches et rassemblements
Dans le cadre de l'espace public, les mouvements activistes se matérialisent à travers des rassemblements destinés à porter diverses revendications, telles que l'égalité des droits entre les femmes et les hommes, les droits humains et la mémoire des dictatures ou encore la préservation de l’environnement. Ces événements voient converger une multitude de groupes autour d'une cause commune, comme en témoignent les marches féministes organisées chaque 8 mars dans différents pays de la région. Bien que les manifestations soient une pratique traditionnelle des mouvements activistes, les récentes avancées électorales des candidats conservateurs en Amérique latine suscitent des interrogations sur la récupération de stratégies activistes par ces groupes politiques et leurs partisans. Un exemple révélateur est celui du 1er mars 2024, où deux rassemblements antagonistes se sont tenus simultanément face au Congrès argentin : d'un côté, des groupes de gauche dénonçant la politique gouvernementale, et de l'autre, des militants soutenant le parti présidentiel « La libertad avanza ». Par ailleurs, dans des contextes de crises économiques, sociales et de recomposition politique, la durabilité des mouvements activistes est remise en question. Il existe un risque de saturation ou d'essoufflement qui incite les différents groupes concernés à adopter des stratégies diverses pour maintenir leur dynamisme.
Axe 3. Activismes artistiques
Les crises du début de siècle telles que la crise économique, politique et sociale de 2001 en Argentine a entraîné la redéfinition des paysages urbains et ruraux par une nouvelle génération d’activistes. La jeune population a investi une série de pratiques et de techniques comme le graffiti, le pochoir, la pintada política et le muralisme afin de porter ses revendications et mettre en lumière les défis du XXIe siècle. Néanmoins, on observe depuis quelques années une répression grandissante de ces interventions de rue, qu’elles soient partisanes ou non. L’adoption du Code de Cohabitation Urbaine, le 3 novembre 2021, par l’ancien maire de La Plata (Argentine) en est un exemple. La campagne présidentielle uruguayenne de 2024 a également fait émerger une quantité impressionnante de pintadas políticas destinées à soutenir les candidats en lice pour les élections de novembre. La transformation récente de l’échiquier politique à l’échelle continentale, notamment marquée par l’avancée des partis conservateurs, s’accompagne-t-elle d’une nouvelle utilisation des interventions de rue ? En quoi les murs des villes reflètent-ils les évolutions de cette nouvelle ère politique ?
Axe 4. Féminismes et inclusivité
L'Amérique latine a vu émerger le mouvement argentin « Ni una menos » en 2015. Ce mouvement a également soutenu les initiatives législatives en faveur de la dépénalisation de l'avortement, notamment en Uruguay, au Mexique et en Argentine. En revanche, dans d’autres pays comme le Guatemala, une loi prévoyant une peine de dix ans de prison pour les personnes cherchant à avorter a été présentée en 2022 avant d’être abandonnée. Les droits de la communauté LGBT+ sont aussi mis en péril sur plusieurs territoires. Au Pérou, en 2024, un décret suprême voué à mettre à jour le Plan Esencial de Aseguramiento en Salud a notamment déclaré la transidentité comme un « problème de santé mentale ». Les membres de différents groupes LGBT+ ont alors protesté devant le Ministère de la Santé le 17 mai 2024, à l’occasion de la Journée Internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, muni·es de pancartes et vêtu·es de blouses rouges et de masques chirurgicaux. Les dissentions, en outre, émaillent aussi les cercles activistes eux-mêmes, sujets à des divisions internes. En témoignent les débats, en Argentine, autour de la position à adopter vis-à-vis des disparu·es homosexuel·les de la dernière dictature militaire – que certain·es aimeraient dénombrer et commémorer de façon plus spécifique, tandis que d’autres soulignent le risque qu’il y aurait, ce faisant, à constituer les années dictatoriales en une période d’exception trop peu fidèle à ce que fut la continuité de la persécution vécue par cette population, d’un régime politique à l’autre.
Le colloque se tiendra le 22 mai dans les locaux de Sorbonne Université et le 23 mai dans ceux de l’Université Gustave Eiffel. L’Université Bordeaux Montaigne est également partenaire de la manifestation scientifique. Les laboratoires associés sont Ameriber (Amérique latine, Pays ibériques ; composantes SIRENH et CHISPA) ; le CRIMIC (Centre de Recherches Interdisciplinaires sur les Mondes Ibéro-américains Contemporains, axe IBERHIS) et le LISAA (Littératures, Savoirs et Arts ; équipe EMHIS).
Modalités de soumission
Les propositions de communication, rédigées en français, en espagnol ou en portugais devront comporter :
- Le nom et l’adresse mail du communicant ou de la communicante
- La ou les affiliations institutionnelles
- Le titre de la communication
- Un résumé de la communication de 500 mots maximum
- Une présentation bio-bibliographique succincte de 200 mots maximum
Les propositions seront envoyées à l’adresse mail suivante : colloque.activismes@gmail.com
avant le 19 janvier 2025
Comité organisateur
- Aurélia Gafsi, Sorbonne Université
Marie Lorinquer-Hervé, Université Bordeaux Montaigne
Caroline Prévost, Université Gustave Eiffel
Lise Segas, Université Bordeaux Montaigne
Comité scientifique
- Cecilia González Scavino, Université Bordeaux Montaigne
Françoise Martinez, Sorbonne Université
Kevin Parthenay, Université de Tours, Institut Universitaire de France, Sciences Po
Andrea Otero Perdomo, Université Gustave Eiffel
Nadia Tahir, Université de Caen Normandie
Subjects
- America (Main category)
- Periods > Modern > Twentieth century
- Periods > Modern > Twenty-first century
- Zones and regions > America > Latin America
- Mind and language > Representation
Places
- Sorbonne Université et Université Gustave Eiffel
Paris, France (75)
Event attendance modalities
Full on-site event
Date(s)
- Sunday, January 19, 2025
Attached files
Keywords
- activismes, Amérique latine, crises, XXe siècle, XXIe siècle
Contact(s)
- organisateur Comité
courriel : colloque [dot] activismes [at] gmail [dot] com
Information source
- Caroline Prévost
courriel : caroline [dot] prevost [at] univ-eiffel [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Activismes latino-américains en temps de crise(s) », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, November 20, 2024, https://doi.org/10.58079/12q1e