StartseitePoétiques du décentrement
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Veröffentlicht am Mittwoch, 20. November 2024

Zusammenfassung

Cet ouvrage collectif se propose d’étudier les poétiques du décentrement dans la littérature moderne, en cherchant à démontrer comment les auteurs remettent en question les structures traditionnelles pour déployer des perspectives nouvelles et subversives. À travers différentes contributions, il s’agit de montrer comment cette esthétique du déplacement, du flou et de l’instabilité imprègne les œuvres littéraires, et révèle un malaise existentiel, un éclatement de soi et une création des formes alternatives d’être au monde.

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Argumentaire

Le mot « décentrement » est dérivé du verbe « centrer », lui-même issu du latin « centrum », auquel est ajouté le préfixe privatif « dé ». Il renvoie également à des notions telles que « déséquilibre, décloisonnement, désenclavement, défiguration, déliaison », qui, par leur préfixe, évoquent toutes la déviation, la rupture et l’écart. Ce concept se manifeste non seulement dans les pensées des auteur-e-s, mais aussi dans les modes de représentation littéraire, les voix narratives et les structures temporelles. 

Chez Montaigne, le décentrement préoccupe sa réflexion sur la condition humaine, la connaissance, et la relativité des cultures. Dans ses Essais, il développe une pensée sceptique qui remet en question les certitudes de son époque, notamment celles de l’universalité des valeurs et des vérités. Montaigne rejette les dogmes rigides et prône une approche réflexive et personnelle du savoir. Son scepticisme est une forme de décentrement épistémologique. Dans ses Essais, il s’observe lui-même en tant qu’objet d’étude, mais ce « je » n’est pas un sujet stable ; il est constamment en mouvement, incertain et changeant. Cette instabilité est essentielle dans la remise en question de l’homme comme centre fixe de l’univers.

Diderot, quant à lui, aborde dans Jacques le fataliste, le décentrement à travers la narration et le dialogue, où il remet en question la linéarité du récit et l’autorité de l’auteur. Il défend une conception du monde où la contingence et le hasard sont déterminants, ce qui conduit à une pensée plus libre et affranchie des dogmes. 

Les écrivains modernes, en réponse à la crise des valeurs et à l’éclatement des certitudes (la mort de Dieu au sens de Nietzsche), mettent en scène un sujet en perpétuelle déstabilisation, un être en quête de sens dans un monde devenu fragmenté et souvent absurde. L’intérêt d’un tel concept dans l’analyse littéraire réside dans sa capacité à éclairer les mutations profondes qui ont affecté la littérature moderne et contemporaine, en particulier le roman.

Dans ce cadre, l’œuvre littéraire se présente comme un terrain privilégié pour une étude du décentrement. Marquée par une rupture avec les conventions narratives et esthétiques classiques, elle interroge les thèmes de la subjectivité, du temps, et de la représentation de la réalité. Le décentrement y apparaît à travers la fragmentation des récits, la multiplicité des voix narratives, et l’effacement progressif du « je » narratif au profit d’une pluralité essentielle. Des auteurs comme Marcel Proust, Samuel Beckett, Nathalie Sarraute, ou encore Marguerite Duras, ont souligné cette dynamique en subvertissant les structures linéaires et en proposant des récits où l’unité du sujet s’efface au profit d’une polyphonie ou d’une discontinuité narrative.

Cet ouvrage collectif se propose d’étudier les poétiques du décentrement dans la littérature moderne, en cherchant à démontrer comment les auteurs remettent en question les structures traditionnelles pour déployer des perspectives nouvelles et subversives. À travers différentes contributions, il s’agit de montrer comment cette esthétique du déplacement, du flou et de l’instabilité imprègne les œuvres littéraires, et révèle un malaise existentiel, un éclatement de soi et une création des formes alternatives d’être au monde.

L’esthétique du décentrement et la crise du sujet

L’esthétique du décentrement s’exprime à travers une fragmentation du discours narratif. Ce décentrement n’est pas seulement une technique narrative, mais une manière d’interroger la possibilité même de raconter et de saisir l’histoire dans sa cohérence et sa continuité narrative. Des auteurs comme Flaubert (Madame Bovary), Maupassant (Boule de Suif), Beckett (Molloy) et Marguerite Duras (L’Amant) interrogent la stabilité du sujet à travers des récits intérieurs, où les voix se multiplient et s’entrecroisent. 

Le décentrement dans la littérature est le lieu de la remise en question de l’identité du sujet. Les récits modernes se caractérisent par une fragmentation du moi et une dissolution des frontières entre soi et autrui (La Modification de Michel Butor ou Cette voix de Robert Pinget) à l’encontre d’un espace-temps précis et d’une voix omnisciente et stable. Les écrivains privilégient des récits où la narration est éclatée entre plusieurs points de vue. Cette polyphonie narrative, au sens de Bakhtine, participe à une déstabilisation du lecteur, qui doit sans cesse réajuster sa perception du récit. Beckett, dans ses textes romanesques, incarne cette stratégie par un entrecroisement des voix qui déconstruit la linéarité du récit, et rend visible l’instabilité des perspectives (L’Innommable). Le sujet est sans cesse décentré, à la recherche de repères dans un monde où le sens semble se dérober. Il ne s’affirme pas en tant que sujet cartésien mais se veut un être qui vit mal son identité. Le décentrement de l’identité est ainsi lié à une perte de contrôle du temps, du corps et de la conscience, comme dans La Nausée de Jean-Paul Sartre, où le protagoniste Roquentin est déstabilisé par la contingence étrange devant les phénomènes du monde sensible.

L’espace et le décentrement géographique

Ce décentrement est l’espace d’une altérité essentielle qui rime avec une étrangeté de soi. D’un point de vue esthétique, le décentrement permet de revisiter de nombreuses œuvres à travers le prisme d’une critique radicale du réel. Dans une perspective post-moderne, le décentrement peut également servir de grille d’analyse pour les formes contemporaines qui expriment ou représentent la déterritorialisation (Deleuze), le dévidement, le désœuvrement et le désastre (Blanchot), l’oubli (Ricoeur), la ruine, ou encore l’amnésie.

Les auteurs modernes choisissent de décentrer leurs récits sur le plan géographique, que ce soit en mettant en scène des exils, des voyages ou des espaces liminaires. Albert Camus, dans L’Étranger, situe son récit dans une Algérie coloniale, espace hybride où le personnage de Meursault est étranger non seulement à son environnement, mais aussi à lui-même. De même, Franz Kafka (Le château) inscrit son personnage Joseph K dans un questionnement sur l’expérience de l’altérité et du déracinement. Ici, le décentrement est synonyme de « nomadisme circulaire » au sens qu’Edouard Glissant confère à cette notion.

Le décentrement temporel

L’esthétique du décentrement se traduit également dans la manipulation du temps. Plutôt que de suivre une temporalité linéaire, les récits modernes fragmentent le temps, le déconstruisent, ou le présentent sous forme de flux discontinus. Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu est l’un des premiers romanciers à déconstruire le temps linéaire à travers ce qu’il appelle « la mémoire involontaire ». Dans La Jalousie d’Alain Robbe-Grillet et Cette voix de Robert Pinget, l’absence d’une chronologie fixe et la reprise des événements sous des angles différents renforcent l’idée d’une temporalité éclatée. L’incertitude temporelle répond ainsi à l’impuissance du langage à homogénéiser les parties disparates de l’expérience humaine et à définir un sens ou une vérité dans un monde où règne l’incertain et le diffus. 

Le décentrement éthique et l’abjection

Mais le décentrement s’accompagne souvent d’un déplacement des cadres éthiques et moraux. En repoussant les frontières de la représentation, les écrivains s’intéressent à des sujets qui se trouvent à la marge de la société. L’abjection, au sens de Julia Kristeva, devient un thème récurrent dans les récits où le corps, la sexualité et la mort sont traités avec une crudité nouvelle. Dans Le Mort de Georges Bataille, par exemple, la mort et l’érotisme se conjuguent dans une esthétique de la transgression qui défie les normes éthiques et sociales. C’est également le cas de La Maladie de la mort de Marguerite Duras où le personnage est incapable d’aimer l’autre et d’entretenir un rapport érotique.

Dans sa réalité fuyante et indécidable, le décentrement est l’espace d’une lecture esthétique et épistémologique qui nous permettra de penser autrement le monde. 

Axes de réflexion

  • Le décentrement comme détachement de / à soi.
  • Décentrement, altérité et nomadisme.
  • Décentrement, politique et (im)partialité.
  • Décentrement, genre et sexualité.
  • Décentrement et perception visuelle.
  • Le décentrement et sa réception critique.
  • Décentrement et philosophie de l’Histoire.

Modalités de soumission

Merci de faire parvenir vos propositions avec un titre et une brève bio-bibliographie, à saberraddaoui@yahoo.fr,

avant le 15 décembre 2024

Calendrier 

  • Date limite de soumission des résumés : 15 décembre 2024
  • Notification d’acceptation : 20 décembre 2025
  • Envoi des articles : Fin février 2025
  • Avis du comité : 15 février 2025
  • Envoi des articles après rectifications : 15 mars 2025
  • Publication : Avril 2025

Comité scientifique 

  • Abderrazak Sayadi
  • Alexis Lussier
  • Badreddine Ben Henda
  • Bruno Clément
  • Hassen Bkhairia
  • Mohamed Chagraoui
  • Nizar Ben Saad

Coordinateurs du projet 

  • Saber Raddaoui
  • Hassen Bkhairia

Bibliographie sélective

Bataille, Georges, Le Mort. Gallimard, 1967.

Blanchot, Maurice, L’écriture du désastre, Gallimard, 180.

Blanchot, Maurice, L’Entretien infini. Gallimard, 1969.

Butor, Michel, La Modification. Gallimard, 1957.

Camus, Albert, L’Étranger. Gallimard, 1942.

Cixous, Hélène, Ruines bien rangées, Paris : Gallimard, 2020.

Collot, Michel, Pour une géographie littéraire, Paris : José Corti, 2014.

Conrad, Joseph, Au cœur des ténèbres. 1899.

Dällenbach, Lucien, Le récit spéculaire, Essai sur la mise en abyme, Seuil, 1977.

Descola, Philippe, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005.

Duras, Marguerite, La Maladie de la mort. Minuit, 1982.

Gagnon, Éric, « Décentrements. Sur la portée éthique de l’œuvre de Claude Lévi-Strauss », Revue d’éthique et de théologie morale, 2010/2 (n° 259), pp. 53-71.

Glissant, Edouard, Poétique de la Relation, Gallimard, 1990.

Guattari, Félix, Chaosmose, Galilée, 1992.

Kristeva, Julia, Étrangers à nous-mêmes, Folio essai, 1991.

Kristeva, Julia, Pouvoirs de l’horreur. Essai sur l’abjection. Seuil, 1980.

MAURIAC, Claude, L’Alittérature contemporaine, Albin Michel, 1958.

Proust, Marcel, À la recherche du temps perdu. Gallimard, 1913-1927.

Rabaté, Dominique, Vers une littérature de l’épuisement, J. Corti, 1991.

Raimond, Michel, La crise du roman, J. Corti, 1991.

Sarraute, Nathalie, l’Ère du soupçon, Gallimard, 1956.

Triaire, Sylvie, Une esthétique de la déliaison. Flaubert 1880-1880, H. Champion 2002.

Wolf, Nelly, Une littérature sans histoire, essai sur le Nouveau roman, Droz, 1995.

Zéraffa, Michel, Personne et personnage, l’évolution esthétique du réalisme de 1920 à 1950, Klincksieck, 1969.

Bkhairia, Hassen, Farhat Mokthar, Lacoste Francis, (dir.), L’esprit de système, Publications de l’Institut supérieur des études appliquées en Humanités de Tozeur, 2017.

Orte

  • Gafsa Cité des Jeunes - Institut Supérieur des Etudes Appliquées en Humanités de Gafsa:
    Gafsa, Tunesien (2133)

Daten

  • Sonntag, 15. Dezember 2024

Schlüsselwörter

  • littérature, décentrement, langage, poétique, espace, temps, identité, marge, nomadisme

Kontakt

  • Saber Raddaoui
    courriel : saberraddaoui [at] yahoo [dot] fr

Informationsquelle

  • Saber Raddaoui
    courriel : saberraddaoui [at] yahoo [dot] fr

Lizenz

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Zitierhinweise

« Poétiques du décentrement », Beitragsaufruf, Calenda, Veröffentlicht am Mittwoch, 20. November 2024, https://doi.org/10.58079/12q1h

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