HomeBourdieu et la philosophie

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Published on Friday, November 22, 2024

Abstract

Ce colloque a pour objectif de faire le bilan des nombreux travaux portant sur le rapport de Bourdieu à la philosophie, ainsi que sur les relations entre les philosophes et l’œuvre de Bourdieu. Nous souhaitons en faire un espace de discussion ouvert et interdisciplinaire, rassemblant des chercheurs et chercheuses en sciences humaines intéressés par Bourdieu et, plus largement, par les relations entre philosophie et sociologie.

Announcement

15 et 16 mai 2025

Argumentaire

Introduction

Depuis une dizaine d’années, l’œuvre de Bourdieu suscite un intérêt croissant en philosophie. On observe en effet le développement de lectures de ses travaux qui tantôt mettent en lumière les origines philosophiques de certains de ses concepts, comme celui d’habitus, tantôt soulignent la portée philosophique de sa sociologie. Des rapprochements sont également établis entre la pensée de Bourdieu et divers courants de la philosophie, notamment la phénoménologie et le pragmatisme, ainsi qu’avec certains auteurs classiques tels que Spinoza. Cet ensemble de travaux invite à s’interroger dans plusieurs directions.

Tout d’abord, on peut souhaiter clarifier le rôle de la philosophie comme tradition et discipline instituée dans la sociologie de Bourdieu. Bien qu’il se soit toujours montré très critique envers sa discipline d’origine, Bourdieu a laissé à la philosophie une place importante dans son œuvre, que ce soit en tant que source de concepts et pourvoyeuse d’interlocuteurs ou comme objet d’analyse sociologique. Mais il convient aussi de se demander ce qu’il advient chez Bourdieu de la philosophie comme pratique, qu’il critique longuement pour la façon dont elle s’extrait du monde pour le contempler du dehors, de manière surplombante : est-elle définitivement abandonnée ou bien se transforme-t-elle sous l’effet de la critique et de la pratique d’enquête de terrain de la sociologie ? 

Par ailleurs, on peut s’interroger sur la manière dont la philosophie aborde l’œuvre de Bourdieu. Quelles sont les raisons et les modalités de la réintroduction de Bourdieu dans le champ philosophique contemporain ? Plus largement, qu’apportent les philosophes à la lecture de Bourdieu et, en retour, quels sont les effets de cette lecture sur la philosophie elle-même ?

Le présent colloque se propose d’élucider ces différentes questions en offrant un panorama des travaux existants et en faisant discuter les différentes approches qui les sous-tendent. Pour cela, les contributions pourront s’organiser autour de plusieurs axes. 

Axe 1 : Bourdieu philosophe puis sociologue

Un premier axe d’analyse pourrait porter sur le rapport de Bourdieu à la philosophie d’un point de vue biographique ou socio-historique. On pourra naturellement revenir sur le moment fondateur qui a conduit Bourdieu, selon ses propres mots, à se « convertir » à la sociologie. Pour cela, on pourra examiner ses premiers travaux sur Leibniz et Husserl, et s’interroger sur les raisons qui l’ont amené à délaisser la philosophie. Mais on pourra se demander aussi dans quelle mesure cette « conversion » a eu un effet sur le style de la sociologie pratiquée et produite par Bourdieu. L’influence de la formation philosophique de Bourdieu sur les premières enquêtes qu’il a réalisées en Algérie et sur les résultats qu’il en a tirés pourra être interrogée à ce titre. 

De manière plus générale, on pourra aussi vouloir s’intéresser à d’autres périodes de la vie de Bourdieu et chercher à éclairer les rapports qu’il entretient avec le champ philosophique et ses grandes figures (Althusser, Sartre, Foucault…) d’une part et avec le champ des sciences sociales d’autre part, et la façon dont il contribue ou non à brouiller ou redessiner les limites entre ces deux champs académiques et intellectuels. Est-il possible de voir en Bourdieu une figure de passeur intellectuel entre différents domaines hétérogènes dans leurs méthodes et leurs approches - la sociologie critique, la philosophie sociale et la théorie de la société ?

Axe 2 : La philosophie comme objet d’étude, le philosophe comme adversaire ?

Un deuxième axe viserait à commenter les rapports de Bourdieu à la philosophie en tant que discipline instituée, mais aussi aux philosophes comme agents sociaux porteurs d’un certain habitus. On pourra s’intéresser aux différentes formes prises par la sociologie de la philosophie chez Bourdieu :  commentaire d'œuvre philosophique dans L’ontologie politique de Martin Heidegger ou analyse du champ académique et intellectuel dans lesquels s’insère la philosophie. Le récent séminaire tenu à l’occasion du quarantenaire d’Homo Academicus atteste de l’intérêt que cette sociologie continue de susciter. Ces divers exemples soulignent en outre la façon dont la critique de « l’intellectualisme » chez Bourdieu ne se résume pas à une attitude de principe, mais se rapporte aussi à une attitude de terrain, et devient dès lors un enjeu sociologique autant qu’une réflexion philosophique.

À travers le concept d’illusion scolastique, il est possible de synthétiser une large partie des critiques bourdieusiennes à l’égard du statut de philosophe (notamment à l’encontre de Sartre ou Habermas) mais il importerait également de réévaluer l’importance des dispositions intellectuelles bourdieusiennes partagées avec la philosophie. Est-il possible à cet égard de dire que la sociologie de Bourdieu poursuit une entreprise philosophique  par les  moyens de la sociologie - à savoir l’enquête, le terrain, la statistique ? Le philosophe est-il réellement une figure repoussoir pour le sociologue Bourdieu ou un interlocuteur avec lequel il importe de dialoguer tout en définissant efficacement les termes de l’échange ?

Axe 3 : L’usage des catégories philosophiques chez Bourdieu : la philosophie comme instrument

Le travail de Bourdieu, s’il recourt massivement à la pratique de l’enquête, ne fait pourtant pas l’économie de nombreuses références philosophiques. Quelle est la fonction de ces références ? S’agit-il simplement de légitimer le propos scientifique développé par Bourdieu ou bien le cadre de réflexion conceptuel joue-t-il un rôle plus structurant pour la sociologie bourdieusienne ? Le sociologue ne risque-t-il pas de redevenir philosophe quand il admet, dans l’Invitation à la sociologie réflexive,  suivre un « modèle kantien » dans son travail ?

Il ne s’agit pas de faire du sociologue Bourdieu un philosophe sous déguisement, ou un scientifique inconséquent du fait de ces pratiques : il importe cependant de restituer leur importance dans l’analyse critique que Bourdieu fournit des pratiques d’objectivation sociologique. On pensera notamment à l’héritage contrasté des Lumières dans son œuvre, ou encore à celui de l’idéalisme allemand (en particulier Kant et Hegel, notamment au moment de décrire le fonctionnement du champ scientifique ou du champ bureaucratique). Comment parvenir à mobiliser des catégories comme celles de « vérité » ou d’« universel » quand on cherche à commenter l’édification historique du monde social ? Comment se faire l’héritier d’une tradition philosophique, sans trahir la volonté d’indépendance institutionnelle de la science sociale ?

Axe 4 : La théorie de la pratique : entre sociologie et philosophie 

Bourdieu, dès ses premiers livres, classe les théories de la pratique en deux catégories : l’objectivisme (détermination de l’action par les structures sociales) et le subjectivisme (détermination subjective de l’action). Dans chacune de ces deux catégories sont rapprochées des théories philosophiques et sociologiques de l’action : le subjectivisme regroupe par exemple aussi bien la phénoménologie sartrienne que la théorie de l’acteur rationnel. Faut-il y voir une simple stratégie argumentative de la part de Bourdieu ou bien en conclure que toute théorie de l’action repose en dernière instance sur des fondements d’ordre philosophique ?

À partir du couple conceptuel de l’habitus et du champ, Bourdieu entend proposer une troisième voie entre objectivisme et subjectivisme. À quel point cette théorie de la pratique emprunte-t-elle aux théories objectivistes et subjectives qu’elle critique (notamment le structuralisme et la phénoménologie) et jusqu’où peut-on la rapprocher d’autres théories de la pratique qui y ressemblent (interactionnisme, pragmatisme) ? Quelles en sont les conséquences philosophiques, notamment sur la nature du sujet et l’ontologie du social ? Enfin : y a-t-il une différence entre théorie sociologique et théorie philosophique de l’agir ? 

Axe 5 : La réception de Bourdieu chez les philosophes

Ce dernier axe offre un léger décentrement par rapport à la question usuelle des liens de Bourdieu, auteur vivant, à la philosophie : il s’agirait ici d’interroger la manière dont Bourdieu a été lu par différents courants de la philosophie, qu’il s’agisse de la philosophie sociale, de la philosophie politique… Au-delà de la figure évidente de Bouveresse, collaborateur de longue date de Bourdieu et ayant régulièrement écrit sur cette question, cette thématique d’ouverture permettrait de voir comment Bourdieu a pu alimenter un certain nombre de réflexions philosophiques, mais aussi de revenir sur  la réception contrastée que sa théorie a reçue dans le champ de la philosophie et des sciences politiques contemporaines, par exemple chez les féministes et théoricien.ne.s du point de vue situé.  De façon plus générale, la postérité de l’attitude critique de Bourdieu semble aujourd’hui constituer un point de discussion fertile entre la sociologie critique et la théorie critique, par exemple francfortoise.

Modalités de soumission

Cet appel à communications est ouvert à tou.te.s les chercheurs.euses, quelle que soit leur discipline de rattachement (philosophie, sociologie, histoire, sciences politiques). Les travaux de jeunes chercheurs.euses sont les bienvenus, ainsi que ceux de chercheurs.euses européen.ne.s. Les communications effectuées purement en visioconférence ne sont cependant pas envisagées à ce stade.

Les propositions, d’une taille de 2000 à 4000 signes, devront être accompagnées d’une brève présentation biographique de 700 signes maximum et sont à envoyer à pierre.duval@parisnanterre.fr, alice.vincent@univ-fcomte.fr et laurent.perreau@univ-fcomte.fr

avant le 15 décembre 2024.

Une réponse sera donnée aux candidat.e.s d’ici à la fin du mois de janvier.

Les communications dureront 35 à 40 minutes.

Le colloque se tiendra dans les locaux de l’Université de Paris Nanterre les 15 et 16 mai 2025. Les frais de déplacement et d’hébergement des participant.e.s seront pris en charge dans la mesure du possible. Veuillez indiquer dans votre proposition de contribution si vous aurez besoin de vous déplacer vers Paris.

Comité scientifique et d'organisation

  • Laurent Perreau, Professeur des Universités, Laboratoire Logiques de l’Agir, Université de Franche-Comté
  • Alice Vincent, Doctorante, Laboratoire Logiques de l’Agir, Université de Franche-Comté
  • Pierre Duval, Doctorant, Laboratoire Sophiapol, Université Paris Nanterre

Bibliographie primaire

Bourdieu Pierre, Méditations pascaliennes, Paris, Points, 2015 (édition originale : 1997).

Bourdieu Pierre, Esquisse pour une auto-analyse, Paris, Raisons d’agir, 2004.

Bourdieu Pierre, « La philosophie, la science, l’engagement », dans Didier Eribon (éd.), L’Infréquentable Michel Foucault. Renouveau de la pensée critique (Actes du colloque du Centre George Pompidou), Paris, EPEL, 2001, p. 189-194.

Bourdieu Pierre, « Aspirant philosophe. Un point de vue sur le champ universitaire des années 50 », dans Les enjeux philosophiques des années 50, Paris, Editions du Centre Pompidou, 1989, p. 15-24.

Bourdieu Pierre, L’ontologie politique de Martin Heidegger, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1988.

Bourdieu Pierre, « Les sciences sociales et la philosophie », Actes de la recherche en sciences sociales, no 47-48, 1983, p. 45-52.

Bourdieu Pierre, Le sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, 1980.

Bourdieu Pierre, Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, 1972.

Bourdieu Pierre, Jean-Claude Chamboredon et Jean-Claude Passeron, Le métier de sociologue : préalables épistémologiques, Paris, Éditions EHESS, 2021 (édition originale : 1968).

Bourdieu Pierre, Axel Honneth, Hermann Kocyba et Bernd Schwibs, « “Fieldwork in philosophy” », dans Choses dites, Paris, France, Éditions de Minuit, 1987, p. 13-46.

Bourdieu Pierre et Jean-Claude Passeron, « Sociology and philosophy in France since 1945. Death and resurrection of a philosophy without subject », Social Research, vol. 34, no 1, 1967, p. 162-212.

Bibliographie secondaire

Adjerad Daniel, La question de l’économie chez Pierre Bourdieu : une enquête philosophique, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Épistémologie des sciences sociales », 2023.

Ambroise Bruno, « Bouveresse et Bourdieu, critiques de la position scolastique », Agone, no 48, 2012, p. 67-78.

Bauer Ullrich, Uwe H. Bittlingmeyer, Carsten Keller et Franz Schultheis (éd.), Bourdieu und die Frankfurter Schule : kritische Gesellschaftstheorie im Zeitalter des Neoliberalismus, Bielefeld, Transcript Verlag, coll. « Sozialtheorie Sociology », 2014.

Calafat Guillaume, Cécile Lavergne et Éric Monnet, « Philosophies et sciences sociales : les enjeux de la conversion », Tracés, no 13, 2013, p. 7-25.

Collard Victor, Pierre Bourdieu : genèse d’un sociologue, PARIS, CNRS Éditions, coll. « Culture et Société », 2024.

Dufoix Stéphane et Christian Laval, Bourdieu et les disciplines, Nanterre, Presses universitaires de Paris Nanterre, coll. « Philosophie et sciences sociales », 2018.

Fabiani Jean-Louis, Pierre Bourdieu : un structuralisme héroïque, Paris, Éditions du Seuil, 2016.

Fornel Michel de et Albert Ogien, Bourdieu, théoricien de la pratique, Paris, Éd. de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. « Raisons pratiques », no 21, 2011.

Gautier Claude, La force du social : enquête philosophique sur la sociologie des pratiques de Pierre Bourdieu, Paris, Cerf, coll. « Passages », 2012.

Joly Marc, Pour Bourdieu, Paris, CNRS éditions, 2018.

Lantoine Jacques-Louis, Spinoza après Bourdieu : Politique des dispositions, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2018.

Lebaron Frédéric et Gérard Mauger, Lectures de Bourdieu, Ellipses, France, 2012.

Lentacker Antoine, La science des institutions impures : Bourdieu critique de Lévi-Strauss, Ivry-sur-Seine, Raisons d’agir, coll. « Cours et travaux », 2010.

Mauger Gérard, Avec Bourdieu : un parcours sociologique, Paris, PUF, 2023.

Nordmann Charlotte, Bourdieu, Rancière : la politique entre sociologie et philosophie, Paris, Éditions Amsterdam, 2006.

Perreau Laurent, Bourdieu et la phénoménologie : théorie du sujet social, Paris, CNRS éditions, 2019.

Pinto Louis, Gisèle Sapiro, Patrick Champagne et Marie-Christine Rivière, Pierre Bourdieu, sociologue, Paris, France, Fayard, 2004.

Poupeau Franck, Les mésaventures de la critique, Paris, Raisons d’agir, 2012.

Sapiro Gisèle (dir.), Dictionnaire international Bourdieu, Paris, CNRS éditions, 2020.

Places

  • Nanterre, France (92)

Event attendance modalities

Full on-site event


Date(s)

  • Sunday, December 15, 2024

Keywords

  • Bourdieu, philosophie, sociologie, épistémologie

Contact(s)

  • Alice Vincent
    courriel : alice [dot] vincent [at] univ-fcomte [dot] fr
  • Pierre Duval
    courriel : pierre [dot] duval [at] parisnanterre [dot] fr
  • Laurent Perreau
    courriel : laurent [dot] perreau [at] univ-fcomte [dot] fr

Information source

  • Alice Vincent
    courriel : alice [dot] vincent [at] univ-fcomte [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

Alice VINCENT, Pierre DUVAL, « Bourdieu et la philosophie », Call for papers, Calenda, Published on Friday, November 22, 2024, https://doi.org/10.58079/12qq7

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