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Les dynamiques familiales dans les sociétés francophones d’Europe et d’Amérique du Nord

Perspectives croisées en histoire des familles du XVIIe siècle au commencement du XXe siècle

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Published on Friday, December 20, 2024

Abstract

Dans l’esprit d’une continuité avec les colloques franco-québecois des années 1980-2000, qui ont largement contribué à dynamiser la recherche en histoire sociale et économique, le présent colloque invite à poursuivre la réflexion sur les dynamiques familiales dans les sociétés francophones d’Europe et d’Amérique du Nord. S’inscrivant dans une perspective d’histoire croisée, le colloque invite à soumettre des propositions qui interpellent l’histoire des familles dans l’un ou l’autre de ces espaces, avec pour objectif de cerner la diversité des expériences, tant en milieu rural qu’urbain, au gré des contextes sociaux, politiques et juridiques variés et évolutifs qui marquent les sociétés francophones d’Europe (incluant la Suisse et la Belgique) et d’Amérique du Nord (Québec et francophonies nord-américaines).

Announcement

Colloque international : Les dynamiques familiales dans les sociétés francophones d’Europe et d’Amérique du Nord : perspectives croisées en histoire des familles du XVIIe siècle au commencement du XXe siècle - 20 au 22 mai 2026, Université de Sherbrooke, Québec, Canada

Argumentaire

Dans le but de revitaliser un partenariat fécond qui a profondément marqué l’histoire comparée de sociétés rurales françaises et québécoises, cet appel à communication pour un colloque international, prévu au printemps 2026, propose de renouer avec les travaux du passé tout en projetant de nouvelles perspectives pour le présent et le futur de la recherche, notamment autour de l’entité « famille ». En revisitant les approches méthodologiques, les problématiques et les résultats de nos devanciers, nous aspirons à intégrer les nouveaux questionnements et données émergentes actuelles, tout en anticipant les perspectives à venir afin de renouveler et enrichir notre compréhension des dynamiques familiales des espaces francophones d’Europe et d’Amérique du Nord aux époques modernes et contemporaines.

La genèse de ce partenariat qu’il convient de revigorer remonte à 1975, lorsque Joseph Goy, alors professeur invité au département d’histoire de l’Université de Montréal, invita les « historiens québécois » à collaborer avec des collègues français dans un projet d’histoire rurale comparée. Avec la mise en chantier de son projet de Cartographie dynamique des pratiques successorales françaises au cours de ces années, s’inscrivant en continuité avec les travaux de Jean Yver, Goy espère donner une portée transatlantique à cette enquête. Le but était d’évaluer les différences qui s’observent en matière successorale entre les textes coutumiers et les pratiques réelles dans divers espaces géographiques sous contrôle français (Wien, 2021). Cette initiative est l’étincelle qui a donné l’impulsion aux fructueuses collaborations autour du projet conjoint d’histoire des sociétés rurales franco-québécoises.

Les colloques exploratoires de 1979 et 1980, menés par Joseph Goy et Jean-Pierre Wallot, jetèrent les bases théoriques et l’orientation que prendra la collaboration. Ils proposèrent un cadre d’analyse intégrant les dimensions économiques, sociales, démographiques et culturelles, avec pour objectif d’étudier l’évolution des sociétés rurales françaises de l’Ouest et du Sud-Ouest et de les comparer à celles des campagnes laurentiennes. Cela permettait donc de suivre l’adaptation des pratiques et des structures françaises dans le contexte d’un « pays neuf » comme le Québec, dans une perspective à la fois comparative et de « transfert » (Wien, 2021). Les années 1980 marquent donc le début d’une véritable collaboration entre historiens québécois et français. Les colloques de Montréal et de Rochefort jettent officiellement les bases de cette coopération, avec la publication des premières recherches sur les structures rurales françaises et québécoises du XVIIe au XXe siècle (Goy et Wallot, 1981et 1986). Ces premières rencontres ont ensuite débouché sur de nouvelles thématiques de recherche, dont celle de l’évolution des sociétés villageoises et le rapport qui existe en la ville et la campagne traitée au colloque de Trois-Rivières (Lebrun et Séguin, 1987), ou encore celle de la reproduction familiale, qui deviendra un axe central des études au cours des années 1990.

Sous la direction de chercheurs et chercheuses comme Gérard Bouchard, Joseph Goy, Rolande Bonnain ainsi que John A. Dickinson, les systèmes successoraux, l’accès à la propriété et l’exclusion des héritiers ont été explorés, tout comme les distinctions entre les systèmes égalitaires et inégalitaires (Goy et Bouchard, 1990 ; Goy, Bouchard et Bonnain, 1992 ; Goy, Bouchard et Dickinson, 1998). Au fil de cette collaboration, plusieurs dimensions de la dynamique familiale et sociale ont été abordées, notamment les mobilités spatiales et sociales, les stratégies d’établissement des enfants, la composition interne de la paysannerie, ainsi que les mécanismes de gestion et d’accaparement foncier. L’étude des stratégies de reproduction familiale s’est enrichie d’un dialogue constant entre chercheurs des deux côtés de l’Atlantique.

Au début des années 2000, l’attention s’est progressivement centrée sur l’étude des marchés et des migrations, en intégrant également la Suisse à la collaboration. Les rencontres de Montréal, Paris et Genève, dernières de cette longue collaboration, ont permis d’étudier l’impact des marchés sur les stratégies familiales, montrant comment les ménages ruraux adaptaient leurs comportements aux opportunités économiques tout en maintenant leurs objectifs de reproduction sociale (Dessureault, Dickinson et Goy, 2003 ; Béaur, Dessureault et Goy, 2004 ; Lorenzetti, Head-Köning et Goy, 2005).

Après avoir constaté que cette collaboration s’était largement essoufflée dans les deux dernières décennies et dans l’optique de relancer ce partenariat franco-québécois qui a si bien servi l’histoire rurale et familiale comparée, Benoît Grenier (Université de Sherbrooke), Jérôme-Luther Viret (Université de Lorraine) et Raphaël Bergeron-Gauthier (doctorant en cotutelle dans ces deux institutions) ont mis sur pied un programme en trois phases, centré sur les axes universitaires Metz-Sherbrooke. La première phase a débuté en octobre 2022 avec une journée d’étude à l’Université de Lorraine de Metz, consacrée aux sororités et à la transmission familiale. Cette rencontre a été l’occasion d’aborder l’entité « famille » sous différents angles tels que la cohabitation, la reproduction, le marché et le travail. Les discussions ont également porté sur les divers enjeux liés à la transmission, qu’il s’agisse de biens, de valeurs, de stratégies, de pratiques ou encore de savoirs, permettant ainsi de renouveler les perspectives sur ces thèmes centraux. Comme les partenariats du projet conjoint d’histoire des sociétés rurales françaises et québécoises qui avaient permis à l’époque de jeter un éclairage nouveau sur nos sociétés rurales respectives ainsi que sur leurs dynamiques internes, cette journée d’étude a confirmé qu’il s’agit d’un champ encore très fécond, tout en remettant en lumière la richesse des échanges intellectuels entre les membres de la communauté historienne des deux pays. Puis, en mars 2024, la deuxième journée d’étude a relancé la discussion sur cette même entité « famille » en centrant l’analyse sur les sources, les méthodes et les perspectives de recherches, dont les thèmes centraux ont été les formes de transmissions (capital matériel, patrimoine, patronyme, mémoire), les stratégies (survie, prévoyance, individuelle et familiale), les représentations, la solidarité ainsi que la mémoire familiale.

La troisième phase culminera par un colloque international à l’Université de Sherbrooke en mai 2026. Ce colloque sera l’occasion de mettre en lumière les nouveaux questionnements qui émergent aujourd’hui sur l’entité « famille » autant rurale qu’urbaine et dans toute sa diversité, tout en accordant une place privilégiée aux travaux de la nouvelle génération de chercheuses et de chercheurs. Le terrain sera étendu aux espaces francophones d’Europe et d’Amérique du Nord pour inclure à la fois les pôles principaux des échanges migratoires que sont la France et le Québec actuel, mais aussi les autres espaces coloniaux marqués par le modèle « familial » français, comme l’Acadie, la Louisiane et toutes les communautés francophones qui ont essaimé dans l’Amérique du Nord depuis le XVIIIe siècle (Frenette, Rivard et St-Hilaire, 2012). Dans tous ces espaces caractérisés à divers degrés par la culture, le droit et la langue française, l’entité famille continue d’être l’objet de l’attention des chercheurs en histoire et cet appel invite à renouveler le dialogue dans une perspective croisée et à l’aune d’une diversité d’approches méthodologiques (analyse de réseaux, micro-histoire, démographie historique, etc.).

Il est essentiel de faire ressortir ces contributions novatrices, car elles témoignent de l’évolution des questionnements et des méthodes, et permettent d’inscrire ces recherches dans une perspective plus large, adaptée aux questionnements contemporains. En revitalisant ce partenariat, nous visons à réinscrire l’histoire comparée dans une dynamique de continuité, tout en ouvrant la voie à des perspectives inédites et enrichissantes. Le colloque s’orientera autour de trois grandes thématiques : itinéraires de vie, solidarités et conflits et genre et agentivité.

Itinéraires de vie

L’étude des cycles de vie a mobilisé de nombreux chercheurs depuis les décennies 1980-1990, tant dans une perspective démographique que socio-économique (Landry et al, 1984 ; Barjot et Faron, 2010). Ceux-ci sont largement dictés par les cadres successoraux et conditionnent la reproduction familiale et qui se transforment en contexte colonial. L’adaptation dans le nouveau monde des règles successorales européennes s’est faite d’une manière très contrastée, de l’uniformité liée, pour l’empire français, à la généralisation de la coutume de Paris. Les systèmes successoraux de l’époque moderne, et plus largement jusqu’à l’âge industriel, semblent se focaliser sur deux objectifs principaux : la survie des parents âgés et l’établissement du plus grand nombre possible d’enfants. Ce sont là deux séquences particulièrement importantes à étudier et qui sont tributaires des contextes propres aux mondes « ouvert » ou « fermé » (Bouchard, 1996 ; Derouet et Goy, 1998) et aux contingences des cadres ruraux ou urbains. Les familles, exposées aux aléas de la conjoncture, devaient tenir compte de leur démographie (âge, fécondité, mortalité, mobilité spatiale), des échappées permises par l’environnement économique (mobilité professionnelle et sociale) et de leur situation financière (dette, épargne, avances et successions attendues). La mortalité pouvant affecter des unités familiales en pleine maturité, comment la disparition prématurée de l’épouse ou de l’époux, influençait-t-elle la suite (Brun, 2004) ? Un remariage était-il toujours permis et à quelles conditions ? Les enjeux liés au vieillissement des populations dans les pays occidentaux rendent ces questionnements historiques d’une acuité certaine.

L’établissement des enfants et l’économie domestique

On sait qu’une partie plus ou moins importante de l’apport au mariage, en France, provenait des époux et une autre des parents eux-mêmes (Duboy, 2018). Cette contribution des conjoints et de leurs familles était mise en commun, en vertu de la communauté de biens et d’acquêts prévue par la coutume de Paris et par une multitude d’autres coutumes observées dans les différentes régions des espaces francophones. Le cadre juridique a ici une particulière importance, qui organise la rétribution ou la « récompense » du travail de chacun, des enfants nés des lits successifs, des orphelins pourvus d’un tuteur ou d’une tutrice, des jeunes gens émancipés, des couples corésidents ou des parents âgés hébergés sur le tard par leurs enfants. Le droit réglemente ce qui doit aussi revenir à chacun de la propriété familiale à l’occasion des décès. Les droits obtenus, en vertu du droit, dans des configurations démographiques très diverses (aille des fratries, âge au décès), impactaient fortement le devenir des enfants et de la famille dans son ensemble.

Economiquement, il faut prendre en compte toute la gamme des tâches qu’un ménage pouvait accomplir en contrepartie d’avantages en nature ou d’une rémunération, que ce soit en contexte urbain ou dans les campagnes. L’importance des apports extérieurs, celui des enfants placés par exemple, est encore trop négligé par l’historiographie. À l’arrière-plan, pour des sociétés demeurées longtemps rurales, on tiendra compte de la disponibilité en terres à défricher ou déjà mises en valeur, et l’on discutera le coût de l’établissement. Le prix de la terre, comme du bâti, très variable d’un lieu et d’une époque à l’autre, est en effet de toute première importance (Boudjaaba, 2008). On conservera bien sûr à l’esprit le fait que la proximité d’une ville créait d’autres opportunités et que l’exploitation d’une terre n’était pas l’unique possibilité offerte même à des enfants d’agriculteurs (Courville, 1990 ; Dessureault, 2018, 2021). Des changements d’activité pouvaient aussi se produire dans le cours de la vie. C’est la seconde sous-thématique proposée aux contributeurs.

Expériences migratoires et mobilité sociale 

Les ressources disponibles sur place, le capital et les compétences qu’il fallait acquérir, le crédit auquel on avait ou non accès, incitaient à la mobilité. La combinaison de la pluriactivité et des industries rurales furent mis à profit par les populations des campagnes, dans certaines régions françaises, pour demeurer sur place. L’enrichissement procuré par différentes activités annexes fixait les populations. Cela n’empêcha pas l’apparition, dès le XVIIIe siècle dans certaines régions, plus tardivement en d’autres, d’attitudes malthusiennes. A-t-on alors plus investi dans l’éducation ? À quoi mesure-t-on d’ailleurs le succès et l’échec d’une stratégie de mobilité spatiale et sociale ? Dans certaines régions, des enfants furent contraints de quitter le foyer des parents avec presque rien, d’autres à rester célibataires. Nombre d’enfants furent orientés vers le clergé, tandis que d’autres restèrent dans leur famille, quelquefois élargie aux dimensions des communautés familiales de la France centrale. La composition des familles, la distribution spatiale et la mobilité de ses membres, doivent être examinés pour connaitre la nature individuelle ou collective de ces mobilités aux époques modernes et contemporaines. Les déplacements dans des espaces naturels fort contrastés, puis dans des réseaux urbains également très dissemblables, invite à réfléchir aux distances couvertes par les migrants et aux effets de rupture (Rosental, 1999). Ces différences doivent nous faire considérer autrement la question du « territoire familial » de part et d’autre de l’Atlantique. On ne pouvait être « pionnier » de la même façon en terroirs pleins et en terroirs ouverts, ni identiquement citadin à Paris et à Québec ou à Sudbury.

On veut également, dans le cadre de cette thématique, interroger les dynamiques de circulation des idées, des techniques et des ressources du point de vue des réseaux familiaux. En quoi et comment ces échanges préservèrent-ils des liens à longue distance entre parents ? Quelles formes d’hybridation culturelle suscitèrent-elles ?

La vieillesse, temps du repli ?

Le mot « repli » suggère une forme de désengagement. Celui-ci n’est pas toujours anticipé, notamment chez les élites, ni souhaité, ni même possible. Il y a des chefs de ménage désireux de tenir leur rang jusqu’au bout, d’autres qui ne peuvent envisager une diminution de leurs ressources. Que celle-ci se produise ou pas, la possibilité d’une chute plus ou moins drastique des ressources était au moins présente à l’esprit (Troyanski, 1992). Les épouses surtout devaient s’y préparer, pour lesquelles tout un éventail de solutions existait. C’était d’ailleurs une des principales raisons d’être du contrat de mariage que de déterminer l’étendue des droits du conjoint survivant. Selon la forme du ménage, élargi ou nucléaire, et la nature du pouvoir conféré au mari, des solutions très diverses virent le jour. Le régime des biens entre époux, communautaire ou séparatiste, facilitait ou entravait le remariage.

Différentes perspectives sont ici à croiser. Il y a l’approche juridique et morale, celle du pouvoir conservé ou non par les parents, mais encore la question matérielle. Que conserve-t-on dans ses vieux jours des biens de son conjoint ? Les besoins décroissent-ils ? Observe-t-on une désépargne, comme l’hypothèse en a quelquefois été émise ? Il faut bien sûr joindre au problème des ressources celui de l’état physique, du déclin des forces et des infirmités liées à l’âge. La question se pose de l’assistance, du recours possible ou pas à des institutions, ensuite de l’attitude des proches. Quel soin avait-t-on des personnes âgées et comment la solidarité familiale pouvait-elle se manifester en leur faveur (Montandon, 2001) ? On doit penser aux effets de l’allongement de la durée de vie.

La famille entre solidarités et conflits

L’étude des différentes séquences formant le cycle de vie des individus, révélatrice des difficultés rencontrées par les ménages à chaque étape et des solutions trouvées pour les surmonter, ne supprime pas la nécessité de saisir les stratégies de long terme, ni de définir le cadre dans lequel celles-ci s’épanouissaient. Les élites administratives, judiciaires, les négociants plus encore, savaient en effet la fragilité de leur fortune. La pérennisation des positions sociales réclamait tantôt le pluri-établissement, utile dans les affaires, tantôt la concentration des ressources sur l’aîné ou sur un autre successeur désigné, beaucoup moins fréquente dans les catégories populaires (Bouchard et al, 1998). Il y avait un coût social à cela, consistant à sanctionner les enfants dissipateurs (Nootens, 2007). Qu’il y ait eu ou non des stratégies de long terme, des difficultés surgissaient, des tensions naissaient de l’insatisfaction des besoins de chacun. Il s’agit donc de voir, dans l’adversité, de quelle façon la famille et la parenté médiatisait les conflits suscités ou subis par ses membres vis-à-vis de l’extérieur, et quelles options s’offraient à elles pour rétablir la paix en son sein.

La famille dans la communauté et la société

Quelle place les chef.fe.s de ménages occupaient-ils dans les communautés rurales, dans la cité et sur la scène publique ? Occupait-on des charges à la suite de ses parents ou en vertu des alliances nouées avec les familles les plus notables (Bertrand, 2005) ? Les familles se tenaient-elles en retrait, dédaignant de s’investir dans des activités politiques (Verney-Caron, 1999) ? Comment les familles vivaient-elles l’encadrement judiciaire et administratif dont elles faisaient l’objet ? Comment l’appartenance religieuse des familles (catholique, protestante, juive…) marquait leur positionnement dans leur communauté ? Furent-elles fortes ou faibles, actives ou passives face aux autorités, royale, seigneuriale, ecclésiastique ? Comment travaillèrent-elles leur réputation ? Quel visage désirèrent-elles offrir d’elles ? On doit renvoyer la question du paraitre à sa double dimension immatérielle (les honneurs, l’alphabétisation, les titres) et matérielle (mobilier, habillement, habitat) à la fois. Les familles avaient un rang et un honneur à défendre, des relations dont elles pouvaient se prévaloir. Tous les points de contact des familles avec les institutions englobantes nous intéressent ici, qu’elles soient politiques, économiques ou religieuses.

La régulation des conflits « familiaux »

Les conflits « familiaux » étaient-ils uniquement familiaux ? La nature agonistique des relations sociales et les turbulences associées à la vie communautaire tendait à élargir le cercle des belligérants à tout ou partie de la parenté. Aux intérêts matériels se joignait souvent le souci de préserver l’honneur du groupe familial. Une place importante doit donc être faite aux conflits, aux comportements « déviants » et aux mécanismes que la société et la famille ensemble leur opposait. On songe ici aux interventions de l’État dans les affaires familiales, au moyen par exemple des lettres de cachet (J. Paul, 2008, Jandeaux, 2017, Kérien, 2023) pour l’Ancien Régime, ou aux moyens de correction consentis aux parents. Les conflits « familiaux », ceux liés à des questions patrimoniales en particulier, ont mobilisé l’attention des chercheurs, particulièrement celle des historiens de la justice. Les actions engagées devant les tribunaux au civil, les procès conduits au criminel, jettent un peu de lumière sur les interactions familiales et les soutiens trouvés dans leur communauté. Loin de réussir toujours à se souder, des familles se déchirent, des membres se soustraient à leurs « obligations ». Ce sont les cultures familiales qu’il nous faut alors déchiffrer, pour saisir les mobiles et les points de divergence.

L’étude des conflits intrafamiliaux, des conflits sociaux impliquant la famille, aux époques moderne et contemporaine, a une longue tradition derrière elle, en France comme au Canada. Elle ouvre sur les aspirations individuelles, les valeurs et les normes culturelles propres à des groupes particuliers, fondés tantôt sur des différences socio-économiques, sur des savoirs « techniques » acquis en relation avec un métier ou un espace particulier, tantôt sur des considérations ethno-culturelles, notamment dans le cas des populations autochtones. Comme la régulation de ces conflits s’effectuait en dehors de la famille, mais à son contact, on s’attachera aux professions qui, gravitant autour de la famille, étaient souvent informées de leurs secrets. On pense ici aux auxiliaires de justice, avocats, procureurs, huissiers et notaires mais également aux prêtres ou aux cabaretiers, qui tous ont pu participer de ce travail (Dolan, 2005).

S’agissant du couple et des conflits conjugaux, toute la gamme des conflits domestiques sera abordée, qu’ils touchent aux désordres sexuels, à l’adultère, aux violences conjugales (Régina, 2017), ou bien à l’exercice de l’autorité paternelle/maternelle, au gouvernement domestique, à l’utilisation des ressources et à divers enjeux patrimoniaux (Gauvard et Stella, 2013).

Les solidarités horizontales : frères/sœurs/cousins/cousines

Une première journée d’étude sur le sujet des sorories s’est tenue, ayant eu pour but de montrer quelle sorte de continuité pouvait être visée lorsque la descendance d’un couple s’annonçait exclusivement ou massivement féminine. À défaut de successeur masculin, la famille restait-t-elle orpheline de tout projet ? L’intérêt des historiens de la famille pour les relations horizontales nous amène aujourd’hui de plus en plus à considérer, non seulement la filiation, en ligne verticale, mais l’ensemble des liens noués entre proches collatéraux, sœurs et frères, cousins et cousines et à en examiner les différentes facettes (Boudjaaba, Mouysset et Dousset, 2016). Sont-ils réciproques et pérennes, teintés d’affection, harmonieux ou concurrents ? Dans la France du temps de la Renaissance, les frères adoptaient à l’égard de leurs sœurs pubères, même après le mariage, une attitude très contraignante allant de la protection au contrôle. Fréquents dans la noblesse, ces comportements n’étaient pas réservés à celle-ci (Nassiet, 2011). On les retrouvait en effet dans les couches populaires. Le lien s’est-il relâché ensuite à mesure que les filles ont acquis une plus grande liberté ? L’affaiblissement progressif de l’autorité du frère a-t-il eu pour cause le resserrement pluriséculaire de la relation conjugale ?

Comment évoluèrent pour finir les relations avec la famille plus éloignée, petits-neveux et petites-nièces, cousins et cousines issus de germains ? Ces relations se relâchèrent-elles en un siècle, le XIXe particulièrement, où les liens commencèrent à se distendre fortement en lien avec l’urbanisation et l’exode rural ? De nouvelles occasions de manifester sa solidarité surgir, en matière d’hébergement par exemple, de réseaux migratoires ou d’appui financier, comme l’ont montré différents travaux consacrés au crédit, à l’apprentissage ou aux migrations professionnelles (Head-König et al., 2001). L’aide matérielle procurée à des collatéraux plus ou moins éloignés s’accompagne d’échanges symboliques pouvant nourrir la mémoire collective. Ces échanges peuvent être épistolaires et toucher directement au sujet de la parenté lorsque sont convoqués les ancêtres et les albums de souvenir.

Genre, famille et agentivité féminine

On regroupe dans cette thématique tout ce qui a trait à l’organisation de la famille et aux fonctions spécifiquement remplies par les femmes à l’intérieur de celle-ci et dans la société, depuis la procréation jusqu’aux célébrations mortuaires. Quels rôles, quelles attitudes fallait-il adopter lorsque l’on était jeune femme à marier, épouse ou bien encore veuve ? C’est dans la toute première enfance que l’éducation prépare aux rôles d’aîné·e et de cadet·te, au mariage ou au célibat consacré, aux métiers ou aux tâches domestiques qui devront ensuite être pratiqués. On doit donc prêter une particulière attention à l’éducation, à la formation religieuse, aux apprentissages autorisés ou imposés au temps de l’adolescence, au choix du conjoint, aux fréquentations de l’âge adulte et au choix du conjoint (Mechior-Bonnet et Salles, 2009). De ces fondations dépendent les trajectoires suivies par les épouses, leur vocation, leur niveau d’autonomie, leur dépendance dans la vieillesse.

Sexualité, corps et procréation

La question du déséquilibre matrimonial dans les premières décennies du Régime français, et l’épisode célèbre des « filles du roi », ont suscité de nombreux écrits, sans que toutes leurs implications aient encore été pris en compte, notamment sur les plans affectifs et sexuels. Le sujet des transgressions et des unions mixtes, du célibat imposé en contexte migratoire, réclame de nouvelles études. Comme les relations sexuelles ne se résument pas au temps du mariage, une place doit être faite au concubinage et à toutes les unions informelles ayant pu conduire à des naissances illégitimes ou à des conceptions prénuptiales. Ces naissances et ces conceptions étaient-elles le reflet de la permissivité de certaines cultures familiales ? D’un relâchement de la surveillance des pères et des mères ? Les historiens ont signalé l’émergence au XVIIIe siècle d’un nouveau modèle familial faisant une plus grande place aux attachements sentimentaux (Daumas, 2004 ; Guzzi-Heeb, 2022). Une transformation progressive des fondements du mariage, nettement perceptible dans les discours, a-t-elle été suivi de nouvelles pratiques en matière de fréquentation ? De façon connexe, on s’intéressera aux pratiques contraceptives, aux abandons et aux infanticides.

Un enjeu majeur des relations familiales, ayant trait à la sexualité, est celui du contrôle de la fertilité des femmes et de la réduction plus ou moins précoce des naissances. Le rôle respectif des femmes et des hommes, celui des institutions encadrantes et tout particulièrement de l’église reste en la matière très discuté. Mais c’est l’ensemble des pratiques entourant la procréation et l’entrée dans la vie des nourrissons qu’il s’agit encore d’interroger, avec une attention particulière aux expériences féminines et aux questions de santé (Gélis, 1984).

Domination masculine, incapacités et agentivité féminines

Parce que l’État s’appuyait autrefois sur les chefs de familles pour exercer son contrôle sur l’ensemble de la société, le droit privé manifestait une forme d’emprise et de contrôle externe sur les unités domestiques. Une grande liberté n’en subsistait pas moins, maris et femmes se gouvernant selon des modalités fort diverses, en confiant la direction du ménage aux premiers. Dans certaines limites, il était permis à tout un chacun de tirer parti du pluralisme juridique existant en France sous l’Ancien régime. On pouvait par exemple vivre sous une coutume et se marier à Paris sous un régime différent, ou bien introduire toutes clauses dans les contrats qui n’étaient pas contraires aux bonnes mœurs ni à la coutume. Les progrès limités du droit romain depuis le XVIe siècle dans la France coutumière, l’utilisation inédite en Nouvelle-France des donations entre vifs largement ignorées en métropole, l’introduction de la Common law et de la liberté testamentaire après 1774 au Canada (Morin, 2008), tout ce que les historiens appellent la « pratique vivante du droit », qui n’est autre que le travail des notaires, s’offrent aujourd’hui aux historiens de la famille et aux juristes pour de nouvelles lectures comparatives. On privilégiera les instruments et procédures par lesquels les femmes furent admis à de nouveaux rôles ou ayant contribué au renforcement de leur agentivité. On pense à des travaux précurseurs consacrés aux procurations, aux cautions, aux tutelles, dans le cadre de la justice non-contentieuse, ou bien encore aux séparations et aux procédures de divorces (Murphy, 2018).

C’est encore la question de l’initiative laissée aux femmes que nous aimerions examiner et placer au cœur des dynamiques familiales. On peut l’envisager dans la sphère économique, au sujet par exemple de la décision de prendre des enfants en nourrice, ou bien d’entreprendre un commerce indépendant ; dans le champ de l’alliance, quand vient le temps des pourparlers de mariage ou encore dans le champ éducatif. On pense ici aux pratiques éducatives et à la transmission par les femmes des cultures familiales. Les femmes ouvraient leurs maisons à des parents, des visiteurs, des associés, faisant de celles-ci des lieux de communication et de commémoration, d’accueil et d’entraide. L’entregent féminin mis au service des intérêts familiaux ne se borne pas à l’hospitalité. L’absentéisme des hommes, de part et d’autre de l’Atlantique, imputable à des réalités diverses (guerres, travail, migrations…) constituait une occasion d’affranchissement des épouses, tout autant qu’un vecteur de pauvreté (Charpentier et Grenier, 2022). Les solidarités féminines étaient ici souvent à l’œuvre.

Les communications pourront intervenir dans l’une des trois thématiques centrales du colloque :

  • Itinéraires de vie
  • Solidarités et conflits
  • Genre et agentivité

Modalités de soumission

Le cadre fixé à ce colloque invite mais n’oblige pas à des comparaisons entre espaces et entre époques, entre populations natives et non-natives, sédentaires et migrantes, rurales et urbaines. L’approche monographique reste totalement pertinente pour investir la diversité des configurations familiales. Il est également permis et même vivement encouragé d’entrer dans plusieurs thématiques à la fois, de façon à saisir l’enchevêtrement des buts, des moyens et des obstacles rencontrés par les familles en leur sein, et au dehors d’elles, dans leur effort pour se perpétuer. Les contributions des personnes étudiantes seront particulièrement bienvenues.

Les propositions doivent être transmises aux adresses suivantes :

benoit.grenier2@usherbrooke.ca

jerome.viret@univ-lorraine.fr 

avant le 1er mars 2025

Chaque proposition doit inclure :

  • un titre et un résumé (250 mots maximum) précisant l’axe principal choisi.
  • une brève présentation biographique (100 mots maximum) incluant l’affiliation institutionnelle.

Le colloque se déroulera en français, mais les propositions peuvent être rédigées en français ou en anglais.

Comité organisateur

  • Raphaël Bergeron-Gauthier, candidat au doctorat, Université de Sherbrooke et Université de Lorraine
  • Emmy Bois, candidate au doctorat, Université de Sherbrooke
  • Benoît Grenier, Université de Sherbrooke et CIÉQ
  • Jérôme-Luther Viret, Université de Lorraine

Comité scientifique

  • Fabrice Boudjaaba, CNRS, École des hautes études en sciences sociales, Paris
  • Emmanuelle Charpentier, Université Toulouse Jean-Jaurès
  • Marc Conesa, Université de Perpignan
  • Magda Fahrni, Université du Québec à Montréal
  • Pauline Ferrier-Viaud, Université d’Artois
  • Jean-Philippe Garneau, Université du Québec à Montréal
  • Peter Gossage, Université Concordia
  • Benoît Grenier, Université de Sherbrooke
  • Jérôme-Luther Viret, Université de Lorraine
  • Thierry Nootens, Université du Québec à Trois-Rivières

Places

  • 2500 Bd de l'Université, Sherbrooke, QC J1K 2R1, Canada
    Sherbrooke, Canada

Date(s)

  • Saturday, March 01, 2025

Keywords

  • histoire, Famille, femme, genre, société, monde rural, mondes urbains, mobilité, migration, démographie, droit, économie

Contact(s)

  • Benoit Grenier
    courriel : benoit [dot] grenier2 [at] usherbrooke [dot] ca
  • Jérôme Viret
    courriel : jerome [dot] viret [at] univ-lorraine [dot] fr

Information source

  • Jérôme Viret
    courriel : jerome [dot] viret [at] univ-lorraine [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Les dynamiques familiales dans les sociétés francophones d’Europe et d’Amérique du Nord », Call for papers, Calenda, Published on Friday, December 20, 2024, https://doi.org/10.58079/12yy1

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