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Published on Wednesday, January 08, 2025

Abstract

Ce colloque se propose d’interroger les liens entre liberté d’expression, autonomie des médias et pratiques journalistiques, dans des contextes divers. Les propositions de communication pourront s’inscrire dans des disciplines variées et prendre pour objet des cas d’étude empiriques variés, sans se borner à la France ni à l’actualité récente.

Announcement

 Colloque « Médias et liberté d’expression » Lyon, 18-20 juin 2025

Argumentaire

Les polémiques autour des nouvelles règles de la plateforme Twitter/X après la prise de contrôle d’Elon Musk, les craintes quant à l’indépendance de la rédaction d’Euronews suite à son rachat par Alpac, les vives réactions suscitées par le licenciement de Guillaume Meurice par la direction de Radio France, ou encore le récent renouvellement des fréquences TNT par l’ARCOM et la Commission d’enquête parlementaire qui l’a précédé rappellent à quel point les médias peuvent être constitués en enjeu de pouvoir et objet de conflit dans les démocraties contemporaines. Perçus comme des outils essentiels aux citoyens pour faire des choix informés et comme de potentiels contre-pouvoirs par rapport au politique, ils sont investis d’un rôle démocratique important.

La déontologie journalistique comme le droit ont historiquement consacré les principes de liberté, d’indépendance et de pluralisme des médias comme conditions d’exercice de ce rôle démocratique. Ces principes apparaissent d’autant plus centraux qu’ils sont associés aux fondements de la démocratie elle-même. À titre d’exemple, en France, le Conseil constitutionnel a considéré que « l’objectif à réaliser est que les lecteurs/téléspectateurs […] soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu’on puisse en faire l’objet d’un marché »[1]. De même, plusieurs associations professionnelles comme Reporters sans frontières se donnent pour rôle la défense de la liberté d’information et la protection des sources des journalistes.

La sociologie des médias a pourtant montré, par-delà ces affirmations de principe, combien l’activité journalistique est à la fois travaillée par des logiques qui lui sont spécifiques – recherche de l’audimat, course aux « scoops », hiérarchies symboliques entre les services, etc. (Lévêque, 2000) – et par des mécanismes et des acteurs qui lui sont extérieurs – dépendance aux sources (Chupin, Nollet, 2006), pressions politiques, subordination au champ économique (Bourdieu, 1994 ; Champagne, 2016 ; Comby, Ferron, 2018), interventions des bailleurs de fonds et poids croissant des fondations privées (Benson, 2018), etc. Sur la période récente, les tensions entre ces logiques autonomes et hétéronomes semblent même s’accentuer, pour plusieurs raisons. D’abord, l’essor d’internet fragilise le modèle économique de la presse écrite et de la télévision, redirigeant la publicité vers les plateformes et les rendant plus dépendantes de bailleurs de fonds. Ensuite, des industriels convertissent leur capital économique en pouvoir médiatique en rachetant des groupes de presse, contribuant à leur concentration (Sedel, 2020). Enfin, les financements de médias publics comme Radio France, France Télévision ou encore la BBC sont remis en question, et l’impartialité de leurs journalistes est mise en doute par divers types d’acteurs. Certains médias publics voient leur indépendance contestée par les autorités politiques même dans des sociétés dites démocratiques – comme l’illustre le contrôle accru de la radio Voice of America par l’administration Trump (Scott, Wright, Bunce, 2024).

Ces reconfigurations sont indissociables d’une évolution du rôle et de la valeur sociale reconnus aux médias, ainsi que du sens prêté aux notions d’indépendance et de pluralisme (Rebillard, Loicq, 2013). Ces éléments sont en effet l’objet de luttes qui se révèlent à la fois professionnelles et politiques, et qui sont parfois prolongées sur le plan juridique. Dans ces luttes, le principe de liberté d’expression occupe une place centrale. Pour certains acteurs politiques ou médiatiques, dont Donald Trump est emblématique, ce principe justifie la mise en équivalence d’opinions spontanées et d’informations recoupées selon les canons journalistiques, et donc la dépréciation de certains médias « mainstreams » au profit de chaînes spécifiques ou de réseaux sociaux non modérés. Pour des chaînes conservatrices comme Fox News aux États-Unis ou CNews en France, la liberté d’expression motive la mise en avant de prises de position supposément invisibilisées par d’autres chaînes, et l’adoption de logiques alternatives de production de l’information voire de « réinformation ». Pour des journalistes confrontés au rachat de leur média par des entrepreneurs conservateurs, comme le JDD et CNews lors de la prise de contrôle de Vincent Bolloré, la liberté d’expression est une ressource pour revendiquer l’indépendance de leur rédaction. Pour des humoristes, elle constitue un point d’appui pour revendiquer un droit à l’humour sur tous les sujets, quitte à choquer certains auditeurs ou spectateurs. Les luttes s’articulent ainsi autour des questions de savoir quels acteurs peuvent s’exprimer, et ce qu’ils peuvent dire. Elles ont des conséquences sociales et politiques d’autant plus notables que plusieurs travaux attestent l’emprise croissante du champ médiatique sur plusieurs champs adjacents (Pinto, 1984 ; Rieffel, 2022).

Ce colloque se propose d’interroger les liens entre liberté d’expression, autonomie des médias et pratiques journalistiques, dans des contextes divers. Les propositions de communication pourront s’inscrire dans des disciplines variées et prendre pour objet des cas d’étude empiriques variés, sans se borner à la France ni à l’actualité récente.

Axes

Plusieurs axes, dont la liste n’est pas exhaustive, pourront être abordés.

Les formes d’encadrement juridique des médias

Les médias sont encadrés par de multiples normes juridiques qui ont trait à leur gouvernance, à leur agrément, à leur financement, aux conditions de leur concentration, aux règles de pluralisme qu’ils se doivent d’appliquer, ou encore aux modalités d’exercice de la liberté d’expression en leur sein. Ces normes sont variables d’un contexte national à l’autre et d’un secteur à l’autre (par exemple entre presse écrite et médias audiovisuels, ou entre secteurs public et privé). Comment peut-on caractériser et expliquer cette diversité de régimes juridiques ? De quelles manières ces normes sont-elles mises en œuvre, et dans quelle mesure sont-elles effectives ? Comment s’articulent-elles à d’autres droits comme le droit de propriété et la liberté d’entreprendre ? D’un point de vue normatif, leur évolution est-elle souhaitable ?

Mobilisations et luttes d’influence autour de la régulation des médias

Comme indiqué plus haut, le contrôle des médias peut faire l’objet de mobilisations, d’abord par les journalistes eux-mêmes pour exiger leur meilleure représentation dans les structures dirigeantes (Dupuy, 2016), mais aussi par des acteurs sociaux extérieurs au champ journalistique. Ces mobilisations peuvent avoir des objectifs variés et parfois entremêlés (augmentation ou diminution du niveau de contrôle sur les médias, promotion d’idées ou de représentations particulières, censure de tel ou tel contenu ou de tel·le ou tel·le locuteur·rice, accumulation de profits économiques, préservation de normes déontologiques, etc.) et s’appuyer sur des ressources et des modes d’action diversifiés. Quelle place occupe la liberté d’expression dans les enjeux de ces luttes et dans les registres de leur mise en récit ? Quels sont les profils sociaux des acteurs impliqués dans ces mobilisations, et quels rapports ces acteurs entretiennent-ils entre eux ? Quelles ressources économiques, sociales et culturelles mobilisent-ils ? Quelles formes prennent leurs modalités d’action ? Sur quels arguments reposent-elles ? Quels discours sont en circulation dans le débat public ? Comment s’articulent les dimensions locale, nationale et transnationale de ces mobilisations ? Quelles conséquences ont-elles pour la régulation des médias ?

Pluralisme des médias et régimes politiques

Le rôle dévolu aux médias, les modalités de leur financement et de leur régulation, et leur éventuelle instrumentalisation sont étroitement liés à la nature du régime politique, plus ou moins démocratique ou autoritaire. La liberté de la presse et la liberté d’expression, constituées en canons démocratiques, sont aussi conçues par des États et organisations internationales comme des notions exportables, au même titre que d’autres instruments de démocratisation (Koch, 2015 ; Mangon, 2024). Comment ces libertés ont-elles été constituées en normes démocratiques fondamentales ? Quels usages les différents régimes politiques en font-ils ? Par l’action de quels acteurs et sous quelles formes ces normes s’exportent-elles d’un pays à un autre ? Comment sont-elles traduites dans divers contextes locaux ?

Éthique journalistique et liberté d’expression

Le travail des journalistes se fait selon des valeurs et des standards tendanciellement partagés par l’ensemble de la profession. Les mobilisations et pressions dont les médias font l’objet, la montée en puissance des réseaux sociaux et des fausses nouvelles, le caractère fluctuant des régulations et les concurrences entre médias pour des ressources économiques limitées tendent cependant à faire évoluer ces normes et leur degré de prégnance, renforçant le flou caractéristique de la profession (Ruellan, 1992) et contribuant à faire évoluer ses frontières et ses pratiques (Lewis, Carlson, 2015 ; Belair-Gagnon et Holton, 2018 ; Vauchez, 2025). Comment ces standards sont-ils appliqués au sein des rédactions, notamment en lien avec les injonctions au pluralisme et à la liberté d’expression ? Comment les règles déontologiques se transforment-elles, dans chaque secteur voire dans chaque média ? Comment l’usage, le contournement ou la réaffirmation de ces règles participent-ils des logiques de distinction entre médias, voire entre journalistes ?

Modalités de soumission et calendrier

Les propositions ne doivent pas dépasser une page, interligne simple.

Elles doivent être envoyées à : https://framaforms.org/proposition-de-communication-colloque-medias-et-liberte-dexpression-1734003494

avant le 15 février 2025.

  • Début mars 2025 : envoi des notifications d’acceptation.
  • 1er juin 2025 : envoi des supports de communication aux discutant·es.
  • 18-20 juin 2025 : tenue du colloque.

Comité d’organisation

Le colloque est organisé par l’équipe française de la chaire de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d’expression (Colibex) : Thibaud Boncourt (Titulaire Colibex, Lyon 3, TRIANGLE), Thomas Hochmann (Titulaire Colibex, Université de Nanterre, CTAD), Hanane Karimi (Titulaire Colibex, Université de Strasbourg, LinCS), Anna Arzoumanov (Titulaire Colibex, Université Paris-Sorbonne), Pauline Trouillard (Postodoctorante Colibex, CNRS, Université de Nanterre), Pierre-Nicolas Baudot (Postdoctorant Colibex, CNRS, TRIANGLE). 

Bibliographie

  • Belair-Gagnon Valerie, Holton Avery E. (2018), « Boundary Work, Interloper Media and Analytics in Newsrooms. An Analysis of the Roles of Web Boundary Analytics Companies in News Production », Digital Journalism, 6 (4), p. 492-508.
  • Bourdieu Pierre (1994), « L’emprise du journalisme », Actes de la recherche en sciences sociales, 101-102, p. 3-9.
  • Bunce Mel, Scott Martin, Wright Kate (2024), Capturing News, Capturing Democracy. Trump and the Voice of America, Oxford, Oxford University Press.
  • Carlson Matt, Lewis Sett C. (2015), Boundaries of journalism: Professionalism, practices and participation, Abingdon & New York, Routledge.
  • Champagne Patrick (2016), La double dépendance. Sur le journalisme, Paris Raisons d’agir. Chupin Ivan, Nollet Jérémie (dir), Journalisme et dépendances, Paris, L’Harmattan, 2006. Chupin Ivan, Hubé Nicolas, Kaciaf Nicolas (2009), Histoire politique et économique des médias en France, Paris, La Découverte.
  • Comby Jean Baptiste, Ferron Benjamin (2018), « La subordination au pouvoir économique. Dépolarisation et verticalisation du champ journalistique », Savoir/Agir, 46, p. 11-15.
  • Dupuy Camille (2015), Journalistes : des salariés comme les autres ? Représenter, participer, mobiliser, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.
  • Koch Olivier (2015), « Les médias dans les « transitions démocratiques » : état des lieux et prospective », Questions de communication, 28, p. 211-229.
  • Lévêque Sandrine (2000), Les journalistes sociaux. Histoire et sociologie d'une spécialité journalistique, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
  • Mangon Simon (2024), « Une presse libre en contexte autoritaire ? Aide internationale et « démocratisation » par les médias en Jordanie », Critique internationale, 104, p. 37-58.
  • Mercier Arnaud, Pignard-Scheynel Nathalie (2014), « Mutations du journalisme à l’ère du numérique : un état des travaux », Revue française des sciences de l’information et de la communication, 5.
  • Neveu Erik (2024), Sociologie du journalisme, Paris, La Découverte.
  • Pinto Louis (1984), L’intelligence en action : Le Nouvel Observateur, Paris, Métailié.
  • Rebillard Franck et Loicq Marlène (2013), Pluralisme de l’information et media diversity. Un état des lieux international, Louvain-la-Neuve, De Boeck Supérieur.
  • Ruellan Denis (1992), Le journalisme ou le professionnalisme du flou, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
  • Rieffel Rémy (2022), L’emprise médiatique sur le débat d’idées. Trente années de vie intellectuelle 1989-2019, Paris, PUF.
  • Sedel Julie (2021), Dirigeants de médias. Sociologie d’un groupe professionnel, Rennes, Presses Universitaires de Rennes.
  • Trouillard Pauline (2019), « Le service public audiovisuel dans les États membres de l'Union Européenne : étude comparée France, Italie, Royaume-Uni », Thèse pour le doctorat en droit public, université Paris Panthéon Assas.
  • Vauchez Ysé (2025), « Journalistes et citoyens dans la lutte pour la vérification des faits », in Aubert Antoine, Boncourt Thibaud, Saint-Martin Arnaud (dir.), Batailles pour la vérité. Complotisme, effondrisme et autres discours alternatifs, Paris, Éditions de la Sorbonne.

Note


[1] Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986

Places

  • Lyon, France (69)

Date(s)

  • Saturday, February 15, 2025

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Keywords

  • médias, liberté d'expression

Contact(s)

  • Clémence Faugère
    courriel : clem [dot] faugere [at] gmail [dot] com

Reference Urls

Information source

  • Clémence Faugère
    courriel : clem [dot] faugere [at] gmail [dot] com

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Médias et liberté d’expression », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, January 08, 2025, https://doi.org/10.58079/131i3

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