Published on Thursday, February 20, 2025
Abstract
Les contributeurs aux travaux de cette rencontre scientifique aborderont les implications du renversement des valeurs académiques : survalorisation sélective des sciences « dures », « appliquées » et « rentables » aux dépens des sciences « molles » qui trouvent peu d’applications génératrices de profit, mise en cause de la légitimité des langues, lettres, arts et sciences humaines et sociales, élimination progressive des parcours de formation de toutes les disciplines qui sont « inutiles », effacement du « sujet critique ».
Announcement
Université de Tunis El Manar
Institut supérieur des sciences humaines de Tunis, Laboratoire des recherches et des études brachylogiques (Discours, communication, arts, culture, société, histoire)
Colloque international, Tunis, 20-21 novembre 2025
Argumentaire
Pour tenter de poser la question du statut (épistémologique et institutionnel) des langues, des lettres, des arts et des sciences humaines et sociales dans le contexte de l’université néolibérale (M. Boudet, 2020 ; C. Laval, 2014 ; C. Laval, F. Vergne, P. Clément, G. Dreux, 2011), il faut prendre en considération une dimension contextuelle : le brutal renversement des valeurs académiques opéré en faveur d’une survalorisation sélective des sciences « dures », « appliquées » et « rentables » aux dépens des sciences « molles » qui trouvent peu d’applications génératrices de profit. D’où la tendance de l’université néolibérale à rogner les connaissances qui ne sont pas immédiatement nécessaires et rentables pour le mode de production capitaliste, et à fermer ou reformater des départements de langues, de lettres, des arts et des sciences humaines et sociales.
L’état des lieux de l’enseignement (J. Bacha, 2015 ; K. Bendana, 2024 ; M. Besbès, 2019 ; H. Ounaïna, 2021) « des disciplines du sens » (M. Conesa, P.Y. Lacour, F. Rousseau, J-F. Thomas, 2013), c’est-à-dire les langues, les lettres, les arts et les sciences humaines et sociales est accablant et alarmant. Il fait ressortir que ces disciplines sont la cible des grandes orientations de l’enseignement supérieur et que l’université néolibérale s’aligne de plus en plus ouvertement sur les exigences de l’ » "économie de la connaissance" qui vise précisément à faire l’économie de la connaissance, c’est-à-dire à se passer de la "connaissance" quand elle n’a pas de valeur économique sur le marché » (C. Laval, F. Vergne, P. Clément, G. Dreux, 2011). Le système « Licence-Master-Doctorat » favorise une université néolibérale avec une injonction à la professionnalisation présentée par la doxa comme « une condition de survie de l’Université [qui] maquille en réalité l’adaptation du monde académique au modèle néo-libéral et le transfert vers le marché des prérogatives prescriptives en matière de curricula » (C. Laval, F. Vergne, P. Clément, G. Dreux, 2011).
Lorsqu’on veut essayer d’aller au-delà d’une simple constatation de la crise des enseignements en langues, lettres, arts et sciences humaines et sociales, il faut chercher les racines du problème du côté de l’idéologie de la formation sous-jacente au « système Licence-Master-Doctorat » : « adapter l’enseignement supérieur » aux besoins de l’économie capitaliste. L’argument idéologique partout déployé – de présentation très technocratique – est celui de l’« adéquation formation-emploi » (I. Voirol-Rubido et S. Siegfried, 2015), tout en omettant (délibérément ou non) de dire que les possibilités d’emploi sont plutôt fixées par les « bailleurs de fonds » et par les milieux gouvernementaux qui leur sont liés.
Les implications de cette emprise croissante du néolibéralisme sur l’université sont multiples. D’abord, une mise en cause de la légitimité des langues, lettres, arts et sciences humaines et sociales et une élimination progressive des parcours de formation de toutes les disciplines qui sont « inutiles ». Ensuite, un effacement du « sujet critique qui ne convient pas à l’échange marchand, c’est même tout le contraire qui est requis dans le démarchage, le marketing et la promotion (volontiers mensongère) de la marchandise » (Dufour, 2003).
Voilà ce qui justifie bien une recherche-réflexion collective et pluridisciplinaire sur les compressions imposées aux langues, aux lettres, aux arts et aux sciences humaines et sociales dans le contexte de l’université néolibérale. Dans ce sens, le laboratoire des recherches et des études brachylogiques (Discours, communication, arts, culture, société, histoire) consacre sa première manifestation scientifique au statut (institutionnel et épistémologique) des langues, des lettres, des arts et des sciences humaines et sociales et à leur essence démystificatrice. Conformément à la vocation pluridisciplinaire, à l’éthique de l’esprit conversationnel et aux « principes de la révision et du partage des idées » (M. M’henni, 2024) fondateurs de la nouvelle brachylogie (M. M’henni, 2015), ce colloque ambitionne de redonner sens à la visée émancipatrice des langues, des lettres, des arts et des sciences humaines et sociales au sein de l’université publique.
Le comité scientifique du colloque accueillera toutes les contributions permettant de poser des interrogations fondées sur le statut des langues, des lettres, des arts et des sciences humaines et sociales « prises en tenaille entre les agences de programmation, d’évaluation et de notation de la recherche, l’immixtion de contraintes économiques extérieures à leur champ [et] qui voient […] leur marge d’indépendance rétrécir » (Collectif Sciences sociales, 2013), lesquelles interrogations pourraient être formulées comme suit :
- Quel effort de conceptualisation faut-il engager pour déconstruire le discours idéologique qui est une dimension même de l’université néolibérale, pour favoriser une appropriation réfléchie et politique de mots (« compétence », « flexibilité », « employabilité », « professionnalisation », « capital humain ») qui constituent le noyau dur de ce discours et, donc, pour opérer un renversement de perspective ?
- Quels sont les soubassements anthropologiques de l’université néolibérale ? Parce que derrière le discours de la « professionnalisation », de l’« employabilité », « il y a des questions philosophiques et politiques fondamentales » : quel enseignement des langues, des lettres, des arts et des sciences humaines et sociales, « pour former quel type d’être humain, dans quelle société, dans quel monde, quelle vie, quel avenir ? » (Ch. Bernard, 2020)
- Quelles sont les conséquences qui découlent du choix d’évincer progressivement des programmes de formation les langues, les lettres, les arts et les sciences humaines et sociales conçus comme laboratoire de pensée critique et véhicule de visions du monde, de l’homme et de l’Histoire ?
- Que faire pour ne pas laisser les « commissions qui mêlent des universitaires distingués à des hauts fonctionnaires férus d’entreprise (d’entreprenariat ?) ou préposés à l’ordre » (Ph. Boursier et W. Pelletier, 2019) imposer la compression de la teneur intellectuelle de l’enseignement des langues, des lettres, des arts et des sciences humaines et sociales considérés comme cadre de pensée sur les questions fondamentales de la modernité (sociale, culturelle et politique) et de son devenir problématique ?
- Quels liens de cause à effet peut-on établir entre les missions de l’université néolibérale, « le grand mouvement de déculturation et de désintellectualisation » de la société ? Le grand paradoxe d’une société officiellement définie comme une « société de la connaissance » n’est-il pas d’avoir « perdu de vue la fonction véritable de la connaissance » ? (p. Meirieu et M. Gauchet, 2011)
- Peut-on considérer les médias (dominants) et le « commentaire politique et les débats de société » (p. Tevanian, S. Tissot, 2020) comme de véritables acteurs d’une domination symbolique qui participent des « imaginaires socio-discursifs » (p. Charaudeau, 2006) pour ancrer les termes-clés de l’université néolibérale dans les esprits ?
- Faut-il s’étonner du « règne de l’"idiocratie" » (B. Gaccio, 2019) ?
Les intéressés par la question du statut des langues, des lettres, des arts et des sciences humaines et sociales dans le contexte de l’université néolibérale peuvent adopter une approche interdisciplinaire et proposer des communications autour des axes suivants :
- Discours idéologique de l’université néolibérale : « compétence », « flexibilité », « employabilité », « professionnalisation », « capital humain », etc.
- Vision de la formation, de l’homme, du monde et de l’Histoire sous-jacente à l’université néolibérale.
- Économie de la connaissance et compression de la teneur intellectuelle de l’enseignement des langues, des lettres, des arts et des sciences humaines et sociales.
- Média et diffusion des « imaginaires socio-discursifs » de l’université néolibérale.
- Potentiel émancipateur des langues, des lettres, des arts et des sciences humaines et sociales.
Modalités de soumission
Propositions (Nom, prénom, affiliation, mail de contact, titre, résumé de 300 mots maximum, 5 mots-clés et brève bio-bibliographie) à soumettre à l’adresse colloque.statut.lglashs.univ.neo@gmail.com
avant le 30 avril 2025
Date de notification d’acceptation aux auteurs : 30 juin 2025
Date du colloque : 20-21 novembre 2025
Comité d’organisation
Coordinatrices : Ghada NÉCHI, Besma FERTANI, Chahira BOUMEYA, Université de Tunis El Manar
- Rim GAFSI, Université de Tunis El Manar
- Hamdi OUNAINA, Université de Tunis El Manar
- Sabeh BOULARĖS, Université de Tunis El Manar
- Safa CHÉBIL, Université de Tunis El Manar
- Sabeur RADDAOUI, Université de Gafsa
- Saloua TOUATI, Université de Gafsa
- Nawel KHLEIFI, Université de Gafsa
- Chiraz FERSI, Université de Tunis El Manar
- Wafa SELMI, Université de Tunis El Manar
- Mohamed CHAGRAOUI, Université de Tunis El Manar
Comité scientifique
Coordinateurs - Hassen MOURI et Safa CHEBIL, Université de Tunis El Manar
- Mohamed GHODHBANE, Université de Tunis El Manar
- Aida BEN AHMED HADDAD, Université de Tunis El Manar
- Mansour M’HENNI, Université de Tunis El Manar
- Rached KHLIFA, Université de Tunis El Manar
- Zouhour BEN AZIZA,Université de Tunis El Manar
- Imed MELLITI, Université de Tunis El Manar
- Mohsen KHOUNI, Université de Tunis El Manar
- Khemaies OUERTANI, Université de Tunis El Manar
- Om Ezzine BEN CHIKHA ELMESKINI, Université de Tunis El Manar
- Monia REKIK, Université de Tunis El Manar
- Saloua BEN AHMED, Université de Tunis El Manar
- Raouf GHRAM, Université de Tunis El Manar
- Mouldi GASSOUMI, Université de Tunis
- Salah MOSBAH, Université de Tunis
- Farah ZAIEM, Université de la Manouba
- Nizar BEN SAAD, Université de Sousse
- Mustapha TRABELSI, Université de Sfax
- Mongi KAHLOUL, Université de Gabès
- Narjess SAÏDI, Université de Jendouba
- Jalel TLILI, Université de Tunis El Manar
- Sabeh AYADI, Université de Tunis El Manar
- Dhafer NÉJI, Université de Tunis El Manar
Partenaires
Laboratoire de recherches « Lumières, modernité et diversité culturelle », Université de Tunis El Manar
Laboratoire de recherche École et littérature, Université de Sousse
Bibliographie sélective
-Bendana, Kmar, « Les sciences humaines et sociales en Tunisie depuis 2011 : une navigation sans boussole ? », in Communications, n° 114, 2024, p. 113-124.
-Boursier, Philippe et Pelletier, Willy, Fondation Copernic (dir.), Manuel indocile de sciences sociales. Pour des savoirs résistants, Paris, La Découverte, 2019.
-Boutang, Yann Moulier, Le capitalisme cognitif, La Nouvelle Grande Transformation, Amsterdam, Multitudes/idées, 2008.
-Charaudeau, Patrick, Le discours politique. Les masques du pouvoir, Paris, Vuibert, 2005.
-Charlot, Bernard, Éducation ou barbarie : Pour une anthropo-pédagogie contemporaine, Paris, Economica-Anthropos, 2020.
-Collectif Sciences sociales, 2013.
-Conesa, Marc, Lacour, Pierre-Yves, Rousseau, Frédéric, Thomas, Jean-François (dir), Faut-il brûler les Humanités et les Sciences humaines et sociales ?, L’Atelier des SHS n° 6, Paris, Michel Houdiard Éditeur, 2013.
-» Contre l’idéologie de la compétence, l’éducation doit apprendre à penser. Entretien croisé avec Philippe Meirieu et Marcel Gauchet », par Nicolas Truong, in Le Monde, 2 septembre 2011. https://www.lemonde.fr/idees/article/2011/09/02/contre-l-ideologie-de-la-competence-l-education-doit-apprendre-a-penser_1566841_3232.html
-Dictionnaire de la nouvelle brachylogie, M’henni, Mansour (dir.), Tunis Éditions al-Mokaddima et Brachylogia, 2024.
-Écrire l’histoire sociale de la sociologie en Tunisie, Ounaïna, Hamdi (dir.), Sfax, Med Ali Édition, 2021.
-Étude sur le Système National du Doctorat, Rapport du Groupe de Travail, Sous la direction de Mustapha Besbes, Académie tunisienne Beït al-Hikma, 2019.
-Haecht, Anne Van, L’école à l’épreuve de la sociologie. Questions à la sociologie de l’éducation, Bruxelles, De Boeck Université, 2006.
-Gaccio, Bruno, « Indocilités – Conclusion décalée », in Philippe Boursier et Willy Pelletier, Fondation Copernic (dir.), Manuel indocile de sciences sociales. Pour des savoirs résistants, Paris, La Découverte, 2019, p. 1023-1025.
-Hirtt, Nico « Éduquer et former, sous la dictature du marché du travail », in L’école démocratique, n° 55, septembre 2013, p. 3-17.
-Laval, Christian, Vergne, Francis, Clément, Pierre, Dreux, Guy, La Nouvelle école capitaliste, Paris, La Découverte, 2011.
-Laval, Christian, « De l’université néolibérale à l’université comme commun », in La Deleuziana, Revue en ligne de philosophie, n° 13, 2021, p. 118-134.
-Loi n° 2008-19 du 25 février 2008, relative à l’enseignement supérieur, Journal officiel de la République tunisienne, 4 mars 2008.
-L’enseignement du français et en français à l’université, Textes réunis et présentés par Bacha, Jacqueline, Tunis, Imprimerie officielle de la République Tunisienne, 2015.
-M’henni, Mansour, Le retour de Socrate (essai), Tunis, Éditions Brachylogia, 2015.
-Mémoire reconstituée. Pour une histoire des humanités à l’Université tunisienne, Rifi, Hichem (dir.), Publications Universitaires de La Manouba, 2022.
-SOS École Université. Pour un système éducatif démocratique, coordonné par Boudet, Martine, Éditions du Croquant, 2020.
-Tevanian, Pierre, Tissot, Sylvie, Les mots sont importants, Paris, Editions Libertalia, 2010.
-Voirol-Rubido, Isabel et Hanhart, Siegfried, « Face aux mutations des marchés de l’emploi, quelles politiques de formation ? », in Revue française de pédagogie, n° 192, juillet-août-septembre 2015, p. 5-10.
-Wright, Erik Olin, Entretien par Ramzig Keucheyan, « Autour du marxisme et des "sciences sociales émancipatrices" », in Actuel Marx, n° 63, 2018, p. 202-212.
Subjects
- Epistemology and methodology (Main category)
- Mind and language > Education > Educational sciences
Places
- Institut supérieur des sciences humaines de Tunis, Université de Tunis El Manar - 26, avenue Darghouth Pacha
Tunis, Tunisia (1007)
Date(s)
- Wednesday, April 30, 2025
Attached files
Keywords
- statut-langues- lettres-arts-sciences humaines et sociales -université néolibérale
Contact(s)
- Mohamed CHAGRAOUI
courriel : chagraouimohamed [at] yahoo [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Saber Raddaoui
courriel : saberraddaoui [at] yahoo [dot] fr
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To cite this announcement
« Quel statut des langues, des lettres, des arts et des sciences humaines et sociales dans le contexte de l’université néolibérale ? », Call for papers, Calenda, Published on Thursday, February 20, 2025, https://doi.org/10.58079/13cdr