HomeLa guerre mal nommée du Cameroun (1956-1971) : état des lieux des connaissances et perspectives de recherches
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Published on Monday, March 17, 2025

Abstract

Ce colloque vise à revisiter un conflit longtemps occulté dans l’historiographie officielle et à interroger les raisons de cette invisibilisation. Entre « guerre d’indépendance », « guerre de libération », « rébellion » ou « pacification », la terminologie même de cet épisode reste un enjeu politique et mémoriel majeur. Il s’agira d’analyser les parcours des militants nationalistes, les formes de résistance, la répression exercée par l’État camerounais et la France, ainsi que les conséquences politiques et sociales de ce conflit jusqu’à aujourd’hui. En s’appuyant sur des travaux historiques, des témoignages et des archives, cette rencontre scientifique ambitionne de faire émerger de nouvelles perspectives de recherche sur cette période.

Announcement

Argumentaire

Guerre d’indépendance, guerre de libération nationale, guerre du Cameroun, maquis, rebellions armées, troubles, guerre civile, subversion, pacification, les événements du Cameroun… Pourquoi jusqu’aujourd’hui la communauté scientifique et même le pouvoir politique n’arrive pas à nommer ce qui s’est passé au Cameroun de 1957 à 1971 ? « Mal nommer les choses c’est ajouter malheur du monde » disait Albert Camus. Au malheur de la défaite du camp national s’est ajouté pour ceux qui avaient combattu l’ordre colonial, une sorte de déchéance morale. On leur a fait croire qu’ils avaient eu tort de se rebeller. Bien qu’ils sachent que sur le plan moral, ils avaient raison, l’ordre politique sorti du conflit leur a assené un sentiment de honte. Pourquoi cela ? Comment sommes-nous arrivés là ?

De tous les territoires subsahariens administrés par la France, le Cameroun fut le seul à recourir à la lutte armée pour se libérer de l’emprise coloniale et conquérir son indépendance. Portée par des paysans, des ouvriers et des intellectuels rompus à l’action politique et syndicale, la lutte nationaliste connut un tournant majeur dès 1948 avec la naissance de l’Union des Populations du Cameroun (UPC). Ce parti incarna l’opposition à l’ordre colonial aussi bien dans le Nord du pays que dans le Sud. Depuis la ville de Douala, il s’imposa dans le débat public à travers des meetings, des réunions, des tournées, des pétitions et les unités de bases disséminées dans les villes et les villages. À cela s’ajouta l’envoie des représentants aux Nations Unies et aux conférences anti-impérialistes organisées à travers le monde. Cette intense activité politique, incarnée par les leaders comme Ruben Um Nyobè, Félix Moumié et la masse de militant(es) anonymes, donna au mouvement de se positionner dès le début des années 1950 à l’avant-garde du mouvement de résistance à la politique assimilationniste de la France en Afrique.

Un tel projet qui remettait en cause toute la politique coloniale rencontra évidemment une vive opposition de l’administration et du pouvoir politique français. Le résultat fut l’interdiction de l’UPC et surtout la guerre qui dura plus d’une dizaine d’années. Seulement, et contrairement à ce qui se passa en Algérie, ce ne fut pas le camp indépendantiste qui gagna la guerre mais les adversaires résolus du projet et particulièrement la France.

« La France accorda l’indépendance à ceux qui la réclamaient le moins, après avoir éliminé politiquement et militairement ceux qui la réclamaient avec le plus d’intransigeance  ; dans les régions Bassa et Bamiléké  ; l’ordre n’est pas encore complètement rétabli le 1er janvier 1960, lorsque le Cameroun sous administration française devient indépendant.  »[1]

Les nouvelles autorités mises en place par la France et qui étaient d’ailleurs quelques années auparavant, des adversaires résolus de l’indépendance et de la réunification, décidèrent faute d’une légitimité historique de fonder la nouvelle république sur l’oubli et l’amnésie. Par une série de lois notamment celles portant sur la répression de la subversion et sur l’État d’exception sans oublier les actes d’autorité, le régime Ahidjo confisqua la production de la pensée et de la parole, transformant le nouvel Etat qui venait de naître et qui depuis octobre 1961 s’appelait République fédérale du Cameroun en une sorte de dictature fondée sur la répression et la peur

Malgré tous ces verrous politiques, administratifs et mémoriels qui refusent de passer continuent d’impacter la vie politique au Cameroun et à influencer les rapports de coopération entre la Cameroun et la France plus de 60 ans après la guerre.

Ainsi, il a fallu une forte pression de la population au bénéfice du combat pour la démocratie et les élections justes et transparentes pour que le sujet tabou de la ‘Guerre du Cameroun’ resurgisse dans le débat national et que le pouvoir politique lâche du lest en promulguant la loi N° 91/022 du 16 décembre 1991 sur la réhabilitation de certaines figures de l’Histoire du Cameroun. Seulement on attend en vain depuis plus de 30 ans le décret d’application de cette loi.

Aussi bizarre que cela paraisse, cette guerre non ou mal nommée est une guerre dont les principales archives se trouvent hors du Cameroun, précisément en France. L’attitude des autorités de ce pays a contribué à envelopper cette partie de notre histoire d’un voile noire. En mai 2009, le Premier Ministre de la France d’alors François Fillon en visite à Yaoundé qualifia les évènements de 1957 à 1971 et la rétention des archives de cette période par la France de « pure invention ».

Il a fallu attendre la visite à Yaoundé en juillet 2015, du Président Français François Hollande pour que ce dernier reconnaisse « qu’il y a eu des épisodes tragiques dans l’histoire. Il y a eu une répression dans la Sanaga-Maritime, en pays bamiléké et je veux que les archives soient ouvertes pour les historiens ». Cette promesse qui fut tenue très partiellement ne mit pas fin à la querelle et ne combla pas les attentes de tous ceux qui espéraient une nouvelle ère dans les relations entre la France et le Cameroun au sujet de cette guerre et de son écriture. Lors de sa visite officielle au Cameroun en juillet 2022, le président français Emmanuel Macron a proposé la création d’une commission mixte d’historiens franco-camerounaise chargée de « faire la lumière » sur l’action de la France pendant la colonisation et après l’indépendance du Cameroun[2]. Le rapport de cette commission[3], désormais rendu public, confirme que cette initiative, bien que présentée comme un travail collaboratif, résulte en réalité d’une décision unilatérale de la France. Contrairement aux attentes initiales, la commission a été nommée, financée et contrôlée de bout en bout par la partie française. Une analyse plus attentive permet également de constater que certains de ses membres ne sont pas des spécialistes de la question, alors même qu’il existe, à travers le monde, des chercheurs oubliés qui ont pourtant mené des travaux approfondis sur cette thématique.

   Au regard de tout ce qui entoure ces évènements, il importe de relever que cette partie de cette histoire est entièrement en friche. Malgré quelques publications dont certaines de bonnes factures, des thèses et mémoires des étudiants, les zones d’ombres et les non-dits restent énormes. Comme nous l’avons relevé plus haut, les archives sur cette période sont éparpillées dans plusieurs sites au Cameroun et en Europe principalement en France. Certaines de ces archives sont gardées secrètes, d’autres négligées ou livrées à une destruction naturelle et progressive. Le regain d’intérêt soulevé par cette question, illustré par les travaux de la Commission mixte franco-camerounaise pluridisciplinaire mise en place par Emmanuel Macron en 2022, dont le rapport a été publié en janvier 2025[4], ainsi que par l’ouverture contrôlée des archives et les témoignages écrits des acteurs de tous bords, ne sont-ils pas des occasions à saisir pour revisiter cette histoire et aborder un certain nombre de questions ? Pourquoi ces événements longtemps occultés font-ils encore l’objet de la méfiance de l’élite dirigeante ? Par ailleurs, qu’avaient donc fait de mal les nationalistes camerounais de cet épisode pour que leur mémoire subisse une pareille amnésie ?

Le présent colloque entend aussi plonger dans les méandres de la guerre pour ressortir et mettre en lumière ces aspects marginalisés ou négligés. Il entend également être le laboratoire des analyses scientifiques où les contributions et les débats permettront de s’accorder sur la nomination de ces évènements, de lever l’amnésie et de donner la parole aux acteurs qui, jusqu’à présent ont été considérés comme des personnes de secondes zones et sans importance. Les récits et les parcours de vies vont donc à coté de nombreux autres aspects constituer une des sections centrales de ce colloque.

Ce colloque portant sur la guerre non ou mal nommée du Cameroun’’ s’adresse aux enseignant(es), aux chercheurs et chercheuses, aux organisations, aux doctorants ainsi qu’aux praticiens et souhaite aborder les axes thématiques suivants :

  • Les parcours de vie des combattants et des militants nationalistes ;
  • Les espaces méconnus de la résistance : les fronts de l’Est, du Sud et du Centre ;
  • Les formes de résistance et de contre-résistance ;
  • Le maquis dans les centres urbains et la guérilla urbaine ;
  • L’internationalisation de la résistance ;
  • La contribution des femmes et des enfants ;
  • L’économie de la guerre ;
  • Les récits de vies et les témoignages ;
  • L’héritage du maquis au Cameroun ;
  • La guerre du Cameroun vue par les autres pays (coloniaux et anticoloniaux) ;
  • les défis de la conservation de la mémoire du mouvement nationaliste au Cameroun ;
  • Les effets de la guerre sur les us et les coutumes locales (cérémonies rituelles, veuvage, conservation des reliques, funérailles, obsèques, etc.) ;
  • Les idées, raisons et objet de propagande politique par les nationalistes Camerounais(es) ;
  • Les publications des témoins (population locale et témoins étrangers) ;
  • Photographies de guerre ; techniques de collecte et de conservation modes d’usage ;
  • La guerre et les relations entre la France et le Cameroun ;
  • La circulation des armes durant la guerre du Cameroun.

Modalités de soumission

Les propositions doivent inclure :

  • L’identification de l’auteur (nom, prénom, affiliation institutionnelle)
  • Titre de la communication proposée
  • Un résumé de 300 mots maximum en français ou en anglais

Une attention particulière sera portée sur les travaux originaux qui s’appuient sur des enquêtes de terrain et des données empiriques.

Les propositions doivent utiliser les adresses suivantes : colloqueporto2025@gmail.com et ceaup@letras.up.pt,

avant le 10 avril 2025.

Calendrier

  • Lancement de l’appel à communications : 15 janvier 2025
  • Date-limite pour la soumission des propositions : 10 avril 2025
  • Validation des propositions : 20 Mai 2025

Comité scientifique

  • Pr. Aimé Norbert Melingui (Université de Douala)
  • Pr. Albert François Dikoume (Université de Douala)
  • Pr. Alexis Tcheuyap (Université de Toronto)
  • Pr. Claire Laux (Université de Bordeaux)
  • Pr. David Mokam (Université de Ngaoundéré)
  • Pr. Edmond Mballa Elanga (Université de Douala)
  • Pr. Emmanuel Kam Nyogo (Université de Douala)
  • Pr. Emmanuel Tchumtchoua (Université de Douala)
  • Pr. Eugène Désiré Eloundou (ÉNS, Université de Yaoundé I)
  • Pr. Ernest Messina Mvogo (Université de Douala/CERDYM)
  • Pr. Faustin Kenne (Université de Yaoundé 1)
  • Pr. Flora Amabiamina (Université de Douala)
  • Pr. Hubert Bonin (Université de Bordeaux)
  • Dr. Jacob Tatsitsa (Université d’Ottawa)
  • Pr. Jean-Baptiste Nzogue (Université de Douala)
  • Pr. Jeannette Wogaing Fotso (Université de Douala)
  • Pr. Jérémie Diye (Université de Maroua)
  • Pr. Jules Kouosseu (Université de Dschang)
  • Pr. Maciel Santos (Université de Porto-CEAUP)
  • Pr. Maginot Noumbissie Tchouake (Université de Dschang)
  • Pr. Mérédith Terreta (Université d’Ottawa)
  • Pr. Mourad Aty (Guelma University-Algeria /CEAUO/R&D Research– Portugal)
  • Pr. Moussa II Lissou (Université de Yaoundé I)
  • Pr. Pascal Isidore Ndjock Nyobe (Université de Douala)
  • Pr. Raymond Ebale (Université de Yaoundé I)
  • Pr. Robert Kpwang Kpwang (Université de Douala)
  • Pr. Roland Afungang (CEAUP)
  • Dr. Simon Nken (Lycée Français Dominique Savio-Douala)
  • Pr. Thomas Wilkinson (CEAUP)
  • Pr. Yomb (Université de Douala)
  • Pr. Zacharie Saha (Université de Dschang)

Comité d’organisation

  • Dr. Amadou Soulemanou (Université de Douala)
  • Dr. Carla Delgado (CEAUP)
  • Dr. Démonster-Ferdinand Kouekam (Université de Douala)
  • Pr. Emmanuel Tchumtchoua (Université de Douala)
  • Dre. Edith Marguerite Ekodo Mvondo (UVS/Paris-Saclay)
  • Dr. Ferdinand Marcial Nana (Université de Douala)
  • Dr. Ferdinand Nga Onana (Université de Douala)
  • M. Frank Cypriany Djiomwo Nzinkeu (Université de Douala)
  • Dr. Gilbert Wate Sayem (Université de Dschang)
  • Dr. Gildas Igor Noumbou Tetam (Université de Lausanne)
  • Dr. Jorge Teixeira (CEAUP)
  • Dr. Manuela Barbosa (CEAUP)
  • Pr. Marciel Santos (Université de Porto-CEAUP)
  • Dr. Prince Nico Tchoudja (Université de Douala)
  • Dr. Valérie Fennou Tigoum (Université de Douala)
  • Dr. Yannick Zo’Obo (Université de Douala)

Notes

[1] Messmer Pierre, Les Blancs s’en vont, Paris, Albin Michel, 1998, p. 115.

[2] « Au Cameroun, Emmanuel Macron demande à des historiens de « faire la lumière » sur l’action de la France pendant la colonisation et après l’indépendance. Le chef de l’Etat a proposé « un travail conjoint d’historiens camerounais et français » et a annoncé l’ouverture « en totalité » des archives françaises », Le Monde avec AFP, Publié le 26 juillet 2022.

[3] Karine Ramondy (dir.), La France au Cameroun (1945-1971) - Rapport du volet "Recherche" de la Commission franco-camerounaise, éditions Hermann, 2025.

[4] Ibid.

Subjects

Places

  • Via Panorâmica Edgar Cardoso s / n, 4150-564 Porto, Portugal
    Porto, Portugal (1405-043)

Date(s)

  • Thursday, April 10, 2025

Keywords

  • indépendance, guerre du Cameroun, indépendance, nationalisme, union des populations du Cameroun (UPC), résistance

Information source

  • Emmanuel Tchumtchoua
    courriel : nueltchumtchoua [at] gmail [dot] com

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« La guerre mal nommée du Cameroun (1956-1971) : état des lieux des connaissances et perspectives de recherches », Call for papers, Calenda, Published on Monday, March 17, 2025, https://doi.org/10.58079/13hq5

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