HomeLes reconfigurations territoriales par le numérique : Vers une société numérique ?

Les reconfigurations territoriales par le numérique : Vers une société numérique ?

Colloque Sciences, pratiques et savoirs ‘Territoire et numérique’

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Published on Monday, April 07, 2025

Abstract

Ce colloque s’intéresse aux interactions entre territoire et numérique comme objet de sciences, de pratiques et de savoirs. En proposant un dialogue entre chercheurs et acteurs locaux, il interrogera les modalités de construction des connaissances relatives aux systèmes d’organisation sociale et spatiale à l’ère du numérique dans les territoires. Alors que l’intérêt pour le numérique se généralise dans les Sciences humaines et sociales, ce programme cherche notamment à poser les bases d’un dialogue à long terme sur la façon d’appréhender les enjeux territoriaux au prisme du numérique dans une démarche ascendante et de co-construction, notamment en interrogeant les effets du numérique sur l’offre et l’accès des services publics et de proximité.

 

 

Announcement

Argumentaire

A l’aube d’un monde redéfini en profondeur par les nouvelles formes d’interaction humaine avec l’intelligence artificielle, nombreux sont les ouvrages, au-delà même des sciences sociales et de l’espace, alertant sur les transformations qui subira la manière par laquelle les sociétés pratiquent le territoire. Le numérique, s’il apporte une optimisation sans précédents au quotidien, peut aussi devenir un amplificateur des fragilités existantes, non seulement pour les habitants, mais qui viendrait ébranler les fondements mêmes des Etats-nations, déjà aujourd’hui précarisés (Suleyman et Bhaskar, 2024). 

En tant que technologie pivot, le numérique influence les rapports entre habitants, collectivités et État, orientant les relations vers une hybridation entre espaces classiques et espaces numériques. Cette hybridation n’est pas seulement observée dans le temps, mais relève d’une recomposition spatiale profonde, s’inscrivant dans une logique d’« urbanisme numérique » (Doueihi, 2011). Le numérique redéfinit ainsi les usages de l’espace, malgré l’inertie des équipements existants, entraînant des mutations et parfois même le déclassement de territoires de plus en plus fragmentés (Vidal, 2017). 

Les initiatives dites de « villes intelligentes » invitent ainsi à une réflexion critique sur les modèles de développement territorial à l’ère du numérique. Si elles apparaissent comme une réponse aux défis de la transition numérique et urbaine, notamment pour améliorer la gestion des ressources, des services publics et promouvoir la participation, elles soulèvent aussi des interrogations : comment concilier les impératifs d’innovation et d’attractivité territoriale avec les dimensions technologique, sociale et spatiale dans une perspective inclusive et véritablement durable ?

De l’aménagement numérique des territoires aux fragilités numériques

Les années 1990 sont marquées par le constat d’un déploiement inégal des premiers réseaux de communications électroniques desservant les logements français. Ce constat est à l’origine de l’expression « fracture numérique » pour différencier les publics et les territoires connectés au réseau Internet, d’autres déconnectés que ce soit par manque d’infrastructures à proximité ou pour des raisons socio-économiques. A partir de 2004, les collectivités territoriales obtiennent la possibilité de constituer des Réseaux d’Initiatives Publics (RIP) notamment pour couvrir les zones peu denses du territoire national très largement délaissées par les acteurs privés. Il s’agit d’une solution hybride complémentaire des Appels à Manifestation d’Intention d’Investissement (AMII), assurés par des opérateurs privés principalement dans les zones densement peuplées. Entre 2004 et 2010, l’Etat français impose l’élaboration de nouveaux documents cadres pour faciliter le déploiement du Très Haut Débit (THD) sur la majorité du territoire, comme les Schémas de Développement Territorial d’Aménagement Numérique (SDTAN) ou encore ceux de Cohérence Régionale d’Aménagement Numérique (SCORAN).

Depuis 2010, à partir du déploiement massif des réseaux de communications HD / THD, filaire (ADSL, fibre) et mobile (3G à 5G), les initiatives des secteurs public et privé visant à la dématérialisation des procédures de toutes sortes se sont démultipliées. L’enjeu d’avoir un dispositif (ordinateur, tablette ou smartphone) connecté pour accéder au réseau est loin d’être la seule préoccupation aujourd’hui pour s’approprier du numérique et l’idée de « fracture » paraît insuffisante pour rendre compte des inégalités qui se cachent derrière les technologies de l’information et de la communication (TIC). Il ne s’agit plus de séparer les connectés des déconnectés, mais de comprendre les limitations à la participation économique, sociale et politique qu’entraînent les fragilités numériques en matière d’accès et de compétences. Ces fragilités peuvent également entraîner des conséquences sur l’éducation, la santé, la mobilité, l’environnement et la qualité de vie des publics et des territoires touchés.

Ainsi, après avoir longtemps centré son action sur l’aménagement numérique des territoires, l’Etat français ne s’intéresse à l’inclusion numérique qu’à partir de 2018, avec la mise en place du Plan National pour un Numérique Inclusif. Auparavant, les initiatives pour déployer une stratégie d’inclusion numérique relevaient de politiques sectorielles (par exemple, par l’Education nationale) ou des collectivités territoriales par des politiques locales volontaristes souvent nées à l’initiative d’élus locaux sensibles à la question du numérique ou de l’accès aux droits, ou encore en partenariat avec des réseaux locaux économiques et de solidarités (associations, entreprises et universités).

En effet, dans les discours sur le numérique, les décideurs ont souvent tendance à se projeter vers un horizon lointain, façonné par l’innovation et le progrès technologique. Pourtant, les besoins réels sont souvent plus immédiats, parfois amplifiés par le numérique lui-même (Alahyane, 2021). Ce dernier est-il une réponse adaptée aux défis quotidiens ou un simple miroir aux alouettes, masquant des inégalités persistantes ? Dans quelle mesure le numérique, présenté comme une solution, ne vient-il pas plutôt aggraver certaines fragilités sociales ou économiques ? Ne faudrait-il pas repenser notre rapport au numérique en intégrant une véritable réflexion sur ses effets différenciés ? Comment concilier ainsi innovation et justice sociale dans les usages du numérique ?

Enfin, ces initiatives font émerger un nouveau vocabulaire en cours de stabilisation, qui demande la compréhension des nuances existantes entre les contextes et selon le prisme choisi : exclusion numérique, illectronisme, vulnérabilité numérique, e-exclusion, relation e-administrative, fragilités numériques, sont autant de termes qui pourraient donner origine à un dictionnaire sociétal du numérique.

Enjeux théoriques, méthodologiques et perspectives du colloque

De surcroît, le numérique remet en surface des questionnements sur les modes de production et de représentation de l’espace. Le tournant territorial amorcé par les Sciences sociales au cours des années 1970 et 1980 a instauré de nouvelles manières de penser les réseaux et les flux structurant les territoires. Aujourd’hui, de nouvelles dynamiques spatiales se forment à l’interface du réel et du numérique. Elles naissent sous l’effet des interactions sociales et économiques induites par l’avènement du numérique et/mais s’accompagnent de la reproduction d’inégalités socio-spatiales nouvelles ou préexistantes.

Ces reconfigurations appellent une approche multidimensionnelle, permettant d’analyser les pratiques, les représentations et les formes d’appropriation de l’espace sous l’influence du numérique, en identifiant les acteurs impliqués dans cette recomposition. Les acteurs sont ici entendus au sens large, i.e. l’ensemble des gens et institutions présents sur le territoire.

Dans une perspective complémentaire, l’approche permettant d’interroger les processus de territorialisation-déterritorialisation-reterritorialisation (Raffestin, 1980, 1986 ; Dupuy, 1991) offre des pistes de réflexion pour interroger la spatialité réticulaire induite par le numérique aujourd’hui. Les Sciences humaines et sociales nous semblent être bien armées d’outils théoriques et méthodologiques pour faire face au défi d’appréhender les nouvelles relations entre espace, société et numérique.

L’imposition croissante de la dématérialisation pose ainsi des interrogations : creuse-t-elle les inégalités et renforce-t-elle de nouvelles formes de rapports de domination (Devaux C. et. al., 2022), ou ouvre-t-elle, au contraire, des perspectives émancipatrices pour certains groupes sociaux et territoires ? Cette dynamique pourrait-elle favoriser l’émergence d’espaces sociaux innovants, de nouvelles modalités d’expression et de dialogue, voire d’expressions artistiques inédites, redéfinissant ainsi les interactions sociales et culturelles à l’ère numérique ? Les approches en termes de justice spatiale (Raynaud, 1981 ; Gautreau, P., Noucher, M., 2016), la lecture du numérique comme « bien commun » (Jarry-Lacombe, B., Bergère, J. M., Euvé, F., Tardieu, H., 2022), tout comme les analyses des mécanismes de construction spatiale des solidarités (Bioteau E., 2018) offrent des perspectives critiques contribuant à éclairer et à mieux comprendre les divergences d’intérêt, les enjeux de pouvoir et les conflits qui sous-tendent la diffusion du numérique dans nos territoires.

Ainsi, au-delà des approches aménagistes et programmatiques des politiques publiques menées par l’État, de nombreuses initiatives ont émergé dès les années 1990 à des échelles intermédiaires et locales. Qu’elles résultent de politiques incitatives gouvernementales ou d’initiatives locales adossées aux documents cadres du développement numérique en France, elles partagent un point commun : être portées par des acteurs de terrain qui répondent aux besoins et aux opportunités spécifiques de leurs territoires.

Ces projets peuvent être qualifiés d’initiatives ascendantes, et là encore, les Sciences humaines et sociales ont développé différentes manières de les aborder. L’approche institutionnelle, centrée sur le terrain, porte principalement sur l’analyse des corps intermédiaires (acteurs institutionnels et associatifs), mettant l’accent sur les dynamiques des territoires de projet ; elle s’oppose ainsi aux approches dites « descendantes », en proposant des modèles bottom-up. Une autre manière d’aborder ces initiatives dites ascendantes consiste à s’intéresser aux effets de lieu, aux espaces de vie des quartiers et de l’habitat. Il s’agit ainsi d’élargir le spectre d’analyse pour comprendre comment « faire avec » les habitants et les citoyens, en identifiant les mécanismes de solidarité qui favorisent l’émergence de nouvelles dynamiques locales.

Cette approche, par le développement territorial local, dite endogène et portée par des acteurs ancrés dans le territoire, se distingue de la notion classique de développement, dite exogène (qu’elle complète ou qu’elle contredit ?), laquelle repose sur l’intervention d’acteurs extérieurs au territoire, soumise à des logiques échappant au contrôle des habitants et des parties prenantes du territoire. Ce dernier modèle peut fragiliser l’organisation territoriale en instaurant des formes de dépendance ; ce qui (nous) invite à réfléchir sur les modes de production des systèmes locaux notamment en interrogeant les liens sociaux et les dynamiques relationnelles qui les structurent (Aubry et al., 2022). Ainsi, loin de s’opposer, les approches relationnelles et institutionnelles se complètent et s’enrichissent mutuellement. Lorsqu’elles sont mobilisées conjointement, elles permettent de modéliser des systèmes territoriaux complexes et de mieux comprendre le rôle central des dynamiques ascendantes dans l’organisation des territoires.

Ce colloque tentera donc d’appréhender les enjeux méthodologiques, empiriques et théoriques qui sous-tendent les dialogues entre sciences, pratiques et savoirs des interactions entre territoire et numérique. Le partage des expériences permettra de s’interroger sur l’existence de spécificités territoriales dans la manière d’organiser les connaissances sur le numérique, tout comme la manière dont il impacte la vie des leurs habitants. En rassemblant chercheurs et praticiens issus de contextes urbains et ruraux, cette rencontre favorisera une réflexion collective sur les dynamiques territoriales et les enjeux de la transformation numérique. Le numérique servira ainsi d’objet-support pour aborder les grandes thématiques transversales suivantes :

  1. Numérique, territoire et lien social : Réflexions méthodologiques et épistémologiques pour saisir les changements de la société à l’ère du numérique
  2. La société en prise avec le numérique : quelle réponse des acteurs locaux aux enjeux territoriaux du numérique ? 
  3. Au-delà du numérique : idéalisations, rêves ou utopies face aux crises du quotidien – une opposition ontologique insurmontable ?

Modalités de soumission

Nous invitons les participants potentiels à soumettre un résumé de 500 mots maximum contenant cinq mots-clés et l’axe dans lequel s’insère la communication à l’adresse électronique suivante : colloque.territoirenumerique2025@free.fr,

avant le 15 Juin 2025.

Les travaux sélectionnés seront identifiés à la fin juillet.

Les auteurs devront alors envoyer leur article complet (40 000 signes max., 20 pages) avant le 1er octobre 2025.

Un numéro / dossier de revue est prévu.

Dates à retenir

  • 15 juin 2025 : Date limite pour l’envoi des résumés (500 mots et 5 mots-clés).
  • Fin juillet 2025 : Notification aux auteurs de l’acceptation ou du rejet de leur proposition.
  • Fin de l’été 2025 : Diffusion du programme détaillé.
  • 1er octobre 2025 : Date limite pour l’envoi de l’article complet (40 000 signes / 20 pages).
  • 18 & 19 novembre 2025 : Colloque & rencontre annuelle des services numériques.

Pour d’autres renseignements : colloque.territoirenumerique2025@free.fr

Comité organisateur

  • Dylan Boisselier, Doctorant en Géographie, Université d’Angers / ESO-Angers (UMR 6590)
  • Jérome Prugneau, Enseignant de Géographie, Université d’Angers / ESO-Angers (UMR 6590)
  • Marcelo Pires Negrão, Maître de conférences en Géographie, Université d’Angers / ESO-Angers (UMR 6590).
  • Nina Aubry, Maîtresse de conférences en Géographie, Université d’Angers / ESO-Angers (UMR 6590).
  • Pôle de la Relation Numérique à l’Angevin - Annie PINEAU
  • Pôle Territorial Belle-Beille Lac de Maine - Morgane BOURIGAULT

Références

ALAHYANE, Yacine. « L’accès aux droits, un parcours du combattant spatial et temporel. Le cas de personnes âgées nées en Afrique du Nord-Ouest résidant à Aubervilliers ». Annales de geographie. Cairn/Publilog, 2021. p. 112-136.

AUBRY, Nina, TORRE, André, BIOTEAU, Emmanuel, et al. « Les trajectoires de développement des territoires : les dynamiques relationnelles comme horizon de recherche renouvelé ». Géographie, économie, société, 2022, vol. 24, no 3, p. 239-260.

BIOTEAU, Emmanuel. Constructions Spatiales des Solidarités. Contribution à une géographie des solidarités. 2018. Habilitation à diriger des recherches (HDR). Université d’Angers.

DEVAUX, Camille, MAHOUDEAU, Alex M., VARACCA, Mari Oiry, et al. Rapports de domination et résistances. Approches de géographie sociale. Lectures, Publications reçues, 2022.

DOUEIHI, Milad. Pour un humanisme numérique. Éditions du Seuil, 2011.

DUPUY, Gabriel. L’urbanisme des réseaux, théories et méthodes. Armand Colin, 1991.

GAUTREAU, Pierre et NOUCHER, Matthieu. « Information géographique numérique et justice spatiale : les promesses du ‘partage’« . Justice spatiale = Spatial justice, 2016, vol. 10.

JARRY-LACOMBE, Bernard, BERGÈRE, Jean-Marie, EUVÉ, François, et al. Pour un numérique au service du bien commun. Odile Jacob, 2022.

RAFFESTIN Claude. « Écogénèse territoriale et territorialité ». Espaces, jeux et enjeux. Fayard, 1986.

RAFFESTIN Claude. Pour une géographie du pouvoir. LITEC, 1980.

REYNAUD, Alain. Société, espace et justice : inégalités régionales et justice socio-spatiale. FeniXX, 1981.

SULEYMAN, Mustafa et BHASKAR, Michael. La Déferlante : Technologie, pouvoir et le dilemme majeur du XXIe siècle. Fayard, 2024.

VIDAL, Philippe. « La paradoxale intrusion du numérique dans la France des marges ». La France des marges, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2017, p. 137-151.

Places

  • Maison de la recherche Germaine Tillon (MRGT), Université d’Angers - bis, 5 Bd de Lavoisier, 49000 Angers
    Angers, France (49)

Event attendance modalities

Full on-site event


Date(s)

  • Sunday, June 15, 2025

Keywords

  • fragilités numériques , accès aux services , dématérialisation administrative

Contact(s)

  • Marcelo PIRES NEGRAO
    courriel : marcelo [dot] piresnegrao [at] univ-angers [dot] fr

Information source

  • Marcelo PIRES NEGRAO
    courriel : marcelo [dot] piresnegrao [at] univ-angers [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Les reconfigurations territoriales par le numérique : Vers une société numérique ? », Call for papers, Calenda, Published on Monday, April 07, 2025, https://doi.org/10.58079/13p3p

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