HomeArts et Naissant : Approche interdisciplinaire des savoirs du vivant
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Published on Monday, June 16, 2025

Abstract

Ce projet de recherche souhaite ouvrir à une multiplicité de regards pour inviter à penser les modalités de figuration, représentation et expérimentation du naître dans les arts vivants, en dialogue fécond avec d’autres champs disciplinaires, afin d’impulser l’élaboration de nouveaux savoirs et pratiques pour penser la maïeutique dans la société, au prisme du regard artistique. À travers les différentes sessions d’études programmées dans et hors des cadres universitaires (CHU, crèches, associations, etc.), nous mènerons à la fois une réflexion d’ordre épistémologique tout en impulsant également un espace d’observation, d’écoute et d’analyse.

Announcement

Descriptif 

Ce projet de recherche souhaite ouvrir à une multiplicité de regards pour inviter à penser les modalités de figuration, représentation et expérimentation du Naître dans les arts vivants, en dialogue fécond avec d’autres champs disciplinaires, afin d’impulser l’élaboration de nouveaux savoirs et pratiques pour penser la maïeutique dans la société, au prisme du regard artistique. Il s’agit donc de resituer l’importance des arts vivants, capables de générer par le sensible et le poétique, tant une réflexion sur le monde qu’une voie exploratoire méthodologique proprement heuristique. À travers les différentes sessions d’études programmées dans et hors des cadres universitaires (CHU, crèches, associations, etc.), nous mènerons à la fois une réflexion d’ordre épistémologique, avec un ancrage pratique, sur la façon dont le naissant est abordé dans notre société, tout en impulsant également un espace d’observation, d’écoute et d’analyse afin qu’émerge une culture partagée des mises en récits et en pratiques des savoirs et des imaginaires portant sur la maïeutique, appréhendée comme une transformation continue.

Les différentes sessions d’études aborderont la manière dont les arts et les savoirs liés au corps saisissent, de manière singulière, les diverses étapes de cette transformation. Depuis le processus embryologique, de la multiplication cellulaire au développement de l’embryon et du fœtus, jusqu’aux formes d'interactions possibles entre l'intérieur et l'extérieur de la cavité utérine, nous explorerons comment les arts peuvent traduire cette dynamique métamorphosique continue. Un enjeu majeur consistera à élargir notre champ d’étude aux traitements artistiques qui explorent et donnent forme aux parcours psychologiques des corps en transformation, en mettant en avant les ambivalences des devenirs-mères, pour qui la gestation et le changement de statut associé représentent des défis complexes.

Nous questionnerons également ces gestes artistiques qui mettent en forme et en lumière, jusqu'à parfois permettre une réparation, la diversité des traversées physiques et psychologiques des corps en devenir. Cela inclut les fantasmes liés à l’enfant à naître, les appréhensions face aux défis écologiques et sociétaux, les confrontations à l'infertilité, les parcours d'adoption, les épreuves des fausses couches, les processus de PMA, les expériences de mères porteuses, et bien d'autres encore.

Ainsi, ce chantier de travail se donne pour objectif d'explorer les savoirs, représentations, imaginaires et figurations du processus de naissance aujourd’hui, dans une société post-pandémique, à travers des approches scientifiques rhizomiques en dialogue avec les arts. En croisant les regards des arts et des sciences, nous interrogerons les divers territoires existants, imaginés et à inventer, afin de questionner la place que notre société confère aux processus de mise au monde.

Nous questionnerons ainsi, par l’entrecroisement des arts et des sciences, les divers territoires existants, imaginés et à inventer, afin de questionner notre société à travers la place qu’elle confère aux processus de mise au monde.

Note d’intention et enjeux problématiques

Naître depuis le Vivant – perspective somatique 

Ce chantier de recherche s’ancre dans le cadre des activités du programme transversal d’ELLIADD « LABV. Laboratoire du vivant. Muer, mûrir, mourir et naître encore », coordonné par Élodie Bouygues, Julia Peslier et Carolane Sanchez. Depuis cet ancrage, ce séminaire intègre la pensée du Naissant dans ce qui le caractérise pour mouvement, envisageant la naissance d’un sujet, de ses étapes liminaires à celles qui lui succèdent, à travers un processus continu, protéiforme, métamorphosique. En effet, lorsque l’on étudie le processus embryologique, de la fécondation à la démultiplication cellulaire, de la blastulation avec la formation du futur placenta, de l’embryon, aux étapes suivantes (gastrulation, neurulation, organogenèse, etc.), l’être en devenir, déjà présent, le devient par ce mouvement de métamorphose, c’est ainsi que tel que le décrit Emmanuel Coccia : « tout vivant est en soi une pluralité de formes - simultanément présentes et successives -, mais chacune de ces formes n'existe de manière véritablement autonome, séparée, car elle se définit en continuité immédiate avec une infinité d'autres avant et après celle-ci[1]. » Qu’apprenons-nous alors du Vivant lorsque nous l’étudions depuis le processus d’ontogenèse, pour envisager les espèces à l’aune d’une forme de reliance systémique avec les autres espèces ? Comment les savoirs en embryologie peuvent-ils nous informer des esprits en constitution de nos systèmes physiologiques alors en cours de formation ? Il conviendra d’interroger comment les arts, et plus particulièrement les pratiques artistiques investissant le corps et la perception dans leur dimension somatique, donnent forme à la mémoire utérine à travers le geste artistique, voire ouvrent aux couches processuelles qui lui sont antérieures. À l'image des écrits presque méditatifs du chorégraphe butô Ushio Amagatsu dans Dialogues avec la Gravité, cet essai donne voix à une reviviscence du processus métamorphosique génésique. Il replace le corps dans sa mutation processuelle, depuis son état d'organisme aquatique il y a des milliards d'années jusqu'au bain de la cavité utérine, lieu matriciel d'où, une fois quitté, l'expérience de la gravité se joue. La parole du danseur rend compte avec sensibilité du processus de formation d'un corps qui expérimente les forces terrestres, donnant structure et verticalité. De l’interrogation spinoziste « Qu’est-ce que peut un corps ? », nous dirigeons alors la focale discursive tant sur la corporéité envisagée au sens de Michel Bernard[2], qu’en replaçant cet amas de forces réticulaires depuis la grille de lecture des étapes gestationnelles, quand ce corps-en-devenir est encore en instance d’incorporation, en voie de formation. Une pratique somatique, telle que le Body-Mind Centering, invite à l’éveil et à l’écoute du potentiel du soma à travers l'exploration et l'expérimentation directe de chaque système du corps. Ce savoir, élaboré par Bonnie Bainbridge Cohen[3] et diffusé en France par l’organisme SOMA[4], favorise une retraversée des origines de son propre mouvement, pour mieux comprendre ce qui soutent notre motricité, comme étudié dans les modules sur les schèmes de développement. Le BMC explore également, de façon somatique, la création des liens d’attachement, ce que Bonnie Bainbridge Cohen nomme le « bonding », avançant que la relation de l’enfant à sa famille commence in utero, avec la mère biologique, par la transmission des liquides de la lignée du sang maternel – le partage des fluides de la mère, et la perception qu’a le bébé de son énergie, son sang, ses mouvements, sa voix, son toucher, ses rythmes physiologiques. Le BMC postule que l'expérience de l'enfant dans l'univers fluide de la matrice influence en partie ses futures relations avec l'environnement extérieur. Mais comment ce type de savoir est-il mis en perspective avec le champ des autres études somatiques, voire avec les connaissances issues des études en maïeutique ? De plus, de quelles façons la création artistique s’empare-t-elle de ces étapes du développement in-utero ?

Naître dans les arts - Dramaturgies de l’intime à l’extime

Quelles voies exploratoires permettent l’élaboration de fictions émergentes de créateurs qui apposent à l’embryon un discours régit par le jeu, créant des récits peuplant le monde utérin, afin de mettre en lumière la matrice de l’utérus, ce corps maternel, lieu de passage entre l’intérieur et l’extérieur ? On pense ici à la pièce de théâtre jeunesse du dramaturge français Fabrice Melquiot, Bouli année zéro (2010), où, par un soliloque, on suit Bouli, qui raconte sa vie in utero par le biais d’une forme d’« haptonomie vocale ». Iris Carré-Dréan déclare à ce sujet que le dramaturge Melquiot « fait de l’utérus un espace dramatique aux modalités de dialogue spécifiques, au travers du ventre maternel[5] ».

Qu’en est-il des approches artistiques qui mettent en lumière l’utérus comme lieu matriciel, pour aborder sous un autre angle les perspectives féministes déconstructivistes, alertant contre les dérives réductionnistes du tableau de Courbet, signé au singulier, sous couvert d’un érotisme dissimulé ou d’une assignation du maternel au sexe féminin[6] ? Et si, oui, l’utérus était réenvisagé non comme l’origine du monde, contrariant alors le biais anthropocentré, mais comme l’un de nos mondes. Comment la création contemporaine utilise-t-elle ce canal matriciel pour penser les formes artistiques qu’elle engendre ? Les représentations de la gestation et de la naissance dans les œuvres de l’artiste-marionnettiste-danseuse Ilka Schönbein montrent bien à quel point ce processus méta-réflexif est à l’œuvre. Dans ses pièces (Métamorphoses, 1997 ; La vieille et la bête, 2009 ; Eh bien, dansez maintenant, 2017), elle engendre depuis ses entre-cuisses, se transformant en castelet d’un théâtre de l’apparition du naissant[7], des marionnettes anthropomorphes ou animales. Elle nous livre ainsi un récit poétique et saisissant sur la transformation de la matière à travers le temps qui passe, au prisme de la relation démiurgique qu’elle explore à travers ses maternités marionnettiques. Il s'agit d'une danse gestationnelle d’un corps vivant enfantant du non-vivant pour donner vie à des marionnettes ; corps hybrides mi-vivants, mi-morts. L’immobilisme de la marionnette évoque ainsi les douleurs de l’enfant mort-né, ou jamais venu comme l’étudie la chercheuse Oriane Maubert[8]. Car oui, parler du Naissant, c’est aussi parler de la Mort.

Dans la revue Percées, numéro 10 intitulé « Théâtres contemporains de la naissance et poétiques de l’accouchement » (2024), codirigé par Sandrine Le Pors et Amandine Mercier, les autrices mettent en exergue au sein de leur éditorial combien ces Théâtres de la Naissance se pensent depuis « un théâtre de vie et de mort[9] ». Elles précisent au sein de leur éditorial que rendre compte de ces théâtres implique des enjeux poétiques, poïétiques, esthétiques, éthiques et politiques majeurs, « comme si le corps enceint et plus encore celui accouchant relevaient tous deux d’un faible capital symbolique, selon la terminologie de Pierre Bourdieu (1994)[10] ». À travers l’édition de ce numéro spécial sur les dramaturgies du naissant, les autrices souhaitent donner voix aux « ambivalences de la maternité, témoigner de la pluralité de vivre, dire ou montrer un accouchement, combattre les stéréotypes qui y sont trop souvent associés, en révéler les dystopies, en dévoiler les invisibilisations et tabous, tels que l’appropriation institutionnelle du corps des femmes, les assignations de genre, les formes de censure, les violences obstétricales, l’hypermédicalisation, l’infertilité, les deuils périnataux, etc[11]. ». Dans la poursuite de l’émulation impulsée par le colloque « Théâtre de la naissance et poétiques de l’accouchement », organisé par Sandrine Le Pors et Amandine Mercier au sein de l’Université d’Artois, à Arras, les 17 et 18 novembre 2022, et sa ramification éditoriale, il m’apparaît aujourd’hui nécessaire et stimulant de continuer à soutenir ces espaces de réflexion. Par ce projet de recherche, il s’agit d’inviter à penser collectivement et de façon interdisciplinaire, la manière dont les pratiques artistiques, en coopération avec d’autres champs de recherche, peuvent générer des types de savoirs spécifiques, contribuant à également à l’intégration d’une forme de soin qui pourrait participer à soutenir l’accompagnement des corps expérimentant le deuil périnatal, la fausse couche, l’impossibilité d’enfanter, les épreuves des grossesses arrêtées, l’accouchement sous X, les interruptions volontaires de grossesse (IVG), etc. En effet, ces surgissements de vécus, marqués par des ressentis de détresse, de culpabilité, d’angoisse de mort, d’espoir et de protection, peuvent nécessiter des échos réparateurs à travers des récits évoquant la transformation de la perte et de la douleur. Mais quelles écritures et gestes inventés, apportant de la profondeur à la lecture métamorphique du Vivant, permettent de soutenir ces vécus singuliers, d’accompagner les émotions traversées, et de devenir le miroir réflexif de ce qui relève parfois de l’indicible traversée de la chair, disloquée par l’expérience de mise au monde ou par celle de son empêchement ? La création artistique peut alors jouer un rôle crucial dans la réflexion, la transformation, et la mise en lumière de la matière pour accompagner le trouble inhérent aux traversées liées à la symbolique du Naître. À l'image des travaux de la photographe Ana Casas Broda, notamment sa série « Kinderwunsch » élaborée de 2006 à 2012 et exposée en 2013 à The Photographers’ Gallery à Londres, l'acte artistique devient un levier de réflexion et d'émancipation face aux ambivalences de la maternité. Cette exposition photographique explore le désir complexe de la maternité à travers la relation avec ses deux fils, tout en réinterrogeant son propre rapport au corps, transformé par le processus de devenir-mère.

Naissances et sociétés - rites, ritualités et care 

De manière plus globale, pour aborder le Naissant, il convient également de resituer le(s) Naître(s) à travers le prisme des enjeux imbriqués aux divers régimes de traditionnalité [12].

À travers une approche d’anthropologie comparative et de manière plus diachronique, on observe que, depuis des siècles et à travers diverses régions du monde, les habitants de la Terre ont toujours créé contes, récits et croyances pour donner du sens aux processus de naissance dans leurs sociétés. Par exemple, dans certaines cultures, les fluides jouent un rôle prépondérant. La conception y est souvent perçue comme une affaire de sperme et de sang. Lisa Bartoli, dans son ouvrage Venir au monde : les rites de l’enfantement sur les cinq continents[13], rappelle que, chez les insulaires du Dobu, dans le Pacifique, le sperme émis lors de l’orgasme coagule le sang féminin pour former le fœtus. À Taïwan, on croit que le sang menstruel, continuant à être produit pendant la grossesse mais non éliminé, forme l’enfant in utero. Dans certaines régions et communautés, les problématiques d’infertilité sont combattues par des remèdes miraculeux et des offrandes adressées aux divinités. L’enfant à naître est souvent perçu comme étant entre deux mondes, ce qui a conduit, sur les cinq continents, à l’émergence de rites liés aux processus d’enfantement, destinés à soutenir l’incarnation. Ce séminaire interrogera les manières dont ces rituels sont réalisés, inventés et réitérés au sein des sociétés. Quelles en sont les qualités, les singularités, et quels effets produisent-ils sur ceux et celles qui les accomplissent ou les observent ? Comme le souligne l’anthropologue Laura Fléty dans l’éditorial de l’ouvrage Danses et rituels[14], les notions de « rites », « rituels » et « ritualisation » ont une longue histoire issue de débats anthropologiques, théologiques et philosophiques. En effet, le terme de « rituel » est en lui-même polysémique et son usage varie selon les auteurs. On parle de rituels pour faire référence aux cultes, protocoles, cérémonies, mais aussi à l’habitude, à la routine. Ce terme est devenu populaire aux États-Unis avec le New Age et les théories de la performance. En France, nous avons une tradition anthropologique autour de la notion de rituel, passant de l’anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss (1962) à l’influence de l’anthropologie symbolique de Victor Turner (1967), puis à celle de Frederik Barth (1967) et Clifford Geertz (1980), pour qui rites et rituels assurent des moyens de contact avec les forces sacrées. Entre le sacré et le cérémoniel, le terme « rituel » a pris avec le temps le sens de manifestation à fort coefficient d’implication affective, souvent accompagnée d’actions physiques, voire d’ornementation. L’évolution de l’usage de ce terme ouvre à ses enjeux polysémiques, ses appropriations tant créatives que galvaudées. Comme le faisait remarquer Laura Fléty, les anthropologues reconnaissent facilement les rituels sur leurs terrains de recherche, mais « réussir à rendre compte de leurs contours, de leurs logiques internes et de leurs propriétés distinctives est un sujet complexe qu’ils n’ont pas fini d’interroger[15] ». Toutefois, dans ce chantier de recherche, notre objectif ne sera pas de débattre strictement de ces enjeux théoriques, mais de comprendre comment et pourquoi la maïeutique a été associée à des rites spécifiques. En quoi ces rites invitent-ils à considérer un ensemble fluctuant d’actions qui « présentifient l’invisible », destinées à « faire surgir des figures du passé », « faire communauté » et « activer la mémoire des disparus »[16] ? Ce qui retiendra particulièrement notre attention, c’est la manière dont ces gestes rituels, au moment crucial de la naissance, interrogent la façon dont les diverses cultures accompagnent l’arrivée de l’enfant dans son milieu d’accueil. Les rituels variés apportent un éclairage sur la diversité des pratiques entourant la naissance sociale de l’enfant, parfois en soulignant son lien au lignage, d’autres fois en le rattachant à sa « maison-matrice ». Comment envisager les rites dans leur potentiel créateur, et non dogmatique, pour révéler les divers chemins à inventer pour marquer ces transitions de statut et d’état d’être au monde, lorsque l’on devient mère, père, ou parent ?

La notion de « rite de passage », traitée en 1909 par Arnold Van Gennep, se penche précisément sur ces rites qui marquent socialement le passage d’un statut à un autre. Comment ce concept pourrait-il être réinvesti aujourd’hui pour penser la naissance comme un bouleversement : la promotion au statut de future mère lors de la grossesse, de mère lors de la naissance, ainsi qu’au statut de père ou de seconde mère selon la configuration parentale ? Quels gestes nouveaux, ou réactualisés, pourraient être partagés pour accompagner ce mouvement de bascule ?

De plus, en quoi la réflexion sur les rites d’accompagnement à la maternité, à travers le prisme des savoirs interculturels, pourrait-elle nous informer sur les manières d’accueillir l’autre dans sa vulnérabilité ? En effet, nombreux sont ces rituels, ces rites de passage qui accompagnent et rassurent en terre d’accueil. Toutefois, comme le souligne Lise Bartoli dans son essai mentionné, quel respect et quelle place sont accordés aux migrantes pour qu’elles puissent pratiquer ces gestes traditionnels en exil ? Quel espace leur est réservé pour qu’elles puissent partager leurs traditions ? Comment aborder ces traversées de l’intime et de l’extime ? Ces femmes et ces hommes expérimentent une périnatalité hors de leur berceau culturel. Comment accompagner ces maternités exilées ? Qu’est-ce qu’accoucher d’un enfant hors de sa culture signifie ? Comment accueillir cette diversité sans faire ressentir à l’autre que sa manière de s’incorporer culturellement comme mère est inappropriée ?

Il convient alors de poser la question de l’art dans sa dimension applicative et concrète : en quoi les arts peuvent-ils être une source d’interrogation, voire de renouvellement des rituels dans une société sécularisée post-pandémique ? Avons-nous besoin de rites et de rituels, et pourquoi ? En quoi la pratique artistique permet-elle de générer des dispositifs pouvant faire office de rites à travers des formats tels que la « performance » et les « partitions créatives » dans une société où les liens communautaires ont été ébranlés par la déterritorialisation des individus, provoquée par des migrations parfois forcées, contrariées, et parfois désirées ?

Ainsi, en quoi la « performance » peut-elle agir comme un moyen d’action ritualisante, à l’image des travaux d’Annabel Guérédrat, performeuse originaire de Nouméa vivant en Martinique ? Chorégraphe, danseuse, et praticienne de Body-Mind Centering, Annabel Guérédrat puise dans les pratiques somatiques pour nourrir ses performances éco-afro-féministes. Par exemple, dans son projet photo-performance « BB Beloved Baby » (2019), elle a créé un rituel en hommage à Oshun, déesse de la fertilité dans la religion Yoruba d'Afrique de l'Ouest, en s’enduisant de paillettes d’or et en défilant dans les rues de sa ville pour annoncer la venue de son bébé[17].

Cette dynamique réflexive a également été intégrée dans mes propres recherches sur le rituel et la maïeutique, conduisant à la création de rituels créatifs proposés sous forme de « partitions », dans le cadre de la recherche-création[18].

De plus, à travers ce chantier de recherche, il sera pertinent d'examiner comment la pensée féministe du care, développée depuis le début des années 1980 avec la publication de l'essai de Carol Gilligan « In a Different Voice: Psychological Theory and Women’s Development[19] » (1982), s'approprie également la thématique du naissant pour promouvoir le soutien mutuel entre femmes ; à partir d’une attention conférée au soin. Par ailleurs, en quoi les théories du care, développées à partir de préoccupations souvent associées aux femmes, se faisant l’écho d’une voix longtemps confinée à la sphère privée et inaudible dans l'espace public, peuvent-elles apporter des ajustements aux vécus de vulnérabilité, qualifiée de « précarité[20] » par Judith Butler ? En effet, Butler affirme que « la précarité est coextensive à la naissance elle-même[21] ». Elle est également l'objet principal du care, reconnu comme une « nouvelle condition anthropologique universelle[22] ». En quoi cette nouvelle perspective peut-elle contribuer à repenser les politiques et injonctions liées à la naissance en Occident ? Joan Tronto et Berenice Fisher définissent par ailleurs le care comme l’activité incluant tout ce que nous faisons pour maintenir et réparer notre monde afin d’y vivre au mieux[23]. Ainsi, comment l’éthique du care peut-elle offrir des voies de compréhension, de réajustement et équilibrage dans l’accompagnement à la maïeutique ?

Thématiques du séminaire

Ce séminaire, conçu comme un dispositif protéiforme alliant rencontres, ateliers de travail, journées d’études, résidences d’artistes et de scientifiques, conférences, performances, et productions photo et vidéographiques, visera à créer un réseau valorisant la multiplicité des formes de partage de la recherche autour des thématiques et questions liées au NAISSANT. Il s’appuiera sur une lecture historique, esthétique, éthique, philosophique et anthropologique, tout en intégrant les savoirs qui soutiennent les travaux en maïeutique. Les formats des interventions proposés pourront s’inscrire dans des modes exploratoires de recherche-création (Performance as research, Performance-led research et Performance-based research) et pourront également s'orienter vers des ramifications de recherche-action, comme théorisé par Kurt Lewin[24] (1939). Les participations d’artistes-chercheurs seront valorisés, ainsi que les dispositifs triangulaires associant chercheur, artiste et professionnel. Enfin, la dimension du geste artistique articulera l’ensemble des propositions

Liste des thématiques :

  • Les représentations, discours et fictions sur la gestation et la maternité dans les arts.
  • Les modalités du corps en gestation comme « terrain exploratoire » et fabrique de savoirs sur le Vivant.
  • Quelles connaissances et intégrations appliquées des pratiques somatiques dans les structures d’accueil type crèches, PMI et maternités ? Quelles applications des savoirs somatiques dans la création artistique en prise avec la thématique du Naissant ?
  • Impact du mouvement et de la danse sur la grossesse, l’accouchement et le post-partum.
  • Discours et savoirs autour des notions de « lien d’attachement » et « accordage affectif » (Stern), mis en perspective avec les savoirs somatiques, sciences cognitives.
  • Comment le geste artistique peut-il donner voix à ce sur quoi on fait silence lors de la périnatalité, de l’accouchement et des maternités ?
  • Discours et expériences vécues traversées par les arts mettant mots et gestes sur la procréation médicalement assistée (PMA), la fausse couche, la césarienne, l’amniocentèse, l’accouchement sous X, l’avortement, la dépression post-partum, l’adoption, etc. Comment le geste artistique peut-il dire et accompagner ce qui se relèguerait à un éprouvé relevant parfois de l’indicible ?
  • En quoi l’expérience de la maternité est-elle intrinsèque à celle de la mort ? Quelle liaison entre la vie et la mort lors d’un accouchement ? Quels témoignages artistiques des expériences d’avortement, fausse couche, grossesse arrêtée, etc. Quels impasses et défis liés aux représentations et imaginaires de l’enfant mort ?
  • Quels types de présence(s) à l’œuvre dans la gestation (présence cellulaire, de l’embryon, regard du nouveau-né, etc.) et savoirs sur la sensorialité fœtale ? In utero et après la naissance ? Comment ces présences originelles, cellulaires, en formation, sont-elles interrogées, traversées, revisitées par la création artistique ?
  • Quelle place pour les gestes et savoirs culturels dans les maternités d’exilé(e)s ?
  • Dans une société sécularisée, quels possibles enjeux à inventer ou restaurer de la ritualité pour faire lien ? Faire deuil ? Quels intérêts à penser les rites et rituels liés à la maïeutique, tant ceux opérants que ceux à inventer ?
  • Que disent les regards féministes et éco-féministes sur la gestation et l’accouchement, depuis la perspective du care ?
  • Comment envisager la naissance d’enfants dans un monde pollué et surpeuplé ? Quel rôle jouent la SF et la création artistique dans la mise en réfléchissement des angoisses contemporaines ? Quelle perspective de communautés éco-durables à inventer ?
  • Comment penser le Naissant aujourd’hui invite-t-il à supplanter l’échelle de l’Humain par le Vivant pour se resituer dans une écologie globale ?

Modalités de contribution

Les propositions sont à envoyer avant le 01/07/2025.

Elles devront inclure, en français, anglais, ou espagnol, un titre et un résumé de la démarche, du projet créatif ou du dispositif envisagé, en précisant les thématiques abordées et besoins techniques. Une brève présentation biobibliographique des intervenant·es mobilisé·es devra également y figurer.

Contact :

Carolane Sanchez (MCF Arts du spectacle, Laboratoire ELLIADD/Université Louis et Marie Pasteur)

carolane.sanchez@univ-fcomte.f

Notes

[1] Emmanuel Coccia, Métamorphoses, Paris, éditions Payot et Rivages, p. 12.

[2] Michel Bernard, De la création chorégraphique, Pantin, Centre national de la danse, « Recherches », 2001.

[3] Bonnie Bainbridge Cohen, Sentir, ressentir et agir : l’anatomie expérimentale du Body-Mind Centering, trad. Madie Boucon, Bruxelles, Contredanse, 2002.

[4] Plus d’informations accessibles au lien : https://www.soma-france.org/

[5] Lire l’article d’Iris Carré-Dréan, « "Qui parle / Moi dedans". Haptonomie et dialogue avec le fœtus dans Bouli, année 0 » in « Théâtres contemporains de la naissance et poétiques de l’accouchement », Sandrine Le Pors et Amandine Mercier (dir.), Revue Percées, n° 10, 2024. Accessible au lien : https://percees.uqam.ca/fr/ticket/theatres-contemporains-de-la-naissance-et-poetiques-de-laccouchement

[6] Voir le tague par des actionnistes féministes du tableau « L'Origine du monde » lors de son exposition au Centre Pompidou-Metz. Lire l'article du Monde en format numérique : «" L'Origine du monde", célèbre nu de Gustave Courbet, taguée à Metz » ; accessible au lien : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/05/06/l-origine-du-monde-celebre-nu-de-gustave-courbet-taguee-a-metz_6231926_3246.html, mis en ligne le 06/05/2024 et consulté le 25/07/2024.

[7] Voir l’article d’Oriane Maubert « (Re)-naître de sa marionnette : corporéités en crise par les gestes de la mort », in « Théâtres contemporains de la naissance et poétiques de l’accouchement », op.cit.

[8] Idem.

[9] Voir l’éditorial de Sandrine Le Pors et Amandine Mercier « Un théâtre de vie et de mort : enjeux poétiques et politiques des représentations de la grossesse et de l’accouchement », in « Théâtres contemporains de la naissance et poétiques de l’accouchement » ; op. cit.

[10] Voir l’éditorial de Sandrine Le Pors et Amandine Mercier « Un théâtre de vie et de mort : enjeux poétiques et politiques des représentations de la grossesse et de l’accouchement », in « Théâtres contemporains de la naissance et poétiques de l’accouchement » ; op. cit.

[11] Ibid.

[12] L’expression « régime de traditionnalité » est empruntée à Sarah Andrieu, cf. Le Spectacle des traditions. Analyse anthropologique du processus de spectacularisation des danses au Burkina Faso, thèse de doctorat en anthropologie, Université Aix-Marseille 1, soutenue le 10 décembre 2009. Pour penser cette notion, la chercheuse s’inspire elle-même des travaux de Francois Hartog sur les « régimes d’historicité ». Voir François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Le Seuil, Paris, 2003.

[13] Lisa Bartoli, Venir au monde : les rites de l’enfantement sur les cinq continents, Paris, Payot, « Petite bibliothèque Payot », 2007.

[14] Laura Fléty (dir.), Danses et rituels, Pantin, Centre National de la danse, coll. « Recherches », 2023.

[15] Laura Fléty (dir.), « Editorial », Danses et rituels, op. cit.

[16] Idem.

[17] Plus d’informations sur le site internet de l’artiste : https://artincidence.fr/portfolio/beloved-baby/

[18] Carolane Sanchez, Ritualités créatives : la gestation en exploration », in « Théâtres contemporains de la naissance et poétiques de l’accouchement » ; op. cit. Accessible au lien : https://percees.uqam.ca/fr/article/ritualites-creatives-la-gestation-en-exploration

[19] Carol Gilligan, In a Different Voice, Cambridge, Havard University Press, 1982.

[20] Judith Butler, Ce qui fait une vie : essai sur la violence, la guerre et le deuil, trad. Joëlle Marelli, Paris, La Découverte, « Zones », 2010.

[21] Ibid, p. 20.

[22] Maïté Snauwaert et Dominique Hétu, « Poétiques et imaginaires du care », Temps zéro, n° 12, accessible au lien : tempszero.contemporain.info/document1650

[23] Berenice Fisher et Joan Tronto, « Toward a Feminist Theory of Caring », in Emily K. Able et Margaret K. Nelson (dir.), Circles of Care: Work and Identity in Women’s Life, Albany, State University of New York Press, 1990, pp.36-54.

[24] Voir les travaux de Kurt Lewin, fondateur-praticien de technique d'intervention ayant modifié le travail sociologique, dans l’intention de transformer la réalité et produire du savoir véhiculé à cette transformation.

Places

  • Besançon, France (25)

Event attendance modalities

Hybrid event (on site and online)


Date(s)

  • Tuesday, July 01, 2025

Keywords

  • age, naissance, recherche-création, représentation, genre, étude du vivant

Contact(s)

  • Carolane Sanchez
    courriel : carolane [dot] sanchez [at] univ-fcomte [dot] fr

Information source

  • Carolane Sanchez
    courriel : carolane [dot] sanchez [at] univ-fcomte [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Arts et Naissant : Approche interdisciplinaire des savoirs du vivant », Call for papers, Calenda, Published on Monday, June 16, 2025, https://doi.org/10.58079/144rm

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