Ces deux journées d’étude prennent pour objet les configurations des violences de masse au XX^e et en particulier le génocide des Tutsi au Rwanda. Elles croisent une approche historienne avec une réflexion sur la façon dont la recherche peut répondre à des questions de de connaissance historique ainsi qu'à des enjeux juridiques et politiques. Elles s’ouvrent à une perspective littéraire en interrogeant ce que peut la littérature face aux violences de masse et en proposant une réflexion plus large sur la démarche de la littérature du réel aujourd’hui.

Argumentaire

Ces journées d’étude viennent conclure un ensemble de cours et de travaux menés en interdisciplinarité tout au long de l’année universitaire 2024-2025 avec des étudiant.es de première année de classe préparatoire littéraire au lycée Champollion (Grenoble).

La réflexion s’est centrée, sur les deux notions d’enquête et de mise en récit(s) d’abord d’un objet spécifique, le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda en 1994 et plus largement de la thématique des configurations de violences de masse au XXe. Il s’est agi de croiser les regards et les approches, selon plusieurs perspectives.

• Une perspective historienne d’abord. Au cours de deux tables rondes, Louis Laurent, doctorant à l’EHESS (CESPRA) dialogue avec Gilbert Masengo, président de l’association des rescapés Ibuka de Muhima puis du district de Nyarugenge de 2000 à 2023. Ils abordent successivement la période des années 1990 au Rwanda (espoirs, résistances, persécutions) puis les logiques de l’extermination dans la capitale Kigali lors du génocide, ainsi que les trajectoires de survie et de sauvetage. Lors de la seconde table ronde sera abordé l’après-coup du génocide, notamment la construction de réseaux et des associations de rescapés. Gilbert Masengo effectue un retour d’expérience des juridictions gacaca au croisement des questions complexe de justice, d’impunité, de sécurité des rescapés, de recherche des corps et de la vérité.
• Une deuxième perspective se propose de montrer la recherche historienne à l’épreuve d’enjeux politiques et juridiques. Vincent Duclert, historien (EHESS), Inspecteur Général de l’éducation nationale, revient sur ses travaux relatifs au rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda et sur la façon dont la recherche historienne peut répondre, en ce cas, à des enjeux politiques. Timothée Brunet-Lefèvre, docteur en Études Politiques (EHESS) et enquêteur à la commission d’enquête indépendante sur les violences sexuelles et physiques à Betharam, aborde le cas de la justice française à l’épreuve du génocide des Tutsi. Pour prolonger cette deuxième perspective dans un autre contexte historique et culturel, le comité d’organisation propose la diffusion d’un entretien mené par les étudiants avec Nadia Gayoso, responsable de la branche « Mémoire démocratique et justice transitionnelle » au sein de la Fondation internationale Baltasar Garzón (FIGBAR).
• Une troisième perspective enfin s’intéresse aux enjeux de la mise en récit(s) de l’expérience de la violence de masse, en particulier de l’expérience du génocide des Tutsi, et se pose la question de ce que peut la littérature face à la violence extrême. Les étudiants mènent un entretien avec Beata Umubyeyi Mairesse, autrice du Convoi (2024). On se propose d’aborder la fabrique du livre, son inscription dans une démarche littéraire d’enquête propre à la littérature du réel aujourd’hui, et on interroge tout particulièrement la relation de l’écrivain.e aux archives (textes, images). Comment fait-on de la littérature avec des traces ? Plus largement, seront abordées la question du rôle et des pouvoirs de l’écriture, de ce qui est dicible et entendable, et la nécessaire réappropriation, par les rescapés, de leur propre histoire, des archives, ainsi que l’enjeu de déconstruction des regards et des discours occidentaux. Pour prolonger cette troisième perspective, Maud Lecacheur, maître de conférences à l’Université Grenoble Alpes, revient sur la littérature du réel et ce que Laurent Demanze appelle le « nouvel âge de l’enquête » dans l’écriture contemporaine, autour d’une question : « Pourquoi la non-fiction ? ». Cette intervention fait également écho au travail mené par les étudiants hispanistes autour d’un roman graphique de R. Terrasa et P. Roca, El abismo del olvido (2023).

Programme

Mercredi 11 juin 2025 : Histoire et mémoire, autour du génocide des Tutsi au Rwanda

9h : Introduction

9h30-11h30 : « Kigali, 1990–1994 : d’un horizon démocratique à l’extermination des Tutsi ».

Table ronde animée par Louis Laurent, doctorant en histoire (EHESS), et Gilbert Masengo, ancien président d’Ibuka à Muhima (2000-2012) puis du district de Nyarugenge (2012-2023)

• ·Le Rwanda des années 1990.
• ·Le génocide des Tutsi dans la capitale.

13h30-15h30 : Le Convoi

Table ronde animée (en visio) par les étudiants avec Beata Umubyeyi Mairesse, écrivaine, autrice du Convoi.

• La fabrique du livre.
• L’écrivain et les archives, faire de la littérature avec des traces.
• La littérature de témoignage, réflexions sur une pratique d’écrivain.

15h30-17h : « Pourquoi la non-fiction ? »

Intervention de Maud Lecacheur, maître de conférence en littérature française contemporaine à l’UGA.

Jeudi 12 juin 2025 : Recherche scientifique, engagement associatif et demande politique

 9h30-11h30 : « Après le génocide : agir, représenter, reconstruire »

Table ronde animée par Louis Laurent, doctorant en histoire (EHESS), et et Gilbert Masengo, ancien président d’Ibuka à Muhima (2000-2012) puis du district de Nyarugenge (2012-2023)

• L’après-coup du génocide
• Trajectoires et modalités de l’engagement associatif pour les rescapés.
• 13h-15h : Archives et recherche sur l'action de la France au Rwanda. Intervention de Vincent Duclert, historien (EHESS), Inspecteur Général de l’Education nationale, président de la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsi (1990-1994).
• 15h-16h15 : « Juger le génocide des Tutsi rwandais (1994-2025) ». Intervention de Timothée Brunet-Lefèvre, docteur en histoire (EHESS) enquêteur à la Commission d’enquête indépendante sur les violences sexuelles et physiques commises à Notre-Dame-de Bétharram
• 16h15-17h30 : Diffusion de l’entretien mené au mois de mars avec Nadia Gayoso, Nadia Gayoso est resoponsable de la branche « Mémoire démocratique et justice transitionnelle » au sein de FIBGAR (Fondation Internationale Baltasar Garzón) en Espagne.

17h45 : Conclusion.

Informations pratiques 

Accès libre dans la mesure des places disponibles, réservation conseillée pour le public extérieur. Contacter : isabellebucchioni@gmail.com.

Lieu des deux journées d'étude : La salle Polyvalente du Lycée Champollion, 1 Cours Lafontaine, 38000 Grenoble. 

Comité d’organisation

• Isabelle Bucchioni, professeure agrégée de lettres modernes
• Louis Laurent, doctorant en Etudes Politiques à l’EHESS
• Philippe Barrière, professeur agrégé d’histoire
• Gwenaëlle Viaud, professeure agrégée d’espagnol

Bibliographie

Aguilar Fernández, Paloma (2006), « Presencia y ausencia de la guerra civil y del franquismo en la democracia española. Reflexiones en torno a la articulación y ruptura del “pacto de silencio” », in Aróstegui, Julio et Godicheau, François (dir.), Guerra Civil. Mito y Memoria, Madrid, Marcial Pons / Casa de Velázquez, pp. 245-293.

Aguilar Fernández, Paloma (2008), Políticas de la memoria y memorias de la política : el caso español en perspectiva comparada, Madrid, Alianza Editorial.

Audoin-Rouzeau, Stéphane (2017), Une initiation : Rwanda (1994-2016), Paris, Éditions du Seuil, 171 p.

Bour, Juliette (2024), « Comme des hommes » : trajectoires militantes de femmes politiques impliquées dans le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda, Thèse de doctorat, EHESS, Paris.

Brunet-Lefèvre, Timothée (2023), La justice française à l’épreuve du génocide des Tutsi rwandais. Les procès d’Octavien Ngenzi et Tito Barahira devant la Cour d’assises de Paris 2016-2018, Thèse de doctorat, EHESS, Paris.

Chrétien, Jean-Pierre ; Kabanda, Marcel (2013), Rwanda : l’idéologie hamitique et le génocide, Paris, Belin, 304 p.

Demanze, Laurent (2019), Un nouvel âge de l’enquête. Portraits de l’écrivain contemporain en enquêteur, Paris, José Corti.

Duclert, Vincent (dir.) (2021), La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi, 1990-1994 : rapport remis au Président de la République le 26 mars 2021, Malakoff, Armand Colin, 1232 p.

Duclert, Vincent (2024), La France face au génocide des Tutsi, Paris, Tallandier.

Dumas, Hélène (2014), Le génocide au village : le massacre des Tutsi au Rwanda, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L’univers historique », 364 p.

Dumas, Hélène (2020), Sans ciel ni terre : paroles orphelines du génocide des Tutsi (1994-2006), Paris, La Découverte, 307 p.

Julía, Santos (2017), Transición. Historia de una política española (1937-2017), Barcelone, Galaxia Gutemberg.

Lecacheur, Maud (2024), Une littérature de l’écoute. Collectes de voix de Georges Perec à Olivia Rosenthal, Saint-Étienne, PUSE.

Mairesse, Beata Umubyeyi (2024), Le Convoi, Paris, Flammarion.

Piton, Florent (2018), Le génocide des Tutsi du Rwanda, Paris, La Découverte, 275 p.

Réra, Nathan (2014), Rwanda, entre crise morale et malaise esthétique : les médias, la photographie et le cinéma à l’épreuve du génocide des Tutsi (1994-2014), Dijon, Les Presses du réel, coll. « Œuvres en sociétés », 641 p.

Rovetta, Ornella (2019), Un génocide au tribunal. La justice internationale et le Rwanda, Paris, Humensis, 395 p.

Rugamba, Dorcy (2024), Hewa. Lettres aux absents, Arles, Actes Sud, coll. « Lettres africaines », 128 p.

Terrasa, Rodrigo ; Roca, Pablo (2023), El Abismo del olvido, Bilbao, Astiberri.