Modernité de la propagande
Revue « Sciences de la société
Published on Friday, October 03, 2025
Abstract
La revue Sciences de la société lance un appel à contribution pour son dossier « Modernité de la propagande ». La propagande y est abordée dans son sens le plus courant : une communication à visée persuasive et manipulatoire. Quatre grands domaines sont concernés : la santé, les médias, la démocratie, la laïcité et la censure.
Announcement
Direction scientifique
Sous la direction d’Anne-Hélène Le Cornec Ubertini[1]
Argumentaire
Philippe Breton, dans La parole manipulée, résume ainsi les difficultés à aborder le sujet de la propagande :
« À la fin du XXe siècle et dans la première décennie du XXIe siècle, la cause est entendue : la propagande, terme désormais péjoratif, est devenue une catégorie pour historien. […] trois arguments servent à nier la réalité, voire l’existence même de la manipulation et de la désinformation. Ces arguments sont encore actifs aujourd’hui et paralysent toujours notre analyse du phénomène. Ils s’appuient fondamentalement sur l’idée que nous serions entrés dans l’ère de la « société de communication », thème très populaire à l’époque et base de nombreuses croyances utopiques dans le monde politique et intellectuel. […] À cela s’ajoute l’idée, elle aussi fortement répandue à l’époque, que l’homme moderne, pardon, l’« individu », serait désormais adulte et capable de déjouer toutes les techniques d’influence pernicieuses qui s’exerceraient sur lui et qui, de ce fait, disparaîtraient, car sans effet » (Breton, 2020, p. 21-22).
Les trois arguments qui servent à nier l’existence même de la propagande sont l’absence de cause à défendre ou encore la fin des idéologies (Fukuyama, 1992), l’établissement durable de la démocratie et l’impossibilité de manipuler des citoyens désormais éclairés et critiques. Or ces trois affirmations méritent réflexion et interrogations, y compris si nous restreignons le champ d’analyse à l’hexagone ou à l’Europe.
En France, le terme propagande a une existence officielle dans le code électoral. Tel qu’il y est employé, et plus généralement en droit, il est neutre et signifie « communication politique ». Cela n’empêche pas le législateur de considérer que, même sans intention de manipuler, le temps de parole, c’est-à-dire la quantité des messages politiques émis, exerce une influence sur les citoyens et leur vote. Toutefois, pour ce dossier, le terme propagande sera employé dans un son sens le plus courant : une communication politique à visée persuasive et manipulatoire.
Pour la plupart de nos contemporains, le terme propagande est associé aux deux conflits mondiaux armés du XXe siècle et à la guerre en Ukraine au XXIe siècle, comme si la propagande était désormais indissociable de la guerre et s’y réduisait. Or la propagande se déploie en dehors des États et dans d’autres circonstances que la guerre. La définition qu’en donne Jacques Ellul dans Propagandes correspond à la nôtre : c’est « l’ensemble des méthodes utilisées par un groupe organisé en vue de faire participer activement ou passivement à son action, une masse d’individus psychologiquement unifiés par des manipulations psychologiques et encadrés dans une organisation » (Ellul, 1990, p. 75). Cette définition permet de ne pas limiter la propagande aux seuls États, de prendre en compte la visée conative (Jacobson, 1963) du discours propagandiste, et d’évoquer une manipulation psychologique, orchestrée par un groupe organisé, qui conduit à une pensée unique. En revanche nous ne partageons pas l’idée de Jacques Ellul dans Propagande et démocratie selon laquelle il y aurait une bonne et une mauvaise propagande ou la nécessité d’une contre-propagande dans un État démocratique : « Que l’Etat démocratique soit enfin justifié à user de propagande, cela est évident une fois de plus, lorsque on songe aux déchaînements des intérêts privés. […] De façon plus sensible en démocratie : l’Etat se doit d’équilibrer ces intérêts et de combattre ceux il juge contraires la communauté nationale » (Ellul, 1952, p. 476). Comment dès lors faire la différence entre une bonne et une mauvaise propagande ? Il faudrait que les principes n’en soient pas les mêmes or un terme unique ne peut souffrir des définitions différentes voire opposées. Il est difficile de concevoir qu’il existerait une bonne propagande qui ne violerait pas le psychisme de l’être humain, qui ne serait donc pas manipulatoire, et une mauvaise propagande mal intentionnée.
Jacques Ellul défend aussi l’idée que la propagande d’un État démocratique peut, voire doit, dire la vérité : « C’est ainsi que la propagande démocratique doit être essentiellement véridique. Elle ne doit dire que la vérité et ne appuyer que sur des faits. […] Il y a une évolution très nette et le mensonge la falsification sont de moins en moins utilisés […] la référence à la vérité des faits devient une loi de plus en plus commune » (Ellul, 1952, p. 483). Or l’une des caractéristiques majeure de la propagande, telle que nous la définissons, est précisément de ne pas dire la vérité. Notre autre point de divergence majeur avec Jacques Ellul concerne le conditionnement de l’appellation « propagande » à ses effets. Selon lui, « une propagande inefficace n’est pas une propagande » (Ellul, 1990, p. 6). Or, pour nous, il n’est pas nécessaire qu’une propagande produise les effets attendus pour qu’elle soit reconnue comme une propagande. Nous partageons en revanche le point de vue de Jean-Marie Domenach lorsqu’il dit que :
« Dors et déjà s’amorce une mutation de la propagande, et il apparaît qu’elle survivra aux totalitarismes idéologiques et s’adaptera à d’autres formes sociales et politiques comme elle l’a fait au cours des âges. Les abus de la propagande totalitaire ont créé un début de « mithridatisation », dans les pays développés du moins. Est-ce à dire que la propagande soit liée au totalitarisme et disparaisse avec lui, laissant la place à une « persuasion politique » qui emprunte ses méthodes à la publicité (1)[2] ? En matière de manipulation, aucun secret ne se perd et les techniques se cumulent, elles ne s’annulent pas » (Domenach, 1979, p. 9).
La propagande actuelle utilise toutes sortes d’armes : la violence, la censure et la répétition de messages simplistes, mais aussi le développement de concepts plus subtils, de détournements du sens des mots, ou la construction de preuves pour attester de la validité scientifique et juridique des arguments avancés (Le Cornec Ubertini, 2023).
Avec l’arrivée de l’Internet, qui a transformé chaque internaute en auteur et relai d’information potentiel, qui a multiplié les supports médiatiques et noyé le citoyen dans un océan d’informations, la propagande ne s’est sans doute jamais aussi bien portée : elle a des moyens démultipliés pour se propager et des citoyens en quête de lecture du monde simplifiée pour éviter la « noyade ». Isolés derrières leurs écrans, les internautes rejoignent des communautés virtuelles dont ils ne connaissent que les apparences et qui peuvent les manipuler sans les contrôles sociaux traditionnels de la famille, des amis, de l’équipe de travail ou de sport et des voisins. S’agissant des savoirs, la question est : qui détient le savoir ? Les plus diplômés, dont les professionnels de la communication, les gouvernants, les religieux, les dirigeants d’organisations, ont bien souvent appris, lors de leur cursus, les avancées de la psychologie sociale sur le fonctionnement cognitif, sur les techniques de manipulation. Leur érudition n’est en rien une assurance contre la mise en pratique de la manipulation. La propagande d’État, par exemple, a évolué avec son temps et intégré les enseignements des Cultural Studies pour une « plus grande efficacité des politiques publiques et du contrôle social » (Mattelart, Neveu, 1996, p. 47).
Les domaines investis par les propagandistes sont nombreux et étalés dans le temps. Dans ce dossier, nous souhaitons aborder la question de la propagande actuelle. Toutes les disciplines sont les bienvenues.
La liste des axes que nous avons choisis n’est pas exhaustive.
Axe 1 – La propagande en santé.
La récente pandémie a mis la santé au cœur du débat public et donné de la visibilité à de nombreux sujets : les maux dont souffrent les personnels de santé, l’état dégradé de l’hôpital public, les politiques publiques, la pénurie de médicaments, le lobbying des groupes pharmaceutiques, celui des associations, des institutions publiques… Les contributions attendues pourront aborder la stratégie propagandiste de tout type d’organisation, qu’il s’agisse de groupes privés, d’institutions publiques, d’associations… Elles pourront viser la forme et le fond des discours, inclure différents supports médiatiques, s’intéresser aux récepteurs de la propagande. Elles pourront aussi concerner ceux qui luttent contre la propagande et les outils qu’ils utilisent (ex : la pneumologue Irène Frachon dans l’affaire du Mediator).
Axe 2 – La propagande médiatique.
« Quatrième pouvoir », les médias (au sens large) ont les moyens d’influencer les choix des récepteurs dans divers domaines. Les contributions attendues pourront aborder la stratégie propagandiste de différents supports médiatiques. Elles pourront viser la forme et le fond des discours, s’intéresser aux récepteurs de la propagande. Elles pourront aussi concerner ceux qui luttent contre la propagande médiatique et les outils qu’ils utilisent.
Axe 3 – La propagande anti-démocratie.
Lié à l’axe précédent, dans la mesure où l’influence propagandiste des médias peut toucher directement les fondements de la démocratie. Les contributions attendues pourront aborder la stratégie propagandiste de tout type d’organisation, qu’il s’agisse de groupes privés, d’institutions publiques, d’associations… Elles pourront viser la forme et le fond des discours, inclure différents supports médiatiques, s’intéresser aux récepteurs de la propagande. Elles pourront aussi concerner ceux qui luttent contre la propagande et les outils qu’ils utilisent.
Axe 4 – La propagande anti-laïcité.
Ce dernier axe concerne précisément la laïcité. Il est bien sûr indissociable de la démocratie car l’une et l’autre sont les deux faces d’une même pièce. Voici comment Jean Jaurès l’expliquait en 1904 : « si la démocratie fonde en dehors de tout système religieux toutes ses institutions, tout son droit politique et social, famille, patrie, propriété, souveraineté, si elle ne s'appuie que sur l'égale dignité des personnes humaines appelées aux mêmes droits et invitées à un respect réciproque, si elle se dirige sans aucune intervention dogmatique et surnaturelle, par les seules lumières de la conscience et de la science, si elle n'attend le progrès que du progrès de la conscience et de la science, […] j'ai le droit de répéter que démocratie et laïcité sont identiques » (Jaurès, 1904).
Les attaques contre la laïcité sont particulièrement sensibles dans les lieux de formation et notamment à l’université. Le Guide de la laïcité à l’université de France Université (l’association des présidents d’université) de décembre 2023, sacrifie la liberté académique et l’indépendance des enseignants-chercheurs sur l’autel de la tolérance cultuelle et de la sensibilité des croyants. Il dit aux enseignants, aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs qu’ « Il convient donc d’éviter de poser toute question trop polémique, et de prendre en considération tant les opinions potentiellement divergentes des autres enseignantes et enseignants que celles des étudiantes et étudiants, à la fois pendant le cours ou lors de l’examen de fin d’année » (2023, p. 30).
L’université est, depuis fort longtemps, une cible privilégiée des opposants à la laïcité. Elle peut donc servir de terrain d’analyse pour les auteurs, comme toute autre institution publique ou association bénéficiant de financements publics, tenue au respect de la loi de 1905 notamment.
Axe 5 – La censure
La propagande est rarement décorrélée de la censure. Pour s’assurer de l’efficacité d’une propagande, les propagandistes tentent de faire taire les contradicteurs, de rendre certains mots tabous et certaines personnes infréquentables, et de modifier le sens des mots. La censure revêt ainsi de nombreuses formes. Elle peut être revendiquée et tapageuse ou invisible comme l’auto-censure. Elle peut être dissimulée derrière une fausse apparence. L’historien François Bordes a fait un état des lieux utile de différentes publications sur le thème de la censure dans le n° 65 de La Revue des revues : « "Tenez bien vos bouches !" Quand les revues questionnent la censure ».
Les auteurs pourront concentrer leur travail sur des cas de censure à l’université mais pas seulement. Ils peuvent s’intéresser aux autres institutions publiques, aux maisons d’édition, aux médias…
Modalités de contribution
Date limite d’envoi des résumés : 31 décembre 2025
Les résumés d’une demi-page environ (sans la bibliographie) doivent présenter : le titre, l’axe choisi, la problématique, la méthodologie retenue et une bibliographie indicative.
Les résumés sont à envoyer à Anne-Helene.Ubertini@univ-brest.fr
Avis d’acceptation ou de refus avant la fin du mois de janvier 2026
Date limite de l’envoi des articles complets : 30 juin 2026
L’acceptation du résumé ne vaut pas acceptation de l’article complet. Il peut être refusé ou soumis à des demandes de modification des rapporteurs (l’examen se fait en double aveugle).
La mise en forme des articles complets (environ 40 000 à 45 000 caractères (espaces, notes et références bibliographiques compris)) doit suivre les recommandations faites aux auteurs par la revue Sciences de la Société.
Date prévue pour la parution du dossier : fin 2026
Comité scientifique
- Guillaume Bronsard, Université de Bretagne Occidentale.
- Bruno Cailler, Université Côte d’Azur.
- Frédéric Dubrana, Université de Bretagne Occidentale.
- Thierry Gobert, Université Perpignan Via Domitia.
- Audrey Knauf, Université de Lorraine.
- Dominique Le Nen, Université de Bretagne Occidentale.
- Anne-Hélène Le Cornec Ubertini, Université de Bretagne Occidentale
- Mirka Mesquita, Université de Bretagne Occidentale.
- Nadine Pellen, Université de Bretagne Occidentale.
- Nathalie Pinède, Université Bordeaux Montaigne.
Bibliographie indicative
Bordes François, 2021. « Tenez bien vos bouches ! » Quand les revues questionnent la censure », La Revue des revues, n° 65, pp. 117-122.
Breton Philippe, 2020 [1997]. La parole manipulée, Paris, La Découverte.
Brun Catherine, Roussin Philippe (dir.), 2020. « Post-censures(s) », Communications, n° 106.
Domenach Jean-Marie, 1979. La propagande politique, Paris, Presses universitaires de France.
Ellul Jacques, 1990. Propagandes, Paris, Economica.
Ellul Jacques, 1953. « Tchakhotine (Serge) - Le Viol des foules par la propagande politique. Nlle édition revue et augmentée – Paris Gallimard, 1952 », Revue française de science politique, 3ᵉ année, n° 2, pp. 416-418.
Fukuyama Francis, 1992. La Fin de l'Histoire et le Dernier Homme, Paris, Flammarion.
Heinich Nathalie, Dubreuil Laurent, Rastier François, Barberis Isabelle, Kandel Liliane, 2020. « Nouvelles censures », Cités, n° 82.
Jaurès Jean, 2 août 1904. « L'enseignement laïque – Discours de Castres », L'Humanité. Disponible sur : https://www.marxists.org/francais/general/jaures/works/1904/07/laique.htm
Le Cornec Ubertini Anne-Hélène, Bronsard Guillaume (dir.), 2025. « La liberté académique », Sciences de la Société, Toulouse, Presses universitaires du Midi, n° 109. Disponible sur : https://journals.openedition.org/sds/13771
Le Cornec Ubertini Anne-Hélène, 2024b. Le Poison du Communautarisme – La gauche sans le peuple, Paris, L’Harmattan.
Le Cornec Ubertini Anne-Hélène, 2024a. Emprises idéologiques à l’université – Communication de France Universités sur la laïcité à l’université, Paris, L’Harmattan.
Le Cornec Ubertini Anne-Hélène, 2023. Deux visions du monde – Laïque ou pas !, Paris, L’Harmattan.
Mattelart Armand, Neveu Érik, 1996. « Cultural studies'stories. La domestication d'une pensée sauvage ? », Réseaux, vol. 14, n° 80, pp. 11-58.
Ministère de l’Intérieur, 2025. Frères musulmans et islamisme politique en France, Paris, Ministère de l’Intérieur.
France Universités, 2023. Le guide de la laïcité à l’université, Paris, France Universités.
Notes
[1] Maître de conférences HDR en sciences de l’information et de la communication, Université de Bretagne Occidentale. Anne-Helene.Ubertini@univ-brest.fr
[2] « Monica Charlot, La persuasion politique (Armand Colin). » (Domenach, 1979, p. 9).
Subjects
- Sociology (Main category)
Date(s)
- Wednesday, December 31, 2025
Keywords
- propagande, santé, média, démocratie, laïcité, censure
Contact(s)
- Anne-Hélène Le Cornec Ubertini
courriel : Anne-Helene [dot] Ubertini [at] univ-brest [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Anne-Hélène Le Cornec Ubertini
courriel : Anne-Helene [dot] Ubertini [at] univ-brest [dot] fr
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To cite this announcement
« Modernité de la propagande », Call for papers, Calenda, Published on Friday, October 03, 2025, https://doi.org/10.58079/14ugz

