HomePouvoirs et résistances à l’ère des plateformes
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Published on Tuesday, October 07, 2025

Abstract

Dans le cadre des Rencontres sociologiques de l’Association Internationale des Sociologues de Langue Française (AISLF), qui se tiendront à Bergame (Italie) du 29 juin au 2 juillet 2026, le Comité de Recherche 38 (Socio-anthropologie politique : médias et cultures) organise, en partenariat avec le Comité de Recherche 14 (Sociologie de la communication, de la connaissance et de la culture) de l’Association Internationale de Sociologie (AIS), le colloque intitulé « Pouvoirs et résistances à l’ère des plateformes ».

Announcement

Argumentaire

À l’ère du numérique, les plateformes ne sont pas de simples outils techniques : elles constituent des infrastructures centrales où se nouent, se reproduisent et parfois se contestent les rapports de pouvoir, transformant profondément les interactions sociales, les pratiques culturelles et les formes de visibilité dans la sphère publique. 

Les plateformes numériques telles que Google, Facebook, Amazon, Netflix, Uber ou encore Airbnb se sont progressivement imposées comme des infrastructures centrales de la vie sociale, inscrivant ces reconfigurations dans ce que van Dijck et al. (2018) désignent comme le processus de plateformisation du social. Toutefois, ces plateformes sont loin d’être neutres : à la fois par les biais algorithmiques qu’elles véhiculent et par le modèle économique qu’elles adoptent, elles contribuent à la reproduction des rapports de pouvoir en vigueur — notamment de genre, de classe et de race[1] — accentuant ainsi les inégalités sociales.

Plusieurs études de cas ont mis en évidence ces dynamiques. Des services comme Airbnb tendent à reproduire les inégalités de classe déjà présentes hors ligne, en favorisant les hôtes et les utilisateurs disposant d’un capital économique élevé (Mashhadi et Chapman, 2018). Parallèlement, des plateformes telles qu’Uber ou Deliveroo reposent sur un modèle économique qui exploite souvent une main-d’œuvre précaire, majoritairement composée d’hommes racisés issus de l’immigration, renforçant ainsi les hiérarchies raciales et économiques en vigueur (Bernard, 2023). Les plateformes contribuent également à la reproduction des normes de genre et de beauté par le biais de mécanismes algorithmiques : sur Instagram, par exemple, l’algorithme favorise la visibilité des contenus conformes aux standards hégémoniques de beauté et marginalise ceux qui s’en écartent (Ekström, 2021). Ce processus participe au maintien du mythe de la beauté (Wolf, 1991) et illustre comment les logiques économiques, culturelles et technologiques des plateformes s’articulent pour perpétuer les inégalités de classe, de race et de genre dans les sociétés contemporaines.

Par ailleurs, dans le domaine de l’offre culturelle, des plateformes telles que Netflix adoptent une stratégie de glocalisation (Jenner, 2018), combinant une logique globale et un ancrage local en produisant des contenus adaptés à différents contextes nationaux tout en véhiculant des récits universels. Cependant, plusieurs études ont montré que cette ouverture culturelle reste encadrée par des logiques commerciales, qui tendent à standardiser l’offre (Boisvert, 2019 ; Kim, 2022). Le rôle prédominant des plateformes sur le marché international limite l’expression de la diversité culturelle et perpétue les rapports de pouvoir existants. Dans ce contexte, les contenus non étatsuniens diffusés sur Netflix sont souvent adaptés selon des codes narratifs et esthétiques issus de la culture étatsunienne, afin d’en assurer l’exportabilité (Salsabila, 2021). Ce « formatage » facilite certes la circulation transnationale des contenus, mais au prix d’une homogénéisation culturelle. Netflix agit ainsi comme un vecteur de soft power, diffusant des valeurs et représentations étatsuniennes au détriment des cultures locales (Colman, 2024 ; Lobato, 2019). À l’instar d’autres plateformes adoptant un modèle économique similaire, Netflix prolonge des tendances déjà instaurées par d’autres acteurs majeurs des industries culturelles, tels que Disney (Matusitz et Palermo, 2014), fondées sur l’uniformisation et l’« américanisation » des contenus transnationaux (Salsabila, 2021).

Il convient de souligner que ce phénomène ne concerne pas uniquement Netflix ni exclusivement les plateformes de streaming audiovisuel. Dal Yong Jin (2024) et Antonio Francisco Alaminos-Fernández (2023) montrent que les plateformes hégémoniques dans le domaine de la webdiffusion de contenus culturels — y compris celles spécialisées dans le streaming musical — imposent des normes culturelles occidentales et favorisent les contenus anglophones, marginalisant ainsi les productions locales et la diversité linguistique.

Les plateformes étatsuniennes favorisent la diffusion de visions du monde propres à leur pays d’origine tout en intensifiant l’offre de contenus anglophones, au détriment de ceux provenant d’autres régions. Plus précisément, le vaste catalogue proposé par ces acteurs dominants sur le marché audiovisuel, ainsi que l’ampleur des budgets investis dans leurs productions, contribue à marginaliser les plateformes locales et à limiter la découvrabilité de leurs contenus (Tchehouali, 2020). Les systèmes de recommandation privilégient en effet davantage les catégories de genre et la popularité des productions que la diversité culturelle, ce qui favorise les contenus étatsuniens et britanniques les plus populaires (Thoër et al., 2022). Ainsi, malgré l’apparente diversité de leurs catalogues, les plateformes dominantes du marché de la webdiffusion participent à une homogénéisation culturelle et linguistique, largement influencée par les valeurs de la société étatsunienne et par la langue anglaise (Salsabila, 2021). Il apparaît clairement que la plateformisation de l’audiovisuel contribue à renforcer l’hégémonie des productions anglophones, en particulier celles d’origine étatsunienne.

Par ailleurs, dans un contexte social marqué par la résurgence d’autoritarismes, les plateformes numériques semblent être mobilisées comme dispositifs de pouvoir au service de gouvernements à tendance totalitariste. À titre d’exemple, la plateforme X (anciennement Twitter), rachetée par Elon Musk, a été perçue comme servant les intérêts du gouvernement conservateur de Donald Trump, tandis que dans des pays autoritaires comme l’Iran, les autorités ont intensifié ces dernières années la surveillance des plateformes numériques afin de faire respecter les lois strictes encadrant le port du hijab (Parent, 2025).

Cependant, il serait erroné de considérer que les plateformes échappent aux formes de résistance et d’appropriation qui émergent « par le bas ». Par sa nature décentralisée (Cardon, 2019), le numérique permet aux usager·ère·s de faire circuler des discours contre-hégémoniques, favorisant ainsi la contestation et la reconfiguration des rapports de pouvoir existants. Dans ce contexte, les usager·ère·s se sont approprié·e·s des plateformes numériques telles que X (anciennement Twitter) et ont développé des mouvements tels que #MeToo et ses déclinaisons locales (par exemple #BalanceTonPorc en France), ainsi que #BlackLivesMatter, qui ont remis en cause les rapports d’exploitation et les inégalités fondées sur le genre et la race.

Des acteur·rice·s subalternes ont également investi les technologies numériques et les nouveaux médias alternatifs afin de se rendre visibles dans l’espace numérique et de faire entendre leurs voix. Le podcast constitue un exemple emblématique de cette dynamique : médium caractéristique de la culture de la convergence (Jenkins, 2006), il a été saisi par des communautés subalternes pour s’exprimer dans la sphère publique et porter des discours visant à contester les rapports de pouvoir qui leur sont imposés.

De même, les usager·ère·s ont développé des pratiques de résistance aux plateformes hégémoniques en recourant à des plateformes alternatives ou en adoptant des stratégies d’usage permettant de reconquérir un certain contrôle sur leurs données.

De plus, face à l’hégémonie des plateformes étatsuniennes, se développent des stratégies contre-hégémoniques visant à contrecarrer le capitalisme de plateforme et à rendre accessibles des contenus alternatifs, tant au niveau national qu’international. Les plateformes de vidéo à la demande (VàD) dédiées à la diffusion de contenus francophones en constituent des exemples, telles que TV5Mondeplus à l’international, France.tv en France ou Tou.tv au Québec.

Ce colloque vise à rassembler les chercheur·e·s travaillant sur les pouvoirs et les plateformes numériques autour des questions suivantes, sans s’y limiter :

Axe 1. Design des plateformes et co-construction des rapports de pouvoir

Cet axe explore les plateformes numériques comme des espaces où les rapports de pouvoir sont à la fois instaurés, consolidés et potentiellement remis en question. Il s’agit d’analyser comment les choix de conception — architecture technique, interface utilisateur, fonctionnalités proposées, esthétique visuelle, accessibilité, biais implicites, logiques de pouvoir sous-jacentes et degré de transparence technologique — participent à la genèse, à la normalisation ou à la contestation des rapports de pouvoir. Cet axe inclut également l’étude des dimensions d’inclusion et d’accessibilité, qui conditionnent l’accès à la plateforme et la visibilité des usager·ère·s, et donc la manière dont le pouvoir se distribue dans l’espace numérique.

Axe 2. Production

Cet axe s’intéresse aux processus de production de contenus sur les plateformes numériques et à la manière dont ces derniers contribuent à instaurer, reproduire ou contester les rapports de pouvoir. Il englobe l’analyse des conditions de production et de l’influence des contraintes économiques, contractuelles et éditoriales sur les contenus créés par les créateur·rice·s. Il examine également le rôle des logiques algorithmiques et des dispositifs de monétisation dans l’encadrement de la production, ainsi que l’impact des mécanismes de visibilité et d’optimisation sur la circulation et la forme des contenus. Par ailleurs, il s’intéresse à la production de contenus alternatifs et contestataires, en analysant les stratégies mises en œuvre par les créateur·rice·s subalternes ou indépendant·e·s pour s’exprimer malgré les contraintes imposées par les plateformes dominantes.

Axe 3. Représentations et discours

Les recherches de cet axe visent à analyser les représentations et les discours relatifs aux différentes formes de pouvoir véhiculées par les plateformes numériques. Il s’agit d’examiner non seulement les types de discours circulant sur ces plateformes — politiques, économiques, culturels ou sociaux — mais également la manière dont ces contenus, qu’il s’agisse de textes, de vidéos, de séries télévisées ou d’autres formes culturelles, légitiment, naturalisent ou contestent les rapports de pouvoir. 

Axe 4. Réception et usages

Cet axe s’intéresse à la manière dont les représentations et discours sur les pouvoirs sont perçus, interprétés et appropriés par les usager·ère·s des plateformes numériques (followers, abonné·e·s, etc.). Il vise à analyser, d’une part, les effets potentiels de ces représentations sur les individus — notamment en termes d’image de soi, de rapport à soi et à l’Autre, entendu ici dans une perspective d’altérité — et, d’autre part, les tactiques et stratégies de résistance, de subversion ou de contournement mises en œuvre par ces publics pour interroger, détourner ou déconstruire les rapports de pouvoir en vigueur.

Modalités de soumission

Les propositions des communications ne doivent pas dépasser 500 mots (hors bibliographie) et doivent être soumises en français à l'adresse dimitra.larochelle@sorbonne-nouvelle.fr,

avant le 1er décembre 2025.

Les réponses aux propositions de communication seront envoyées, par courriel, le 15 janvier 2025.

Toutes les propositions de communication soumises dans le cadre de ce colloque seront examinées et évaluées par les responsables du CR38, selon les critères scientifiques et thématiques définis par le comité.

Format

Le fichier sera envoyé en format doc ou odt et intitulé NOM_Prénom_Titre DeLaCommunication_AISLF2026

Ce document contiendra les éléments suivants : Noms, prénoms, courriels, affiliations/institutions de rattachement, titre de la communication, résumé́ de la communication.

Références bibliographiques citées

Alaminos-Fernández, A. F. (2023). Popular Music as Cultural Soft Power. OBETS. Revista de Ciencias Sociales, 18(1).

Bernard, S. (2023). UberUsés  : Le capitalisme racial de plateforme à Paris, Londres et Montréal. PUF.

Boisvert, S. (2019). À l’ombre du géant Netflix  : Les orientations narratives et idéologiques des séries originales du portail en ligne Club Illico. Quebec Studies, 67(1), 135‑157.

Cardon, D. (2019). Culture numérique. Sciences Po les presses.

Colman, D. (2024). Netflix and the shaping of global politics. In H. Cohen, J. Ujjwal, & G. Myra, Digital Humanities in the India Rim Contemporary Scholarship in Australia and India (p. 45‑65). Open Book Publishers.

Ekström, O. (2021). The perceived role of the Instagram algorithm in gender inequality-Analyzing the public discourse around the case of Nyome Nicholas-Williams [Mémoire de master, Utrecht University]. https://studenttheses.uu.nl/handle/20.500.12932/111

Jenkins, H. (2006). Convergence Culture : Where Old and New Media Collide. New York University Press.

Jenner, M. (2018). Netflix and the Re-invention of Television. Palgrave Macmillan.

Jin, D. Y. (2024). Global Political Economy, Platforms, and Media Industries. Oxford University Press. https://doi.org/10.1093/acrefore/9780190228613.013.1530

Kim, T. (2022). Cultural politics of Netflix in local contexts : A case of the Korean media industries. Media, Culture & Society, 00(0), 1‑15.

Lobato, R. (2019). Netflix Nations : The Geography of Digital Distribution. NYU Press.

Mashhadi, A., & Chapman, C. (2018). Who Gets the Lion’s Share in the Sharing Economy : A Case Study of Social Inequality in AirBnB. 10th International Conference, SocInfo. https://doi.org/10.1007/978-3-030-01129-1_23

Matusitz, J., & Palermo, L. (2014). The Disneyfication of the World : A Grobalisation Perspective. Journal of Organisational Transformation & Social Change, 11, 91‑107. https://doi.org/10.1179/1477963313Z.00000000014

Parent, D. (2025). Drones, informers and apps : Iran intensifies surveillance on women to enforce hijab law. https://www.theguardian.com/global-development/2025/mar/24/iran-police-women-surveillance-hijab-drones-dress-code-law ?utm

Salsabila, K. (2021). Netflix : Cultural diversity or cultural imperialism? Rubikon. Journal of Transnational American Studies, 8(1), 15‑27.

Tchehouali, D. (2020). Introduction. In D. Tchehouali & C. Agbobli, Accessibilité et découvrabilité des contenus culturels francophones. Regards croisés entre chercheurs, décideurs et professionnels de la culture de l’espace francophone (p. 11‑20). HDiffusion.

Thoër, C., Boisvert, S., & Niemeyer, K. (2022). La télévision à l’ère des plateformes. Quels enjeux et opportunités pour l’industrie de l’audiovisuel et les publics  ? Questions de Communication, 41, 315‑338. https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.29183

van Dijck, J., Poell, T., & de Waal, M. (2018). The Platform Society. Oxford Academic. https://doi.org/10.1093/oso/9780190889760.001.0001

Wolf, N. (1991). The Beauty Myth : How Images of Beauty Are Used Against Women. William Morrow and Company.

Notes

[1] La notion de « race » renvoie ici à des catégories historiquement et socialement construites, considérées non comme des réalités biologiques, mais comme des constructions sociales et culturelles générant des effets à la fois concrets et symboliques (Saïd, 1978 ; hooks, 1992).

Places

  • Bergamo, Italian Republic

Event attendance modalities

Full on-site event


Date(s)

  • Monday, December 01, 2025

Attached files

Keywords

  • plateformes, pouvoir, résistances, travail, genre, numérique, culture

Information source

  • Dimitra Laurence Larochelle
    courriel : larochelle [dot] laurence [at] gmail [dot] com

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Pouvoirs et résistances à l’ère des plateformes », Call for papers, Calenda, Published on Tuesday, October 07, 2025, https://doi.org/10.58079/14vdr

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