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Les monstruations féminines

Nouvelles questions féministes - n° 46/2 - 2027

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Published on Friday, October 10, 2025

Abstract

Ce numéro de Nouvelles Questions Féministes s’intéresse aux figures féminines négatives, étiquetées comme indignes, grotesques, déviantes, effrayantes, voire dégoûtantes ou monstrueuses. Plutôt que de nourrir les discours masculinistes qui érigent trop souvent ces figures en menace, il s’agit ici, dans une approche féministe, de leur redonner une forme de légitimité pour dessiner les normes de genre et la possibilité de leur transgression.

Announcement

Argumentaire

Ce numéro de Nouvelles Questions Féministes s’intéresse aux figures féminines négatives, étiquetées comme indignes, grotesques, déviantes, effrayantes, voire dégoûtantes ou monstrueuses. Plutôt que de nourrir les discours masculinistes qui érigent trop souvent ces figures en menace, il s’agit ici, dans une approche féministe, de leur redonner une forme de légitimité pour dessiner les normes de genre et la possibilité de leur transgression.

Pourquoi les figures de monstruation féminine intéressent-elles, ou devraient-elles intéresser le féminisme ? Les prendre pour objet d’analyse permet d’abord de questionner en creux la constitution des normes de genre. Parce qu’elles dévient de ces normes ou les transgressent, ces figures sont stigmatisées et sanctionnées. Ces processus (transgression, labellisation, sanction) sont de puissants révélateurs de l’ordre social, notamment patriarcal (Cardi et Pruvost, 2015) et des modalités de sa préservation. Ensuite, perçues comme négatives, ces figures peuvent permettre – pour celles qui les incarnent ou les autres – de dessiner un autre univers des possibles, par la remise en cause des normes, par leur redéfinition, par leur transformation concrète. Nouvelles comme très anciennes (Demartini, 2018), elles recèlent un pouvoir d’émancipation et proposent des pistes pour rendre visible, et lutter contre, l’oppression.

L’approche ici retenue se veut interdisciplinaire : nous attendons des contributions, issues de diverses disciplines en sciences humaines, sociales et historiques, en études littéraires et artistiques, autour de trois axes principaux. Le premier s’intéresse à certaines figures qui peuvent être pour les féministes des sujets politiques positifs, car résistantes. Le deuxième axe se focalise sur les corps « monstrueux » : porteurs de stigmates ou non conformes aux normes, ils viennent questionner les stéréotypes associés au féminin valide et désirable. Le troisième axe est consacré aux figures qui suscitent l’horreur ou le dégoût du fait de leur violence, de leurs déviances, de leur maltraitance, de leur attitude guerrière ou meurtrière. La mise en récit ou en images de ces figures révèle, là aussi, la puissance des catégories normatives tout en offrant les moyens de leur transgression.

Axe 1 : Des figures de résistance ou des formes d’essentialisation ?

Certaines figures féminines considérées comme déviantes, hors normes, folles, rebelles ou pionnières sont souvent mobilisées par les mouvements féministes comme source d’empouvoirement, comme modèle de résistance face au patriarcat et aux autres systèmes d’oppression, comme fondement d’un ralliement politique. « Tremate, Tremate, le streghe son tornate », scandaient les féministes italiennes dans les années 1970 ; « Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler », lit-on 50 ans plus tard sur les pancartes des manifestantes féministes des Nords. Les ouvrages sur les sorcières font florès (entre autres Sylvia Federicci (2014), Mona Chollet (2018), Starhawk (2015)) et les féministes s’identifiant à ces figures se réapproprient ces assignations et caricatures, voyant dans cette qualification une possibilité de lutter contre la domination masculine. Le Grand angle de ce numéro souhaite recueillir des contributions visant à comprendre ce que recouvrent ces assignations. Ces figures sont-elles toujours le symbole de pratiques de liberté non solubles dans les systèmes d’oppression ? Ne s’agit-il pas aussi de formes d’essentialisation du pouvoir des femmes, ou de détournements finalement superficiels (Zancarini-Fournel, 2024) ? Le pouvoir que prétendent détenir ces femmes n’est-il pas réduit à des atouts surnaturels ?

Axe 2 : Corps déviants, effrayants et processus de marginalisation

À côté de ces figures qui peuvent être abordées positivement, les monstresses sont aussi celles considérées comme ayant des corps déviants du fait de leurs formes, capacités, âges, beautés et laideurs. On se demandera s’il y a des processus différenciés pour définir et circonscrire les monstres masculins et ceux féminins. Comment réagir face à ces assignations et identifications corporelles ? Quelles sont les implications concrètes de cette opération d’étiquetage, dans la vie quotidienne ? En quoi ces corps représentent-ils un danger ? Ces processus de marginalisation, parfois déshumanisants, excluent certains corps des espaces sociaux (topographiques, médiatiques, culturels, etc.). Ils viennent également renforcer les stéréotypes hétéropatriarcaux associés au féminin, et reproduisent les rôles sexués. En retour, il faut se demander dans quelle mesure un corps « hors normes » peut être vecteur d’émancipation. On peut penser aux performances de corps mutilés ou amputés (Fortier, 2020), aux artistes qui exposent leurs menstruations (Mardon, 2011), qui mettent en scène leur corps « ingouvernables » de manière spectaculaire (Elkin, 2023, Hellstrand et al., 2024), ou encore à l’usage de la chirurgie esthétique, désigné comme féministe, ou comme une manifestation de l’intériorisation de stéréotypes physiques, ce qui parfois fait l’objet d’un backlash.

Axes 3 : Des femmes violentes, criminelles et déviantes

Certaines femmes sont désignées comme des monstres parce qu’elles ont eu recours à la violence ou ont commis des actes criminels (infanticide, attentat, meurtre ou actes de torture) (Blanchard et Niget, 2016 ; Debruille, 2018 ; Vernay, 2024). Les actes qui engendrent cet étiquetage, tout comme le traitement proposé par le système sociopénal, suivent des logiques de genre, de même que l’accès des femmes aux armes, comme l’avait montré Paola Tabet et comme le rappellent des travaux plus récents (Bugnon, 2015 ; Cardi et Pruvost, 2015 ; Froidevaux, 2021). Les expériences des femmes qui ont commis des actes violents – qu’ils soient politiques, par exemple en période de conflit armé, ou non – sont néanmoins encore relativement tues, si ce n’est sous l’angle de leur psychologisation (Boutron et Lebasque, 2019). Dans cet axe, nous attendons des contributions sur l’expérience de celles qui ont recours à des pratiques déviantes ou illégales – et qui suscitent des émotions négatives comme la peur ou la colère – ou sur leur traitement et son historicité.

Cet appel cherche à recueillir des articles des diverses disciplines de sciences humaines, sociales et historiques, des études littéraires ou artistiques, éclairant un ou plusieurs des axes proposés et portant sur divers contextes nationaux.

Modalités de soumission

Les propositions d’articles de deux pages (hors bibliographie) sont attendues en format word, interligne simple, caractère 12, envoyées par mail à nqf_redaction@hetsl.ch,

avant le 15 janvier 2026.

Elles doivent contenir le nom et le prénom des auteurices ainsi que leur discipline et éventuellement leur institution de rattachement. Elles peuvent inclure une bibliographie.

Les coordinatrices opèrent une première sélection parmi ces résumés. Si la proposition est acceptée, la 1ère version de l’article (45 000 signes) est transmise au groupe de coordination le 15 septembre 2026 au plus tard.

Le groupe de coordination transmettra l’article anonymisé à deux rapporteurices pour évaluation en double aveugle. Il peut être accepté en l’état, accepté sous réserve de modifications mineures ou majeures ou refusé. En cas d’acceptation pour publication, la version retravaillée doit parvenir le 15 février 2027 au plus tard. Le numéro sortira à l’automne 2027. Les articles publiés paraissent dans la rubrique Grand angle du numéro.

Consignes aux autrices : https://nouvellesquestionsfeministes.ch/soumissions-darticles/

Coordinatrices

  • Véronique Bayer
  • Coline Cardi
  • Clothilde Palazzo-Crettol
  • Armelle Weil

Références

Blanchard, Véronique et Niget, David, 2016, Mauvaises filles. Incorrigibles et rebelles, Paris : Textuel.

Boutron, Camille et Le Basque, Myriam, 2019, « Combattantes, terroristes ou victimes ? L’engagement des femmes dans la violence armée », Les Champs de Mars, 33 (2), 91-113.

Bugnon, Fanny, 2015, Les « Amazones de la terreur » : sur la violence politique des femmes, de la Fraction Armée rouge à Action directe, Paris : Payot & Rivages.

Debruille, Celine, 2018, La construction sociale de la délinquance des filles en France de 1850 à 1945, thèse de doctorat, université de Perpignan.

Cardi, Coline et Pruvost Geneviève, 2015, « Les mises en récit de la violence des femmes ». Idées économiques et sociales, 181 (3), 22‑31.

Demartini, Anne-Emmanuelle, 2018, « Lacenaire, mise en scène d’un monstre », Revue de la BnF, 56 (1), 30-40.

Elkin, Lauren, 2023, Art Monsters: Unruly Bodies in Feminist Art review, Londres : Chattow &Windus.

Fortier, Corinne, 2020, « Seins, reconstruction, et féminité. Quand les Amazones s’exposent », Droit et cultures [En ligne], 80 (2).

Froidevaux, Solène, 2021, « Manipuler des armes : un accès et une relation aux objets marqués par le genre », Corps, 19 (1), 439-448.

Hellstrand, Ingvil, Orning, Sara, Koistinen, Aino-Kaisa et McCormack, Donna, 2024, « We Can’t Settle for Normality: Towards Feminist Monster Studies », in Steven Rawle et Martin Hall (eds.), Monstrosity and Global Crisis in Transnational Film, Media and Literature (pp. 1-17), Cambridge: Cambridge Scholars Publishing.

Mardon, Aurélia, 2011, « Honte et dégoût dans la fabrication du féminin L’apparition des menstrues », Ethnologie française, 41 (1), 33-40.

Tabet, Paola, 1979, « Les mains, les outils, les armes », L’Homme, 19 (3-4), 5-61.

Vernay, Olivia, 2024, Mineur·es sous contrainte, violence négociable ? L’expérience silenciée des personnes privées de liberté en psychiatrie avant leur majorité (Genève, 1960-2020), thèse de doctorat, université de Genève.

Zancarini-Fournel Michelle, 2024, Sorcières et sorciers, histoire et mythes. Lettre aux jeunes féministes, Paris : Libertalia.


Date(s)

  • Thursday, January 15, 2026

Keywords

  • monstre, déviance, féminisme, genre, violence, hybride

Contact(s)

  • Armelle Weil
    courriel : nqf_redaction [at] hetsl [dot] ch

Reference Urls

Information source

  • Weil Armelle
    courriel : nqf_redaction [at] hetsl [dot] ch

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Les monstruations féminines », Call for papers, Calenda, Published on Friday, October 10, 2025, https://doi.org/10.58079/14vz6

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