Published on Friday, October 10, 2025
Abstract
Ce colloque vise à réunir des chercheurs, jeunes chercheurs et doctorants autour de la thématique des « Sororités » en Italie de 1789 à nos jours. Les « Sororités » seront envisagées en tant que phénomène politique et littéraire. Il s’agira d’explorer les formes d’alliances féminines dans les discours, les pratiques sociales, les récits ou les correspondances en Italie dans un contexte de bouleversements politiques et de reconfigurations des rôles genrés. Une attention particulière sera consacrée aux fraternité/sororité politiques dans les Républiques sœurs italiennes (1796-1799), fraternité/sororité militaires et diplomatiques franco-piémontaises lors de l’unification italienne (dans la pensée politique et les représentations).
Announcement
Argumentaire
En 1789, la Révolution française introduit le terme de fraternité avec une visée universelle. Il renvoie au lien entre citoyens, puis à un idéal universel d’égalité. Le terme sororité existe quant à lui en français dès l’époque moderne (la référence la plus ancienne remonte au Tiers Livre de Rabelais en 1546, où il désigne une « communauté de femmes »). Défini par analogie avec fraternité comme « qualité de sœur » ou « lien entre sœurs », il renvoie à sa racine latine soror (sœur), mais son usage demeure longtemps marginal. Dans les dictionnaires du XIXᵉ siècle (Académie Complément, 1842), il est attesté mais n’acquiert pas encore de portée politique comparable à celle de la fraternité. En italien, le terme sororità, rare et d’usage essentiellement religieux, n’est véritablement réinvesti qu’au XXᵉ siècle, notamment pour traduire littéralement l’anglais sisterhood (en anglais on trouve sisterhood avant sorority). On lui préfère d’autres expressions comme amicizia femminile, legami tra donne, et surtout sorellanza. Ce dernier terme, défini dans le dictionnaire Treccani comme « le rapport naturel entre sœurs et le lien d’affection qui les unit », connaît une extension figurée qui permet de désigner aussi bien la solidarité entre femmes que la parenté symbolique entre entités collectives (la sorellanza delle nazioni mediterranee).
Ce choix lexical éclaire une spécificité : l’usage politique et métaphorique de sorellanza, pendant féminin de fratellanza, qui sert à penser des formes de solidarité horizontales. Ainsi, le terme sororité se construit d’abord en réponse au terme fraternité, masculin et excluant. Dès le XVIIIe siècle, certaines écrivaines (Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne) ont mis en lumière cette limite et esquissé une réflexion sur une solidarité spécifiquement féminine. La sororité est une expérience (Farnetti 2022) dont le point de départ est un lien qui peut faire communauté pour ensuite se construire et se structurer. Première forme d’expérience collective féminine commune que ce soit de sang ou de fait, elle se détache de l’amitié car le lien sororal devient indépendant de toute relation amicale voire de toute forme d’intentionnalité, et peut se manifester lors d’un épisode de courte durée.
Les travaux historiques et philosophiques ont pointé la fraternité comme un signifiant ayant permis de construire de manière théorique les espaces démocratiques comme des espaces masculins, en particulier dans le contexte postrévolutionnaire français (Kolly 2012). C’est ce contexte qui va s’appliquer à une grande partie de l’Italie, annexée par l’armée révolutionnaire, puis intégrée à l’Empire napoléonien avant les Restaurations de 1814. Les expressions « républiques sœurs » et « nations sœurs » fournissent un premier exemple de sororité appliquée aux peuples, en articulant une double dimension : d’une part, l’affirmation d’un idéal de rapprochement culturel /proximité culturelle et politique, de solidarité transnationale entre peuples, et d’autre part, l’inscription de cette solidarité dans un langage symbolique féminin, en accord avec la tradition allégorique et iconographique féminine, où les nations étaient personnifiées sous les traits féminins (Marianne, Italia turrita). L’expression « nations sœurs », largement attesté au XIXᵉ siècle dans les discours politiques et littéraires (Bertrand-Frétigné- Giacone 2022) éclaire l’imaginaire de la sororité transnationale. La formule désigne la proximité affective et politique entre peuples engagés dans des combats analogues, comme entre la France et l’Italie. Le choix du féminin n’est pas anodin : parler de « nations sœurs » plutôt que d’« États frères » permettait d’éviter la confusion avec la fraternité républicaine entre citoyens, tout en soulignant la spécificité du lien entre communautés politiques distinctes. La métaphore sororale renvoie à une relation d’égalité et de solidarité, dépourvue de hiérarchie implicite entre « aînés » et « cadets », souvent associée à la fraternité masculine.
Au XIXe et notamment à partir du Quarantotto, le terme de sororité prend aussi racine dans un ensemble de pratiques intellectuelles : les réseaux, les lieux de sociabilité (salons, cercles militants), les revues de femmes (Fournier Finocchiaro-Gazzetta-Meazzi 2021), les correspondances où les amitiés, parfois transnationales, révèlent des formes souvent discrètes mais décisives d’action collective et de transmission entre femmes. Ces expériences féminines s’inscrivent dans un contexte culturel où le modèle est celui des amitiés masculines, contre lequel elles proposent un modèle alternatif de lien. La sororité ne désigne pas encore une catégorie théorisée du féminisme, mais plutôt un terme en construction à partir d’expériences concrètes. Dans les mémoires et les correspondances du XIXᵉ siècle (par exemple d’Agathe- Sophie Sassernò et Olimpia Savio-Rossi, Adelaide Ristori et Carlotta Marchionni), la sororité apparaît comme un idéal affectif et moral, un soutien entre femmes face aux contraintes du mariage, de la vie domestique, de la société patriarcale mais aussi face aux doutes. La presse féminine et certaines militantes de la fin du XIXᵉ siècle (Anna Maria Mozzoni, Gualberta Beccari, Anna Kuliscioff…) mobilisent ce vocabulaire pour exalter une union féminine « transclasse » et parfois transnationale. La sororité s’écrit également dans les romans, où cependant les personnages de sœurs sont souvent mis en concurrence.
Au tournant du XXe siècle, les associations féministes qui se développent en Italie offrent un exemple concret de sororité vécue : les sociétés de secours mutuel féminines, les associations pédagogiques et philanthropiques reposent sur une solidarité explicitement féminine. Les réseaux professionnels d’institutrices et d’enseignantes témoignent eux aussi d’une dynamique d’entraide et de coopération éducative qui intègre une échelle transnationale. Les militantes féministes de la première vague prennent aussi l’habitude de se retrouver régulièrement lors des congrès internationaux de femmes qui servent à construire une nouvelle solidarité féminine.
Au cours du XXe siècle, la sororité se tisse et évolue aux seins des groupes pour le droit de vote des femmes ou plus tard dans la lutte contre le fascisme au sein de l’Unione delle Donne Italiana. C’est dans les années soixante-dix qu’elle connait probablement son apogée. Combustible essentielle de la libération des femmes, les féministes font de la sororité une stratégie politique et une pratique quotidienne. Elles se reconnaissent, se choisissent et prennent leur autonomie. Les collectifs les plus radicaux excluent les hommes de leurs luttes et ne s’adressent plus qu’aux femmes (Manifesto di Rivolta Femminile, 1970). Si le terme sorellanza est parfois questionné (trop idéaliste ?), l’idée est là : faire passer les liens entre femmes avant tout. Un défi de taille dans cette société patriarcale. Les militantes de la Libreria delle donne de Milan décrivent la densité de ce lien, l’affidamento qui en émane : « cette ressource irremplaçable de force personnelle, d’originalité spirituelle, d’assurance » (Non credere di avere dei diritti 1987). Mais « ce qui n’est pas nommé n’existe pas » (Delaume 2021), alors les féministes cherchent à réhabiliter une généalogie féminine. Elles redécouvrent les sororités du passé pour nourrir les imaginaires futurs, et redonner à ce lien entre femmes la place qu’il a toujours eue mais que le « monologue » du patriarcat (Lonzi 1970) a effacé. L’écriture collective fréquente au sein des cercles féministes devient une nouvelle manière de vivre et d’écrire la sororité. Les revues du mouvement se prêtent particulièrement à cet exercice (Fabre-Manchio- Manetti-Sensini 2022). La littérature du XXe siècle s’imprègne de ces évolutions et à travers les récits utopiques ou les histoires d’amitié, met en scène encore une fois ce lien sororal (Charlotte Perkins Gilman, Ursula Le Guin, Monique Wittig, Françoise d’Eaubonne, Goliarda Sapienza).
Le XXIe siècle voit cette tendance s’accentuer encore et multiplie les références auxquelles s’identifier (Elena Ferrante, Wendy Delorme, Chloé Delaume). Depuis le mouvement Me Too et l’essor des réseaux sociaux, la sororité semble avoir atteint une échelle mondiale apparemment capable de soulever des montagnes : « La sororité est un outil. Un outil de puissance, une force de ralliement, la possibilité de renverser le pouvoir encore aux mains des hommes. » (Delaume 2021). Mais la sororité soigne-t-elle tous les maux ? bell hooks en 1986 avait déjà mis en garde face aux écueils : la sororité ne peut être aveugle des différences et mécanismes de domination entre les femmes. Trop idéaliser la sororité pourrait tromper, et quelles sont ses limites ? Le réseau est-il déjà la sororité ? Alors que les mouvements LGBTQIA+ prennent de plus en plus d’ampleur, quelle pertinence a encore le terme « sororité » ?
Les tensions qui naissent autour de la notion même invitent à penser la sororité au pluriel. Quelles représentations des sororités se dégagent des différents champs : historique, politique, littéraire ou philosophique ? Comment saisir le rôle spécifique des sociabilités féminines, que les cultural studies ont contribué à mettre en lumière ? Dans quelle mesure l’amitié féminine devient-elle sororité, et qu’apporte l’usage de ce terme dans la compréhension des solidarités entre femmes ? Enfin, comment articuler la sororité pensée, écrite et vécue en Italie, du Risorgimento à l’époque contemporaine, pour mieux en dégager la diversité des expériences et des imaginaires ?
La réflexion s’articulera autour de trois axes : Penser, Écrire et Vivre la sororité.
Axe 1 : Penser la sororité : sororités politiques italiennes
- fraternité/sororité politique dans les Républiques sœurs italiennes (1796-1799)
- fraternité/sororité militaire et diplomatique franco-piémontaise lors de l’unification italienne (dans la pensée politique et les représentations)
- France et Italie : « nations sœurs » ou nations rivales ?
- les autres « nations sœurs » de l’Italie (Grèce, Pologne au XIXe ; Allemagne, Chili au XXe…)
- l’Italie et ses « sœurs latines » dans l’histoire et la pensée politique
- sororité et associationisme féminin et féministe
- les limites de la sororité (universalisme, adelphité, intersectionnalité)
- la sororité dans le droit italien (l’évolution du droit des sœurs dans le droit de la famille ; l’absence de concept juridique de « sororité » : quelles conséquences ?)
Axe 2 : Écrire la sororité : sororités dans la fiction
- les représentations du lien sororal dans la littérature italienne : sœurs biologiques/ sœurs choisies ; confidentes, alliées, complices/ « sœurs ennemies »
- les utopies féministes (sœurs symboliques, communautés féminines)
- les lieux de sororité (pensionnats, couvents, prisons, hôpitaux, asiles…)
- les liens entre sœurs versus le rapport mère/fille
- sororité générationnelle/ sororité transgénérationnelle
Axe 3 : Vivre la sororité : pratiques de la sororité
- l’expérience de la sororité racontée dans les correspondances/ autobiographies/ récits collectifs
- figures et trajectoires de théoriciennes et militantes italiennes de la sororité (écrivaines, philosophes, journalistes, éditrices…)
- études de réseaux intellectuels et militants (salons littéraires, revues, associations, syndicats, partis, cercles, centres de femmes…)
- la sororité à l’ère des réseaux sociaux (continuités, élargissements, limites)
- sororités empêchées (le lien marital et les devoirs familiaux contre la sororité/ le modèle hétérosexuel et l’homophobie/ l’isolement des femmes dans le système patriarcal)
- expériences de transgression des espaces et des règles
Modalités de soumission
Les langues du colloque sont le français et l’italien. Les interventions seront d’une durée de 20 minutes
Les propositions (300 mots maximum, espaces compris, avec prénom, nom, fonctions et lieu d’exercice, adresse électronique, titre de la communication) ainsi qu’une brève notice bio- bibliographique devront parvenir à l’adresse suivante : colloquesororite2026@gmail.com,
avant le 15 décembre 2025.
Les résultats de l’appel à communication seront rendus le 6 janvier 2026.
Les frais de déplacement et d’hébergement sont à la charge des participant.e.s (des aides ponctuelles pourront être allouées sur demande en cas de non prise en charge par les laboratoires).
Comité scientifique
- Gilles Bertrand
- Olivier Forlin
- Laura Fournier-Finocchiaro
- Jean-Yves Frétigné
- Barbara Meazzi
- Elena Musiani
- Elisa Santalena
- Pierre Serna
- Manuela Spinelli
- Paola Stelliferi
Comité d’organisation
- Manon Borgogno
- Maëlle Caugant
Bibliographie sélective
bell hooks, Sororité, Paris, Payot, 2024.
Bertrand Gilles, Fretigné Jean-Yves, Giacone Alessandro, La France et l’Italie. Histoire de deux nations sœurs, 2e éd., Paris, Colin, 2022.
Brogi Daniela, Lo spazio delle donne, Torino, Einaudi, 2022.
Cao Claudia, Guglielmi Marina (dir.), Sorelle e sorellanza nella letteratura e nelle arti, Firenze, Cesati, 2018.
Delaume Chloé (dir.), Sororité, Paris, Points, 2021.
Fabre Marie, Manchio Corinne, Manetti Beatrice, Sensini Francesca, « Un roman de formation collectif ». Les revues féministes en Italie des années 1970 à nos jours, Laboratoire italien, 28 | 2022.
Farnetti Monica, Sorelle. Storia letteraria di una relazione, Roma, Carocci, 2022.
Fournier-Finocchiaro Laura, Gazzetta Liviana, Meazzi Barbara (dir), Voix et parcours du féminisme dans les revues de femmes (1870-1970), Laboratoire italien, 26 | 2021.
Kolly Berengère, « Sororité versus fraternité ? De la pertinence de la présence sororale dans un contexte fraternel », La chaîne d’union, 2013/2, n° 64, p. 60-69.
Kolly Berengère, «Et de nos sœurs séparées…» Lectures de la sororité, Paris, Lussaud, 2012. Libreria delle donne di Milano, Non credere di avere dei diritti, Rosenberg & Sellier, 1987.
Lonzi Carla, Sputiamo su Hegel, Rivolta femminile, 1970
Maniglier Patrice, Lippi Silvia, Sœurs, pour une psychanalyse féministe, Paris, Seuil, 2023. Mielusel Ramona (dir.), Solid/taires. Féminismes et sororités dans les productions artistiques françaises et francophones, Boston-Leiden, Brill Publishers, 2023.
Robin Morgan, Sisterhood is global, New York, Feminist Press at CUNY, 1984.
Scaramuzza Emma (dir.), Politica e amicizia. Relazioni, conflitti e differenze di genere (1860- 1915), Milano, FrancoAngeli, 2010.
Serna Pierre (dir.), Républiques sœurs: le Directoire et la Révolution atlantique, Rennes, PUR, 2009.
Subjects
- Modern (Main category)
- Zones and regions > Europe > France
- Zones and regions > Europe > Italy
Places
- Grenoble, France (38)
Event attendance modalities
Full on-site event
Date(s)
- Monday, December 15, 2025
Attached files
Keywords
- sororités, France, Italie, histoire, littérature
Information source
- Manon Borgogno
courriel : manon [dot] borgogno [at] univ-grenoble-alpes [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Sororités politiques et littéraires en Italie de 1789 à nos jours », Call for papers, Calenda, Published on Friday, October 10, 2025, https://doi.org/10.58079/14w22

