Cicéron. Philosophe de la nature ?
La place de la physique dans la philosophie cicéronienne
Published on Tuesday, October 14, 2025
Abstract
Le colloque vise à étudier la place accordée à l’étude de la Nature dans le projet philosophique cicéronien. Il s’agira notamment d’examiner : comment Cicéron articule la théorie néo‑académicienne du doute et l’enquête sur la nature ? comment il se positionne par rapport aux physiques hellénistiques ? en quoi ses dialogues contribuent à la circulation des savoirs sur la nature, le monde, les astres à la fin de la République ?
Announcement
Argumentaire
Dans le prologue du second livre du De diuinatione, écrit après la mort de César, Cicéron, interrompant la discussion in utramque partem sur la divination engagée avec son frère Quintus, recense l’ensemble de ses écrits philosophiques. Véritable « catalogue raisonné » (Schofield 1986) de son œuvre, cet extrait semble livrer des clés de compréhension de l’ensemble du programme philosophique de Cicéron. En ce sens, l’ordre dans lequel il présente les différents ouvrages a suscité de nombreuses questions (par exemple, Grilli 1971). Si l’ordre n’est pas strictement chronologique, puisque le De republica, pourtant entamé dès l’année 54, n’est pas présenté en premier, il semble pouvoir être considéré comme programmatique, dans la mesure où il donne sens à l’ensemble de son œuvre philosophique. Cicéron y présente ses ouvrages par groupes et associe notamment le De natura deorum, le De diuinatione et le De fato, encore à l’état de projet au moment de l’écriture du prologue :
Après avoir exposé ces matières, j’ai achevé trois livres Sur la nature des dieux, qui contiennent l’ensemble de la question (toti huic quaestioni). Pour qu’elle soit traitée de façon vraiment complète et dans toute son étendue, j’ai commencé à écrire ces livres Sur la divination ; si, comme c’est mon intention, j’y adjoins un traité Du destin, j’aurai largement satisfait à toute cette question. (Cicéron, Diu. II, 3. Trad. J.-F. Guillaumont).
Si l’on suit la tripartition bien connue de la philosophie ancienne (Hadot 1979), ces trois ouvrages appartiennent au domaine de la physique, c’est-à-dire à l’étude de la φύσις, qui désigne, selon l’acception élargie par les stoïciens, l’étude de l’univers et des dieux (voir par exemple, DL, VII, 138). Mais on peut s’étonner que, selon la présentation cicéronienne, la physique se limite à la question des dieux et du destin. Cicéron ne nomme d’ailleurs pas plus précisément cette quaestio et il semble nécessaire d’examiner le vocabulaire employé pour traiter de physique. Il peut parler de natura, mais aussi de physica (notamment dans Ac. I, 25), terme qui réapparaît régulièrement dans les philosophica. Ce terme recoupe-t-il aussi l’étude de la nature, des astres, de la place qu’occupe l’être humain dans le monde ? Cette thématique fait-elle partie du programme philosophique de l’Arpinate ?
Si l’on en croit Cicéron, « Socrate le premier invita la philosophie à descendre du ciel » (Tusc. V, 10) et fit ainsi de l’éthique le domaine principal de l’enquête philosophique. Selon cet exposé, les philosophes dits « présocratiques », comme Démocrite, Empédocle ou Pythagore, s’intéressaient, quant à eux, à l’ensemble des phénomènes naturels. Il faudrait donc remonter à ces philosophes de la nature que Cicéron nomme physici pour retrouver les origines de la physique, dont se seraient ensuite inspirées les différentes écoles hellénistiques. Dans la République, Cicéron explique en effet que l’intérêt de Platon pour les questions naturelles serait issu non pas de l’enseignement de Socrate mais de celui du pythagoricien Archytas de Tarente et d’un certain Timée de Locres (dont l’existence historique est nettement débattue) qu’il aurait rencontrés en Sicile (Rep. I, 16). Cette partition entre une éthique issue de Socrate et une physique issue des présocratiques mériterait d’être réinterrogée à la lumière du projet philosophique de Cicéron à Rome. Les épicuriens, comme les stoïciens, n’ont pas délaissé les questions naturelles pour privilégier l’éthique, aussi bien en Grèce qu’à Rome (voir Lucrèce, Sur la Nature ou Sénèque, Questions naturelles). Dès lors, comment Cicéron se positionne-t-il par rapport aux doctrines philosophiques de son temps sur le plan de la physique ? et comment se positionne-t-il par rapport aux physici, contre lesquels il dit avoir écrit les Académiques (Tim. I, 1) ?
Si l’on se penche plus précisément sur son œuvre, on remarque qu’un certain nombre d’ouvrages, parfois moins explorés que le triptyque De natura deorum – De diuinatione – De fato, traitent également de la philosophie de la nature, de cosmologies, ou encore de la place que l’être humain occupe dans le monde. Citons par exemple : les Aratea, le Somnium Scipionis du De republica, le Timaeus, ou encore les Tusculanes et les Académiques, dont le premier livre a été récemment réédité dans la Collection des Universités de France (Lévy, Hunt & Malaspina 2025). Il s’agit donc d’une question qui, bien qu’elle ne semble pas être traitée frontalement par Cicéron, traverse manifestement l’ensemble de son œuvre, depuis sa jeunesse – avec les Aratea – jusqu’aux ouvrages philosophiques de la dernière période.
Alors que les études sur l’éthique ou la théorie de la connaissance chez Cicéron sont fort nombreuses, le rôle de la physique dans l’ensemble des philosophica n’a encore été que peu exploré. L’ouvrage collectif sur le concept de nature à Rome (Lévy 1996) montre bien l’intérêt de poser cette question à propos du corpus cicéronien. L’influence de Platon sur Cicéron a été largement étudiée, et les spécialistes se sont interrogés sur les positionnements doctrinaux du philosophe romain. Son rapport au Timée, œuvre fondamentale de la physique platonicienne, a été surtout analysé par le biais de la médiation stoïcienne (Reydams-Schills 1999 ; 2013 ; 2015), mais il a également été question du positionnement de Cicéron dans l’histoire du platonisme, entre la fin de la Nouvelle Académie en tant qu’institution (Lévy 1992) et les débuts du « médio-platonisme » (Lévy 2008). Des études approfondies ont été menées sur chaque dialogue du triptyque De natura deorum, De diuinatione et De fato (Auvray-Assayas 2019 ; Guillaumont 2006 ; Di Meglio 2019) ; quelques-unes seulement ont cherché à en dégager l’unité d’une pensée philosophique (Auvray-Assayas 2025) ou d’une théologie (Wynne 2019). De nouvelles perspectives ont cependant été récemment ouvertes sur certains de ces ouvrages, notamment le De fato (Bellorio 2021), ou le Timaeus, parfois considéré comme le quatrième opus qui devait être ajouté au triptyque physique (Lévy 2003 ; Sedley 2013 ; Auvray-Assayas 2022 ; Ravaute 2024 ; Revello 2025). En parallèle, le rapport de Cicéron à l’astronomie a été étudié dans le De Republica par le biais des questions politiques (Atkins 2011 ; 2013) et du thème de la révélation (Lévi 2014) ou dans les Aratea par le biais de questions esthétiques (Ciano 2019) ou culturelles (Gee 2013 ; Volk 2015 ; Bishop 2019).
Mais une question demeure : Cicéron se veut-il aussi un « philosophe de la nature » ? Comment se situe-t-il sur ce sujet parmi les différentes doctrines philosophiques et quelle place l’enquête sur la nature occupe-t-elle dans son projet ? C’est à ces questions que le colloque se propose de répondre.
Plusieurs axes pourront être explorés :
- Les liens entre la physique et les autres parties de la philosophie : comment Cicéron articule-t-il la théorie néo-académicienne du doute et l’enquête sur la nature ? Quel rôle la physique peut-elle jouer dans le cadre des questions éthiques et politiques ?
- Les rapports de Cicéron aux doctrines grecques : quels rôles tiennent les philosophes présocratiques dans la démarche cicéronienne ? Comment Cicéron se positionne-t-il par rapport aux physiques hellénistiques ?
- Cicéron, « professeur de philosophie du peuple romain » (Lévy 2008) : en quoi le travail de Cicéron contribue-t-il à la circulation des savoirs sur la nature, le monde, les astres à la fin de la République ? Observe-t-on une démarche de « romanisation » de la physique dans la philosophie cicéronienne et sous quelles formes ?
Seront bienvenues également des propositions visant à comparer la démarche de Cicéron avec celle d’autres philosophes antiques, ou à insérer son travail philosophique dans l’histoire intellectuelle de la fin de la République.
Modalités de soumission
Les communications, d’une durée de 25 min, pourront porter sur un ou plusieurs axes mentionnés et se faire en anglais ou en français. Les propositions de communication, d’environ 500 mots, accompagnées d’une notice bio-bibliographique dans un second document, sont à envoyer à sabine.luciani@univ-amu.fr et jeanne.ravaute@ens-lyon.fr,
avant le 15 décembre 2025.
Les réponses seront données au début du mois de janvier.
Comité d’organisation
- Sabine Luciani (sabine.luciani@univ-amu.fr)
- Jeanne Ravaute (jeanne.ravaute@ens-lyon.fr)
Comité scientifique
- Anne Balansard (AMU)
- Maëlys Blandenet (ENS de Lyon)
- Matthew A. Fox (University of Glasgow)
- Sabine Luciani (AMU)
- Stéphane Marchand (Paris 1 – Panthéon Sorbonne)
- Gernot M. Müller (Universität Bonn)
- Jeanne Ravaute (ENS de Lyon)
- Katharina Volk (Columbia University)
Subjects
- Thought (Main category)
- Mind and language > Thought > Philosophy
- Mind and language > Thought > Intellectual history
- Mind and language > Language > Literature
- Society > Science studies > Philosophy of science
- Periods > Prehistory and Antiquity > Roman history
- Zones and regions > Europe > Mediterranean regions
Places
- BP 7000 - 15 parvis René Descartes - 69342 Lyon Cedex 07
Lyon, France (69 342)
Event attendance modalities
Full on-site event
Date(s)
- Monday, December 15, 2025
Attached files
Keywords
- Cicéron, philosophie, physique, nature
Contact(s)
- Sabine Luciani
courriel : sabine [dot] luciani [at] univ-amu [dot] fr - Jeanne Ravaute
courriel : jeanne [dot] ravaute [at] ens-lyon [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Sabine Luciani
courriel : sabine [dot] luciani [at] univ-amu [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Cicéron. Philosophe de la nature ? », Call for papers, Calenda, Published on Tuesday, October 14, 2025, https://doi.org/10.58079/14xye

