HomeHarnachés

Harnachés

Mondes hostiles et couplage à la technique

*  *  *

Published on Wednesday, October 15, 2025

Abstract

Protéger les corps en les harnachant et, malgré tout, les immerger dans des mondes hostiles pour qu’ils y produisent une action relève d’une mise en tension socialement consentie et procède d’une équation, variable dans l’histoire, qu’une société construit entre risque, sacrifice et promesse. Équiper les corps permet le franchissement de leurs capacités naturelles : respirer sous l’eau, voler dans les airs, évoluer sans gravité dans la station spatiale, aller au front des incendies ou des conflits armés, intervenir en milieux radioactifs ou, plus généralement, pollués, ou encore en milieux contaminés par la maladie.

Announcement

Coordinatrices

Caroline Moricot, caroline.moricot [at] univ-paris1.fr
Céline Rosselin-Bareille, celine.rosselin.bareille [at] u-picardie.fr

Argumentaire

Protéger les corps en les harnachant et, malgré tout, les immerger dans des mondes hostiles pour qu’ils y produisent une action relève d’une mise en tension socialement consentie et procède d’une équation, variable dans l’histoire, qu’une société construit entre risque, sacrifice et promesse (Moricot, 2020). Équiper les corps permet le franchissement de leurs capacités naturelles : respirer sous l’eau (Helmreich, 2007 ; Bright, Kimmey, 2021 ; Rosselin-Bareille, à paraître), voler dans les airs (Dubey, Moricot 2016), évoluer sans gravité dans la station spatiale (Parkhurst, Jeevendrampillai, 2020 ; Patarin-Jossec et Clervoy, 2023), aller au front des incendies ou des conflits armés (Bolens, 2010), intervenir en milieux radioactifs (Bourrier, 1999) ou, plus généralement, pollués, ou encore en milieux contaminés par la maladie (Brunnquell, Epelboin, Formenty, 2007 ; Monjaret, 2011).

Si la notion d’hostilité est largement mobilisée pour décrire et analyser des situations de harcèlement ou d’inégalités (au travail, dans les rapports sociaux de genre, de classe et de race), nous nous inspirerons toutefois de ce qu’a écrit Grenon pour caractériser un milieu où « l’homme ne peut pas vivre ou travailler normalement » (1968, p. 4), c’est-à-dire sans équiper son corps de protections lui permettant de subsister (p. 5) : avion, bloc opératoire, couveuse, bulle, abri, scaphandre, exosquelette, dispositifs d’assistance respiratoire, etc. Dans cette perspective, nous qualifierons ici d’hostiles des environnements qui n’accueillent des êtres humains qu’au prix d’adaptations bio-psycho-sociales et techniques fortes.

Dès lors nécessaire, voire vital, le couplage aux objets techniques constitué de l’équipement conduit à la transformation des sujets (Rosselin-Bareille, Warnier, 2025). Cette transformation se double d’un apprentissage de la technique par le corps, c’est-à-dire de l’acquisition d’une « technique du corps » (Mauss, 1934) qui constitue un voyage aux confins de ses propres limites physiques. Ces limites ne sont pas stabilisées, mais variables d’une personne à l’autre et variables pour une même personne selon sa condition du jour ; il faut donc savoir les évaluer à chaque occurrence. Être au plus près de ses limites, c’est accomplir une belle performance ; les franchir, c’est mourir ou tout du moins se mettre en grand danger (Dodier, 1993). Cet apprentissage est plus ou moins long et plus ou moins difficile selon les corps, selon les professions et les contextes d’intervention, selon les matières et les techniques en jeu ; il se réalise de toute façon graduellement en école de formation, sur le tas, au sein de collectifs qui participent à imprimer dans le corps de chacun de ses membres ses habitudes, ses recettes, ses pratiques et ses représentations : du beau, du remarquable, du courageux, du dangereux, du menaçant, de la mort et de la vie (Moricot, Rosselin-Bareille, 2021).

Les mondes hostiles, au même titre que l’étude de l’« extrême » selon Valentine, Olson et Battaglia (2012) ou les out of space studies (Praet, Pitrou, 2025), offrent ainsi un verre grossissant intéressant pour analyser les façons dont les techniques et les gestes sur les matières, comme le harnachement des corps, articulent le vital et le social, pour observer les couplages et découplages entre sujets, objets et environnement.

Si les limites du corps sont travaillées par l’immersion outillée dans les milieux hostiles, l’imprévisibilité de ces derniers vient questionner, en retour, les limites de la technique, les conditions de son efficacité, ainsi que les dispositifs matériels auxquels elle s’arrime (infrastructures, réseaux de fluides et d’énergies).

En deçà d’une socio-anthropologie des risques (Peretti-Watel, 2010) et en marge des disaster studies (Oliver-Smith, 2022), qui pour autant peuvent constituer une toile de fond pour les propositions d’articles, il s’agira surtout, dans ce dossier, de documenter des expériences de l’hostilité et les modalités d’harnachement qui permettent à chaque fois et de s’y engager.

Nous avons identifié trois pistes comme autant d’invitations à s’approprier la thématique :

1.      Contribuer à nourrir un état des lieux des différentes situations où des êtres humains, en recourant à la technique, pénètrent dans des environnements hostiles : quel équipement pour quelle hostilité ? Quels groupes sociaux concernés, quelles modalités d’organisation au sein de ces groupes singuliers ? Quel dialogue entre ceux qui utilisent les techniques et ceux qui les conçoivent ? Comment la question du couplage entre les corps, la technique et l’environnement est-elle ou non prise en compte dans ce processus ? Quel harnachement, bien souvent au service d’une entité supérieure (l’employeur, la mission, le collectif) ? Quels enjeux de pouvoir ? Quels choix techniques pour quelles constructions plus ou moins normatives – du travailleur, du soldat, de l’humanitaire, du médecin, mais aussi du malade, harnachés – illustrées aussi bien dans les manuels hygiénistes du 19e siècle que dans les recommandations sanitaires ?

2.      Offrir une lecture sensorielle des processus de couplage-découplage avec les objets et les environnements : quel camouflage pour « se glisser » dans l’hostilité ? Quels engagements, apprentissages et techniques du corps sont mobilisés dans l’expérience immersive dans un milieu hostile ? Quelles expériences sensorielles (pas uniquement visuelles ou tactiles, mais aussi olfactives, auditives, proprioceptives ; quid de la respiration, de la digestion, du rapport à la gravité, à la pression, etc.) du harnachement, du confinement ? Comment ces expériences extrêmes reconfigurent-elles au moins en partie, les corps, les émotions, les représentations au-delà de l’activité ? ; Y a-t-il création d’une disposition sensible à l’environnement concerné ?

3.      Revisiter la question des limites de l’humain et de la technique comme possibilité de questionner ce que les géographes, nomment l’écoumène (Berque, 2015 [1987]), à savoir les limites du monde humainement habitable : dans quelle mesure l’articulation aux objets en situation d’hostilité produit-elle un monde viable, même si ça n’est que temporaire et fragile ? Comment l’immersion outillée des corps dans ces environnements les transforme-t-elle en les technicisant, renforce-t-elle leur hostilité (débris spatiaux, pollution chimique, …) pour le vivant, voire contribue-t-elle à la caractérisation même de cette hostilité (Artaud, 2023) ? Comment ces expériences alimentent-elles la question des limites de la condition terrestre des êtres humains ?

L’objet même de cet appel à contribution étant pluridisciplinaire, nous invitons les spécialistes de sociologie, d’anthropologie, d’histoire, de géographie, de philosophie, de science politique… à participer à cette réflexion collective. Il sera apprécié que les propositions soulèvent des questions d’ordre méthodologique posées à la socio-anthropologie des environnements hostiles.

Modalités de soumission et calendrier

Une intention argumentée d’environ 5 000 signes (espaces et notes comprises, bibliographie non comprise) est attendue pour le 10 novembre 2025. Elle précisera l’objet et le questionnement de recherche, les données et la méthodologie mobilisées, comme les enseignements tirés, afin de faciliter le travail d’arbitrage.

Elle doit être adressée aux coordinatrices du dossier : Caroline Moricot (Caroline.Moricot [at] univ-paris1.fr) et Céline Rosselin-Bareille (celine.rosselin.bareille [at] u-picardie.fr).

La notification des propositions présélectionnées sera envoyée aux auteurs et autrices le 15 décembre 2025. La remise des textes rédigés (entre 25 000 et 40 000 signes) est fixée au 1er avril 2026. La V2 après évaluation des articles en double aveugle est attendue pour le 1er juin 2026.

10 novembre 2025 : soumission d’une proposition argumentée (environ 5 000 signes, espaces et notes comprises)

  • 15 décembre 2025 : communication des propositions retenues aux contributeurs·rices
  • 1er avril 2026 : soumission de la première version (V1) entre 25 000 et 40 000 signes espaces comprises
  • 1er juin 2026 : soumission de la V2 après évaluation des articles en double aveugle
  • 30 juillet 2026 : remise du dossier complet à l’éditeur

La parution du numéro 54 « Harnachés. Mondes hostiles et couplage à la technique » est prévue pour décembre 2026.

Politique d'évaluation

Procédure d'évaluation : évaluation en double aveugle

Délai moyen entre soumission et publication : 32 semaines

Bibliographie

Artaud H. (2023), Immersion. Rencontre des monde atlantiques et pacifique, Paris, La Découverte.

Berque A. (2015 [1987]), Ecoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Editions Belin.
DOI : 10.3917/bel.berqu.2009.01

Bolens G. (2010), « L'armure médiévale : motricité, corps de métal et imaginaire social », dans Adam V., Caiozzo A. (dir.), La Fabrique du corps humain : la machine modèle du vivant, Grenoble, CNRS-Maison des Sciences de l'Homme-Alpes, p. 313-350.

Bourrier M. (1999), Le nucléaire à l’épreuve de l’organisation, Paris, PUF.

Breton H., Halloy A. (dir.). (2025). Lieux et modes d’existence du savoir expérientiel : savoirs incorporés, savoirs situés. Intellectica. (82)1.

Bright D. A., Kimmey R. (2021), « Does anything dive? Diving beyond the metaphor », Techniques & Culture [En ligne], Suppléments au n°75, https://journals.openedition.org/tc/15644.
DOI : 10.4000/tc.15034

Brunnquell F., Epelboin A., Formenty P. (2007), Ebola, c’est pas une maladie pour rire, (Congo),51 mn 28, Prod. CAPA, https://www.canal-u.tv/chaines/smm/anthropologie-medicale/ebola-ce-n-est-pas-une-maladie-pour-rire

Dodier N. (1993), « Les arènes des habiletés techniques », Raisons pratiques, Les objets dans l’action, 4, Éditions de l’EHESS, p. 115-139. En ligne : https://books.openedition.org/editionsehess/9903?lang=fr

Dubey G., Moricot C. (2016), Dans la peau d’un pilote de chasse. Le spleen de l’homme machine, Paris, PUF.
DOI : 10.3917/puf.dubey.2016.03

Grenon M. (1968), Le travail en milieu hostile, Paris, PUF.

Helmreich S. (2007), « An anthropologist underwater : immersive soundscapes, submarine cyborg, and transductive ethnography », American Ethnologist, 34(4), p. 621-641.
DOI : 10.1525/ae.2007.34.4.621

Mauss M., (1934) « Les techniques du corps », Journal de Psychologie, XXXII, 1936, Communication présentée à la Société de Psychologie le 17 mai 1934.
DOI : 10.1522/cla.mam.tec

Monjaret A. (2011). « Du bleu de chauffe au jean : les jeux de l’apparence des “ouvriers” à l’hôpital, entre traditions corporatistes et normes institutionnelles renouvelées », Sociologie et sociétés, 43(1), 99–124. https://doi.org/10.7202/1003533ar
DOI : 10.7202/1003533ar

Moricot C. (2020), Agir à distance. Enquête sur la délocalisation du geste technique, Paris, Classiques Garnier.

Moricot C., Rosselin-Bareille C. (2021), « Quand des hommes respirent sous l’eau et volent dans l’air : entre cultures matérielles et incapacités naturelles », Techniques & Culture, 75, p. 136-149.

Oliver-Smith, A. (2022). « Critical Disaster Studies: The Evolution of a Paradigm. », dans Uekusa, S., Matthewman, S., Glavovic, B.C. (eds), A Decade of Disaster Experiences in Ōtautahi Christchurch, Singapore, Palgrave Macmillan,. https://doi.org/10.1007/978-981-16-6863-0_2
DOI : 10.1007/978-981-16-6863-0_2

Parkhurst A., Jeevendrampillai D., (2020), « Towards an anthropology of gravity: Emotion and embodiment in microgravity environments », Emotion, Space and Society, 35.
DOI : 10.1016/j.emospa.2020.100680

Patarin-Jossec J., Clervoy J.-F (2023), « Une discipline du sensible : le rapport aux sens dans l’apprentissage de l’expérience de vol des astronautes », dans Battesti V., Candau J. (dirs.), Apprendre les sens, apprendre par les sens. Anthropologie des perceptions sensorielles, Paris, Petra, p. 317-340.

Peretti-Watel P. (2010). La société du risque, Paris, La Découverte, https://doi.org/10.3917/dec.peret.2010.01
DOI : 10.3917/dec.peret.2010.01

Praet I., Pitrou P. (dir) (2025), Otherwhere Ethnography: An Introduction to Outer Space Studies, New York, Oxford Academic, https://doi.org/10.1093/9780197790885.003.0010.
DOI : 10.1093/9780197790885.003.0010

Rosselin-Bareille C., (à paraître), « Respirer comme une personne endormie. Processus vital outillé et travail scaphandrier », dans Pitrou P., Traversier M. (dir.), Vie et Techniques, Éditions du CNRS, pp. 37-54.

Valentine D., Olson V. A., Battaglia D. (2012), « Introduction: Extreme: Limits and Horizons in the Once and Future Cosmos », Anthropological Quarterly, 85(4), p. 1007–1026. http://www.jstor.org/stable/41857287
DOI : 10.1300/J155v04n01_01


Date(s)

  • Monday, November 10, 2025

Keywords

  • hostile, technique, corps, risque

Contact(s)

  • Caroline Moricot
    courriel : Caroline [dot] Moricot [at] univ-paris1 [dot] fr
  • Céline Rosselin-Bareille
    courriel : celine [dot] rosselin [dot] bareille [at] u-picardie [dot] fr

Information source

  • Caroline Moricot
    courriel : Caroline [dot] Moricot [at] univ-paris1 [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Harnachés », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, October 15, 2025, https://doi.org/10.58079/14ym7

Archive this announcement

  • Google Agenda
  • iCal
Search OpenEdition Search

You will be redirected to OpenEdition Search