Published on Wednesday, October 22, 2025
Abstract
La revue Pistes consacre son neuvième numéro à la thématique « Philosophie et troubles mentaux ». Ce numéro vise à explorer les apports réciproques entre la psychopathologie et la philosophie contemporaine, en particulier au sein du courant analytique. Les contributions devront montrer comment l’étude de cas cliniques en psychopathologie a nourri, éclairé ou parfois renouvelé les débats philosophiques actuels sur la rationalité, l'agentivité, l'affectivité ou la perception.
Announcement
Pistes n°9
Coordination
- Elodie Boissard, Docteure associée à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, IHPST
- Mathieu Frèrejouan, Maître de conférences en philosophie (Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ISJPS/EXeCO)
Argumentaire
Les troubles mentaux ont longtemps été l’objet d’une philosophie de tradition exclusivement continentale, se déclinant en études phénoménologiques et foucaldiennes. Toutefois, depuis les années 1990, une « nouvelle » philosophie de la psychiatrie adopte un « tournant épistémologique » (Méthot et Gagné-Julien, 2022) mettant à distance toute volonté d’établir une distinction de principe entre la psychiatrie et les autres sciences médicales. Dans ses marges, depuis une vingtaine d’années, des philosophes de tradition analytique placent au centre de leurs travaux des états mentaux pathologiques tels que les délires (Davies & Coltheart, 2000 ; Bortolotti, 2009), les insertions de pensées et les hallucinations verbales (Stephens & Graham, 2000), le sentiment de dépersonnalisation (Billon, 2016), les troubles de l’humeur et les troubles anxieux (Horwitz et Wakefield, 2007, 2012) ou encore les troubles de l’agentivité dans l’autisme et la schizophrénie (Pacherie, 1996, 1997). Ces études considèrent les troubles mentaux comme des phénomènes en soi, voués à nourrir des discussions relevant de la philosophie de l’esprit, indépendamment de leur ancrage historique et épistémologique. La fécondité de ce champ philosophique est de mettre à l’épreuve certains concepts philosophiques et renouveler des débats anciens, mais aussi d’apporter un éclairage philosophique à la définition de certains troubles mentaux en psychiatrie. On a pu, par exemple, reconsidérer la valeur épistémique de la conscience de soi en lui opposant des phénomènes tels que l’insertion de pensée (Stephens & Graham, 2000) ou la dépersonnalisation (Billon, 2016), et inversement questionner les caractères les plus paradoxaux du délire, tels que son incorrigibilité ou son irrationalité (Bortolotti, 2009 ; Bayne & Pacherie, 2005) à la lumière du débat philosophique sur l’attribution de croyances à des agents rationnels (Davidson, 1973, 1982). Une telle démarche a néanmoins tendance à négliger tout ancrage épistémologique et historique, et peut conduire à un appauvrissement de la description clinique des symptômes (Sass, 2004 ; Henriksen, Parnas, Zahavi, 2019) et à occulter le rôle du contexte historique et social.
Cette nouvelle philosophie des troubles mentaux, largement représentée dans les pays anglo-saxons, voit émerger des travaux au sein de la philosophie francophone, témoignant pour certains d’une plus grande sensibilité à ces effets de décontextualisation. Dans ce dossier, nous appelons à des contributions représentatives de cette nouvelle philosophie des troubles mentaux et s’inscrivant dans les thématiques suivantes : la rationalité, la subjectivité, l’affectivité, et la perception.
Rationalité
La thématique « rationalité » porte sur l’ensemble des croyances et des actions qui, tout en étant associées à des troubles mentaux, peuvent mettre en question la nature et la délimitation de nos normes de rationalité. Le débat sur la nature « doxastique » ou « non-doxastique » du délire soulève la question de savoir s’il est possible de considérer comme des croyances des propositions qui n’obéissent pas aux normes de rationalité (Bortolotti, 2009). Ce débat s’est principalement focalisé sur les délires dits « monothématiques », tels que le délire de Cotard, où le sujet dit être mort ou même ne plus exister (Billon, 2016), ou le délire de Capgras, où le sujet affirme que ses proches sont des sosies tout en les reconnaissant visuellement (Pacherie, 2008). Les raisons d’agir peuvent également être questionnées à travers des troubles mentaux qui n’impliquent aucune idée délirante, qu’il s’agisse, à titre d’exemple, de l’obsession (Castel, 2011) ou de l’addiction (Matthews, 2010).
Subjectivité et agentivité
La thématique « subjectivité et agentivité » est ouverte à l’ensemble des travaux qui interrogent les conceptions philosophiques traditionnelles du sujet, à partir des pathologies de la subjectivité comme de l’agentivité. La question, centrale pour la tradition philosophique, de la connaissance que peut avoir le sujet conscient de ses propres états mentaux, a été relancée face à des états pathologiques qui vont au-delà du simple mensonge à soi (self-deception), qu’il s’agisse des insertions de pensée (Billon, 2013), des hallucinations verbales (Graham & Stephens, 2000), ou encore des expériences de dépersonnalisation et déréalisation (Varga, 2012). Au-delà de ces enjeux épistémiques, l’agentivité du sujet se trouve être mise en cause par son incapacité à reconnaître ses pensées et ses actions comme étant les siennes (Pacherie, Green, Bayne, 2006).
Affectivité
La thématique « affectivité » cible les travaux qui interrogent les distinctions entre différents types d’états affectifs et de dispositions affectives, mais aussi leur rôle à l’égard de nos capacités épistémiques et morales, à partir des symptômes mettant en jeu l’affectivité, comme les troubles de l’humeur, les troubles anxieux, l’anhédonie, l’alexithymie et les altérations de l’empathie. Les troubles de l’humeur pourraient révéler un rôle des humeurs dans la formation des croyances (Kostochka, 2020), tandis que l’anhédonie et les troubles de la motivation font apparaître le rôle motivationnel spécifique des états affectifs et sa dépendance aux capacités cognitives (Berridge, 2018). Les déficits de l’empathie soulignent le rôle des mécanismes affectifs et cognitifs impliqués dans cette capacité affective à l’égard de la compréhension d’autrui et de l’altruisme (Batson 2009, 2011), ainsi que le rôle des états affectifs dans la compréhension du bien et du mal moral (Lepine, 2015).
Perception
La thématique « perception » s’intéresse à l’ensemble des expériences hors-normes questionnant notre notion courante de perception, qu’il s’agisse d’expériences sensorielles (relevant d’une ou plusieurs modalités) ou d’expériences amodales. Sous l’effet d’un rapprochement entre philosophie et psychiatrie, une connaissance approfondie des phénomènes hallucinatoires a permis d’ouvrir la voie à des études portant sur des modalités sensorielles spécifiques (Pitron & Vignemont, 2017) ou même sur des dimensions a-modales de la perception tels que le sentiment de réalité (sense of reality) (Dokic & Martin, 2017). Sous cet angle, la perception peut également être interrogée à partir d’autres expériences hors-normes relevant du sentiment dépersonnalisation ou de déréalisation (Billon, 2016).
Modalités de contribution
Les propositions de contribution sont attendues pour le 15 juin 2026 et à adresser à la direction du numéro : Elodie.Boissard@univ-paris1.fr et Mathieu.Frerejouan-Du-Saint@univ-paris1.fr.
Le format des contributions doit être compris entre 35 000 et 50 000 signes.
Nous invitons les contributeur·ice·s à prendre connaissance des normes éditoriales et graphiques de la revue.
Les propositions sont à anonymiser dans la perspective de leur relecture en double aveugle, et les informations suivantes à fournir uniquement dans le mail d’envoi : nom et prénom, affiliation(s) académique(s).
Le résultat de la procédure d’évaluation sera transmis individuellement début novembre 2026.
En cas de révision mineure ou majeure, la seconde version de votre article devra être retournée pour le 15 décembre 2026.
La publication du numéro est prévue pour septembre 2027.
Bibliographie
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Subjects
- Psyche (Main category)
- Mind and language > Thought
- Mind and language > Thought > Philosophy
- Mind and language > Psyche > Psychology
- Mind and language > Thought > Cognitive science
Date(s)
- Monday, June 15, 2026
Attached files
Keywords
- philosophie de l'esprit, philosophie analytique, psychopathologie, psychiatrie, sciences cognitives, trouble mental, rationalité, subjectivité, agentivité, affectivité, perception
Contact(s)
- Mathieu Frèrejouan
courriel : Mathieu [dot] Frerejouan-Du-Saint [at] univ-paris1 [dot] fr - Elodie Boissard
courriel : Elodie [dot] Boissard [at] univ-paris1 [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Mathieu Frèrejouan
courriel : Mathieu [dot] Frerejouan-Du-Saint [at] univ-paris1 [dot] fr
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To cite this announcement
« Philosophie et troubles mentaux », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, October 22, 2025, https://doi.org/10.58079/15047

