Published on Thursday, October 23, 2025
Abstract
Cette journée d’étude a pour ambition de fédérer les chercheur·euses dont les travaux se construisent à partir de ou avec la presse lesbienne, qu’elle soit étudiée comme un objet médiatique, un matériau sociologique, ou encore un outil de construction d’une culture commune. Si la presse lesbienne, encore peu étudiée, est placée au cœur de cette rencontre, les propositions pourront également s’intéresser à des espaces, rubriques ou représentations lesbiennes dans la presse féministe ou homosexuelle. Il s’agira de révéler la diversité de la presse communautaire et militante au prisme des questions de genre et de sexualité, mais également dans un panorama plus vaste des contre-cultures et de la presse alternative, à l’échelle internationale.
Announcement
Argumentaire
La presse lesbienne francophone est désignée par Ilana Eloit comme un « espace polymorphe, hybride et débordant » dans lequel recherches politiques, intimes et poétiques mènent à la création d’un espace à soi (Eloit, 2017, p. 95). Souvent présentée comme étant à mi-chemin entre la presse féministe et la presse homosexuelle, elle débute dans la première moitié du XXe siècle, avec Die Freundin en Allemagne (1924-1933) et The Ladder aux Etats-Unis (1956-1972). En France, il faut attendre 1976 et la parution du Journal des lesbiennes féministes créé par le groupe militant éponyme. La presse lesbienne se déploie sous diverses formes mais garde toujours une identité bien définie : elle est le résultat d’un travail de bénévolat, dont l’économie fragile et incertaine empêche la pérennité des titres, et s’adresse à un lectorat particulier (homosexuelles, lesbiennes, gouines, femmes aimant les femmes, etc). Bien que la presse communautaire et militante ne fasse l’objet que de rares recherches, souvent récentes, elle peut être étudiée au prisme de nombreuses disciplines universitaires. En sociologie, en histoire ou encore en sciences de l’information et de la communication, c’est principalement la presse homosexuelle masculine ou mixte qui est étudiée. Il s’agit de comprendre l’impact des médias sur les trajectoires des lecteur·ices homosexuel·les (Pagiusco, 2022; Durand, 2019), ou encore le lien entre la presse homosexuelle et la construction de sa communauté, comme le font Nicholas Giguère au Québec (Giguère, 2016; Giguère, 2018), Luc Pinhas en France avec Gai Pied (1979-1992) (Pinhas, 2012) et Masques (1979-1985) (Pinhas, 2018) ou encore Julian Jackson à propos d’Arcadie (1954-1982) (Jackson, 2009).
Les médias lesbiens sont principalement étudiés pour exemplifier l’autonomisation des lesbiennes des mouvements homosexuels et féministes dans les années 1980 mais peu de chercheur·euses se penchent sur les médias lesbiens en tant qu’objet. L’ouvrage de Michèle Larrouy et de Martine Laroche (Laroche et Larrouy, 2009) est le premier à recenser l’ensemble des parutions lesbiennes francophones de 1970 aux années 2010. Nous pouvons également citer l’article d’Ilana Eloit (Eloit, 2017) dans lequel elle étudie la naissance de la presse et ses conséquences sur les mouvements lesbiens ; ou encore l’intérêt particulier pour la revue Lesbia (1982-2012), qui est l’une des seules à bénéficier d’une analyse monographique (Almeida, 2015). La thèse en cours de Flora Carpentier permet d’analyser le rôle d’agent socialisateur au lesbianisme du même magazine.
Alors que l’histoire de l’art en France s’ouvre aux études queer depuis plusieurs décennies et que les cultures visuelles lesbiennes sont considérées comme un objet de recherche à part entière, la presse lesbienne n’est encore que peu étudiée au prisme des méthodes de l’histoire de l’art. Dans son article sur la circulation des images et représentations saphiques dans la presse parisienne, Clara Sadoun-Edouard s’intéresse à l’objet périodique comme à un outil de création et de diffusion d’une culture visuelle lesbienne réalisée par un comité éditorial hétérosexuel pour un lectorat qui l’est tout autant (Sadoun-Edouard, 2013). L’attention particulière attribuée aux images imprimées lors de la journée d’étude Cultures et images lesbiennes en mai 2025, a permis de mettre en exergue le rôle central de la presse, notamment en Argentine (Marie Lorinquer Hervé, thèse soutenue en 2023 en études ibériques et ibéro-américaines) ou au Royaume-Uni (thèse en cours de Sarah Feustle, en études anglophones, sur Sappho (1972-1981)). Enfin, la photographie au sein de la presse lesbienne francophone est au coeur de la thèse en cours de Camille Senoble.
Il est à noter que, si tous ces travaux s’intéressent à la presse homosexuelle française des années 1970 aux années 1990, peu de recherches portent sur les années 2000 et sur la transition de la presse papier au numérique. Cette journée d’étude a pour ambition d’ouvrir le champ des recherches sur la presse lesbienne, notamment plus récente et internationales.
La presse lesbienne est donc un objet de recherche pour beaucoup de disciplines, avec des méthodes, des outils d’analyses et des problématiques particulières. De plus, cette presse est soumise aux évolutions de deux contextes : celui des médias qui tendent vers la numérisation et celui du mouvement homosexuel puis LGBTQIA+. Cette journée d’étude veut refléter cette diversité, en créant un dialogue entre les différentes disciplines et en favorisant leurs croisements.
La presse lesbienne est avant tout un média communautaire, bénévole, sujet à des évolutions économiques différentes des médias grand public. Les comités éditoriaux sont moins stables, et toujours plus singuliers, allant d’une seule personne à une prétention à la professionnalisation. De plus, elle se décline sous divers formats. Certains titres reprennent les codes du magazine, comme c’est le cas de Lesbia, tandis que d’autres s’inscrivent dans la culture du do-it-yourself et du fanzine, à l’image de La Grimoire. S’ouvre alors un panorama vaste et hétéroclite de ces périodiques. Il s’agit donc d’un espace particulier qui questionne la presse, sa production, sa forme et son fonctionnement en offrant de nouvelles alternatives.
Les périodiques lesbiens sont également des lieux qui reflètent et influencent les évolutions des mouvements lesbiens mais aussi féministes et homosexuels. Dans les années 1970-1980, cette presse s’autonomise et se fait espace de construction d’une norme, d’une communauté, d’une identité collective. Elle est le vecteur de revendications politiques, dans des contextes socio-politiques différents. Elle est donc un véritable lieu d’expérimentations, qu’elles soient d’ordre politiques, artistiques, culturelles ou encore affectives. Ses relations avec les divers mouvements militants et actions politiques, ainsi que les occurrences de la question lesbienne au sein des pages de périodiques gay, mixtes ou féministes sont centraux dans son étude.
Ainsi, la presse lesbienne peut être étudiée de différentes manières. Nous proposons trois axes qui peuvent être l’objet de larges interprétations.
Axe1. La circulation de la presse lesbienne : de sa production à sa diffusion
Cet axe s’intéresse à la presse en tant qu’objet matériel. Entre moyens de production, canaux de diffusion ou économies de création, les conditions des revues fluctuent selon divers paramètres et facteurs. Si certains périodiques ne sont l’ouvrage que d’une ou deux personnes, comme c’est le cas pour Espaces (1982-1983), d’autres ne dépendent que de la participation de ses lectrices (La Grimoire, 1986-1997) ou sont réalisés par une multitude de contributrices (CLIT 007, 1981-1986), avec un comité de rédaction plus ou moins stable. Les contextes politiques, géographiques et culturels interviennent également dans la faisabilité de la revue et se révèlent dans ses pages, que ce soit dans les articles, les entretiens ou encore le répertoire iconographique. Il s’agira également de s’intéresser aux mutations matérielles tout au long de l’histoire de cette presse.
Axe2. La presse comme espace politique et culturel
Comme évoqué, la presse lesbienne est soumise aux évolutions de la communauté lesbienne autant qu’elle les influence : elle permet la visibilité d’une certaine image, choisie et construite, de la communauté lesbienne. Ces choix de représentations sont autant de manifestes artistiques, politiques et culturels. Cette presse est donc également un espace de témoignages, de réflexions communes, de co-constructions, d’expérimentations. Elle s’érige alors en véritable laboratoire d’expérimentations, dans lequel la culture et la politique fédèrent une communauté en devenir.
Axe3. La presse lesbienne : ses terrains et ses méthodes
Cet axe invite à explorer la singularité de l’étude de la presse lesbienne pour celleux qui la font. Cette presse est faite par et s’adresse à un groupe minorisé et l’est tout autant, en tant qu’objet d’étude, dans l’enseignement supérieur et la recherche. Son analyse invite donc à des méthodes et réflexions éthiques et épistémologiques particulières, qu’il faut parfois inventer. La presse lesbienne est donc un laboratoire pour la recherche en elle-même.
Modalités de soumission
Les propositions de communication, d’une longueur de 3 000 signes maximum, sont à envoyer à l’adresse suivante : presselesbienne@gmail.com,
avant le 08 décembre.
Elles devront contenir un titre et un argumentaire avec le sujet traité, les données de terrain mobilisées, la méthodologie et l’axe dans lequel elles s’inscrivent, ainsi qu’une bibliographie.
Elles seront évaluées en double aveugle par le comité scientifique et les réponses seront envoyées mi-janvier.
Organisation
- Flora Carpentier, doctorante contractuelle en sociologie, CESSP, EHESS, EUR GSST.Camille Senoble, doctorante contractuelle en histoire de l’art, centre André Chastel, Sorbonne Université.
Comité scientifique
- Claire Blandin (LabsIC - Université Sorbonne Paris Nord) professeure des universités en sciences de l’information et de la communication ;
- Natacha Chetcuti-Osorovitz (CentraleSupelec & LCSP - Université Paris Cité) maîtresse de conférences - HDR qualifiée PR en sociologie.;
- Angèle Ferrère (AIAC, Paris 8 et CRULH, Université de Lorraine, Nancy) docteure en histoire de la photographie ;
- Marie Lorinquer-Hervé (AMERIBER - Université Bordeaux Montaigne) maîtresse de conférences en études ibéro-américaines ;
- Camille Masclet (CESSP - CNRS) chargée de recherche en sociologie ;
- Magali Nachtergael (TELEM - Université Bordeaux Montaigne) professeure des universités en littérature française XXe - XXIe, théorie et arts visuels ;
- Bibia Pavard (CARISM - Panthéon Assas Université) maîtresse de conférences en histoire.
Bibliographie
Almeida Jade, Étude de contenu de la presse lesbienne : Lesbia magazine de 1982 à 2012., Mémoire de M2, sous la direction de Pascal Ory, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2015.
Bouvard Hugo, Eloit Ilana et Quéré Mathias (dir.), Lesbiennes, pédés, arrêtons de raser les murs : luttes et débats des mouvements lesbiens et homosexuels (1970-1990), Paris, La Dispute, 2023.
Joseph Branden, Sawyer Drew, Copy machine manifestos artists who make zines, Brooklyn, NY, Brooklyn Museum, 2023.
Bruère-Dawson Gio, La presse écrite lesbienne française des années 1970 à nos jours : faire (la) une, Mémoire de M2, sous la direction d’Emmanuelle Retaillaud, Université de Lyon - Institut d’Etudes Politiques de Lyon, Lyon, 2023.
DAVIS Glyn, GUY Laura (dir.), Queer Print in Europe, Londres, Bloomsbury, 2022.
Durand Mickaël, « Les médias comme agents de socialisation paradoxale des jeunes gays et lesbiennes en France » dans Des jeunes à la marge ?, Hélène Buisson-Fenet et Aude Kerivel (s.d), Presses universitaires de Rennes, p. 77‑93, 2019.
Eloit Ilana, « « Le bonheur était dans les pages de ce mensuel » : la naissance de la presse lesbienne et la fabrique d’un espace à soi (1976-1990) », Le Temps des médias, 2017, vol. 29, no 2.
Etienne Samuel, Bricolage radical : génie et banalité des fanzines do-it yourself, Saint-Malo, Strandflat, 2018.
GALVAN Margaret, In Visible Archives. Queer and feminist visual culture in the 1980s, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2023.
Giguère Nicholas, « Les périodiques gais au Québec : évolution et transformations d’une presse au service d’une communauté », Mémoires du livre, 21 juin 2016, vol. 7, no 2.
Giguère Nicholas, Les périodiques gais au Québec (1971-2009) : vecteurs de reconnaissance et de légitimation d’une communauté, thèse de doctorat en études françaises, Université de Sherbrooke, 2016.
Groeneveld Elizabeth, Lesbian porn magazines and the sex wars: reimagining sex, power and identity, New York, Routledge, 2023.
Jackson Julian, Arcadie : La vie homosexuelle en France, de l’après-guerre à la dépénalisation, traduit par Arlette Sancery, Paris, Éd. Autrement (coll. « Mutations. Sexe en tous genre »), 2009.
Laroche Martine et Larrouy Michèle, Mouvements de presse : années 1970 à nos jours, luttes féministes et lesbiennes, Paris, Archives recherches cultures lesbiennes, 2009.
Léon Véra, Ferrere Angèle, « Un féminisme visuel ? Photographie et mouvements féministes », Transbordeur. Photographie histoire société, 2023, no 7, p. 174‑187.
Lorinquer-Hervé Marie, Histoire et usages d’une pratique militante : la bande dessinée au prisme des imprimés féministes et homosexuels en Argentine (1973-2009), sous la direction de Raphaël Estève et Claire Latxague, Thèse de doctorat, Université Bordeaux-Montaigne, 2023.
McKinney Cait, Information activism : a queer history of lesbian media technologies, Durham, Duke University Press, 2020.
Nelson Elizabeth, British Counter-Culture 1966-73: A Study Of The Underground Press, 1989, Londres, Palgrave Macmillan UK, 1989.
Pagiusco Maialen, « Des pratiques médiatiques socialisées et socialisantes : Le rôle des réceptions dans les trajectoires homosexuelles », Politiques de communication, 9 mai 2022, no 17, no 2, p. 25‑52.
Pavard Bibia, Rochefort Florence, Zancarini-Fournel Michelle, Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours, Paris, La Découverte, 2020.
Pinhas Luc, « La revue Masques et les éditions Persona : Une aventure éditoriale et culturelle pionnière au service de la communauté LGBT en France », Mémoires du livre, 31 mai 2018, vol. 9, no 2.
Pinhas Luc, « Les ambivalences d’une entreprise de presse gaie : le périodique Gai Pied, de l’engagement au consumérisme », Mémoires du livre, 16 janvier 2012, vol. 3, no 1.
Pinhas Luc et Giguère Nicholas, « Presse gaie, littérature et reconnaissance homosexuelle au tournant des années 1980 en France et au Québec : Gai Pied, Masques, les éditions Persona et Le Berdache », Revue critique de fixxion française contemporaine, 15 juin 2016, no 12.
Sadoun-Édouard Clara, « Presse, mondanité et saphisme décoratif », Romantisme, 25 avril 2013, vol. 159, no 1, p. 59‑71.
Subjects
- Modern (Main category)
Places
- Campus Condorcet - Centre de colloques - Place du Front populaire
Aubervilliers, France (93)
Event attendance modalities
Hybrid event (on site and online)
Date(s)
- Monday, December 08, 2025
Attached files
Keywords
- histoire de la presse, études lesbiennes
Information source
- Camille Senoble
courriel : presselesbienne [at] gmail [dot] com
License
This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.
To cite this announcement
« La presse lesbienne : laboratoire d’une communauté », Call for papers, Calenda, Published on Thursday, October 23, 2025, https://doi.org/10.58079/150ty

