L’éducation au prisme des territoires
Pourquoi et comment penser les inégalités scolaires en contexte(s) ?
Published on Wednesday, October 22, 2025
Abstract
En croisant les approches disciplinaires et méthodologiques, il s’agira d’analyser la fabrique territoriale des inégalités de réussite et de choix scolaires, les formes de socialisation spatiale qu’induit l’expérience scolaire, ainsi que les articulations entre espaces et temporalités des inégalités scolaires. L’objectif est de contribuer à une réflexion collective sur la manière dont les territoires participent à la construction et à la reproduction des inégalités scolaires, en France et dans d’autres contextes nationaux. Que fait le territoire à l’école ? Et comment se manifeste la dialectique Éducation — Territoires sur les trajectoires scolaires de chacun ?
Announcement
Argumentaire
Des premières analyses de l’« effet de lieu » (Bourdieu, 1993) aux triades entre espaces physique, social et symbolique (Wacquant, 2023) ou entre capitaux incorporé, matérialisé et institutionnalisé (Ripoll, 2024), les travaux de Bourdieu et de ceux qui discutent son œuvre nourrissent de nouvelles discussions scientifiques. Le présent appel à communication invite à approfondir ces questionnements explorant la dimension spatiale des rapports sociaux, à travers le prisme de l’éducation.
D’un côté, la visée universaliste de l’école comme vecteur d’unification nationale (Duru-Bellat et al., 2022) a longtemps contribué à invisibiliser les inégalités territoriales qui traversent l’institution scolaire. De l’autre, la sociologie de l’espace en France a été principalement investie par la sociologie urbaine (Ripoll, 2024). Or, les travaux récents sur les villes et les territoires invitent à dépasser les oppositions binaires (urbain/rural, centre/périphérie) et à envisager les champs sociaux dans leurs ancrages géographiques concrets. Parallèlement, dans le champ de l’éducation, on observe depuis quelques années un essor de recherches — en sociologie (Barthes et al., 2017 ; Oberti et Savina, 2019 ; Buisson-Fenet et Rey, 2020 ; Oberti, 2022), en géographie (Frouillou, 2017 ; Delage et al., 2023 ; Audren, 2024) et en économie (Fack et al., 2014 ; Bechichi et al., 2021) — qui mettent en évidence l’apport heuristique de la prise en compte du contexte territorial : celle-ci renouvelle l’analyse des mécanismes de reproduction sociale à l’école et conduit à interroger, à nouveaux frais, les liens entre espace, école et inégalités. C’est dans cette perspective de dialogue entre espace et éducation que s’inscrit cet appel à communication.
Depuis les années 1980, la territorialisation des politiques éducatives s’est accrue, notamment avec la création des Zones d’éducation prioritaire (1981), la décentralisation de 1982 et les politiques de la ville (1994). Cette dynamique s’est prolongée par des politiques visant la mixité sociale, telle que la loi de refondation de l’école (2013) et la publication du rapport Territoires et Réussites (2019). Pourtant, les effets du territoire sur les parcours scolaires restent multidimensionnels : mobilités, stratégies et fragmentation de l’offre montrent que l’espace « loin de se réduire à un simple décor […] est porteur d’enjeux » (Remy, 2015, p. 34). Si l’École répond à un cadrage ministériel national uniforme, les établissements demeurent façonnés par leurs contextes locaux, qui influencent les conditions d’enseignement, les pratiques éducatives et les socialisations.
Deux questions se posent alors :
Que fait le territoire à l’école ? Et comment se manifeste la dialectique Éducation — Territoires sur les trajectoires scolaires de chacun ?
Concept à la fois polyvalent et évolutif, le territoire ne saurait être réduit à ses seules dimensions géographiques, administratives ou cartographiques. Nous l’envisageons ici comme un « espace social localisé » (Laferté, 2014), structuré par des rapports sociaux hiérarchisés et structurant en retour ces derniers. Les territoires sont producteurs de différenciations sociales, traversés par des représentations symboliques et associés à des ressources inégalement réparties entre les groupes. Penser les inégalités scolaires à partir de l’inégale répartition des ressources, des services et des opportunités conduit alors à considérer le territoire comme une variable active structurant les parcours éducatifs, et jouant un rôle dans la reproduction ou la transformation des inégalités sociales (Champollion, 2008 ; Barthes et Champollion, 2012). Ce colloque vise à explorer les effets du territoire sur les parcours scolaires et les inégalités éducatives, de la maternelle au supérieur, en mobilisant diverses approches théoriques, méthodologiques et disciplinaires, des terrains contrastés et un intérêt particulier pour les interactions entre l’espace et d’autres rapports sociaux (classe, genre, race, sexualité). L’objectif est de contribuer à une spatialisation de la sociologie de l’éducation, en proposant des analyses visant à préciser l’importance du territoire comme facteur explicatif — à tout le moins partiel — des inégalités scolaires en articulation avec d’autres rapports sociaux.
Axe 1 — L’école dans ses contextes : ségrégations scolaires, différenciations territoriales et stratégies éducatives des familles
Dans un système scolaire structuré par la sectorisation, la différenciation croissante des offres de formation, et des logiques de marché partiellement assumées, les choix scolaires familiaux s’inscrivent dans des contextes locaux inégalement dotés.
Il s’agit ici d’interroger la manière dont les stratégies éducatives familiales comprises au sens large — choix d’établissement, mobilités résidentielles, contournements ou « colonisation » dans l’école publique du secteur (van Zanten, 2009), aménagements du temps périscolaire — varient en fonction des ressources des familles, mais aussi des caractéristiques des territoires dans lesquels elles s’inscrivent. Ces choix dépendent en effet de la densité de l’offre éducative locale, du niveau de ségrégation résidentielle et scolaire, du maillage des transports, ainsi que de la disponibilité et de la maîtrise de l’information scolaire, qui favorisent les familles les plus dotées en capital culturel (Ceccone, 2023).
Dans les territoires marqués par une forte ségrégation sociale (quartiers d’habitat social, insularités), les logiques scolaires et résidentielles deviennent des ressources stratégiques : le recours à la scolarisation hors secteur, au privé, ou à des options rares (sections bilangues, européennes, internationales, artistiques…) constitue autant de formes d’évitement et de distinction (Botton et Souidi, 2022). C’est dans ces espaces que les classes moyennes et supérieures mobilisent leur capital social, économique et culturel pour sécuriser ou optimiser les parcours scolaires de leurs enfants (van Zanten, 2009 ; Oberti, 2007).
Ces stratégies sont cependant très inégalement accessibles : le maillage et le recours au privé restent variables (Boutchenik et al., 2021) et provoquent une ségrégation scolaire territorialement différenciée (Oberti, 2023). Dans les territoires périurbains, ruraux, montagneux ou ultramarins, où l’offre scolaire est plus réduite et dispersée, apparaissent plus nettement les inégalités d’accès à une scolarité socialement valorisée, définie en référence aux parcours dominants des grands centres urbains, notamment parisiens. À l’inverse, dans les métropoles, la concentration d’établissements et la diversification des parcours proposés (langues rares, arts, sport, sections internationales…) (Herbault, 2024) permettent une complexification des parcours scolaires, notamment parmi les familles les plus dotées.
A des échelles plus fines, l’offre éducative se révèle également socialement différenciée : dans la proche banlieue parisienne, les établissements situés dans les communes les plus favorisées concentrent les options attractives (classes bilangues, sections européennes, dispositifs artistiques), tandis que ceux des communes populaires accueillent plus fréquemment des dispositifs de relégation (SEGPA, ULIS, classes faibles), tout en disposant d’une offre moins diversifiée (Oberti, 2007 ; Maugis et Stéfanou, 2021). Cette spécialisation scolaire contribue à accroître la concurrence inter-établissements et leur hiérarchisation à l’échelle locale (Broccolichi et Henriot-Van Zanten, 1997). Les réformes récentes, comme celle du bac (2018) ou la mise en place de la plateforme d’orientation Parcoursup en 2018, qui tendent à libéraliser les choix scolaires et à individualiser les parcours, pourraient accentuer les logiques de spécialisation différenciée des établissements du secondaire comme du supérieur (Frouillou, 2021), renforçant et épaississant ainsi les inégalités scolaires existantes. La concurrence inter-établissements du secondaire se traduit dans le supérieur par une forte compétition entre les universités du fait de disparités territoriales dans les offres de formation (Musselin, 2017). Cette compétition est nourrie par des dispositifs de comparaison à l’échelle nationale (Aust, Mazoyer et Musselin, 2018) comme internationale (Harari-Kermadec, 2019). L’étude des Masters franciliens (Blanchard, et al., 2020) montre que, combinée à l’augmentation des effectifs, elle renforce la différenciation des publics et accroît la sélection sociale et scolaire entre Licence et Master. Cette dynamique produit une polarisation croissante des établissements : les Masters « en haut de la hiérarchie » (ibid., p. 439) disposent ainsi d’une capacité accrue à sélectionner leur public étudiant·es.
Les contributions s’inscrivant dans ce premier axe pourront interroger : 1) les effets des configurations locales sur les choix scolaires (et résidentiels) des familles, y compris les arbitrages contraints en zones faiblement dotées ; 2) les dynamiques de spécialisation des établissements publics et privés, entre logiques de captation (options rares, dispositifs élitistes) et de relégation (classes de niveau, dispositifs spécifiques) ; 3) l’évolution historique et politique de ces différenciations scolaires, en lien avec la construction territoriale de l’école et les recompositions éducatives contemporaines.
Axe 2 — Fabrique territoriale des inégalités de réussite scolaire
Les écarts de progression scolaire ne s’expliquent pas uniquement par la position sociale des élèves ou la composition sociale des établissements, mais s’ancrent aussi dans des contextes territoriaux différenciés (Trancart, 2012). Les établissements affichant les meilleurs résultats aux évaluations nationales se situent souvent dans des zones favorisées, combinant des publics dotés et de meilleures conditions d’enseignement, notamment grâce à une plus grande stabilité des équipes pédagogiques (DEPP, 2021).
Ces effets de lieu posent également des défis méthodologiques : comment les objectiver ? Comment distinguer ce qui relève de l’effet de composition (liée aux publics) et ce qui tient à un effet proprement contextuel ? Comment rendre compte des recompositions territoriales et de leur impact sur l’école ?
Plusieurs pistes sont envisageables. Des travaux comme ceux de Pierre Champollion (2008) et Claudine Pirus (2021) ont mis en évidence les paradoxes de certains territoires ruraux ou montagneux : malgré de bons résultats scolaires, les parcours d’orientation s’inscrivent souvent dans des projets professionnels localisés, en cohérence avec la composition sociale de ces territoires (Coquard, 2022). Cette situation tient certes à des contraintes structurelles (offre scolaire, desserte en transports), mais aussi à des aspirations façonnées par les socialisations de classe et d’espace. Comme l’a souligné Benoît Coquard (2022), ces socialisations socio-spatiales orientent à la fois les goûts professionnels et les ancrages spatiaux, en valorisant par exemple des projets d’insertion locale plutôt que des mobilités longues vers l’enseignement supérieur.
Les contextes de scolarisation produisent des effets de ségrégation bien documentés : ils accentuent les écarts entre élèves (Broccolichi et al., 2010 ; Dumay et al., 2010) et pèsent sur les conditions d’apprentissage, les orientations et les rapports à l’école. Reste à comprendre comment ces effets de ségrégation évoluent dans le temps, quelles en sont les formes contemporaines, et comment ils s’actualisent au prisme des mutations sociales, scolaires et territoriales.
Une attention particulière pourra être portée aux écarts de conditions d’enseignement et de réussite scolaire entre les secteurs public et privé et aux variations territoriales de leur répartition. L’enseignement privé accueille en effet des élèves de plus en plus favorisés par rapport au public tout en favorisant des parcours « linéaires » en voie générale (Cayouette-Remblière, 2024). Toutefois, la composition sociale du privé varie selon les contextes territoriaux : dans les territoires urbains et ruraux périphériques, les écarts d’IPS (Indice de Position Sociale) entre public et privé peuvent être moindres, voire inversés (Oberti, 2023). Cela invite à dépasser une opposition stricte entre public et privé pour analyser les effets croisés du secteur et du territoire sur la qualité et l’égalité des conditions d’enseignement.
Enfin, cet axe propose d’explorer les conditions d’enseignement selon les territoires. Il s’agit d’une part d’analyser la répartition des ressources entre académies et rectorats, et d’autre part d’examiner les effets des inégalités territoriales sur le travail enseignant. Enseigner dans des espaces ségrégués, par exemple, influe sur le turn-over du personnel enseignant, généralement plus élevé dans les territoires socialement défavorisés, corrélés à des résultats scolaires plus faibles (Azoulay, 2025 ; Ronfeldt et al., 2013). Ces territoires peinent également à attirer les enseignants les plus expérimentés et qualifiés, et comptent une proportion plus élevée de (jeunes) non-titulaires (Boutchenik, 2021). Le contexte d’enseignement qui en résulte contribue à rendre les « curriculums cachés » plus variables selon les territoires (Deauvieau et Terrail, 2020).
Les communications attendues dans ce deuxième axe visent à actualiser la réflexion sur la manière dont les inégalités de performance scolaire se construisent en lien avec les territoires. Elles pourront s’attacher soit à des comparaisons à grande échelle entre différents contextes (urbains, périurbains, ruraux, ultramarins, montagneux), soit à une analyse plus fine des écarts observables au sein d’un même bassin de vie.
Axe 3 — Vers une prise en compte du rôle de l’école dans la socialisation spatiale
La socialisation à et par l’espace — ou, plus largement, la socialisation spatiale — demeure une dimension encore relativement peu explorée en sciences sociales (Cayouette-Remblière et al., 2019). Comment se construisent les dispositions, les goûts et les dégoûts spatiaux ? Comment les rapports à l’espace varient-ils selon les trajectoires scolaires des individus, en fonction du genre, de la position sociale, et des rapports sociaux de race ?
Il s’agit tout d’abord d’examiner le rôle de l’école dans la socialisation par l’espace. Certaines recherches ont éclairé la socialisation par l’espace en dehors de l’institution scolaire (Pinçon et Pinçon Charlot, 2000 ; Rivière, 2019). Malgré la richesse des travaux sur le sujet, l’école reste relativement absente de ces réflexions, alors même qu’elle constitue l’un des principaux espaces et agents de socialisation des enfants (Rivière, 2017).
La socialisation spatiale scolaire s’incarne d’abord dans les déplacements quotidiens entre le domicile et l’établissement. Ces trajets varient fortement selon la morphologie du territoire, la distance à parcourir, les moyens de transport disponibles, mais aussi les ressources matérielles et organisationnelles des familles.
Comment penser l’école comme un espace de socialisation spatiale ? Autrement dit, comment articuler dimension scolaire et dimension spatiale de la socialisation, en considérant l’école non seulement comme un lieu d’apprentissage, mais aussi comme un espace structurant des pratiques, des représentations et des rapports différenciés à l’espace ?
D’une part, certaines activités scolaires extérieures (EPS, sorties pédagogiques), mobilisent les ressources du territoire. Il en va de même pour les sorties culturelles ou linguistiques, même si ces dernières tendent à se raréfier avec la baisse des budgets alloués aux établissements. On peut alors se demander si et comment le contexte local dans lequel s’inscrit l’établissement façonne ces expériences ? Quels effets ces déplacements ont-ils sur les manières de se représenter et de pratiquer l’espace ? En quoi participent-ils à des socialisations spatiales différenciées selon les contextes socio-territoriaux ? D’autre part, la spatialité interne des établissements mérite également d’être interrogée à la lumière de leur contexte territorial. Des travaux ont montré que la répartition des usages dans les cours de récréation est socialement différenciée et genrée : les garçons y occupent plus souvent l’espace central (Gilles, 2021 ; Depoilly, 2012). Mais qu’en est-il de l’organisation spatiale des bâtiments scolaires eux-mêmes ? Peut-on repérer des logiques de hiérarchisation implicite (ou explicite) dans la distribution des espaces attribués aux différentes filières ou dispositifs ? Le cas échéant, comment ces agencements spatiaux sont-ils alors perçus, vécus, intériorisés par les élèves et personnels institutionnels ?
Ensuite, il s’agira d’examiner le rôle de l’école dans la socialisation à l’espace. Si l’école participe à la fabrique des dispositions spatiales des individus, quel rôle joue-t-elle également dans la manière dont les élèves se représentent l’espace, investissent ou évitent certains lieux, s’y déplacent et s’y comportent ? Et plus précisément, comment ces rapports à l’espace influencent-ils les choix d’orientation ainsi que les mobilités scolaires, universitaires ou professionnelles futures ?
L’ancrage territorial ne touche pas seulement certains jeunes ruraux (Coquard, 2022 ; Amsellem-Mainguy, 2023), mais aussi certains jeunes urbains issus de l’immigration ou des classes populaires (Jounin, 2014). Peu d’études explorent également le rôle de l’école dans la fabrique des socialisations spatiales différenciées des élèves à l’intersection des rapports sociaux de classe, de genre, de race, et de sexualité. Ces rapports différenciés aux territoires et dispositions à la mobilité ne sauraient s’expliquer uniquement par les pratiques d’orientation des professionnels de l’éducation, qui tendent parfois à canaliser les élèves en leur conseillant ou présentant uniquement les formations de proximité (Orange, 2018 ; Agnoux, 2025 ; Siccard, 2025). Quels espaces sont valorisés ou, au contraire, dévalorisés dans les discours scolaires à différentes étapes des parcours scolaires ? Ces représentations varient-elles selon les caractéristiques sociales des élèves ? Dans quelle mesure ces représentations sont-elles incorporées, intériorisées, ou au contraire contestées par les élèves ?
Les travaux d’Agnès van Zanten (2016) mettent en évidence l’existence de pré-socialisations inégalitaires à l’enseignement supérieur, en fonction de la composition sociale des établissements d’origine. Si l’on fait l’hypothèse que ces inégalités de socialisation scolaire concernent également les rapports à l’espace, il devient pertinent de s’interroger sur les effets du positionnement géographique des établissements et des pratiques pédagogiques sur la capacité des élèves à se projeter spatialement — et sur la nature même de ces projections — là où la mobilité spatiale peut conditionner la mobilité sociale (Lagrave, 2023).
Dans quelle mesure les contextes scolaires socialisent-ils de manière différenciée les élèves à la mobilité géographique — souvent valorisée dans les trajectoires post-bac et
professionnelles — et à quelles échelles ? Peut-on identifier un effet établissement, un effet enseignant ou encore un effet proviseur dans l’incitation ou, au contraire, la réticence à envisager des mobilités scolaires locales, régionales, nationales ou internationales ? Il s’agit ici d’interroger les formes de pré-socialisation spatiale différenciées, et d’analyser le rôle des discours, des pratiques pédagogiques et des dispositifs institutionnels (internats, cordées de la réussite, stages, partenariats avec des structures éloignées) dans la construction inégale de la capacité des élèves à se projeter au-delà de leur territoire de socialisation primaire.
Axe 4 — Les trajectoires scolaires du secondaire au supérieur en question : espaces et temporalités des inégalités scolaires à l’orientation.
Enfin, nous souhaitons interroger les aspects matériels et symboliques de la formation des inégalités scolaires et sociales territorialisées à partir des inégalités de choix scolaires. Nous pensons ici particulièrement aux contraintes spatiales de l’offre de formation et aux représentations associées construisant toute l’épaisseur sociale des choix scolaires.
Nous entendons d’abord questionner l’aspect matériel de la production de ces inégalités de trajectoire. Comment la stratification du système d’enseignement français — et sa géographie sociale — influe-t-elle sur les scolarités de ses publics ? Nous proposons d’analyser la catégorisation des élèves par établissements, filières et classes, en montrant comment les aspirations scolaires se recomposent face à un dispositif d’orientation fortement stratifié et socialement clivant. Les aspirations scolaires des élèves varient en fonction de leur origine sociale, mais aussi de leur territoire d’origine (Arrighi, 2004 ; Lemêtre & Orange, 2016 ; Guéraut et al, 2021), mais nous devons continuer à approfondir l’analyse de cette dialectique (territoire d’origine — trajectoire scolaire) quand certains tournants des trajectoires scolaires contreviennent aux tendances inégalitaires majoritaires sur leur territoire d’origine, par exemple par le biais d’un effet de fratrie ou par un effet de pairs (Arthémise, 2025). La typologie de l’offre scolaire locale (académique et régionale) peut également jouer un rôle important sur les choix scolaires de chacun après le bac, entre canalisation des aspirations et moteur de mobilité limitée (Agnoux, 2025). Comment l’influence du lien formation/emploi local sur les parcours scolaires se reconfigure-t-elle à la suite des réformes récentes (baccalauréat, Parcoursup) et de la stratification socio-scolaire qu’elles ont engendrée ? Quels régimes de justification les élèves et étudiants mobilisent-ils pour expliquer leurs choix de mobilité ou d’immobilité dans l’accès à l’enseignement supérieur ? Comment ces justifications varient-elles selon les profils sociaux et scolaires, les freins rencontrés — qu’ils soient objectifs (coûts matériels, logistique) ou subjectifs — et les opportunités disponibles localement (bourses publiques ou privées, cordées de la réussite, présence de campus délocalisés ou d’antennes universitaires), en fonction de leur territoire d’origine ? Enfin, quelles inflexions et/ou paradoxes remettent en question les « destins au berceau » (Peugny, 2013) de ces trajectoires scolaires supposément reliées à leurs territoires d’origine et leurs morphologies sociales associées (Baechler, 2005) ?
L’aspect symbolique (temporalités, hiérarchisation et logiques des choix scolaires…) de ces trajectoires scolaires doit aussi être précisé, de manière complémentaire à leur matérialité. Les temporalités des trajectoires scolaires varient effectivement en fonction du territoire d’origine, mais aussi en fonction de l’articulation des temps sociaux que ceux-ci supposent (Remillon, 2024) produisant des capacités projectives genrées et des orientations associées. Ainsi, si certaines trajectoires sociales (Amsellem-Mainguy, 2023 ; Coquard, 2022) et scolaires (Agnoux, 2025 ; Orange, 2013) ont été analysées récemment, il nous reste pourtant toujours à confirmer, infirmer voire rapprocher entre eux les déterminants de ces trajectoires « sous influence territoriale » (Thémines, 2025).
Enfin, les trajectoires scolaires ne peuvent être analysées sans prendre en compte les interactions, voire les formes d’encadrement, auxquels les élèves sont confrontés à l’école et dans leur entourage. Il s’agit notamment d’interroger l’accompagnement pédagogique à l’orientation et les « catégories de la divination professorale », selon le territoire et l’établissement d’origine, afin d’approfondir l’analyse de ces dissimilitudes (van Zanten, 2015 ; Valarcher, 2025). Il convient aussi de s’interroger sur la place qu’occupe l’influence du groupe de pairs dans les choix scolaires, à un moment où la mixité socio-scolaire tend à se réduire. En dernier lieu, il s’agit d’examiner les conseils familiaux et ceux issus de l’entourage dans les choix d’orientation, ainsi que les logiques et les canaux d’information qui les sous-tendent.
Pour toutes ces raisons, il nous paraît aujourd’hui essentiel d’interroger les capacités projectives des élèves dans les espaces hiérarchisés du système éducatif français — entre anticipations des chances de réussite et estime de soi scolaire (Huillery et Guyon, 2014) — en fonction de leur territoire d’origine, dans un contexte marqué à la fois par l’inflation scolaire et par une emprise croissante de l’institution (Duru-Bellat, 2006 ; Dubet et Duru-Bellat, 2024).
Modalités de contribution
Les propositions de communication (maximum 3 000 signes, espaces compris) sont attendues pour le 31 octobre 2025. Les propositions sont à envoyer aux trois adresses suivantes : mathis.arthemise@ined.fr ; zia.ceccone@ined.fr ; camille-lou.coustellie@ined.fr
Nous précisons qu’une publication collective sous forme de numéro thématique est envisagée à l’issue du colloque, à partir d’une seconde sélection des communications.
Nous encourageons vivement les propositions issues de différents horizons disciplinaires, afin de croiser les approches et de réfléchir collectivement aux formes anciennes et nouvelles des inégalités scolaires contemporaines.
Les propositions seront examinées par le comité scientifique, et une réponse sera communiquée le 19 décembre 2025.
Les auteur·ices sélectionné·es devront transmettre, pour le 13 février 2026, une version développée de leur communication (20 000 à 30 000 signes, espaces compris), afin d’alimenter les échanges lors des journées.
Les communications retenues seront présentées lors du colloque qui se tiendra les 19 et 20 mars 2026 sur le Campus Jourdan (Amphithéâtre Cohen, 48 boulevard Jourdan, 75014 Paris).
Comité scientifique
- Perrine Agnoux
- Yaëlle Amsellem-Mainguy
- Mathis Arthémise
- Gwenaëlle Audren
- Marianne Blanchard
- Joanie Cayouette-Remblière
- Zïa Ceccone
- Pierre Champollion
- Camille-Lou Coustellié
- Leïla Frouillou
- Hugo Harari-Kermadec
- Marco Oberti
- Sophie Orange
- Fabrice Ripoll
- Clément Rivière
- Agnès van Zanten
Comité d'organisation
Mathis Arthemise (Sorbonne / Ined) , Zïa Ceccone (EHESS / Ined) et Camille-Lou Coustellié (CERTOP / Ined)
Subjects
- Education (Main category)
Places
- Amphithéâtre Cohen - 48 boulevard Jourdan
Paris, France (75)
Event attendance modalities
Full on-site event
Date(s)
- Friday, October 31, 2025
Attached files
Keywords
- éducation, inégalités scolaires, territoires, orientation, ségrégation scolaire
Contact(s)
- Camille-Lou Coustellié
courriel : camille-lou [dot] coustellie [at] ined [dot] fr - Mathis Arthemise
courriel : mathis [dot] arthemise [at] ined [dot] fr - Zïa Ceccone
courriel : zia [dot] ceccone [at] ined [dot] fr
Information source
- Camille-Lou Coustellié
courriel : camille-lou [dot] coustellie [at] ined [dot] fr
License
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To cite this announcement
Mathis Arthemise, Zïa Ceccone, Camille-Lou Coustellié, « L’éducation au prisme des territoires », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, October 22, 2025, https://doi.org/10.58079/150ce

