HomeL’exception et la règle
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Published on Monday, November 03, 2025

Abstract

Les doctorant·e·s du laboratoire ReSO de Paul Valéry, Montpellier III organisent une journée d’étude qui se tiendra le 10/12/2025. Cette journée, dont vous trouverez ci-joint l’appel à communications, est intitulée « La règle et l’exception » et s’intéresse aux axes de recherche suivants : Discours et langues, langage, à travers l’étude des normes linguistiques et de leurs écarts, une réflexion sur le rôle des politiques linguistiques dans la fixation ou la contestation des règles, la mise en lumière toute forme de tension entre uniformisation et diversité linguistique ou encore l’analyse des mécanismes de régulation du discours ou analyse de discours polémiques ; Arts et littératures via l’exploration des formes artistiques comme espaces de tension entre contrainte et liberté, imitation et invention, étude de l’émergence et de circulation des récits partagés entre innovation et conformité, ou mise en valeur des arts comme reflets de tensions et d’harmonies, ou critique de l’ordre établi ; Histoire et civilisations via l’étude des structures sociales, politiques et culturelles à travers le prisme de la norme et de l’exception : lois, coutumes, déviances et résistances, analyse des tensions entre ordre et désordre dans les processus historiques, étude de régimes d’exception et des formes de contestation qu’ils suscitent, ou réflexion sur les communautés et les espaces en interaction, où la règle commune se redéfinit face à la singularité des expériences, des migrations ou des innovations.

Announcement

Argumentaire

La règle, dérivé du latin regere ce qui signifie « diriger ». La notion de règle est conçue en tant que principe normatif susceptible d’être appliqué dans plusieurs domaines disciplinaires, dont la linguistique, la philosophie de l’éthique, le droit ou la littérature (Académie française, s. d.). Le pouvoir normatif de la règle, considéré comme un principe imposant la conduite du monde extérieur à la personne (Universalis, s. d.), constitue un phénomène multidimensionnel qui ne saurait être descriptif. La règle, au moyen du langage prescriptif, tout en dictant le « doit être », concerne l’encadrement de l’action, en étendant ses dimensions normatives à tout domaine d’agissement humain (TROPER 2024, 27). Ainsi, dans les « Jeux de langage » de Wittgenstein, on constate que le point commun du langage et du jeu réside précisément dans la règle (LAUGIER 2001). Le fait de pratiquer une langue, selon ce philosophe, signifie concrètement la souscription à un processus normatif où les règles de grammaire appliquées représentent des critères de conformité de la signification (RAÏD 2001). La force normative de la règle est par ailleurs directement liée à la compréhension de ses termes et à la réaction uniforme à son égard et est censée fonctionner dans le cadre d’un ordre (linguistique, juridique, éthique, social) donné. La règle de Droit, sous cette représentation, revêt des allures d’ordre institutionnel et constitue le fondement de la justice, de la paix sociale, des droits fondamentaux et de la liberté (MAGNON 2008). Les deux critères importants de distinction par rapport à la règle éthique ou sociale sont, d’une part, le caractère contraignant de la règle de droit, qui justifie la coercition étatique ; son format écrit et son origine provenant de l’organe de l’État qui dispose de la présomption de compétence législative, d’autre part, représentent une expression de sa dimension institutionnelle. Cette dimension institutionnelle est également présente à d’autres disciplines, entre autres la linguistique. Roland Barthes, dans sa leçon inaugurale au Collège de France, explique que « le langage est une législation, la langue en est le code » et insiste sur « l’autorité de l’assertion, la grégarité de la répétition » qu’il considère comme intrinsèque au langage, en vertu du postulat selon lequel « la langue entre au service d’un pouvoir » (BARTHES 1977).

Les lois naturelles sont acquises dans le cadre d’une relation nécessaire entre des phénomènes dont la régularité reste constante et elle est décrite sur la base de l’observation. En revanche, en ce qui concerne les règles de l’éthique, de la morale et de la déontologie, il existe des prescriptions contribuant à l’émergence d’une idée de la situation idéale qui reflète la concrétisation des valeurs (JOLIBERT 2020). En littérature, cette dynamique est d’abord mise en tension dans le contenu même des œuvres, notamment à travers la représentation des personnages et des conflits qu’ils incarnent. Les études de Mikhaïl Bakhtine envisagent le personnage comme une figure héroïque confrontée à des forces adverses plus vastes telles que la société, les institutions, les figures de pouvoir et aussi les lois, dont la résistance peut révéler les limites et les contradictions de l’ordre établi (TODOROV 1981). Le personnage est un être complexe, sujet et non plus simple objet de discours, en qui la règle narrative rencontre sa propre transgression. Il met alors à l’épreuve les cadres moraux, sociaux ou esthétiques de son temps. Outre sa présence et son questionnement au sein de leur contenu, la règle constitue parfois le cadre de référence pour la définition des critères thématiques et morphologiques des œuvres littéraires. Le système de règles établissant les méthodes de l’auteur et définissant les attentes correspondantes du lecteur constitue le champ de développement de la littérature en tant que domaine d’expression culturelle et esthétique. En d’autres termes, la littérature ne revêt pas une connotation neutre, mais elle est constituée de contextes normatifs qui associent différentes formes d’évaluation, telles que la stylistique, le social ou même la morale. Le texte littéraire est ainsi un terrain de production de sens ayant des implications sociales et ne constitue pas une simple création artistique, car différents systèmes normatifs s’y croisent et s’y heurtent souvent (HAMON 1989). Dans cette perspective, la littérature apparaît comme un espace où la règle n’est pas seulement appliquée, mais interrogée, suspendue, voire refondée. Cette mise en lumière du caractère normatif du code linguistique permet de comprendre que l’acte littéraire est aussi un acte de remise en cause, un geste critique à l’égard des règles implicites qui gouvernent le dire. En Italie, le grand critique et sémioticien Cesare Segre a prolongé cette réflexion en montrant que la règle textuelle n’est jamais définitivement acquise : les conventions littéraires se transforment sous l’effet de l’histoire, des usages, des pratiques critiques et des évolutions linguistiques. Par ses travaux (par exemple Le strutture e il tempo. Narrazione, poesia, modelli), Segre montre que les modèles narratifs et poétiques se renouvellent précisément parce que la règle est soumise au temps et aux variations – autrement dit, l’« exception » ou la variation n’est pas une anomalie mais un élément constitutif du système normatif littéraire. Par ailleurs, la critique littéraire contemporaine a mis en lumière comment la transgression des règles formelles devient un moteur de création (SEGRE, 1974). Le théoricien bulgare français Tzvetan Todorov a engagé la narratologie comme étude des structures du récit, montrant que chaque œuvre repose sur un système de règles internes, mais que ce sont précisément les écarts, les glissements, les ruptures à l’intérieur de ce système qui ouvrent de nouveaux possibles formels et sémantiques (TODOROV, 1971). D’un point de vue plus philosophique et esthétique, l’approche de Luigi Pareyson (dans sa théorie de la « formativité ») offre une autre articulation de cette dialectique : l’œuvre littéraire ne procède pas d’un modèle fixe, mais génère sa propre norme en même temps qu’elle s’élabore. Pour Pareyson, l’art est « forme en formation », et la règle est moins un préalable qu’un effet de l’acte créateur (PAREYSON, 1954). Appliquée à la littérature, cette idée signifie que l’écriture ne recrée pas simplement un canon, mais invente une législation nouvelle, singulière, à partir de l’engagement de l’auteur et du texte. Dans ce cadre, l’exception – entendue comme écart, variation, singularité – ne joue pas un rôle marginal, mais bien constitutif. C’est par l’exception que la règle trouve à se déployer, à se donner à voir et à se renouveler. La littérature, en tant que discours normatif du dire, met en scène cette tension entre réitération et innovation. La règle offre un cadre, l’exception mobilise le cadre pour le déplacer, le modifier, l’interroger. Et c’est dans ce va et vient que se bâtit la vitalité littéraire, son pouvoir critique, sa capacité à transformer le sens, à interroger le temps et la langue. Plus largement, l’histoire littéraire et artistique est faite de cette tension entre norme et exception dès lors que ses mouvements se succèdent généralement dans un rapport dialectique d’obéissance et de rupture vis-à-vis des normes héritées : le romantisme s’érige contre les canons du classicisme tout comme les avant- gardes du XXᵉ siècle contestent les modèles réalistes ou symbolistes, etc., la création traduisant dans sa forme même la tension constitutive entre règle et exception.

L’exception sans règle ?

D’un point de vue philosophique, l’exception constitue un concept fondamental, car elle a la faculté de révéler non seulement les limites de la règle, mais aussi son propre pouvoir. Ainsi, elle ne saurait être considérée comme un détournement de la norme, mais plutôt comme une composante fondamentale qui contribue à sa propre constitution. La notion même d’exception apparaît tantôt sous un aspect exceptionnel, tantôt sous un aspect hérétique au regard de la règle à laquelle elle se réfère, écartant ainsi la notion de neutralité. Elle se manifeste donc comme un phénomène qui imprègne la morale, le droit, la politique, l’art, la littérature, la linguistique, prenant tantôt la forme d’un moyen au service de la réflexion, tantôt celle d’une interrogation sur le système normatif. En effet, le concept de la règle ne peut être compris en tant qu’entité indépendante de l’exception, car l’exception est une notion familière à la règle, étant donné qu’elle est à son origine, et non une entité étrangère. C’est donc à travers l’exception que se projette son aspect opposé, son côté négatif. En effet, le pouvoir de la normativité découle précisément de l’existence d’une possibilité d’écart. À défaut, la règle se caractériserait par une rigidité inconcevable de son application. Condition préalable, l’exception est intégrée au système de règles, afin qu’elle suspende la règle pour un cas particulier, éventuellement associée à un principe général, alors que dans les autres cas, la règle s’applique normalement (GIRARD 2019). Du point de vue du droit, l’état d’exception ne saurait évidemment être défini à titre permanent, mais plutôt comme une suspension ponctuelle des droits et des libertés fondamentales sous la pression d’une « nécessité évidente ». Une telle situation exige généralement une concentration des pouvoirs au sein de l’exécutif pour gérer un péril imminent. En effet, une telle possibilité peut représenter un instrument important permettant d’agir et de répondre à une catastrophe imminente, mais elle risque également de mettre en jeu l’équilibre sur le plan de l’État de droit, en rendant la légitimité constitutionnelle vulnérable sous prétexte d’une situation d’urgence (SAINT - BONNET 2008). La fonction de l’exception aux règles typologiques et morphologiques dans l’art, la linguistique et la littérature semble avoir un double caractère : D’une part, elle est présentée comme une « déviation » créative des règles connues qui contribue à la création de nouvelles normes de genre. D’autre part, elle incite une réflexion critique quant aux codes et usages régissant les conditions sociales et politiques de l’époque dans laquelle l’œuvre s’inscrit, à travers la transformation scénique ou narrative d’une personne « exceptionnelle ». Les règles liées aux stéréotypes de genre dans la tragédie fonctionnent comme un cadre normatif pour ce genre, et toute déviation par rapport à la norme en question favorise la reconfiguration de la morphologie et de la typologie du modèle en question. (CHAOUCHE 2020). La notion d’usage, telle que définie en linguistique, revient à considérer l’exception moins comme une simple dérogation à la règle, que comme un phénomène systématique qui met en évidence la relation dynamique qui l’unit à la règle (GARDES-TAMINE et al. 2023).

La dualité « règle-exception » émerge, à travers toutes les approches que nous avons examinées, non pas comme une simple opposition, mais comme une constante dialectique créative et incontournable. Dans le domaine du Droit, on a vu que l’exception fonctionne comme un dispositif de suspension du fonctionnement des institutions constitutionnelles qui, bien que temporaire, redéfinit les conditions de la légitimité elle-même et révèle la crise de la démocratie si elle tend à se pérenniser. Dans le domaine de la littérature et de l’art, l’exception à la règle se transforme en force de création et de reconduction des règles typologiques et morphologiques. En linguistique, enfin, l’exception révèle la relation active entre la règle, l’exception et l’usage, manifestant le caractère constitutif de la variation. Ainsi, le binôme règle- exception ne devrait pas être perçu en tant que relation statique d’opposition, mais comme un mécanisme fondamental de développement, de réflexion critique et de créativité, pénétrant le champ de la pensée, du langage, de l’organisation sociale et de l’expression artistique de l’être humain.

Axes de recherche

  • 1. Discours et langues, langage

Étude des normes linguistiques et de leurs écarts : prescriptivisme, usages populaires, variations diastratiques et diatopiques comme formes d’exception à la norme dominante. Réflexion sur le rôle des politiques linguistiques dans la fixation ou la contestation des règles d’usage, ainsi que sur les tensions entre uniformisation et diversité linguistique. Études liées à l’acquisition et l’apprentissage des langues naturelles. Analyse des mécanismes de régulation du discours : cohésion, argumentation, rhétorique de l’autorité et stratégies de transgression, discours polémiques, de résistance ou de haine.

  • 2. Arts et littératures

Exploration des formes artistiques comme espaces de tension entre contrainte et liberté, imitation et invention. Émergence et circulation des récits partagés entre innovation et conformité, l’exception en narration, les arts comme reflets de tensions et d’harmonies, critique de l’ordre établi.

  1. 3. Histoire et civilisations

Étude des structures sociales, politiques et culturelles à travers le prisme de la norme et de l’exception : lois, coutumes, déviances et résistances, analyse des tensions entre ordre et désordre dans les processus historiques, des régimes d’exception et des formes de contestation qu’ils suscitent, réflexion sur les communautés et les espaces en interaction, où la règle commune se redéfinit face à la singularité des expériences, des migrations ou des innovations culturelles.

Modalités de contribution

Les propositions devront être de 500 mots maximum. Elles seront accompagnées d’une bibliographie indicative (3-4 références max) et d’une courte bionote vous présentant (nom, prénom, institution, titre de thèse, thématique de recherche...). Les propositions sont à envoyer à l’adresse mail suivante : jedreso2025@gmail.com,

avant le 15 novembre 2025.

Les communications seront limitées à 20 minutes et seront suivies d’un temps de 5-10 minutes pour les discussions. La journée d’étude se tiendra en français.

Calendrier indicatif

  • Limite de soumission : 15 novembre 2025 inclus
  • Retour du comité : 20 novembre 2025
  • Journée d’étude : 10 décembre 2025

Comité d’organisation

  • Alice Nardo, Université de Montpellier Paul-Valéry, UR ReSO
  • Axelle Scamps, Université de Montpellier Paul-Valéry, UR ReSO
  • Paraskevi Skourti, Université de Montpellier Paul-Valéry, UR ReSO

Bibliographie

Académie française. s. d. « règle | Dictionnaire de l’Académie française | 9e édition ». Consulté le 16 octobre 2025. http://www.dictionnaire- academie.fr/article/A9R1335.

BARTHES, Roland (1977). Leçon inaugurale faite le vendredi 7 janvier 1977, Collège de France, Chaire de sémiologie littéraire.

CHAOUCHE, Sabine. 2020. « La tragédie au prisme du genre. L’idée de masculinité d’après La Poétique de La Mesnardière », Littératures classiques 103 (3) : 73-82.

GARDES TAMINE, Joëlle, avec les contributions de GAUTIER, Antoine, MERCIER- LECA, Florence, NIKLAS-SALMINEN, Aïno et VERJANS, Thomas, 2023. Cours de grammaire française. Paris : Armand Colin, p.352.

GIRARD, Charles. 2019. « La règle et l’exception en philosophie du droit ». In L’exception en droit de l’Union européenne. Presses universitaires de Rennes.

HAMON, Philippe. 1989. « Le littéraire, la littérature, le social et la valeur ». Cahiers de recherche sociologique, no 12 : 21‑33.

JOLIBERT, Bernard. 2020. « Éthique, morale et déontologie : Trois approches du devoir être ». L’Enseignement philosophique 70 (1) : 45-55.

LAUGIER, Sandra. 2001. « Où se trouvent les règles ? » Archives de philosophie 64 (3) : 505-24.

MAGNON, Xavier. 2008. Théorie(s) du droit - Xavier Magnon. Universités. Lgdj.fr. PAREYSON, Luigi (1954). Estetica. Teoria della formatività, Turin, Edizioni di Filosofia. Trad. en français par Gilles A. Tiberghien, Esthétique. Théorie de la formativité, Paris, Editions Rue d’Ulm, 2019.

RAÏD, Layla. 2001. « Signification et jeu de langage ». In S. Laugier (ed.) Wittgenstein. Métaphysique et jeux de langage. Débats philosophiques, Paris, PUF.

SAINT - BONNET, François. 2008. « L’état d’exception et la qualification juridique ». Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, no 6 (décembre) : 6.

SEGRE, Cesare (1974). Le strutture e il tempo. Narrazione, poesia, modelli, Turin, Einaudi. Structures and Time : Narration, poetry, Models, University of Chicago Press, 1979.

TODOROV, Tzvetan (1971) Poétique de la prose, Paris, Éditions du Seuil. TODOROV, Tzvetan (1981) Mikhaïl Bakhtine - Le principe dialogique suivi de Écrits du Cercle de Bakhtine, Paris, Éditions du Seuil.

TROPER, Michel. 2024. La Philosophie du droit, PUF, coll. Que sais-je ? Universalis, Encyclopædia. s. d. « RÈGLE, sociologie ». Encyclopædia Universalis. Consultée le 16 octobre 2025. https://www.universalis.fr/encyclopedie/regle-sociologie/.

Places

  • site Saint-Charles de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, rue Henri Serre 34090 Montpellier
    Montpellier, France (34)

Event attendance modalities

Full on-site event


Date(s)

  • Saturday, November 15, 2025

Keywords

  • règle, exception, langues, linguistique, littérature, histoire, philosophie, arts

Contact(s)

  • Alice Nardo
    courriel : alice [dot] nardo [at] univ-montp3 [dot] fr
  • Paraskevi Skourti
    courriel : paraskevi [dot] skourti [at] univ-montp3 [dot] fr

Information source

  • Axelle Scamps
    courriel : axelle [dot] scamps [at] univ-montp3 [dot] fr

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« L’exception et la règle », Call for papers, Calenda, Published on Monday, November 03, 2025, https://doi.org/10.58079/152w6

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