Transmissions familiales en situation migratoire et post-migratoire
Revue e-migrinter, n°28, 2026
Published on Wednesday, November 05, 2025
Abstract
Ce numéro (n°28) invite à réfléchir sur les questions de transmissions, ici entendue comme l’ensemble des processus de transfert entre différents groupes sociaux — migrants/descendants de migrants/personnes non migrantes — à différentes échelles. En sociologie, cette notion dialogue avec des concepts tels que l’habitus, la trajectoire ou encore l’héritage, mettant en lumière des dynamiques de reproduction sociale et d’interactions intergénérationnelles. Mais de quelle manière le recours à l’échelle d’analyse de la famille permet-il de redéfinir la notion de transmission dans les études migratoires ?
Announcement
Argumentaire
Cet appel à contributions vise à réaliser un dossier thématique à paraître dans la revue e-migrinter qui sera consacré à une réflexion interdisciplinaire sur la question des transmissions familiales en contexte migratoire et post-migratoire. Il s’inscrit dans la continuité des échanges qui ont eu lieu lors du colloque international Migrations & Transmissions, à l’occasion des 40 ans du laboratoire Migrinter, en juin 2025.
Ce numéro invite à élargir davantage la réflexion, faisant appel non seulement aux différents chercheurs et chercheures ayant contribué au colloque, mais également à tous ceux et celles qui s’intéressent à la question.
La transmission est ici entendue comme l’ensemble des processus de transfert entre différents groupes sociaux — migrants/descendants de migrants/personnes non migrantes — à différentes échelles. En sociologie, cette notion dialogue avec des concepts tels que l’habitus, la trajectoire ou encore l’héritage, mettant en lumière des dynamiques de reproduction sociale et d’interactions intergénérationnelles (Prestini, 2006).
Mais de quelle manière le recours à l’échelle d’analyse de la famille permet-il de redéfinir la notion de transmission dans les études migratoires ?
L’objectif de ce dossier thématique est d’analyser les mécanismes de transmission familiale, en portant une attention particulière aux modalités par lesquelles la recherche produit des connaissances sur la question. Nous proposons d’aborder ces thématiques à travers trois axes :
Axe 1 : Transmissions : enjeux méthodologiques et éthiques à l’échelle familiale
Étudier l’articulation entre transmission et migration impose une réflexion sur les outils quantitatifs et qualitatifs déployés. Dans le contexte francophone, des études démographiques ont donné lieu à l’analyse conjointe des biographies familiales, professionnelles et migratoires (Courgeau, 1985), ainsi qu’à l’exploration combinée des dimensions familiale et patrimoniale par le biais de reconstitutions généalogiques (Bourdieu et al., 2004). Ces questions peuvent être approfondies en recourant à une démarche qualitative, notamment lorsqu’il s’agit d’appréhender des aspects plus intimes du lien entre transmission familiale et migration, tels que l’histoire liée à l’exil et la langue ou le dialecte d’origine. En permettant de saisir la dimension processuelle de l’expérience migratoire (Collet et Veith, 2013), la démarche biographique, tout comme la collecte de récits de vie, constitue un moyen privilégié d’accéder à la parole intime des personnes enquêtées. Une approche multi-située (Marcus, 1995) peut également s’avérer nécessaire pour comprendre comment certaines transmissions se sont ou ne se sont pas opérées d’un espace à l’autre.
Les recherches liées à la transmission au sein des familles issues de l’immigration soulèvent également des questions liées à l’indicible et l’inaudible des migrations (Miranda, 2019), renvoyant aux questions d’éthique dans la recherche. En adoptant une « méthodologie réflexive » (Demazière, 2008), on constate qu’en contexte familial le/la chercheur.e est pris.e dans un régime de significations qui se traduit parfois dans des non-dits. Il/elle se retrouve alors particulièrement confronté.e à une exigence éthique, répondant à un principe de pudeur ou de discrétion, et à une exigence objective liée au travail scientifique de « montée en généralité » (Genard et Roca i Escoda, 2010). Bien que difficiles d’accès pour des raisons éthiques, les éléments intimes et privées révélés par des questions de transmission en/de la migration constituent-ils des aspects essentiels à la réflexion scientifique ?
Axe 2 : Transmissions familiales des savoirs et construction des identités
La prise en compte de la dialectique entre les causes de l’émigration et les conditions de l’immigration, qui fait l’objet de nombreux travaux depuis les années 1980, a offert un terrain fertile pour l’étude de la transmission des savoirs en migration et des représentations dans la et de la migration. La rupture et le maintien de relations avec l’espace de départ peuvent être à l’origine de comportements migratoires s’étalant dans le nouvel espace d’installation (Rosental, 1990), remettant en question la représentation de la migration comme un mécanisme spatialement univoque et suivant des normes préétablies. Dans cette perspective, la transmission s’affirme non seulement comme un processus observable, mais également comme un prisme permettant d’étudier l’accumulation des savoirs - individuels, familiaux ou collectifs - qui, conjuguées à leur circulation, transforment les sociétés et les territoires sur plusieurs temporalités (Séhili et Zúñiga, 2014).
Dans une temporalité familiale, le savoir migratoire peut se constituer en ressource transmise de génération en génération, mobilisable lors de moments de difficultés rencontrées par les descendants (Delcroix, 2009). L’étude combinée des processus de transmission familiale et de l’influence des contextes sociopolitiques spécifiques éclaire la manière dont les descendants peuvent s’approprier l’histoire familiale jusqu’à nourrir des engagements locaux et transnationaux ou, au contraire, d’en prendre distance (Lardeux, 2018).
A la redéfinition identitaire des membres de la famille participe également la transmission de la nationalité, et parfois de la double nationalité, qui combine normes juridiques des Etats et rapports sociaux de classe, de genre et de race (Clément, 2023). Cette transmission peut jouer un rôle de levier pour des stratégies de mobilité spatiale et sociale. Enfin, la réactivation des liens familiaux dans l’espace transnational permet à certains descendants d’immigrés d’hériter la nationalité du pays des ancêtres et de s’y installer durablement (Blanchard, 2022).
Axe 3 : Transmissions intergénérationnelles et mémoires familiales
Des travaux mobilisant les notions de « temps de la famille » (Imbert et al., 2018), de générations successives (Rosental, 1999 ; Delcroix et al., 2022) et de temporalités biographiques (Bessin, 2009) ont permis d’interroger les modalités selon lesquelles les expériences et les mémoires familiales de la migration se transmettent, se réactivent ou s’effacent au sein des familles.
La temporalité intergénérationnelle du parcours de vie (Santelli, 2014) s’avère un prisme intéressant pour penser les effets des transmissions intergénérationnelles sur les descendants de migrants. Mais comment les expériences vécues par un membre de la famille, ensuite partagées avec d’autres et centrales dans le processus de transmission (Rachedi, 2009), contribuent-elles à la (re)construction du rapport à l’histoire familiale et aux espaces de circulation de la famille ? Plus largement, comment les différents processus de transmission familiale jouent sur les rapports que les migrants et leurs descendants entretiennent aux lieux (de vie quotidienne, vacances, festivités, travail) ?
Les transmissions de l’histoire familiale en contexte migratoire et post-migratoire méritent toutefois d’être appréhendées au-delà du seul cadre familial. À partir du sens qu’ils attribuent à la migration de leurs ascendants, les individus élaborent leur positionnalité au sein d’un espace migratoire plus large (Miranda, 2018, 2025). Chez certains descendants, les récits sur l’histoire familiale participent ainsi à la construction d’un sentiment de « légitimité migrante » voire de supériorité vis-à-vis d’autres groupes migrants.
Ces enjeux de positionnalité et de légitimité, qui émergent des dynamiques de transmission ou de non-transmission de l’histoire familiale et migratoire, ne peuvent être pleinement appréhendés sans considérer les rapports sociaux structurants. Ces rapports sociaux, qu’ils soient de classe, de genre, de race ou d’âge, parfois bousculés en situation de migration (Rosental, 1999 ; Collet et Santelli, 2012 ; Fillod-Chabaud et Odasso, 2022), influencent les modalités par lesquelles ces histoires sont transmises, occultées ou réinterprétées. Mais comment ces rapports se construisent-ils et se négocient-ils dans les situations de transmission, et quels ajustements intergénérationnels en résultent au sein des familles ?
Modalités de contribution
Les propositions d’articles devront être envoyées avant le 15 décembre 2025 à l’adresse électronique suivante : revue.e.migrinter@gmail.com
Les propositions d’articles, rédigés en français, anglais et espagnol, comporteront environ 300 mots (bibliographie non incluse) ou 2 500 signes maximum, espaces et bibliographie non inclus.
Merci de vous reporter aux recommandations aux auteurs pour les normes de présentation du texte, de la bibliographie et des illustrations : https://journals.openedition.org/e-migrinter/332
- Sélection des propositions d’articles le 15 janvier 2026.
- Soumission des articles avant le 15 avril 2026.
Pour toute question concernant l’appel, merci d’écrire aux adresses électroniques suivantes : ajouter mail e-Migrinter ; francesca.di.donato@univ-poitiers.fr ; richelli.afonso@ehess.fr
Coordination du numéro
- Francesca Di Donato (Université de Poitiers, Migrinter, IC Migrations)
- Richelli Afonso (École des hautes études en sciences sociales, Cercec/Migrinter)
Bibliographie
Bessin, Marc (2009) Parcours de vie et temporalités biographiques : quelques éléments de problématique, Informations sociales, Caisse nationale d’allocations familiales, 156 (6). Sociologie, p. 12‑21.
Blanchard, Melissa (2022) Être petit-fils ou petite-fille d’émigrés italiens au Chili : parenté et appartenance dans des familles transnationales, Anthropologie et Sociétés, Département d’anthropologie de l’Université Laval, 46 (2), p. 45‑62.
Bourdieu, Jérôme ; Postel-Vinay, Gilles ; Rosental, Paul-André ; Suwa-Eisenmann, Akiko (2004) La dispersion spatiale des familles : un problème de taille. Les solidarités familiales de 1800 à 1940, Revue des politiques sociales et familiales, 77 (1), p. 63‑72.
Clément, Garance (2023) Une nationalité d’appoint. Transmissions et usages stratégiques de la double nationalité dans les espaces frontaliers lillois et genevois, Revue européenne des migrations internationales, Poitiers, Université de Poitiers, 39 (2), p. 87‑108.
Collet, Béate ; Santelli, Emmanuelle (2012) Couples d’ici, parents d’ailleurs. Parcours de descendants d’immigrés, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Le Lien social », 354 p.
Collet, Beate ; Veith, Blandine (2013) Les faits migratoires au prisme de l’approche biographique, Migrations Société, Centre d’Information et d’Etudes sur les Migrations Internationales, 145 (1). Sociologie, p. 37‑48.
Courgeau, Daniel (1985) Bases théoriques et modèles pour une enquête sur la biographie familiale, professionnelle et migratoire, Espace, Populations, Sociétés, 1, p. 240‑247
Delcroix, Catherine (2009) Transmission de l’histoire familiale et de la mémoire historique face à la précarité, Migrations Société, Paris, Centre d’Information et d’Etudes sur les Migrations Internationales, 123‑124 (3‑4), p. 141‑158.
Delcroix, Catherine ; Le Gall, Josiane ; Pape, Élise dir. (2022) Stratégies familiales et accès aux droits en contexte migratoire, Enfances Familles Générations, 41, sp.
Demazière, Didier (2008) L’entretien biographique comme interaction négociations, contre-interprétations, ajustements de sens, Langage et société, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 123 (1). Sociologie, p. 15‑35.
Fillod-Chabaud, Aurélie ; Odasso, Laura (2022) Faire et défaire les liens familiaux : Usages et pratiques du droit en contexte migratoire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 212 p.
Genard, Jean-Louis ; Roca i Escoda, Marta (2010) La « rupture épistémologique » du chercheur au prix de la trahison des acteurs ? Les tensions entre postures « objectivante » et « participante » dans l’enquête sociologique, Éthique publique. Revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale, 12, (1), p. 139‑163.
Imbert, Christophe ; Lelièvre, Éva ; Lessault, David dir. (2018) La famille à distance : Mobilités, territoires et liens familiaux, La famille à distance : Mobilités, territoires et liens familiaux, Paris, Ined Éditions (Questions de populations), 376 p.
Lardeux, Laurent (2018) Engagement transnational des descendants d’immigrés : carrières militantes et « rapport aux origines », Cultures & Conflits, L’Harmattan, 109 (1), p. 61‑82.
Marcus, George E. (1995) Ethnography in/of the World System : The Emergence of Multi-Sited Ethnography, Annual Review of Anthropology, 24 (1), p. 95‑117.
Miranda, Adelina (2018) Recompositions familiales en situations migratoires, Trocadero. Revista del Departamento de Historia Moderna, Contemporánea, de América y del Arte, 30, p. 75‑93.
Miranda, Adelina (2019) Le (in)dicible et l’(in)audible. Pour une approche méthodologique biographique intersectionnelle située, in Expériences de migration en contexte de violence ou quand raconter devient impossible. Approche comparée France-Québec pour un dialogue entre migrants, praticiens et chercheurs, Poitiers, France, sp.
Miranda, Adelina (2025) Les descendant·es des Italien·nes en France. Espaces généalogiques et élaboration d’une positionalité hégémonique, Colloque internationale migrations & transmissions, Poitiers, France, Juin 2025.
Prestini, Mireille (2006) La notion de transmission : un analyseur de la décision d’adultes d’entrer en formation ?, Pensée plurielle, De Boeck Supérieur, 11 (1). Sociologie, p. 99‑107.
Rachedi, Zineb (2009) Travail et transmissions familiales en contexte migratoire : Regards croisés père-fille, Migrations Société, Paris, Centre d’Information et d’Etudes sur les Migrations Internationales, 123‑124 (3‑4), p. 159‑175.
Rosental, Paul-André (1990) Maintien/rupture : un nouveau couple pour l’analyse des migrations, Annales, 45 (6), p. 1403‑1431.
Rosental, Paul-André (1999) Les sentiers invisibles : Espaces, familles et migrations dans la France du XIXᵉ siècle. Paris : Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1999, 256 p.
Santelli, Emmanuelle (2014) La temporalité intergénérationnelle, une dimension incontournable des parcours, Temporalités, 20, sp.
Séhili, Djaouida et Zúñiga, Víctor (2014) Une lecture des migrations au prisme des savoirs et des ressources, Migrations Société, Paris, Centre d’Information et d’Etudes sur les Migrations Internationales, 153‑154 (3‑4), p. 83‑94.
Subjects
- Sociology (Main category)
- Society > Geography > Migration, immigration, minorities
- Society > Ethnology, anthropology
- Periods > Modern > Twenty-first century
- Mind and language > Representation
- Society > Geography > Geography: politics, culture and representation
- Mind and language > Epistemology and methodology > Methods of processing and representation
Date(s)
- Monday, December 15, 2025
Attached files
Keywords
- transmission, famille, migration, identité, mémoire
Contact(s)
- Cyril Roussel
courriel : cyr [dot] roussel72 [at] gmail [dot] com
Reference Urls
Information source
- Francesca Di Donato
courriel : francesca [dot] di [dot] donato [at] univ-poitiers [dot] fr
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To cite this announcement
« Transmissions familiales en situation migratoire et post-migratoire », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, November 05, 2025, https://doi.org/10.58079/153eb

