Página inicialMémoires grises. Passés coloniaux recomposés en Afrique et en Europe

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Publicado quarta, 07 de dezembro de 2005

Resumo

La revue Politique africaine publiera en juin 2006 un numéro consacré aux mémoires coloniales et à leurs usages politiques présents, thème qui sera abordé dans une perspective comparatiste, donnant lieu à interrogation des phénomènes de productions mémorielles tant dans les anciennes métropoles coloniales qu'en Afrique. Politique africaine organisera par ailleurs mercredi 11 janvier 2006, à Paris, une journée d'étude au cours de laquelle seront discutés les contenus du numéro et débattues les thématiques qu'il aborde, avec les auteurs potentiels comme avec les personnes simplement intéressées par une réflexion sur ce sujet.

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Appel à contributions pour la revue Politique africaine, n° 102 (juin 2006)

Politique africaine publiera en juin 2006 un numéro consacré aux mémoires coloniales (le titre proposé est provisoire) et à leurs usages politiques présents. Deux articles courts, de Pierre Boilley et Jean-Pierre Chrétien, ont été publiés dans le numéro 98 de la revue, en juin 2005. Le premier traitait de la loi du 23 février 2005, des nombreuses réactions qu'elle a suscitées et des amalgames qu'elle a favorisés. Le second abordait le passé colonial dans l'optique d'un « devoir d'histoire », en proposant l'exemple du débat sur la colonisation en Belgique et de ses évolutions récentes (exposition « Mémoire du Congo. Le temps colonial » à Tervuren, commissions d'enquête Lumumba et Rwanda…) pour le confronter à la situation française, assez problématique[1].

Le numéro thématique de Politique africaine prolongera ces réflexions déjà entamées sur la(les) mémoire(s) de la colonisation et ses(leurs) télescopages avec la sphère des intérêts politiques et des défis sociaux contemporains. Il ne se limitera toutefois pas à une analyse des relations entre histoire et mémoire, selon le modèle cher aux historiens, ni non plus à une interprétation des phénomènes de mobilisation des acteurs issus de l'immigration en France. On voudrait ouvrir la perspective sur le traitement public de l'histoire coloniale, les modes et les sens des retours en mémoire de faits coloniaux, souvent violents. Il nous semble ainsi profitable d’explorer le thème dans une perspective comparatiste, en diversifiant les approches de ces phénomènes dans les anciennes métropoles coloniales et en s'intéressant aussi aux productions mémorielles relatives au temps colonial qui se font jour dans l'Afrique contemporaine.

La prise en compte des mémoires plurielles et souvent contradictoires du « temps des colonies » dans les sociétés européennes et la gestion politique (voire législative) de ces questions diffèrent d'un État à l'autre, comme a commencé à le montrer Jean-Pierre Chrétien en confrontant les exemples français et belge. Où en est-on du débat (existe-t-il déjà, ou encore ? sous quelle forme ?) sur le fait colonial ou impérial et ses prolongements en Italie, au Portugal, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, voire en Espagne ? Y repère-t-on cette « fracture coloniale » que certains analystes identifient en France[2] ? Dans quelle mesure et dans quelles conditions ces questionnements sur l'histoire coloniale et la montée des tensions mémorielles s'articulent-ils aux débats engagés dans les anciens pays colonisés ? Les interactions, multiples, sont loin d'être à sens unique : les autorités algériennes ont ainsi vivement réagi au vote de la loi française du 23 février consacrant la volonté d'enseigner aux élèves le « rôle positif » de la colonisation française dans ses anciennes possessions outre-mer ; entre la Belgique et la RD-Congo, le va-et-vient des discussions sur les responsabilités métropolitaines dans les ratés de la décolonisation congolaise est constant depuis l'éclosion, au début des années 2000, de « l'affaire Lumumba »… Il conviendrait d'élargir l'analyse de ce type d'interférences mémorielles en s'intéressant à d'autres cas qui ont pu ailleurs alimenter des controverses ou un débat sensibles sur les relations coloniales et post-coloniales entre les métropoles européennes et les États africains (comme cela a pu être le cas par exemple lors de certains rapatriements de « biens culturels » – l'obélisque d'Axum rentrée d'Italie en Éthiopie, ou la dépouille de Saartje Baartman remise par la France à l'Afrique du Sud).

Le « besoin d'histoire » (qui mériterait d'être encore mieux défini, délimité d'un point de vue sociologique et resitué dans sa temporalité selon les cas) paraît naître, en Europe comme en Afrique, des trous creusés dans une « mémoire collective » dont la constitution imparfaite serait tantôt le symptôme, tantôt la raison d'une crise profonde de l'identité nationale. Dans ce contexte, des politiques de mémoire sont mises en œuvre dans certains États africains, qui pourraient faire l'objet d'analyses intéressantes. Il peut s'agir de politiques commémoratives (« monumentales », muséographiques…) par exemple, comme celles qui ont été ou devraient être étudiées en Afrique du Sud, en Éthiopie, au Bénin, en RDC et ailleurs, ou de politiques « de vérité » (projets éditoriaux de manuels d'histoire, commissions d'investigation historique – avec parfois une mise à l'écart délicate de l' « épisode » colonial, comme au Burundi par exemple). Ailleurs, c'est plutôt l'absence de politique mémorielle, voire même de développement discursif public sur les phases douloureuses de la colonisation, qui mériterait interprétation (quand l'achèvement brutal de la colonisation est refoulé, dans le Cameroun post-UPC par exemple, ou dans le Togo d’Eyadéma).

Mais l’État est loin de présider seul aux errements ou aux recouvrements de la mémoire dite collective. Les injonctions qui lui sont aujourd’hui adressées à mettre un terme à certaines amnésies prouvent que bien des dynamiques mémorielles lui échappent. Ces dynamiques informelles ou non institutionnelles doivent dès lors être aussi interrogées. Leur logique propre, la manière dont elles naissent et se propagent, se structurent éventuellement sous la forme d’actions collectives (comme en France avec la pétition des « indigènes de la République », les collectifs « devoirs de mémoires » ou « les damnés de la terre ») ou se transmettent de façon plus diffuse (transmission familiale, développement d’une mémoire de groupe), leur apparition sur la scène publique, méritent d’être explorées. Il serait intéressant en outre de voir comment les débats mémoriels peuvent se nourrir les uns des autres. L’intrication des processus mémoriels concernant la traite esclavagiste et la colonisation en est un bon exemple. D'une manière générale, les mobilisations mémorielles paraissent gagner en force quand elles articulent dans une même figure des phénomènes sinon autonomes, du moins distingués dans le champ scientifique (esclavage, colonisation, néo-impérialisme, immigration, citoyenneté…). Ces interférences ne sont pas sans rapport avec ces « nouvelles écritures africaines de soi », pétries d'afrocentrisme et souvent déclinées sur le mode de la victimisation, qui aboutissent à ce qu'Achille Mbembe identifiait comme une « clôture identitaire »[3]. Plutôt que d'en condamner la nature historiciste, évidente, il serait judicieux d'interroger l'efficacité actuelle de ces représentations cumulatives et de comprendre pourquoi ces registres de la mémoire gagnent en puissance précisément quand ils opèrent par amalgame… Que l'on questionne les formes des mobilisations mémorielles, leur contenu ou leur force, on doit en tout cas insister sur cette part d’autonomie de la mémoire par rapport à l’action de l’État qui s'observe dans bien des situations contemporaines. Et il va sans dire que les limites de ce volontarisme des politiques de mémoire mériteraient aussi d'être inversement étudiées.

Les prises en charge populaires ou médiatiques du passé qui accompagnent les politiques de mémoire ou pallient leur absence s'opèrent par ailleurs dans des environnements sociaux, économiques et politiques très variables qu'il convient également de comprendre. La mémoire tend à se faire jour sur ceux des événements passés qui peuvent être reliés aux préoccupations contemporaines des groupes et individus concernés[4]. L'utilisation commune de documents, de témoignages, de « preuves » historiques, parfois travesties, pour répondre à ces préoccupations, donne à réfléchir aux conjonctions qui favorisent, dans un temps et un espace social donné, l'émergence (ou l'étouffement) d'un débat public et de représentations collectives sur le passé colonial. On pense par exemple aux utilisations successives des clichés des mutilations d'Africains dans le Congo de Léopold II, du début du XXème siècle en Grande-Bretagne au début du XXIème siècle en Israël. Ou encore aux relectures actuelles de la collusion entre missionnaires chrétiens et colonisateurs, au moment où de nouvelles églises recrutent avec pour argument phare leur « africanité ». C'est le cas de la fausse lettre de Léopold II utilisée récemment au Nigeria dans le cadre d'une vive concurrence entre églises chrétiennes d'importation (européennes) et églises « autochtones » (africaines). En d'autres temps et en d'autres lieux, ce faux avait nourri les constructions identitaires radicales de l'Est congolais, en stigmatisant les groupes tutsi ou apparentés, vus comme des alliés de la pénétration européenne au Congo et de l'asservissement colonial ultérieur. On assiste ainsi à des tentatives d’« ingénierie de la mémoire » qu’il conviendrait d’interroger.

Il faut également convenir de ce que les réminiscences du passé colonial, d'ampleur parfois inattendue, et souvent créatrices de fortes tensions, sont précisément aussi intenses et sensibles parce que les faits réinvestis par la mémoire collective appartiennent à des catégories violentes. Si l'on peut admettre que la colonisation était par essence une entreprise violente, c'est néanmoins la brutalité extrême de certains épisodes (massacres, répressions, assassinats) qui reste l'objet principal des (re)découvertes et des (re)cryptages. Une réflexion sur les rapports entre mémoire coloniale et violence historique serait dans ce sens fort à propos.

Le but de ce numéro serait donc de réunir des contributions permettant d’éclairer sous un jour original ces diverses questions. Dans cet ordre d'idées, on pourrait notamment imaginer les contributions suivantes :

· un texte, voire deux, réfléchissant à la question des processus mémoriels à l’œuvre dans les anciennes métropoles coloniales et traitant d’exemples moins souvent explorés que ceux de la France et de la Belgique (Grande-Bretagne, Italie, Allemagne, Portugal…)[5]. Une démarche comparative serait particulièrement intéressante dans cette perspective ;

· une réflexion sur les politiques mémorielles (monumentales, muséales, commémoratives, etc.) relatives au temps colonial en Afrique[6](si possible, là aussi, avec une dimension comparative). On peut entrevoir également dans ce sens un texte sur la négation mémorielle et l'amnésie organisées par certains pouvoirs publics en Afrique, qui contrasterait – ou non – avec une prise en charge populaire du passé[7] ;

· un texte traitant de la circulation de documents, de symboles ou d'objets historiques, vecteurs au présent d'une reformulation mémorielle du passé colonial, ou s’intéressant à l'émergence et à la réhabilitation de « lieux de mémoire » coloniaux. On voudrait y saisir toutes les dimensions de la naissance (traces d'histoire), de la diffusion (réseaux), de l'accommodation (au contexte local/national), de l'impact et des effets concrets et actuels des résurgences ou réinventions mémorielles, comme on pourrait le faire par exemple en analysant en profondeur le cas de la fausse lettre de Léopold II citée plus haut, dont l'interprétation et l'impact ont varié selon ses voies de circulation et les contextes de son adaptation ;

· un texte interrogeant l'indexation de phénomènes de violence multiformes sur des remémorations sensibles d'un passé colonial brutal. L’exhumation d’un décret de 1955 sur l'état d'urgence, dont la référence à la guerre d'Algérie ne manque pas de susciter des rapprochements symboliques, nous incite actuellement à réfléchir sur le cas de la France, où les mobilisations – et les dérapages – qui ont, de manière consciente ou non, pour toile de fond la gestion mémorielle de la colonisation française, se multiplient depuis un certain temps. Dans cette perspective, un article prolongeant la réflexion entamée dans le numéro 98 de Politique africainesur la situation française serait bienvenu (par exemple un article sociologique sur la mobilisation des « indigènes de la République »). Il est toutefois envisagé de consacrer dans le numéro 102 un espace de débat autour du livre collectif La fracture coloniale, qui pourrait être le lieu d’un tel examen. Aussi un texte d'analyse plus général, explorant le maillage de violences contemporaines sur la trame du passé colonial (voire sur celle de la traite esclavagiste), en Europe comme en Afrique, serait-il vivement apprécié.

Bien évidemment, il ne s’agit là que de pistes de travail. D’autres approches de la thématique énoncée pourront être suggérées par les auteurs et adoptées.

Dispositions pratiques

Le numéro sera publié en juin 2006. Les propositions d’articles devront parvenir d'ici le 31 décembre 2005 aux adresses du rédacteur en chef et des deux coordonnatrices du numéro. Politique africaine organisera, le 11 janvier 2006, à Paris, une journée d’étude au cours de laquelle on souhaiterait pouvoir discuter des contenus du numéro et débattre de ces questions, avec les auteurs potentiels comme avec les personnes désirant simplement réfléchir au sujet. Les textes eux-mêmes, en français ou en anglais, devront être envoyés pour le 15 mars 2006 au plus tard. Leur longueur ne devra pas excéder 50 000 signes (espaces et notes de bas de page compris).

Les textes, articles originaux non encore publiés, seront soumis à une double évaluation, celle des responsables du dossier et celle du comité de lecture de la revue, lequel sélectionnera les articles qui seront publiés. Cette évaluation conduit en général à un échange critique et à l’apport de propositions de modification, qui nécessiteront donc un travail supplémentaire de l'auteur.

Coordonnatrices : Christine Deslaurier (christine.deslaurier@ird.fr) et Aurélie Roger (aurelie.roger@sciencespobordeaux.fr)

Rédacteur en chef : Roland Marchal (marchal@ceri-sciences-po.org)

[1]. P. Boilley, « Loi du 23 février 2005, colonisation, indigènes, victimisations. Évocations binaires, représentations primaires », et J-P. Chrétien, « Le passé colonial : le devoir d'histoire », Politique africaine, n° 98, juin 2005, respectivement p. 131-140 et 141-148.

[2]. P. Blanchard, N. Bancel, S. Lemaire (dir.), La fracture coloniale, 2005. Voir aussi le dossier « Colonisation, immigration: le complexe impérial », Migrations Société, vol.14, n°81-82, mai-août 2002.

[3]. A. Mbembe, « À propos des écritures africaines de soi », Politique africaine, n° 77 (« Philosophie et politique en Afrique », mars 2000, p. 16-43.

[4]. M. Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris – La Haye, Mouton Éditeur, 1976 (1ère éd. : 1925).

[5]. Le débat semble avancé en Italie à ce jour. Lire par exemple A. Del Boca, « Il mancato dibattito sul colonialismo », Materiali di lavoro (« L’Africa nella coscienza degli italiani : Miti, memorie, errori, sconfitte »), Bari,1992, p. 111-127 ; E. Castelli, D. Laurenzi (dir.), Permanenze e metamorfosi dell'immaginario colonial in Italia, Naples, Edizioni cientifiche italiane, 2000.

[6]. Sur ce point on peut citer, entre autres, les recherches de l'historienne de l'art Annie E. Coombes sur l'Afrique du Sud (History after apartheid. Visual Culture and Public Memory in a Democratic South Africa, Duke University Press, Durham, 2003) ; ainsi que, sur l’Italie, K. Von Henneberg, « Monuments, Public space, and the Memory of Empire in Modern Italy », History and Memory, 2004, p. 37-85.

[7]. Se référer aux travaux de B. Jewsiewicki sur le travail de la mémoire et ses usages contemporains en Afrique. Voir notamment « Mémoires picturales et sens du présent : peinture urbaine au Congo Contemporain », in D. Taffin, (dir.). Du musée colonial au musée des cultures du monde, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, ou « Représentation du passé comme réparation. L’histoire après l’apartheid », Cahiers d’études africaines, Paris, EHESS, n° 173-174, 2003, p. 447-452.


Datas

  • sábado, 31 de dezembro de 2005

Contactos

  • Roland Marchal
    courriel : marchal [at] ceri-sciences-po [dot] org
  • Christine Deslaurier
    courriel : christine [dot] deslaurier [at] ird [dot] fr
  • Aurélie Roger
    courriel : aurelie [dot] roger [at] martinique [dot] univ-ag [dot] fr

Fonte da informação

  • Aurélie Roger
    courriel : aurelie [dot] roger [at] martinique [dot] univ-ag [dot] fr

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Para citar este anúncio

« Mémoires grises. Passés coloniaux recomposés en Afrique et en Europe », Chamada de trabalhos, Calenda, Publicado quarta, 07 de dezembro de 2005, https://doi.org/10.58079/a9m

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