HomeÀ la recherche des oppositions au Maghreb
Published on Thursday, April 10, 2008
Abstract
Announcement
L'Année du Maghreb. Appel à contribution
À la recherche des oppositions au Maghreb
Problématique
Il y a près de vingt ans les Etats maghrébins initiaient des réformes politiques qui allaient légitimer alors la problématique du changement (Camau, 1991 ; Santucci, 1992 ; López Garcia, 1993 ; Desrues et Moyano, 1997). Depuis, le multipartisme s’est imposé –sauf en Libye-, mais la possibilité d’une alternance réelle à l’exercice du pouvoir politique est toujours à écarter. Ce faisant, les discours officiels continuent à inscrire les projets politiques dans le cadre de la démocratie comme réalité ou comme horizon.
Au Maroc, l’héritage de l’alternance octroyée n’a pas conduit à un changement de régime. Des changements ont bien eu lieu dans le régime, avec l’arrivée de Mohamed VI et la mise en place de dispositifs visant la réconciliation avec divers secteurs de la société (Catusse et Vairel, 2003 ; Vairel, 2005 ; Desrues, 2005 et 2006). Quant aux partis politiques, qu’ils soient issus du mouvement national, de la “nouvelle” gauche ou de l’islamisme, les dernières élections législatives ont ratifié leur déficit de représentativité.
En Algérie, la fin de la “guerre civile” n’a pas signifié de profonds changements dans la structure de pouvoir du régime, en attendant le débat sur la modification de la constitution afin que le président Bouteflika puisse être reconduit pour un troisième mandat.
En Tunisie, le régime, prisonnier du syndrome autoritaire (Camau et Geisser, 2003), maintient l’hégémonisme partisan du RCD dans le cadre du “pluralisme autoritaire” (Larramendi, 2000). Le 7 novembre 1988 n’est plus qu’un lointain souvenir.
Le retour de la Libye au sein de la société internationale, profitant de la fenêtre d’opportunité offerte par les attentats du 11 Septembre 2001, répond à des intérêts géopolitiques liés à l’énergie, et ne semble pas avoir modifié la relation entre le régime et l’opposition.
Face à ces situations, l’actuelle expérience mauritanienne s’avère des plus intéressantes. Suite au coup d’Etat militaire contre Ould Taya en 2006, ce sont les putschistes qui ont organisé les élections et cédé le pouvoir une fois les résultats de celles-ci proclamées et applaudies par les observateurs internationaux.
En fait, qu’ils s’agissent de républiques ou de monarchies, l’autoritarisme marque la trajectoire des régimes maghrébins. Le monopartisme ou le « multipartisme contrôlé » sont subordonnés au leader charismatique et sa camarilla –famille étendue, compagnons d’armes ou état-major, technocrates. Néanmoins, cette configuration ne s’est pas consolidée sans résistances. Nombreux sont les partis politiques, les mouvements sociaux ou les groupuscules qui ont tenté à différents moments d’accroître leur espace. Ils en ont souvent payé le prix lourd. Le recours aux services de sécurité et à l’armée a parfois été nécessaire pour neutraliser les oppositions. Or, si les forces de l’ordre sont parmi les principaux soutiens des régimes maghrébins, des oppositions ont pu naître en leur sein. Hier, c’était leur tentation putschiste qui alimentait la rumeur et préoccupait les chancelleries occidentales, aujourd’hui, c’est leur noyautage par l’islamisme.
Vu l’évolution de ces vingt dernières années, il semblerait qu’au Maghreb, seuls certains partis et mouvements islamistes mériteraient l’appellation “opposition”? Or la prudence s’impose car l’étiquette « parti islamiste » au Maghreb recouvre une variété de tendances entre les mouvements et une diversité de relations entre ceux-ci et les différents régimes. Pour éviter la vacuité de l’appellation islamiste, il faut approfondir ces deux dimensions –tendances et relations avec les régimes- et analyser quels sont les objectifs, les stratégies, les formes d’organisation ou de mobilisations des acteurs labellisés islamistes (Burgat, 2001). L’entrée dans le post-islamisme signifierait un déplacement des acteurs islamistes du politique vers le juridique et le contrôle social de la société (Roy, 1999). Ce faisant, assiste-t-on à un renoncement au politique? De même l’islamisme à l’heure d’Al-Qaïda (Burgat, 2005) interpelle de nouveau la question de la violence. Le jihadisme salafiste s’inscrit certes dans l’opposition aux régimes impies mais en utilisant la terreur ne contribue-t-il pas à renforcer les régimes?
Généralement, ne sont tolérées que les oppositions « du » régime, celles-là qui acceptent les règles du jeu politique ou qui renoncent à briguer la représentation suprême. Est-ce à dire qu’elles n’ont pas prise sur l’énoncé de ces règles? Quels sont les éléments qui les font mériter de figurer dans la catégorie d’opposition? Peut-on être dans l’opposition en n’étant plus un opposant ? Dans quelle mesure la configuration des oppositions et leur action renvoient-elles à la gestion du champ politique par les régimes? En d’autres termes, la relation entre oppositions et régimes est plutôt dialectique, et même si elle peut s’avérer fonctionnelle (Zartman, 1988), l’imposition de lignes rouges aux libertés publiques fait que l’opposition est aussi désignée et déterminée par les pouvoirs des régimes ». En fonction de la conjoncture, on passera de la catégorie « critique tolérée » à celle de l’opposition ou de la dissidence.
La thèse de l’apolitisation du politique que défendent plusieurs analystes (Catusse et Vairel, 2003 ; Camau et Geisser, 2003 ; Ferrié et Roussillon, 2006) est séduisante. Cependant, elle doit être confrontée au cas par cas. Les différents régimes innovent bon gré mal gré pour survivre, ouvrant ou restreignant la circulation des élites, dont ils tentent de s’assurer le contrôle, en organisant des élections ; en créant de nouvelles institutions ; en agitant le repoussoir islamiste. Ils tentent de coopter les dissidences toutes relatives qu’elles soient. Est-ce à dire que les partis « dans » l’opposition, ceux-là même qui sont légalement et officiellement partie prenante du champ politique sans être au gouvernement, ne forment plus l’opposition ?
Les oppositions « au » régime, c’est-à-dire celles-là qui demandent la transformation de sa forme et une redistribution du pouvoir ne sont pas toujours hors du champ officiel, mais autoritarisme oblige, elles sont confinées le plus souvent dans l’illégalité. Elles peuvent revêtir la forme partisane classique (Santucci, 2006), ou s’apparenter à des protopartis (Brau, 2006) ou investir d’autres terrains (Geisser, Karam, Vairel, 2006 ; Gobe, 2006), d’autres supports dans la clandestinité ou en exil. Par ailleurs, les oppositions peuvent être individuelles, même si l’objectif demeure celui de susciter l’action collective. Aller à la rencontre des oppositions, cela signifie sans doute sortir du champ officiel et partisan pour s’aventurer au sein de la société, qu’elle soit civile ou non, dans les méandres du changement social.
Dans le cadre des régimes autoritaires maghrébins, le multipartisme serait un gage au pluralisme sociétal (Camau, Geisser, 2003). Si apolitisation des partis il y a, celle-ci rime-t-elle avec celle de la société? Certains analystes ont montré que l’opposition a pu se muer vers les acteurs corporatistes – ordre des avocats pour la Tunisie (Gobe, 2007), les ONGs de plaidoyer (Catusse, 2002). Dans quelle mesure l’objet opposition politique s’est-il déplacé du champ partisan au champ sociétal, opérant par la même occasion un glissement sémantique de l’opposition à la contestation ? Cette dernière a été approchée de préférence à travers le prisme sociologique, voire anthropologique (Bennani Chraïbi, Fillieule, 2003) cherchant le politique dans d’autres lieux que le champ partisan. L’émergence d’un important tissu associatif dans de multiples domaines a servi de refuge de substitution à certains opposants. Certes, la tolérance vis-à-vis du mouvement associatif a surtout servi d’alibi pour projeter à l’extérieur une image libérale que les alliés occidentaux apprécient (Feliu, 2003; Desrues, 2005).
En fait, l’espace des oppositions est un espace à géographie variable, qui peut se situer en dehors du champ politique, se développer grâce à la déterritorialisation ou dans l’extraterritorialité. Si l’exil demeure une référence (Aït Ahmed ; Ghanouchi), l’opposition occupe une place choix au sein de l’émigration dont le contrôle demeure un enjeu pour les régimes.
Ce dossier de L’Année du Maghreb prétend réfléchir sur les oppositions au Maghreb, leurs formes, leurs expressions et leurs supports. Existe-t-il encore une opposition aux régimes maghrébins ? Qui sont les acteurs de cette ou ces oppositions ? Comment sont-ils organisés ? Quelle est leur audience ? Quels sont leurs objectifs ? Comment ont-ils évolué, quels sont leurs moyens d’action politique et leurs stratégies ? Quels instruments utilisent-ils dans un contexte globalisé au sein duquel les nouvelles technologies de la communication fournissent des opportunités inexistantes il y a peu ?
Dans ce dossier, il s’agit donc de repérer les divers lieux des oppositions et les espaces qu’elles occupent: la clandestinité, l’exil et l’immigration, l’université, l’action sociale et pour le développement, la profession, l’enseignement, la rue, le stade, l’art dans ses multiples expressions qu’il soit élitiste ou populaire. Le politique emprunte des chemins buissonniers qu’il appartient au chercheur de dépister. C’est pourquoi, il faut s’attacher autant à ses formes d’expression qu’à ses supports, et, en particulier au rôle des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Ces dernières renforcent le traditionnel branchement de l’expression publique des oppositions sur l’international, donnant lieu à une forte médiatisation de la prise de parole, en particulier, par des professionnels de la communication (Taoufik Ben Brik, Ali M’Rabet).
La question des méthodes préconisées pour l’action ne peut être évitée. Ces dernières années, l’émergence du sit-in comme modalité dominante de la pratique protestataire au Maroc (Vairel, 2005), a été rejointe récemment dans les villes moyennes par des manifestations défiant les forces de l’ordre et tournant, parfois, à l’émeute. Les manifestations de rue marquées par le sceau de la violence ne sont pas toujours en relation avec les dissidences territoriales (Intifada saharaoui, révolte en Kabylie, sud de la Tunisie, Cyrénaïque). Cependant, la question territoriale rejoint souvent la question sociale. La « fuite » collective de villageois pour protester contre la « hogra » est une autre nouveauté qui s’inscrit dans le répertoire oublié, sédentarisation oblige, de stratégies séculaires pour esquiver le Makhzen. La violence n’est pas absente de la contestation, en témoigne les images diffusées grâce aux nouvelles technologies et, en particulier, de Youtube.
Par ailleurs, peut-on parler d’une opposition maghrébine ou des oppositions maghrébines ? Selon les diverses situations, les études de cas pourront être transversales ou se centrer sur un pays.
In fine, le dossier envisage les oppositions dans un sens large : il s’agit d’aborder l’analyse des acteurs, des espaces et des modes d’action autant à l’extérieur qu’au sein des régimes. Les coordinateurs du dossier encouragent les contributeurs à dépasser l’analyse des acteurs institutionnels, pour aborder d’autres formes d’opposition.
Coordonné par Thierry Desrues (IESA/CSIC) et Miguel Hernando de Larramendi (UCLM), les propositions de contributions devront être remises par courrier électronique sous le format d’un résumé de 500 mots en indiquant le nom, la fonction et l’institution du ou des auteurs, avant le 15 mai 2008 aux adresses suivantes :
- tdesrues@iesa.csic.es
- miguel.hlarramendi@uclm.es
- gobe@mmsh.univ-aix.fr
Les propositions de contributions retenues seront notifiées aux auteurs par courriel avant le 31 mai 2008.
La date de réception des articles est fixée au 30 octobre 2008.
Une réunion pour discuter des versions finales des articles est prévue à la fin du mois de novembre 2008.
Les versions définitives seront envoyées au rédacteur en chef de L’Année du Maghreb le 30 décembre 2008.
Les textes à soumettre devront avoir une longueur de 15 à 20 pages (Times new roman 12 et un espace interligne de 1,5).
Sélection bibliographique :
Bennani-Chraibi, M. et Fillieule, O. (Dir.) (2003) : Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Presses de Sciences Po, Paris.
Braun, C. (2006) : « À quoi servent les partis tunisiens ? Sens et contre-sens d’une « libéralisation » politique », in REMMM, 111/112.
Burgat, F. (2001), « De l’islamisme au post-islamisme, vie et mort d’un concept », in Esprit, nº21.
Burgat, F. (2005) : L’islamisme à l’heure d’Al-Qaida, La Découverte, Paris.
Camau, M. (Dir.) (1991) : Changements politiques au Maghreb, CNRS Éditions, Paris.
Camau, M. et Geisser, V. (2003) : Le Syndrome autoritaire : politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali, Presses de Sciences Po, Paris.
Catusse, M. (2002) : « Les charmes discrets de la société civile. Ressorts politiques de la formation d’un groupe dans le Maroc ajusté », in Revue internationale de politique comparée, Vol. 9, nº2.
Catusse, M. et Vairel, F. (2003) : « Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre ». Métamorphose et continuité du régime marocain, in Maghreb-Machrek, nº175.
Desrues, Th. (2006) : « De la monarchie exécutive ou les apories de la gestion de la rente géostratégique », Chronique politique, in L’Année du Maghreb 2004, CNRS Éditions, Paris.
Desrues, Th. (2005) : « La sociedad civil marroquí : indicador de cambio y modernización del autoritarismo marroquí”, Awraq, Estudios sobre el mundo árabe e islámico contemporáneo, Vol. XXII, AECI, Madrid.
Desrues, Th. et E. Moyano (Coord.) (1997): Cambio, gobernabilidad y crisis en el Magreb, CSIC, Politeya, Madrid.
Feliu, L. (2004): El jardín secreto. Los defensores de los derechos humanos en Marruecos, La Catarata/IUDC, Madrid.
Ferrié, J. N. et Rousillon, A. (2006) : « Réforme et politique au Maroc de l’alternance : apolitisation consensuelle du politique », in Dispositifs de démocratisation et dispositifs autoritaires en Afrique du Nord, CNRS Éditions, Paris.
Geisser, V., Karam, K. et Vairel, F. (2006) : « Espaces du politique. Mobilisation et protestations », in La politique dans le monde arabe, Armand Colin, Paris.
Gobe, E. (2006) : « Corporatismes, syndicalisme et dépolitisation », in La politique dans le monde arabe, Armand Colin, Paris.
Gobe, E., Béchir Ayari, M. (2007): “Les avocats dans la Tunisie de Ben Ali: une profession politisée ?, in L’Année du Maghreb 2007, CRNS Éditions, Paris.
Larramendi, M. H. (2000): “Argelia, Túnez, Mauritania y Libia durante los años noventa: entre el pluralismo autoritario y el ocaso de las masas”, in Cuadernos de Estrategia, nº106.
López García, B., Martín Muñoz, G. y Hernando de Larramendi, M. (Coord.) (1993): Elecciones, participación y transiciones políticas en el Norte de África, AECI/MAE, Madrid.
Roy, O. (1999), « Le post-islamisme », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée (REMMM), 85-86, pp. 11-30.
Santucci, J.C. (1992): Le Maroc actuel: une modernisation au miroir de la tradition?, CNRS Éditions, Paris.
Santucci, J.C. (2006): « Le multipartisme marocain entre les contraintes d’un « pluralisme contrôlé » et les dilemmes d’un « pluralisme autoritaire » », in REMMM, 111/112.
Vairel, F. (2005): Espaces protestataires et autoritarismes.Nouveaux contextes de mise à l’épreuve de la notion de fluidité politique. L’analyse des conjonctures de basculement dans le cas du Maroc, Thèse de doctorat, IEP, Aix-en-Provence.
Zartman, W. (1988): Beyond coercion. The durability of the arab State, Croom Helm, Londres.
Subjects
- Political studies (Main category)
- Zones and regions > Africa > North Africa
- Society > Political studies > Political and social movements
Places
- MMSH
Aix-en-Provence, France
Date(s)
- Thursday, May 15, 2008
Keywords
- oppositions
Contact(s)
- Thierry Desrues
courriel : tdesrues [at] iesa [dot] csic [dot] es
Information source
- Loïc Le Pape
courriel : Loic [dot] Le-Pape [at] univ-paris1 [dot] fr
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« À la recherche des oppositions au Maghreb », Call for papers, Calenda, Published on Thursday, April 10, 2008, https://calenda.org/194796