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Contagion / contamination

Contagion / contamination

Revue Tracés n°21

Tracés journal no.21

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Veröffentlicht am Donnerstag, 20. Mai 2010

Zusammenfassung

La revue Tracés consacre son numéro 21 aux thèmes de la contagion et de la contamination, aux usages de ces notions, qu'ils soient contrôlés ou incontrôlés, littéraux ou métaphoriques. Ce numéro entend traiter ce thème de manière à la fois empirique et théorique, dans une enquête collective qui mobilisera des objets d’études comme les maladies épidémiques ou liés à l’usage de la contagion dans l’épistémologie des sciences sociales.

Inserat

Argumentaire

Les sciences sociales semblent aujourd’hui embarrassées par les notions de contagion et de contamination. Si le métissage s’affirme comme une valeur politique essentielle, ces notions en constituent le revers anxiogène dans l’analyse de certains phénomènes sociaux, que ceux-ci soient directement liés à une maladie contagieuse (Sida, SRAS, anthrax, grippes aviaire ou H1N1) ou qu’ils suivent simplement des modalités de diffusion apparemment similaires à celles de certaines pathologies – contagion de la crise économique liés à des produits financiers toxiques (Orléan, 1992), propagation des rumeurs et des buzz via les réseaux sociaux. Autant de phénomènes dont la diffusion incontrôlée inquiète. Serait-ce le signe d’une phobie du contact et de l’échange dans un monde globalisé où tout circule ? Une réaction crispée d’immunisation et de repli sur une pureté fantasmée dans une société du risque généralisé (Beck, 2001) ?

Les domaines de la contagion et de la contamination foisonnent et cependant leurs usages conceptuels demeurent ambigus. Dans leurs acceptions biologiques, ils forment de plus en plus des objets d’étude non seulement en histoire, mais aussi en sociologie (des populations atteintes par le sida par exemple) et en anthropologie, où l’on s’intéresse à la magie comme pouvoir de contagion ou aux rites religieux de purification. Par ailleurs, ces concepts médicaux, censés décrire des phénomènes de manière scientifique, ont également fait l’objet de réappropriations stimulantes en sciences sociales, sans que l’on sache toujours bien s’il faut leur donner le statut d’outils descriptifs ou de modèles explicatifs. Partant de cette incertitude, la revue Tracés consacre son numéro 21 aux usages contrôlés et incontrôlés, métaphoriques ou non, des notions de contagion et de contamination.

Grammaire de la contagion : agents, patients et processus sans acteurs.

Terme d’usage littéral ou métaphorique, la contagion charrie avec elle un certain nombre de présupposés. Elle est utilisée pour qualifier la diffusion d’un phénomène médical et/ou social caractérisé, d’un côté, par ses modalités d’expansion, de transmission et de distribution (par contact, par toucher, …), de l’autre, par une vitesse de propagation exponentielle.

Un premier problème semble accompagner toute utilisation du concept de contagion : il décrit un phénomène relationnel, mais le rôle des relata (éléments ou individus mis en relation) n’est jamais très clair. Décrire un phénomène contagieux, c’est à la fois dire qu’un individu en contamine un autre et dire que ces individus ne sont que les relais de quelque chose qu’ils ne maîtrisent pas. C’est plutôt le concept de contamination qui a le rôle de préciser ce qu’il advient des relata (un tel a été contaminé ; telle personne a contaminé telle autre, etc.).

Il est intéressant de noter que les deux termes ont la même racine latine renvoyant au sens du toucher (contagion = cum tactus et contaminare = cum tangere). On constate cependant une asymétrie dans les adjectifs dérivés de ces substantifs : on peut être contaminé (en ce cas on est passif et patient), et non « contamineux » ; en revanche on est contagieux, le rire est contagieux. On peut décider de contaminer quelqu’un, mais non d’être contagieux. Le dédoublement des substantifs, contagion et contamination, est aussi riche d’enseignements. D’une part la contamination décrit le changement qui s’opère dans le patient qui subit la contagion, alors que l’individu contagieux peut ne contaminer personne. D’autre part on parle de la contamination de x par y, et non de contagion de x par y : grammaticalement la contamination prend en compte dans son processus des agents et des patients, à la différence de la contagion, qui décrit un processus de manière impersonnelle.

Les notions de contagion et de contamination semblent donc décrire différents aspects d’un même phénomène. On peut parler de « contagion du suicide » ou de « contagion du baillement » sans qu’intervienne aucune contamination. Par ailleurs, on peut contaminer intentionnellement quelqu’un en lui transmettant une maladie qui n’est pas contagieuse : le VIH est dit « transmissible » par contact sexuel direct sans être pour autant une maladie contagieuse, alors que la grippe est dite contagieuse, sans qu’un contact immédiat soit nécessaire pour sa transmission. Il revient parfois aux magistrats d’établir les intentions et la responsabilité de malades suspectés, notamment en ce qui concerne les maladies sexuellement transmissibles, d’avoir commis un « délit de contamination » (Murard et Zylberman, 1991). La gamme fort large d’implication et d’intentionnalité des acteurs méritera donc toute l’attention des futurs contributeurs. Ainsi la contagion nous dispose à envisager un phénomène dans sa globalité et à une échelle macroscopique ; en revanche parler en termes de contamination amène à être plus attentif aux acteurs de la transmission à l’échelle microscopique.

On ne négligera pas enfin la connotation péjorative et pathologique dont sont chargés chacun à leur manière les termes de contagion et de contamination. Peut-on parler de contagion ou de contamination sans associer ce qu’on décrit à un mal ou une pathologie ? L’usage de ces concepts n’implique-t-il pas un jugement clinique, et même moral dans certains cas, sur le phénomène décrit ou expliqué ? N’est-ce qu’une métaphore ? Si c’est le cas, est-elle vraiment pertinente et utile ? Et quelles sont les précautions théoriques qu’il faut prendre pour en faire usage ?

De la maladie au mal et retour.

Si la notion de contagion relève aujourd’hui pour nous du champ de la médecine, il y a  peut-être là une évidence trompeuse à démystifier.

Ainsi contaminare était au départ un terme religieux qui a été ensuite réapproprié par la médecine. Si la notion de contagion s’est imposée comme un nœud conceptuel de l’anthropologie de la religion et du sacré (Douglas, 1971), c’est que le terme de contamination renvoie initialement à un tabou, à une souillure, à une impureté. De sorte que la contagion n’était pas initialement d’origine médicale (Grmek, 1984 ; Gourevitch, 2001) et que le mouvement d’appropriation lexicale s’est peut-être historiquement opéré dans le sens inverse : du mal à la maladie. 

A cet égard la question de la contagion des hérésies (Rassinier, 1991), des péchés ou plus tard du meurtre, est symptomatique de l’usage stratégique du terme : la naturalisation d’un phénomène social impossible à enrayer implique naturellement la mise en œuvre de procédures d’exception. La criminologie elle-même, outre le profilage psychologique et le classement typologique des individus dangereux, s’est développée à l’initiative de médecins soucieux d’établir une véritable épidémiologie du crime destinée à en prévenir le caractère contagieux (Aubry, 1894 ; Renneville, 1994). Il en découle d’importants recoupements entre mesures de prophylaxie sanitaire et dispositifs de répression pénale prenant la forme d’institutions de réclusion et d’isolement (lazarets, hôpitaux, asiles, prisons), dont le caractère plus ou moins clos doit permettre de tenir à distance le mal, mais peut aussi, au contraire, en favorisant la promiscuité, aggraver sa prolifération (Bashford et Strange, 2003).

Ce numéro devra donc être attentif aux transferts des savoirs médicaux dans les sciences humaines, tout autant qu’aux importations depuis ces dernières pour penser la contagion médicale. La biologie et son épistémologie ne sont-elles pas amenées à penser la contagion à partir de modèles issus des sciences humaines, comme ceux des réseaux sociaux ou des crises économiques ? Le thème de la contagion s’impose ainsi opportunément pour questionner les enrichissements mutuels entre épistémologie des sciences dures et épistémologie des sciences humaines.

La contagion, structuration et production du social

Quel regard les sciences humaines peuvent-elles porter sur les contagions et les épidémies ? La contagion est l’ultime étape d’un processus passant par l’incubation et l’infection : elle représente le stade social du développement de la maladie ; ainsi, elle met en crise la société dans les frontières et les limites que cette dernière entend se donner.

Quels bénéfices y aurait-il à partir des effets sociaux de la contagion considérée, dans sa dimension médicale, comme objet d’étude (Fabre, 1993) ? Comment la contagion affecte-t-elle les comportements élémentaires du quotidien et les rapports de classes ? Quelles pratiques socio-spatiales d’exclusion et d’isolement les épidémies suscitent-elles ? De pair avec l’édification de frontières de cantonnements, la contagion participe à la formation ou à la consolidation d’identités sociales : la constitution des homosexuels comme groupe à risques au début de l’épidémie du sida a permis à la fois de canaliser les peurs collectives et l’émergence d’un militantisme qui a su jouer du retournement des stigmates et des transformations du pouvoir médical (Dodier, 2003). Aussi arrive-t-il qu’à l’examen scientifique et clinique se mêlent des interprétations morales à propos d’une maladie contagieuse, souvent perçue comme une sanction divine (Sontag, 2009).

De là, il s’agirait alors de discerner les manières dont microbes et virus sont producteurs de social. Gabriel Tarde établissait un parallèle entre la progression discontinue des épidémies morbides, frappant certains lieux, en épargnant d’autres, et la diffusion des insurrections populaires, qui se répandent de ville en ville (Tarde, 1895). Il se réfère notamment aux « épidémies de pénitence » qui, dans le sillage de la peste, se développèrent à la fin du XVème siècle dans la Florence de Savonarole (Burckhardt, 1885), mais on peut aussi songer aux révoltes parisiennes des années 1830, dont le calendrier correspond aux épisodes de choléra (Chevalier, 1958).

Maladies animales et épizooties, épidémies, chocs microbiens favorisés par les migrations sont autant d’observatoires pour mettre à jour précisément les coproductions du social et du médical. Sur des perspectives historiques plus longues l’unification microbienne du continent eurasiatique autour de l’an mil, puis celle du monde avec les grandes conquêtes (Le Roy Ladurie, 1978 ; Diamond, 2000), doivent en tous les cas attirer notre attention sur l’articulation serrée des données biologiques, culturelles, écologiques, géographiques et géopolitiques, surtout à l’heure des débats sur la globalisation. L’anthropologie des religions n’est pas en reste, quand elle tend à lier la structuration des sociétés à la souillure et à la contagion du sacré, notamment à travers l’étude des rites de purification et des interdits alimentaires ou relatifs à l’hygiène (Frazer, 1906-1915 ; Douglas 1971). Dans un sens inverse, le cinéma de zombies ou de mort-vivants, tel que l’explorent les Horror Studies, fait de la contagion un motif à même de modéliser une société sur les vestiges de laquelle quelques survivants se fédèrent dans l’exclusion de minorités « dégénérées et déviantes » (Thoret, 2007). 

Quelles entités sociales le concept de contagion permet-il de penser ?

Le modèle de la « contagion des idées », développé dans les travaux de Dan Sperber (1996), pourra servir ici de point de départ. Il repose en effet sur les analogies entre la manière dont une maladie se répand et les modalités de circulation de schèmes de pensée qui, par transmission au sein d’un groupe, aboutissent à la formation d’une même disposition d’esprit et de croyances communes (Lynch, 1996). Ce qui était au départ l’idée d’un individu se propage à d’autres individus. Cette diffusion est censée créer non seulement des représentations collectives, mais aussi de nouvelles entités sociales qui n’existaient pas auparavant, lorsqu’un seul individu était en possession de ce savoir ou de ce raisonnement. Au fond la question serait de savoir si la contagion ne servirait pas de fondement à une théorie individualiste de l’origine du social. Ce numéro se consacrera en partie à un nouvel examen et à une clarification du modèle de la contagion comme description du social : à quel type d’entités sociales de telles contagions peuvent donner naissance ? et dans quelle mesure ces entités collectives influencent en retour ceux qui en font partie ?  

Un détour historique par la psychologie des foules de la fin du XIXème siècle éclairerait certainement la question de la pertinence de la contagion en sciences sociales. Pour la psychologie sociale de la Belle Époque, le collectif constitué par contagion peut être une foule. Ses membres, interchangeables, y sont mus par des émotions fédératrices et engagés les uns avec les autres dans des contacts physiques propres à accélérer des phénomènes de contagion dont le caractère imprévisible et irrationnel a souvent été perçu comme potentiellement destructeur pour l’ordre social (Le Bon, 1895 ; Bosc, 2007). Ces entités collectives sont également à l’origine de publics, entendus comme des rassemblements indéfiniment extensibles, nettement moins marqués par une certaine irrationalité, mais dont la cohésion est fondée sur des liens plus lâches (Tarde, 1901 ; Joseph, 2001). Ces exemples semblent montrer que la contagion permet avant tout de penser l’association éphémère d’individus, la diffusion de certaines pensées et de certaines émotions, mais non l’origine d’institutions ou d’entités sociales durables. Pourtant, parler de contagion et de contamination semble pertinent pour aborder certaines pratiques contemporaines liées aux réseaux sociaux, qui pourraient bien instituer de nouvelles normes sociales nées d’une diffusion contagieuse.

Contagion, mimétisme et rationalité

De ce point de vue, on peut constater que les études sur les mouvements sociaux ont eu tendance à insister sur la rationalité et les stratégies conscientes de leurs acteurs, délaissant ainsi certains phénomènes de synergie comme les modes, les rumeurs, les paniques, qui se développent de manière inintentionnelle et spontanée et font souvent apparaître après coup des liens de capillarité, des réseaux impensés et a priori insoupçonnables. Comme l’écrit Daniel Céfaï, « les théories de l’espace public sont aujourd’hui obnubilées par l’exercice d’une raison publique dans des activités délibératives et participatives et tendent à ignorer ces phénomènes qui, massivement, continuent de régir l’opinion publique et de nourrir l’action collective » (Céfaï, 2007, p.110-111).

Durkheim mettait en garde contre une utilisation irraisonnée du terme de contagion, souvent confondu avec la notion d’imitation, tout en précisant que celle-ci ne peut être le résultat d’une contagion que si, une fois suscitée de l’extérieur, elle se produit de manière automatique et non volontaire chez un sujet ne pouvant pas lui résister (Durkheim, 1897). L’imitation et le mimétisme suffisent-ils  donc à épuiser l’usage de la notion de contagion pour expliquer les phénomènes collectifs ? Ainsi le célèbre adage, « Plus on est de fous, plus on rit », illustrerait au besoin non seulement le caractère contagieux du rire, voire de la folie (Dugas, 1902 ; Halberstadt, 1906), mais aussi la force d’entraînement du groupe dans la propagation des sentiments et des émotions. Difficile dans ce genre de situation de distinguer ce qui relève de l’automatisme pur et de l’absence d’intentionnalité, donc de la contagion, d’une imitation délibérée visant à se conformer au collectif.

Peut-on alors invoquer un phénomène de contagion dès lors qu’intervient la rationalité des êtres qu’il touche ? Quelle place assigne-t-on alors au modèle de la contagion dans l’analyse d’une rationalité publique ? Est-ce seulement compatible avec cette dernière, alors que la notion de contagion ne semble attribuer qu’une grande passivité à des acteurs au fond moutonniers ? Comment prendre en compte alors les manœuvres d’esquive, de contournement, de résistance des sujets à ces mouvements sociaux ? De manière plus générale, doit-on analyser ces phénomènes de contagion du point de vue de leurs conditions (neuronales par exemple, si l’on pense aux neurones miroirs qui seraient à l’origine de certains mimétismes), de leurs effets (psychologiques notamment, si l’on pense aux phénomènes d’empathies collectives après les catastrophes) ou du point de vue de leur possible traitement ? 

Contagions et médias

Une piste possible en vue d’une épidémiologie des idéologies et des représentations est donc de ne pas esquiver celle des discours dans ce qu’ils ont de contextualisés, d’incarnés, de médiatisés. Derrière l’immédiateté déconcertante de la contagion, ne doit-on pas débusquer les vecteurs et les médias de sa propagation ? La seule proximité physique et interpersonnelle suffit-elle à expliquer par exemple la diffusion d’une innovation sociale ou technique (Burt, 1987) ?

Pour comprendre leurs modes de transmission, il importe d’expliquer l’efficacité du discours et des médias dans leurs modalités concrètes. Voltaire n’oubliait pas de souligner que si le fanatisme était une maladie épidémique, sa propagation était largement facilitée par une diffusion orale plutôt qu’écrite, car la lecture garantissait davantage l’exercice de la raison (Voltaire, 1993 ; Wenger, 2007). L’application du terme à la diffusion et à la communication du discours est donc cruciale : la contagion permet-elle de penser rigoureusement la communication de masse – point bien souvent éludé par la théorie linguistique ou littéraire ? La rhétorique post-tridentine au cœur de l’émotivité baroque (Roussin, 1998) aussi bien que l’esthétique la plus contemporaine (Hanna, 2002) retraitent ce topos de la contagion ou du virus pour penser la quasi-immédiateté organique et cognitive de l’impact discursif et de la puissance toxique de la parole. Cet aspect médiologique est d’autant moins à négliger concernant l’opinion publique, la rumeur et l’effervescence collective (Mariot, 2001), que les médias tendent de plus en plus à s’effacer dans une immédiateté virtuelle.

Il conviendra ainsi d’appréhender non seulement les canaux par lesquels les idées « contagieuses » se répandent, comme les médias traditionnels (presse écrite, radio, etc.) ou les nouvelles technologies de la communication, mais aussi la façon dont elles « prennent corps » dans des mouvements souvent labiles et diffus qui, en l’absence de plan préconçu, s’auto-alimentent et se propagent. À cet égard, à mi-chemin entre pratiques protestataires et communautés virtuelles, les flash mobs (ou mobilisations éclair) – ces rassemblements rapides et provisoires réalisés dans des lieux publics -, qui parient sur un certain effet d’entraînement, paraissent emblématiques de nouvelles formes d’affiliation permises par internet (Rheingold, 2002 ; Wasik, 2009). C’est d’ailleurs au sein du réseau informatique mondialisé, avec ses virus et ses spams, que le modèle de la contagion trouve depuis quelques années les applications les plus nombreuses, que ce soit dans le domaine du hacking ou du « marketing viral » (Parikka, 2007 ; Parikka, Sampson, 2009 ; Mellet, 2009).

Les dimensions biopolitiques de la contagion

La récente campagne de vaccination pour la grippe H1N1 a été l’occasion de mettre en exergue la diversité et l’enchevêtrement des acteurs et des enjeux impliqués (économiques, technologiques, médicaux, sanitaires et politiques). L’analyse des querelles d’experts autour des pandémies témoigne en effet à la fois de l’hétérogénéité des acteurs et des ajustements nécessaires entre eux dans des sociétés où les frontières entre humains et non-humains, que l’on croyait stables et étanches, doivent se recomposer sous l’effet de contagions de masse (Latour, 1984 ; Keck, 2010). Plus largement, une affaire comme celle, retentissante, du sang contaminé, a montré la complexité des prises de décision et l’ampleur des responsabilités dans ce qu’on a coutume d’appeler des forums hybrides où la décision politique est diluée (Barthe, Callon, Lascoumes, 2001 ; Fillion, 2009). Dans de toutes autres proportions, l’usage d’armes bio-terroristes, sous forme de micro-organismes pathogènes diffusés volontairement au sein de la population, constitue une menace insidieuse dans l’exacte mesure où en faisant du malade une arme en voie de germination, elle déborde les cadres classiques du conflit international et contraint à une redistributiuon de ses cartes. C’est pourquoi les États et, au-delà, la communauté internationale tentent de se prémunir de ce délit de contagion à grande échelle en échafaudant des dispositifs de prévention fondés sur des scénarios-catastrophes (Enemark, 2007 ; Collier et Lakoff, 2008).

Sommes-nous face à une forme radicale de la biopolitique, que Foucault, et à sa suite, Negri et Agamben ont développée, entendue comme ce stade de la politique qui a pris pour objet la vie des individus ? Un philosophe comme Roberto Esposito, sans donner tout à fait carrière à la notion de contagion, propose une relecture de la modernité politique, où la notion d’immunité est pourtant centrale. La modernité politique, reposant sur une conception de la liberté comme sécurité, s’appuierait sur un individu à protéger de ses voisins et sur des sociétés si sociophobes qu’elles se fédèrent dans un front commun immunitaire contre les menaces extérieures auxquelles elles sont constitutivement exposées (Esposito, 2010). Les notions de contagion et de contamination permettent-elles de mettre en perspective ces mécanismes d’autodéfense ? Quelles formes prennent-ils ? Les politiques migratoires et sécuritaires mises en place dans les démocraties occidentales depuis la fin du XXème siècle, par exemple, correspondent-elles à ce schéma qui rappelle la logique du cordon sanitaire, visant à se défendre contre une extériorité jugée dangereuse ?

En définitive, ce numéro entend explorer les notions de contagion et de contamination de manière à la fois empirique et théorique, en mobilisant des objets d’études comme les maladies épidémiques ou liés à l’usage de la contagion dans l’épistémologie des sciences sociales. A terme, ce numéro traquera ce qui peut les articuler ou au contraire les séparer.

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Nous le rappelons à chaque numéro : l’appel à contribution n’a en aucun cas valeur d’obligation. Il a simplement vocation à suggérer aux rédacteurs potentiels quelques pistes générales de réflexion, à leur rappeler également que la revue Tracés attend un propos analytique et argumenté.

Nous avons choisi de distinguer deux rubriques au sein des articles : une rubrique « analyses » et une rubrique « enquête ». Cette distinction a pour but de clarifier la démarche de l’article, étant entendu que la présentation de l’argumentation et les exigences de recevabilité ne sont pas les mêmes quand il s’agit d’un article seulement théorique ou quand il s’agit d’un article provenant d’une étude empirique.  

« Analyses »  

Cette rubrique regroupe des articles théoriques articulés autour d’un problème général, directement relié au thème du numéro. Les contributions doivent donc absolument comprendre une bibliographie appuyant la thèse centrale et permettant de justifier un ancrage théorique clairement annoncé. Devront de plus apparaître dans la proposition, de façon explicite, la thèse défendue et son lien direct avec le thème, les étapes de l’argumentation et un positionnement par rapport au traitement du même thème dans d’autres disciplines. Ces articles peuvent aussi bien être des commentaires de l’œuvre d’un auteur en particulier, que des travaux d’histoire de « seconde main », par exemple.  

« Enquêtes »  

Cette rubrique attend des contributions empiriques. Il est donc impératif de préciser le terrain qui fonde l’argumentation. Par exemple, dans un article d’histoire appuyé sur des sources, il est nécessaire de présenter le corpus. La méthode employée, à la fois pour recueillir et interpréter les données, devra aussi être justifiée. Par exemple, qu’apporte une méthode qualitative au traitement du problème, par rapport à une méthode quantitative ? Le choix d’une méthode va souvent de pair avec un ancrage théorique. L’articulation entre ces deux dimensions devra aussi apparaître. Ces contraintes ne doivent pas conduire à un simple exposé monographique. La contribution devra clairement rattacher le terrain au thème du numéro, en annonçant la thèse générale que permet d’énoncer le travail empirique.  

« Notes » 

Nous retenons au moins trois types de contributions : les recensions de parutions récentes, des notes critiques sur un ouvrage en particulier ou sur une controverse scientifique, la mise en lumière de travaux méconnus en France. Les recensions d’ouvrages publiés hors de France sont naturellement bienvenues. 

« Traductions » 

Tout contributeur peut proposer une traduction en lien avec le thème, accompagnée d’une présentation. L’objectif doit être de diffuser un texte majeur (article ou extrait d’ouvrage) sur les problématiques du numéro mais inédit en français et donc peu ou pas connu en France. La proposition sera cependant soumise à l’évaluation du comité de lecture. 

« Entretiens » 

Les contributeurs qui souhaiteraient réaliser un entretien sont invités à prendre contact directement avec le comité de rédaction  redactraces@listes.ens-lyon.fr . Il est donc demandé aux contributeurs de bien préciser pour quelle rubrique l’article est proposé.

NB1 : L’insertion d’images et de supports iconographiques est possible dans un nombre limité (Précisez-le dans votre déclaration d’intention).

NB2 : Les articles envoyés à la revue Tracés doivent être des articles originaux. L'auteur s'engage à réserver l'exclusivité de sa proposition à Tracés jusqu'à ce que l'avis du comité de lecture soit rendu. Il s'engage également à ne pas retirer son article une fois que la publication a été acceptée et que l'article a été retravaillé en fonction des commentaires des lecteurs.

Les rédacteurs devront envoyer leur contribution (jusqu’à 30 000 signes pour les articles, et jusqu’à 20 000 signes pour les notes ; le nombre de signes inclut les espaces et les notes mais pas la bibliographie)

avant le 24 décembre 2010

à l’adresse suivante : redactraces@listes.ens-lyon.fr.

Une réponse motivée, argumentée quant à l’acceptation ou non pour publication est envoyée à l’auteur après le travail de lecture et la délibération des membres du comité de lecture. En cas de réponse positive, l’auteur peut être invité à amender et à retravailler son texte en fonction des remarques suggérées par les lecteurs.

Les rédacteurs doivent informer préalablement le comité de rédaction de Tracés de leur projet par courrier électronique en indiquant le titre de leur contribution, la rubrique dans laquelle ils le proposent, ainsi qu'un bref résumé du propos.

Nous demandons également aux contributeurs de tenir compte des recommandations en matière de présentation indiquées sur la page suivante de notre site : http://traces.revues.org/index103.html


Daten

  • Freitag, 24. Dezember 2010

Schlüsselwörter

  • contagion, contamination, épidémie, virus

Kontakt

  • Revue Tracés
    courriel : soumission-articles [dot] traces [at] groupes [dot] renater [dot] fr

Verweis-URLs

Informationsquelle

  • Florent Coste, Aurélien Robert, Adrien Minard ~
    courriel : florent [dot] coste [at] orange [dot] fr

Lizenz

CC0-1.0 Diese Anzeige wird unter den Bedingungen der Creative Commons CC0 1.0 Universell .

Zitierhinweise

« Contagion / contamination », Beitragsaufruf, Calenda, Veröffentlicht am Donnerstag, 20. Mai 2010, https://doi.org/10.58079/gg1

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