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Calenda - Le calendrier des lettres et sciences humaines et sociales

Faire la science de l'irrationnel

Autour de la question des formes de rationalité en sciences sociales

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Publié le mercredi 08 septembre 2010

Résumé

Les ateliers thématiques en philosophie sociale, organisés par le laboratoire logiques de l'agir de l'université de Franche-Comté, démarrent leur seconde année par une thématique axée sur l'idée du rationnel et de l'irrationnel en sciences sociales. Les doctorants et jeunes chercheurs en philosophie, mais aussi en sociologie, ethnologie/anthropologie, histoire ou encore en économie, sont invités à venir discuter de leurs recherches lors de ces ateliers.

Annonce

Ateliers de philosophie sociale, Université de Franche-Comté

3 novembre 2010.

Dans la mesure où elles se donnent pour objet de rendre compte des comportements humains, les sciences sociales se heurtent inéluctablement à la question de l’irrationalité : c’est précisément parce qu’une partie des faits et gestes des acteurs sociaux paraît inutile, incompréhensible, ou même franchement absurde que nous avons besoin pour les expliquer d’outils qui rompent avec le sens commun, et qui permettent d’adopter un autre point de vue sur les croyances et les habitudes qui nous choquent. Mais si cette conscience critique de l’irrationalité fournit un puissant stimulant à l’enquête sociologique, anthropologique ou psychologique, sa place à l’intérieur du discours scientifique pose problème : expliquer un comportement, n’est-ce pas toujours montrer que par-delà les apparences, il contient une forme de rationalité insoupçonnée ? Autrement dit, toute explication ne domestique-t-elle pas inéluctablement l’irrationalité qu’elle prétendait analyser ?

Envisagée dans cette perspective, l’histoire des sciences sociales fait apparaître deux mouvements complémentaires, qui déplacent de deux manières différentes les frontières de la rationalité. D’abord, un ensemble important de travaux en économie et en sociologie a permis de montrer que dans toute une série de comportements qui semblaient jusqu’alors étrangers à la rationalité économique, les individus obéissaient en réalité à un calcul d’intérêt comparable à celui qui entre en jeu dans le domaine du marché (la théorie de l’acteur rationnel, théorie du capital humain, etc.). La question qui se pose est alors de savoir jusqu’où on peut pousser ce modèle : est-il capable de prendre en charge l’ensemble des actions sociales ? Et tout ce qu’il ne parvient pas à expliquer doit-il être considéré comme irrationnel ?

Ces interrogations sont justement au cœur de la seconde manière d’aborder la question des limites de la rationalité dans les sciences sociales, qui consiste quant à elle à retravailler les critères qui nous permettent de tracer le partage entre le rationnel et l’irrationnel. Avec Comte, puis Durkheim, la sociologie naît de la volonté d’expliquer des comportements irréductibles à la rationalité calculatrice individuelle qui servait de principe à l’économie politique. Dans la continuité de ce projet, l’importance d’un livre comme l’Essai sur le don ne tient-elle pas à ce que Mauss y met en évidence une logique hétérogène à celle qui régit les échanges marchands ? Parallèlement, dans la tradition allemande, Max Weber identifie au sein du champ des actions socialement orientées un conflit entre deux types de rationalité irréductibles l’une à l’autre : la rationalité en valeur et la rationalité en finalité. Dès lors, le jugement porté sur la rationalité d’une action ne révèle-t-il pas avant tout l’accord ou le décalage qui existe entre la conception de la raison propre à l’observateur et celle qui est mise en œuvre par les acteurs dans leurs pratiques ? La question se pose de manière d’autant plus aiguë que dans L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, Weber montre que la modernité peut être lue comme le triomphe progressif d’une forme très particulière de rationalité calculatrice, qui, en dépit de l’évidence qu’elle a désormais pour nous, est profondément étrangère à la plupart des époques de l’histoire.

Parce qu’elle prend pour objet des cultures très différentes de celle de l’enquêteur, l’anthropologie se trouve confrontée de manière plus frontale encore à l’exigence d’interroger les critères de la rationalité : les mythes, les coutumes et les croyances des sociétés dites « primitives » doivent-ils être jugés en fonction de nos standards de rationalité, ou possèdent-ils une logique différente de celle que nous mettons en œuvre dans la science ? En faisant de la science moderne le modèle de la rationalité, l’évolutionnisme a été conduit à voir dans les cultures les plus éloignées de la nôtre une pensée enfantine. Mais à l’inverse, la volonté de définir une logique hétérogène à celle des sociétés modernes en donnant la primauté à l’affectivité a amené Lévy-Bruhl à creuser entre notre mentalité « scientifique » et une mentalité « prélogique » un fossé infranchissable. Comment échapper à ce dilemme ? Faut-il se contenter de déconstruire les conceptions de la raison sur lesquelles se fonde ce « grand partage », ou peut-on – comme l’anthropologie structurale et l’anthropologie cognitive cherchent à le faire par des voies différentes – apporter une contribution positive à la compréhension de l’esprit humain en partant des « croyances apparemment irrationnelles » (Sperber) ?

Enfin, il est évident que dans la définition de la rationalité, la psychologie, la psychiatrie et la psychanalyse occupent une place centrale : n’est-ce pas de leur prétention à être des « sciences de l’irrationnel » qu’elles tirent l’autorité qui, sous des formes diverses, leur est reconnue pour traiter les maladies mentales ? Les travaux de Michel Foucault ont marqué le point de départ de toute une série d’études critiques consacrées à interroger la dimension normative du partage entre la raison et la folie : dans L’Histoire de la folie puis dans ses cours au collège de France, il a mis en évidence la manière dont la psychiatrie a cherché, pendant tout le XIXe siècle, à transformer un ensemble de jugements moraux en un savoir homogène au reste du discours médical. Bien avant l’essor de cette généalogie des disciplines psychologiques, la psychanalyse a elle aussi été une manière de remettre en cause l’opposition du rationnel et de l’irrationnel : ainsi, la rupture introduite par Freud a consisté à montrer qu’un ensemble de phénomènes psychiques qui étaient jusqu’alors considérés comme aberrants (rêve, lapsus, névroses, etc.) devaient être traitées comme des productions signifiantes de l’inconscient, et qu’on pouvait renouveler à partir de ces résultats l’étude de nombreux domaines de la culture.

C’est sur ces processus multiples de redéfinition de la rationalité que cette journée aimerait faire le point, en rassemblant des interventions consacrées aux différentes disciplines relevant des sciences sociales au sens large (sociologie, anthropologie, psychologie, psychanalyse, économie) : quelles normes de rationalité chacune d’elles fait-elle jouer explicitement ou implicitement dans ses explications ? Quel sort chacune d’elles réserve à l’irrationnel ? L’objectif est de montrer que les sciences sociales ont été, et continuent d’être un laboratoire conceptuel dont la philosophie n’a pas toujours su prendre la mesure. Mais inversement, aborder les sciences sociales à travers ce questionnement permet également d’envisager une histoire critique de ces disciplines : l’enjeu de la définition de la rationalité n’est pas purement épistémologique, et on peut s’interroger sur le caractère arbitraire ou idéologique de la construction de normes qui sont directement employées pour catégoriser les comportements et les agents sociaux. Autrement dit, la définition de la raison peut-elle être refondue à la lumière des sciences sociales, ou la manière dont elles la font jouer n’exprime‑t‑elle qu’une série de découpages relatifs, symptomatiques de l’état de notre culture, et qu’il convient de déconstruire ?

Les propositions de communications doivent être envoyées avant le 6 octobre 2010 à :

Les détails pratiques vous seront communiqués lors de nos échanges par mail.

Lieux

  • rue Mégevand (université de Franche Comté)
    Besançon, France

Dates

  • mercredi 06 octobre 2010

Mots-clés

  • raison, irrationnel, besancon, philosophie

Contacts

  • Pierre Charbonnier
    courriel : pierre [dot] charbonnier [at] ehess [dot] fr

Source de l'information

  • Pierre Charbonnier
    courriel : pierre [dot] charbonnier [at] ehess [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Faire la science de l'irrationnel », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 08 septembre 2010, https://doi.org/10.58079/gt6

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