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Centenaire du CAP

One hundred years of the French CAP

Apprentissages professionnels, certifications scolaires et société

Vocational education and training, academic certifications and society

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Publié le vendredi 04 mars 2011

Résumé

Le XXe siècle a été le siècle des diplômes. Ils se sont imposés dans l’univers mental des jeunes et des familles comme la clé du destin professionnel et social. En France, la formation professionnelle initiale a participé à la diffusion de cette « culture du diplôme » dans la société, et notamment en milieux populaires ; mais aujourd’hui, la possession d’un diplôme professionnel « de base » est perçue comme un signe d’échec ou de disqualification sociale. Pour mieux appréhender ces paradoxes, un colloque international est organisé à l’occasion du « centenaire du CAP » (Certificat d’aptitude professionnelle). L’appel à communication de ce colloque invite à s’en saisir en tant qu’objet politique, à interroger son public (d’hier et d’aujourd’hui), son rôle sur le marché du travail, sa diversité et à le comparer avec d’autres diplômes, nationaux ou étrangers…

Annonce

Colloque « Centenaire du CAP. Apprentissages professionnels, certifications scolaires et société » 18-20 octobre 2011 Gresco EA 3815/ MSHS Poitiers, en partenariat avec : le CURAPP-UMR 6054 et la DEP/Université de Picardie-Jules Verne, Amiens ; l’IUFM du Poitou-Charentes, Poitiers

Mise en perspective thématique

Le XXe siècle a été le siècle des diplômes. Ils se sont imposés dans l’univers mental des jeunes et des familles comme la clé du destin professionnel et social. Dans les années 1980, l’objectif de mener « 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat » (Beaud, 2002) conduit le gouvernement français — comme celui d’autres pays européens — à vouloir désormais la jeunesse bachelière. Même s’il n’a pas encore été atteint, ce projet est désormais supplanté par une nouvelle ambition : faire accéder 50 % d’une classe d’âge à une licence. De cette politique volontariste, engagée au nom des évolutions de l’emploi et du développement de l’économie de la connaissance, résulte un allongement du temps scolaire, et corrélativement de la jeunesse, qui fait de « l’étudiant » ou du « lycéen » le modèle juvénile normatif (Baudelot & Establet, 2000).

Plusieurs étapes ont toutefois été nécessaires pour aller de l’instruction obligatoire instituée par les lois Ferry à la fin du XIXe siècle à l’ambition de conduire 100 % d’une classe d’âge à un diplôme (Loi d’orientation de 1989). Il fallut tout d’abord que la population intériorise, de génération en génération, les « bienfaits sociaux » de l’École et de la formation. Bien qu’aucune mesure coercitive d’élévation de l’âge minimal de fin de scolarité n’ait été décidée depuis 1959, le mouvement d’allongement du temps scolaire n’a pas cessé depuis, preuve que la population s’est saisie du « fait scolaire ». Il fallut également que s’organise un processus d’unification de l’offre scolaire, de l’offre de diplômes (Brucy, 1998) et que se mettent en place moult réformes qui traduisent dans les institutions ce processus historique. C’est ainsi qu’entre 1965 et 1975, 2 354 collèges ont été bâtis, soit un par jour ouvrable pendant 10 ans. La suppression de l’examen d’entrée en sixième, la création des baccalauréats de technicien (1965), puis celle des Instituts universitaires de technologie (1966) ont complété cette première phase de « l’explosion scolaire ». La seconde, au milieu des années 1980, se concrétisera par la création du baccalauréat professionnel (Prost, 2002) et par l’accroissement des effectifs universitaires (Erlich, 1998). Certes, une minorité de jeunes échappent encore à cette scolarisation prolongée : soit ils quittent l’école dès la fin de la scolarité obligatoire, soit ils se « déscolarisent » avant (Millet & Thin, 2005). Mais la tendance est là : on ne se contente plus d’aller à l’école, on y reste.

Pourtant, ainsi décrit, le tableau occulte la contribution de l’enseignement professionnel à ce processus de scolarisation de la jeunesse (Maillard, 2005), contribution qui n’a été en grande partie possible qu’en raison de « la mise en école » ou de « la scolarisation » (Prost, 2004) des apprentissages. Entamé dès le lendemain de la guerre 1939-1945 avec la création des Centres d’apprentissage (Troger, 1990) — devenus ensuite Collèges d’enseignement technique (CET) puis Lycées professionnels (LP) —, l’apprentissage des métiers à l’école transformera le rapport à la scolarisation des milieux populaires, ouvriers et employés, (Terrail, 1984) et contribuera à imposer l’idée que la possession d’un diplôme est une norme d’accès au marché du travail. Même l’apprentissage en entreprise, longtemps rétif — si ce n’est opposé — à l’Ecole, apportera sa pierre à la diffusion des diplômes, en renonçant à ses certifications « maisons », comme l’Examen de fin d’apprentissage artisanal (EFAA), au profit du Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) (Suteau, 2011), en acceptant une plus grande tutelle de l’Education nationale (loi de 1971) et en ouvrant sa panoplie de diplômes, jusque là cantonnée au CAP, à l’ensemble des diplômes professionnels et techniques (Moreau, 2003). Or, cette contribution de la formation professionnelle à l’expansion scolaire a souvent été omise au profit d’analyses exclusivement centrées sur la voie générale de scolarisation. De plus, elle conduit à une situation singulière : alors que le lycée professionnel et l’apprentissage en entreprise ont participé à la diffusion d’une « culture du diplôme » dans la société et notamment en milieux populaires, la possession d’un diplôme professionnel « de base » est souvent perçue aujourd’hui comme un signe d’échec ou de disqualification sociale. Cette dévalorisation est également sensible dans le monde du travail, où la reconnaissance des diplômes subit d’importantes variations.

Le tournant s’est opéré dans les années 1970, au plus fort de la première expansion scolaire. Alors que l’accès aux Centres d’apprentissage puis aux CET d’hier était réglementé par un concours (Pelpel & Troger, 1993), la suppression définitive des examens d’entrée en 1967 les a fait basculer peu à peu dans un régime de relégation scolaire (Grignon, 1971). De malthusien, l’enseignement professionnel devient enseignement de masse, vers lequel sont dirigés les élèves dont les résultats scolaires et/ou les comportements sont jugés incompatibles avec les exigences de la filière générale (Maillard, 2005). Du coup, les diplômes professionnels de niveau V (CAP et BEP) deviennent les diplômes à éviter (Beaud & Pialoux, 1999) et sont inscrits dans une hiérarchisation qui les place irrémédiablement en bas de l’échelle. Pire, la volonté de conduire 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat fait de celui-ci la norme et les diplômes inférieurs, comme le CAP ou le BEP (Brevet d’études professionnelles), des « parias » du système de formation (Tanguy, 1991).

La sociologie et les sciences de l’éducation tendent à inscrire ces transformations scolaires dans une vision hiérarchique, et donc unilinéaire, des diplômes et des savoirs. Il en résulte des recherches qui trop souvent n’envisagent la scolarisation dans la voie professionnelle que comme une modalité particulière d’un système d’orientation général. Avec pour effet une tendance à ne proposer qu’une vision « en creux » de cet univers, s’attachant à souligner uniquement les manques des élèves de LP ou des apprentis (Lahire, 1993 ; Jalaudin & Moreau, 1995). Cette linéarisation de l’espace scolaire et de l’espace des diplômes est renforcée par l’imposition de nomenclatures, comme la nomenclature interministérielle des niveaux de formation de 1969. Fondée sur le temps de formation nécessaire à l’acquisition du diplôme, cette nomenclature situe en effet le CAP, comme le BEP, en bas de la grille, imposant une stratification relativement éloignée du contenu des diplômes et de la place qu’ils occupent dans le système d’emploi (Tanguy, 2002). Cette approche unidimensionnelle et que l’on peut dire « scolarocentrée » est aussi à l’origine de la controverse sur « l’inflation des diplômes » (Duru-Bellat, 2006 ; Poullaouec, 2010), construite sur l’idée d’un excès de scolarisation. Dans ces conceptions des diplômes, de leurs publics et de leurs relations avec le système productif, peu de place est faite à la diversité des diplômes, des voies qui y conduisent ou aux populations qui les préparent.

Un colloque centré sur un diplôme emblématique : le CAP

Ce colloque, organisé à l’occasion du centenaire du CAP (Certificat d’aptitude professionnelle), cherche à prendre le contre-pied de ces perspectives établies en doxa. En prenant pour thème les diplômes professionnels « de base », et notamment le CAP, il ambitionne de déconstruire l’habituelle hiérarchisation pour tenter de « voir autrement ». Il ne s’agit pas de chercher à réhabiliter les « petits » diplômes professionnels, mais de contribuer à (ré)introduire ces diplômes dans l’analyse de l’espace de formation et de contrer ainsi une pente de la sociologie de l’éducation et des sciences sociales dont les recherches sont d’autant plus développées et fréquentes que le niveau de formation étudié est élevé (Caspard, 1989 ; Tanguy, 2000).

Plusieurs raisons président à l’attention que le colloque portera au CAP. Ce diplôme sera centenaire en 2011, ce qui dans l’univers des diplômes est relativement rare ; il est par ailleurs peu connu et étudié, alors qu’il a joué (et joue encore) un rôle fondamental dans la formation du salariat d’exécution, ouvriers et employés. Longtemps d’ailleurs, il fut un bien rare, synonyme de qualification professionnelle (Brucy 1998, Maillard, 2008a). Créé en 1911, sous le nom de CCP (Certification de capacité professionnelle), il prendra son appellation contemporaine en 1919, à l’occasion du vote de la loi Astier, qui pose le principe d’une formation professionnelle obligatoire de la jeunesse populaire (Thiercé, 1999 ; Suteau, 2002). Longtemps diplôme régional ou local, relativement atomisé, le CAP a mis du temps à devenir monnaie courante. Ainsi, en 1929, alors que 160 000 jeunes sont inscrits dans les cours professionnels de la loi Astier, seulement 7 000 obtiennent le CAP (Brucy, 1998). Ce diplôme gagnera pourtant progressivement ses lettres de noblesse, notamment sur le marché du travail, au point d’être en 1990 le diplôme le plus souvent cité dans les grilles de classification des conventions collectives (Jobert & Tallard, 1997).

Cette reconnaissance n’a pas empêché les mises en cause, souvent focalisées sur son obsolescence et ses liens avec des métiers en voie de disparition. Le CAP a ainsi plusieurs fois été menacé : en 1966, lors de la création du BEP, diplôme lui aussi de niveau V, mais pensé comme plus polyvalent et d’un meilleur niveau scolaire, et dont la mise en place devait conduire le CAP à rester cantonné dans la voie de l’apprentissage ; en 1985, lors de la mise en place dans les lycées professionnels du baccalauréat professionnel « à moyens constants », c’est-à-dire en fermant des sections de CAP. Ainsi, le taux d’accès d’une classe d’âge au CAP n’était plus que d’1,5 % en 1991, soit dix fois moins que dix ans plus tôt. Alors réfugié presque exclusivement dans l’apprentissage salarié, il se maintient à grand peine du fait de l’élévation par le haut de ce dispositif de formation (Moreau, 2008). Pourtant, le nouveau siècle annonce un nouvel intérêt pour le CAP : suite aux initiatives prises par le ministre Claude Allègre en 1998, il revient dans les lycées professionnels et n’a cessé depuis de reprendre du galon sous l’effet de politiques très volontaristes, contredisant les mesures prises pendant une vingtaine d’années. Aujourd’hui, sur un million d’élèves et d’apprentis formés dans la voie professionnelle (hors Brevet de technicien supérieur ou BTS), près de 300 000 préparent un CAP. C’est désormais son grand concurrent, le BEP, qui est menacé d’effacement par la généralisation de la préparation en trois ans du baccalauréat professionnel. Le CAP se retrouve ainsi au cœur de la réforme de la voie professionnelle engagée en 2007 : il doit former les jeunes qui souhaitent rapidement entrer dans la vie active ainsi que ceux qui n’auront pas le niveau suffisant pour préparer un bac pro, garantir l’accès à des métiers traditionnels ou à des activités en voie de professionnalisation, mais aussi mener plus directement au bac pro qu’auparavant. Outil de gestion des flux scolaires, diplôme de métier, certification intermédiaire à plusieurs bacs pros, diplôme de remédiation scolaire, diplôme à double finalité… il jouit d’une attention particulière de la part du ministère de l’Éducation nationale, qui lui attribue de nombreuses vertus.

Le présent appel à communications s’inscrit dans le cadre ainsi défini et plus particulièrement autour des quatre thématiques suivantes :

1. Le CAP comme objet politique

Les éléments parcellaires indiqués supra pourront être approfondis dans leur dimension sociohistorique, mais également pour la période contemporaine. Comment donner sens au renversement d’attitude des pouvoirs publics vis-à-vis du CAP au cours des dernières décennies ? Entre sa condamnation des années 1980 et sa réhabilitation — relative — du début du XXIe, s’opèrent des lectures différenciées de l’usage social du CAP. Si le ministère de l’Education nationale a sans nul doute son rôle dans ce retournement, il importera aussi de voir ce que celui-ci doit aux politiques des régions, dont les pouvoirs en termes de carte de formations se sont accrus (Berthet, 1999), mais également aux points de vue des entreprises, des branches professionnelles et des chambres consulaires, à la situation du marché du travail ou encore, au contenu même du CAP et aux curricula. Le colloque cherchera aussi à identifier les acteurs qui ont contribué ou contribuent à la longévité du CAP (et notamment les chefs d’établissements, les enseignants de lycée professionnel, les formateurs de Centre de formation d’apprentis (CFA) et les entreprises de certains secteurs d’activité). Il tentera également de voir si les métamorphoses du CAP s’articulent avec les changements en cours dans la conception des diplômes, aujourd’hui questionnée voire remise en cause par le développement de nouvelles certifications professionnelles comme les CQP (Certificats de qualification professionnelle) et transformée par la validation des acquis de l’expérience (VAE) (Neyrat, 2007 ; Maillard 2008b).

Le colloque s’intéressera aussi aux différentes spécialités du CAP, sachant que cohabitent des spécialités relevant de registres très distincts et que l’on en dénombrait encore 196 en 2009. Le poids de ces spécialités, leurs raisons d’être dans le système éducatif comme dans le système d’emploi devront être étudiés, la création et la suppression d’une spécialité résultant de compromis à l’initiative de différents acteurs. L’identification de nouveaux métiers, dans le secteur des services par exemple, a ainsi pu justifier le renouveau du CAP.

2. Le CAP dans l’espace des diplômes et des certifications professionnelles

Prenant position contre une vision unilinéaire des savoirs, ce colloque ne se contentera pas de construire un « champ » des diplômes qui rendrait compte de positions de domination. Il développera la comparaison avec le BEP, l’EFAA ou encore les BEI et BEC[1], concurrents historiques du CAP, ainsi qu’avec les autres certifications liées aux qualifications d’ouvriers et d’employés (CQP, titres du ministère de l’Emploi, etc.). Ces approches permettront de poser de manière diachronique la question de sa reconnaissance dans les rapports salariaux. D’autres comparaisons pourront être proposées dans une perspective internationale. La présentation des diplômes professionnels « de base » en vigueur dans d’autres pays sera bienvenue. Il serait ainsi intéressant de mettre en valeur les différentes conceptions développées dans les pays européens sur la question de la certification professionnelle, sachant qu’il existe désormais un Cadre européen des certifications professionnelles et que des ECVET (European Credit in Vocational Education and Training) doivent bientôt prendre place au sein de l’Union européenne. De nouveaux modes d’élaboration des diplômes et des certifications sont par conséquent à l’ordre du jour. S’ils imposent certaines ruptures dans la définition des diplômes en usage jusque-là au ministère de l’Éducation nationale français, ce n’est pas le cas pour tous les diplômes élaborés par l’État. Le colloque devrait permettre d’apporter de nouvelles connaissances sur les conceptions qui prévalent dans les différents ministères (Affaires sociales, Emploi, Jeunesse, Sports…) mais aussi dans les divers États européens. Il pourra également s’interroger sur la façon dont la mise en place de dispositifs de mesures, de comparaisons et de classements internationaux (type PISA) renforce la vision unilinéaire des savoirs, étouffe peu à peu les compétences, les savoirs implicites ou autochtones, et disqualifie de fait des savoirs professionnels difficilement hiérarchisables sur le plan scolaire, contribuant ainsi à rigidifier les écarts à la norme, mais aussi à les produire.

3. Le CAP et son public

L’intérêt du CAP, et ce qui constitue aussi son étrangeté par rapport à la plupart des diplômes et certifications existants, est d’attirer une grande variété de publics. C’est l’un des diplômes auxquels se présente l’une des parts les plus importantes de candidats à la VAE (validation des acquis de l’expérience), et qui rassemble également un très grand nombre de candidats libres[2] et de candidats passés par la formation continue. Autrement dit, malgré la multiplication des CQP et l’existence de nombreux titres à vocation professionnelle, le CAP continue d’être convoité par des individus et des entreprises. Son influence dans le système de formation dépasse très largement le territoire qu’il couvre au sein du système scolaire.

Dans cette perspective, le colloque incitera à faire une « sociographie du CAP » montrant son implication dans la société. Parfois invisible — parce que peu légitime scolairement — dans les trajectoires sociales de ceux qui en sont titulaires, le CAP doit être sorti de l’ombre pour mieux connaître, à l’échelle d’un territoire et/ou des différentes générations, son mode de recrutement, son poids, sa cartographie, son impact, son rôle dans les conventions collectives et son effet sur le marché du travail. Bien sûr, une telle analyse suppose, pour saisir comment ce diplôme se conjugue au pluriel, de différencier les CAP, suivant les secteurs d’activités, leur rareté, leur usage réglementé, etc. Il conviendra également d’insister sur « le genre du CAP ». Souvent présenté comme diplôme ouvrier et donc masculin et industriel, il s’est ouvert à la mixité dès l’entre-deux-guerres, via les formations commerciales notamment. Pour certains CAP, des études monographiques pourront être proposées. Mais associer un diplôme à ceux qui en sont porteurs implique également d’introduire dans la recherche le sens que ces titulaires lui accordent. On pourra ainsi s’interroger sur l’attitude des populations migrantes face aux diplômes « de base », sachant qu’ils forment un grand nombre de « primo-arrivants » et de jeunes dont les parents sont d’origine étrangère. Diplôme « faute de mieux » pour certains, diplôme rêvé pour d’autres, diplôme camouflé parfois, le CAP occupe sans doute dans les milieux sociaux et les histoires biographiques des positionnements singuliers qu’il faudra explorer pour tenter d’expliquer la relation entre le rôle emblématique qu’il a joué dans le passé en tant que certification ouvrière ou employée de haut niveau et la persistance de sa reconnaissance dans l’imaginaire collectif, notamment dans les milieux populaires, malgré sa dévalorisation scolaire et marchande.

Le colloque s’efforcera donc de lire le CAP « à partir du bas ». Il s’agira ainsi de le penser non plus comme le « dernier » des diplômes, mais au contraire comme un diplôme « premier » (Brucy, 1998), au double sens où son ancienneté et son importance marquent notre histoire contemporaine, et où il constitue le premier — et parfois le seul — diplôme détenu par les individus.

4. Le CAP et le marché du travail

Mis en cause dans les années 1980 pour son archaïsme et ses liens avec des métiers en voie de disparition, le CAP est néanmoins resté un diplôme de référence dans plusieurs secteurs d’activité ou métiers tels que le bâtiment, la réparation automobile, la coiffure, le commerce ou les métiers de bouche, etc. Il a également été utilisé par le ministère de l’Éducation nationale et certains groupements d’employeurs comme un instrument de construction de la qualification professionnelle, au profit d’emplois émergents ou en voie de professionnalisation. Cela a été le cas pour les assistantes maternelles, les agents de médiation ou les gardiens d’immeubles, mais aussi pour divers emplois ouvriers soumis à des reconfigurations. Tout en faisant du CAP le plus « petit » diplôme de l’Éducation nationale et en l’associant à la remédiation scolaire, le ministère a ainsi maintenu une politique de création et de renouvellement des spécialités, avant de réhabiliter le diplôme (via un nouveau décret publié en 2002) et de lui attribuer une vocation « d’excellence professionnelle ».

La recrudescence du nombre d’emplois non qualifiés, en particulier dans le secteur des services, met cependant en cause les liens historiquement construits entre le diplôme et la qualification professionnelle. Si la détention du diplôme représente un atout pour accéder à l’emploi ou à un concours de la fonction publique, sa valeur d’échange et sa valeur d’usage semblent s’être considérablement affaiblies. Cette évolution invite à interroger l’utilisation que les entreprises font du diplôme et à identifier la place qu’elles lui octroient, y compris dans son articulation avec l’idée de « métier ». Le colloque abordera ainsi le fonctionnement du marché du travail pour montrer les liens établis, comme ceux qui se renouvellent, entre le CAP, les métiers, et les emplois auxquels il conduit. Dans la mesure où l’élévation générale du niveau d’éducation produit certains effets de substitution entre les diplômes, il s’agira d’éclairer les modes d’appel au CAP et d’élucider ses liens actuels avec la qualification, y compris au sein des conventions collectives, puisque le CAP servit en 1936 de référence pour définir l’ouvrier professionnel.

Les quatre dimensions de ce colloque international, si elles peuvent être étudiées séparément, posent de façon transversale tout un lot de questions qui dépassent la sociologie de l’école et s’inscrivent dans une sociologie générale à la croisée de plusieurs thèmes de recherche : la socialisation, la jeunesse, la formation professionnelle, le travail ou encore les savoirs, en France et ailleurs. Ainsi, « l’entrée CAP » interroge conjointement le rapport sociétal au savoir, la formation professionnelle, l’apprentissage des métiers, les liens entre diplômes et qualifications, la « fabrication des aptitudes » (Stroobants, 1993), l’insertion professionnelle, mais aussi les représentations et la hiérarchisation de la société, la division du travail, les rapports salariaux ou les inégalités sociales. A partir de ce « modeste » objet, le colloque invitera à s’interroger plus largement sur la construction sociale de la disqualification des savoirs concrets. Se demander comment et en quoi le CAP a pu et pourrait contribuer à construire un autre rapport à l’école, au savoir et à la qualification en milieux populaires, à favoriser — ou non — la stabilisation sur le marché du travail, à construire les identités de métiers, voire les identités sociales de ceux et celles qui en sont titulaires. Ce colloque devrait ainsi conduire à voir en quoi avoir un diplôme, même « petit », fait sens dans la société ; en quoi il peut contribuer à la promotion sociale ; en quoi, au contraire, n’avoir « que » le CAP segmente la jeunesse et contribue à renforcer les inégalités ; en quoi, au final, les savoirs professionnels peuvent être « mis en école » et les savoirs scolaires « mis en profession ». En un mot, « penser le CAP », c’est poser la question de l’articulation entre apprentissages professionnels, certifications scolaires et société.

Modalités de soumission

Ce colloque à dominante historique et sociologique se veut néanmoins ouvert à d’autres disciplines.

Les propositions de communication, de 4 000 signes maximum, devront être adressées à gilles.moreau@univ-poitiers.fr

au plus tard le 15 mai 2011

Elles devront répondre aux normes suivantes :

  • Nom, prénom du ou des auteurs
  • Statut(s) et institution(s) de rattachement
  • Adresse(s) de messagerie
  • Titre de la communication proposée
  • Résumé de la proposition, de 4 000 signes au plus.

Langues : français ou anglais

Les auteurs des propositions retenues par le comité scientifique seront informés le 20 juin 2011 au plus tard. Ils devront ensuite faire parvenir le texte complet de leur communication avant le 15 septembre 2011.

Comité d’organisation :

  • Gilles Moreau (GRESCO, Université de Poitiers),
  • Fabienne Maillard (CURAPP, Université de Pïcardie-Jules Verne),
  • Guy Brucy (Université de Picardie-Jules Verne)

Comité scientifique :

  • Balas Stéphane (DGESCO, Ministère de l’Education nationale),
  • Baudelot Christian (Centre Maurice Halbwachs, ENS Ulm),
  • Brucy Guy (Université d’Amiens),
  • Granato Mona (BIBB, Bonn),
  • Imdorf Christian (Institut für Soziologie de Bâle),
  • Kergoat Prisca (CERTOP, Université d’Albi),
  • Maillard Fabienne (CURAPP, Université d’Amiens),
  • Moreau Gilles (GRESCO, Université de Poitiers),
  • Peytavi Hélène (DGESCO, Ministère de l’Education nationale),
  • Poullaouec Tristan (CENS, Université de Nantes),
  • Quenson Emmanuel (Centre Pierre Naville, Université d’Evry),
  • Fanny Renard (GRESCO, IUFM Poitou-Charentes),
  • Tanguy Lucie (CNRS, Université de Nanterre),
  • Thivend Marianne (Centre Pierre Léon, Université de Lyon),
  • Troger Vincent (CREN, Université de Nantes),
  • Waardenburg George (Université de Genève et Institut für Soziologie de Bâle).

BIBLIOGRAPHIE CITEE :

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Beaud S., 2002, 80 % au bac… et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, Paris, La Découverte.

Beaud S., Pialoux M., 1999, Retour sur le condition ouvrière, Paris, Fayard.

Berthet T., 1999, Les régions et la formation professionnelle, Paris, LGDJ.

Brucy G., 1998, Histoire des diplômes de l’enseignement technique et professionnel (1880-1965), Paris, Belin.

Caspard P., 1989, « Un chantier déserté : l’histoire de l’enseignement technique », Formation-emploi, n° 27-28, p. 193-199.

Duru-Bellat M., 2006, L’inflation scolaire, Paris, Le Seuil.

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Grignon C., 1971, L’ordre des choses, Paris, Minuit.

Jalaudin C., Moreau G., 1995, « L’envers de l’écran, préférences cinématographiques des jeunes de lycée professionnel », Sociétés contemporaines, n° 21, p. 43-55.

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[1] BEI : Brevet d’enseignement industriel ; BEC : Brevet d’enseignement commercial.

[2] Qui se présentent à l’examen sans être inscrits dans un lycée professionnel ou un centre de formation d’apprentis

Catégories

Lieux

  • Poitiers, France

Dates

  • dimanche 15 mai 2011

Mots-clés

  • sociologie des diplômes, formation professionnelle

Contacts

  • Moreau Gilles
    courriel : gilles [dot] moreau [at] univ-poitiers [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Fanny Renard
    courriel : colloque [dot] consecration [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Centenaire du CAP », Appel à contribution, Calenda, Publié le vendredi 04 mars 2011, https://doi.org/10.58079/hyq

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