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Calenda - Le calendrier des lettres et sciences humaines et sociales

Pratiques et statuts de la création musicale

Practices and statuses of musical creation

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Publié le vendredi 11 mars 2011

Résumé

Les Journées d'études internationales « pratiques et statuts de la création musicale » sont conçues comme des ateliers réunissant les membres du programme ANR GLOBAMUS (http://www.globalmus.net) et des chercheurs extérieurs invités autour des deux thématiques suivantes : 1) les pratiques de la création musicale ; 2) les régimes d'autorité : usages locaux et droits (inter)nationaux.

Annonce

Programme

MERCREDI 24 MARS, AMPHITHÉÂTRE DE L'INHA (2 RUE VIVIENNE, 75002 PARIS)

9h30 Emmanuelle Olivier (CNRS, CRAL) : Introduction

Session 1 : Les régimes d’autorité (1)

Présidence : Denis-Constant Martin

10h Pierre-Michel Menger (CNRS-EHESS, CESPRA)

L’œuvre musicale, sa production et sa carrière. Clôture, instabilité et conflits d’autorité.

10h45 Emmanuelle Olivier (CNRS, CRAL)

De l’auteur aux régimes d’autorité. Réflexion à partir de quelques exemples maliens contemporains.

11h30 Pause

11h45 Ulrike Hanna Meinhof (Univ. Southampton)

« Have you come to take our songs? » Issues of creative ownership in rural Madagascar.

12h30 Julien Mallet (IRD, URMIS) et Guillaume Samson (Pôle Régional des Musiques Actuelles de la Réunion)

Droits d’auteur, bien commun et création. Tensions et recompositions à Madagascar et à La Réunion.

13h15 Déjeuner

Session 2 : Les régimes d’autorité (2)

Présidence : Esteban Buch

15h00 Jean-Paul Fourmentraux (Univ. Lille 3)

L’auteur à l’épreuve d’Internet : artistes, programmeurs, créations collectives et œuvres (in)achevées.

15h45 Juan Paulhiac (Université Paris 8, EDESTA)

« On te casse les disques sur la figure ! ». Méthodes informelles de protection des droits d’exploitation discographique dans le marché musical de la champeta à Cartagena.

16h30 Pause

16h45 Élina Djebbari (EHESS, CRAL)

Voler et donner : propriété et appropriation chez les artistes de Ballet au Mali.

17h30 Discussion générale

18h Cocktail

JEUDI 24 MARS, Amphithéâtre de l'EHESS (105 bd Raspail, 75006, Paris)

Session 2 : Les pratiques de la création musicale (1)

Présidence : Julien Mallet

9h30 Esteban Buch (EHESS, CRAL)

Création ou découverte ? À propos d'un débat philosophique sur l'ontologie des œuvres musicales.

10h15 Nicolas Donin (IRCAM)

Germination beethovénienne versus citation postmoderne ? De l'idéologie de la composition musicale occidentale savante à l'étude empirique de sa pratique.

11h00 Pause

11h15 Denis-Constant Martin (Sciences-Po, CEAN)

Les dynamiques de l’appropriation.

12h00 Martin Stokes (Univ. Oxford)

Cosmopolitanism and appropriation in the music of the Turkish Islamist movement.

12h45 Déjeuner

Session 3 : Les pratiques de la création musicale (2)

Présidence : Emmanuelle Olivier

14h15 Richard Shain (Univ. Philadelphia)

Music Without Borders: Identity and Intertextuality in Atlantic Popular Musics.

15h00 Aboulaye Niang (Univ. St Louis du Sénégal)

Le rap prédicateur islamique au Sénégal : une musique « missionnaire ».

15h45 Pause

16h00 Sarah Andrieu (CEMAf, Post-doc GLOBAMUS)

Cumul d'expériences corporelles hétéroclites et construction d'une danse personnelle. La création chorégraphique au Burkina Faso.

16h45 Discussion générale

17h30 Cocktail

Argumentaire

1°) Les pratiques de la création musicale

Constatant l’impasse théorique dans laquelle mène l’opposition « création » vs « créativité », nous proposons d’observer les pratiques de composition musicale dans un continuum, de l’interprétation à la création ex nihilo en passant par la transformation, la reprise ou l’amalgame. De la même manière, plutôt que de trancher entre les deux pôles de logique « renouvellement » (filiation) vs « innovation » (rupture), il s’agit d’observer différents régimes de création qui oscillent entre ces deux pôles.

Dans ce contexte, la notion d’appropriation (Ricœur) sera tout particulièrement travaillée, non seulement parce qu’elle est inhérente à toute forme de création (un individu n’innove jamais totalement mais doit connaître et maîtriser les modes d’expression qui l’entourent, c’est-à-dire les faire siens et les transformer pour y apposer sa marque), mais parce qu’elle permet aussi de saisir les dynamiques circulatoires de la musique. Comment les musiques circulent-elles, s’ancrent-elles en des lieux précis avant de circuler à nouveau ? Il y a là l’idée d’une reterritorialisation et d’une retemporalisation des pratiques. Ici et là, la globalisation conduit des individus à agir : s’approprier des éléments venant de l’extérieur pour créer ou recréer des musiques, des identités, des imaginaires qui font sens localement et qui circuleront à leur tour. Ce sont précisément ces nouveaux temps et lieux de l’action (médiatisés par différents supports technologiques) que nous interrogerons.

2°) Les régimes d'autorité : usages locaux et droits (inter)nationaux.

Dans ce jeu complexe d’appropriation, de transformation ou d’innovation, quelle autorité (au sens d’auctoritas) exerce le « compositeur » sur son « œuvre » ? On mettra en question ces deux derniers termes et on verra ce qu’ils recouvrent dans des contextes où les pièces musicales sont transformées à chacune de leur performance et où les catégories de compositeur et d’interprète sont poreuses. La récente notion de « création distribuée », élaborée par les concepteurs de logiciels libres et reprise notamment par le NetArt (Fourmentraux), nous semble ainsi intéressante à interroger, en ce qu’elle évacue l’opposition entre « création collective » et « création individuelle ». Cette notion permet en effet de considérer une pièce musicale comme une combinaison de voix multiples conduisant à une production éphémère, en transformation et en circulation permanentes et à un réseau d’auteurs enchâssés, une situation que nombre d’ethnomusicologues observent sur leur propre terrain. Se posera alors la question des différents régimes d’autorité exercés sur une œuvre, des usages locaux (anciens ou récents) de paternité, de propriété, de reproduction, de transmission, de diffusion, de transformation, etc., aux législations nationales et internationales sur les « droits patrimoniaux » de l’auteur, avec toutes les tensions, mais aussi les accommodements et même les innovations, que la coexistence de ces deux régimes génère.

Résumés des communications

Sarah Andrieu (CEMAf, Post-doc GLOBAMUS)
Cumul d'expériences corporelles hétéroclites et construction d'une danse personnelle. La création chorégraphique au Burkina Faso.
Engagés dans un processus de renouvellement esthétique, les danseurs burkinabè inscrits dans le champ de la danse « créative » ou « contemporaine » placent l’innovation au cœur de leurs pratiques créatives. Cette quête d’originalité s’incarne dans la volonté, sans cesse affirmée, d’élaborer une danse qui serait avant tout personnelle. Néanmoins, cette danse intime n’est pas conçue comme une « chose » pouvant émerger ex-nihilo du corps du danseur. Il est en effet unanimement admis que l’acquisition de savoirs chorégraphiques hétérogènes est indispensable à l’émergence d’un processus créatif singulier. Ces danses, issues de répertoires extrêmement divers allant des danses locales « traditionnelles » au flamenco en passant par la «danse contemporaine » occidentale, sont appropriées au cours d’une trajectoire d’apprentissage marquée par la mobilité et la rencontre avec des danseurs d’horizons divers. D’autres techniques chorégraphiques sont, quant à elle, captées via la télévision ou les vidéos de spectacles de compagnies reconnues sur la scène internationale. Ce processus d’accumulation, jamais achevé, est destiné à nourrir des propositions chorégraphiques où les différents savoir-danser sont amenés à être métamorphosés.
Je souhaiterais dans cette communication examiner la double logique d’accumulation et de métamorphose qui caractérise les pratiques de création chorégraphique au Burkina Faso. Il s’agira, en premier lieu, de décrire les modalités d’appropriations des savoirs gestuels en retraçant les trajectoires des chorégraphes où se mêlent circulation des danses et circulation des individus. Puis, dans un second temps, seront examinés les procédés par lesquels les danseurs transforment les répertoires incorporés pour construire une danse personnelle exprimant « l’idée », le « propos » qu’ils souhaitent donner à voir dans leurs pièces.

Esteban Buch (EHESS, CRAL)
Création ou découverte? À propos d'un débat philosophique sur l'ontologie des œuvres musicales.
Dans cette communication, je reviendrai sur un débat entre philosophes de tendance analytique qui a opposé ceux qui pensent que les œuvres musicales sont créées contre ceux qui défendent l'idée qu'elles ne sont jamais que découvertes. À partir de cette discussion, qui concerne en principe les œuvres de musique classique, je souhaite apporter quelques éléments de discussion plus généraux à notre débat création/créativité/appropriation etc.

Élina Djebbari (Doctorante EHESS, CRAL)
Voler et donner : propriété et appropriation chez les artistes de Ballet au Mali.
Au Mali, les artistes de Ballet se réfèrent en tout premier lieu à la notion de tradition pour parler de leurs sources d’inspiration. Ce discours convenu cache bien souvent un travail complexe de transformation et de réappropriation, attribuable à des individus bien définis. C’est cette ambivalence entre patrimoine collectif et ressource individuelle qui nourrit le processus de création des pièces de ballets. Peu propice à des réglementations claires en termes de droit d’auteur, ce genre artistique est cependant le théâtre de certaines revendications. Le « vol des pas » et le « vol des rythmes » sont des pratiques répandues dans ce milieu, chacun pouvant voler et être volé, la condition étant de transformer son « butin » pour en proposer une création originale. En contrepartie, certains artistes reconnus peuvent « donner » mouvements, musiques et thèmes, à charge pour ceux qui les reçoivent de ne pas s’en approprier l’invention. Malgré une certaine tolérance, ces pratiques locales de « vol », d’ « emprunt » et de « don » génèrent souvent des tensions. La récurrence de leur utilisation comme ressort créatif pose cependant de véritables problèmes lorsqu’il s’agit des pièces produites par les troupes régionales pour la Biennale Artistique et Culturelle. Le règlement de cette manifestation spécifie que les œuvres de la Biennale deviennent à la fois patrimoine national et propriété du Ministère de la Culture. Ces pièces de Ballet sont cependant réappropriées par différents acteurs locaux à l’issue des épreuves de cette compétition. Dans cette intervention, je montrerai au final comment les usages locaux de cette pratique artistique entraînent les artistes de Ballet à s’accommoder, mais aussi à manipuler, ces notions de droit d’auteur.

Nicolas Donin (IRCAM)
Germination beethovénienne versus citation postmoderne ? De l'idéologie de la composition musicale occidentale savante à l'étude empirique de sa pratique.
Le paradigme de la composition comme développement organique de cellules germinales n'a pas seulement structuré la réception des musiques difficiles du XIXe siècle (quatuor de Beethoven, opéras de Wagner) : il a aussi imprégné l'épistémologie de l'analyse musicale et, de là, aussi bien les outils musicologiques d'étude des partitions que les catégories par lesquelles de nombreux compositeurs du XXe siècle se sont représenté leur propre pratique créatrice – comme on le voit de façon exemplaire chez Jean Barraqué, compositeur et analyste, inventeur de la notion de composition "autogène". La réaction postmoderne à ce paradigme – citation, collage, récupération de textes et de styles musicaux du passé –, loin de le faire disparaître, en a durci l'identité, désormais prise dans une véritable opposition structurelle pour de nombreux musiciens et musicologues : ou bien la germination beethovénienne, ou bien la citation postmoderne. Ou bien la création ex nihilo, ou bien la reprise assumée d'un substrat hétérogène.
Le projet ANR "Musicologie des techniques de composition contemporaines", qui se développe parallèlement à GLOBAMUS et associe des chercheurs de l'Ircam, de l'Université de Lille-3, de l'Université de Technologie de Troyes et du Conservatoire de Genève/HEM, se consacre à une série coordonnée d'études de cas sur des pratiques compositionnelles spécifiques de la musique contemporaine, de la fin des années 1930 à nos jours. Si le but principal du projet était d'interroger le rôle de différents types de contraintes techniques et poétiques sur les processus créateurs dans ce champ musical défini par sa focalisation sur l'écriture et la notation, d'autres questionnements majeurs sont apparus en cours de route au point de constituer des thématiques d'analyse générales tout aussi importantes pour le projet. En particulier, nos enquêtes historiques et empiriques (inspirées par l'analyse ergonomique du travail et l'anthropologie cognitive) auprès d'archives et de compositeurs en activité, en permettant des analyses inhabituellement détaillées de la pragmatique compositionnelle, nous ont amené à réévaluer à la hausse la part des "reprises de matériau" (à l'intérieur d'une œuvre ou entre plusieurs œuvres) dans la majorité des processus créateurs étudiés – aussi fidèles soient-ils en apparence au paradigme moderniste. Sous cette lumière, l'opposition structurelle précédemment décrite nous apparaît de moins en moins comme un outil heuristique, et de plus en plus comme une idéologie autochtone (partagée par les compositeurs et leurs exégètes).

Jean-Paul Fourmentraux (Université Lille 3)
L’auteur à l’épreuve d’Internet : artistes, programmeurs, créations collectives et œuvres (in)achevées.
Au-delà des apories de la mort de l’auteur et des fantasmes (ou craintes) de sa dilution dans un « tous auteurs » indéterminé, l’examen attentif du Net art permet d’éclairer les conditions d’émergence et les formes contemporaines d’« œuvres communes » qui appellent une redéfinition et un élargissement des figures traditionnelles de l’autorité. Résultat d’une co-élaboration à plusieurs, qui enrôle artistes, informaticiens et internautes, l’œuvre du Net art hybride le travail de création, l’innovation technologique et l’expérience de collectifs d’amateurs. La conception du Net art mobilise en effet les savoirs et savoir-faire hétérogènes d’artistes et d’informaticiens qui se partagent les contours de l’œuvre. Cette dernière s’y trouve nouvellement fragmentée entre un programme informatique, une interface ergonomique et visuelle et divers contenus évolutif et poreux, qui bien que constituant des parties intégrantes de l’œuvre, en sont souvent dissociés et diversement appropriés.
De ce point de vue, les TIC placent « l’œuvre d’art » au cœur d’une négociation distribuée entre des acteurs et des dispositifs techniques hétérogènes :
– En amont, l’activité créatrice met en scène une polyphonie énonciative et un travail de négociation permanent confrontant des régimes et logiques d’actions antagonistes. Le produit du travail est tour à tour désigné comme un outil logiciel ou un algorithme informatique, et comme une œuvre intégrant la part informatique du programme.
– En aval, l’épreuve de validation des productions suppose une redistribution des fruits du travail collaboratif. Il en résulte différents objets techniques à la fois concurrentiels et coordonnés, des programmes, interfaces et images dont les statuts et carrières sociales sont redéfinis.
Différentes études de cas poseront de manière centrale ces questions de la « fragmentation des œuvres » et de la « distribution d’auteur ». À l’interface des mondes de l’art et du développement de l’Internet, ma communication proposera d’examiner ces processus de communication et les régimes d’attribution ou de valorisation des co-productions en art numérique. Elle articulera l’observation ethnographique de différents projets à l’étude systématique de leur « génériques » de production et de leurs valorisations dans les CV (Curriculum Vitae) et CA (Curriculum Arte) des artistes et ingénieurs engagés. L’analyse permettra ainsi d'approcher et de décrire finement les mutations des formes de création collective et la « carrière » des œuvres au temps d’Internet.

Julien Mallet (IRD, URMIS) et Guillaume Samson (Pôle Régional des Musiques Actuelles de La Réunion)
Droits d’auteur, bien commun et création. Tensions et recompositions à Madagascar et à La Réunion.
Cette communication, issue d’un article récemment publié dans Gradhiva, confronte la notion de « propriété intellectuelle » à des pratiques musicales où interfèrent création individuelle et identités collectives. Marqués par une diversité d’usages sociaux et de fonctionnalités, le tsapiky malgache et le maloya réunionnais offrent deux illustrations des négociations dont le droit d’auteur peut faire l’objet ou des tensions qu’il peut générer quand son institutionnalisation interagit avec des enjeux de performance tenant à la fois au culte des ancêtres et à l’économie des supports de diffusion musicale. En examinant le degré d’intégration des institutions (sociétés d’auteurs, collectivités) dans les univers musicaux étudiés, cette communication interroge le rôle joué par la revitalisation patrimoniale – centrale dans le maloya, absente dans le tsapiky – dans la reconnaissance et l’instrumentalisation du principe de propriété intellectuelle.

Denis-Constant Martin (CEAN, Sciences-Po)
Les dynamiques de l’appropriation.
À partir d’exemples issus d’un répertoire musical des métis du Cap (Afrique du Sud), j’interrogerai les rapports entre création et appropriation. D’une part, il semble qu’il ne puisse exister de création sans appropriation. D’autre part, l’appropriation dans le processus de création comporte une forte dimension symbolique, notamment du point de vue des configurations identitaires, parce qu’elle met en jeu une relation à l’Autre (individuel ou collectif), qu’elle utilise l’Autre à des fins qui sont propres au créateur. L’appropriation dans le processus de création peut donc aussi fournir une manière pour le créateur de se situer sur le marché des configurations identitaires en contexte global.

Ulrike Meinhof (Southampton University)
« Have you come to take our songs? » Issues of creative ownership in rural Madagascar.
My paper is based on fieldwork conducted in Madagascar between 2006-9 as part of an AHRC-funded project investigating the translocal and transnational networks of musicians and their associated practices. I will take as my example some musicians who live in remote rural areas of Madagascar, from where the educational, social, cultural and economic distance to the nearest towns and from there to the capital city and beyond lies centuries apart. And yet in spite of these distances, musicians are acutely aware of the opportunities but also of the threats of transnational and translocal connections. These find expression in the hope that incoming artists- be they visitors or returnees from the capital city – may bring them opportunities to have their music heard outside the village and enable their own move to the capital city- a passage obligé for any artist who wants to make a professional career. At the same time there is anxiety and fear, focusing on the potential theft of their music by those who come and go.
During our visits, stories were told of such thefts of songs, and we ourselves, in spite of the warmest of welcomes were asked at one point whether we, too, had come to ‘take their songs’. My paper will attempt an explanation for these stories by contextualising the situation of rural musicians in Madagascar both in terms of their localities and their ethnic ascriptions. Rural musicians are not normally professional artists but make their living as peasant farmers, cattle herders or fishermen. Yet they are often original singer-song-writers and not simply interpreters of existing ‘traditional’ music or folklore in the Western sense. Their songs speak of their everyday life practices, and thus carry the imprint of the life cycle and rituals of their daily lives in the country-side. Although individuals or members of bands create these songs, those musicians who stay in the villages cannot stop their songs being interpreted and even released by other musicians. In the absence of literacy skills and related professional know-how such as how to register and copy-right their songs, any wider recognition of these artists as original singer song-writers is thus rendered difficult if not impossible.

Pierre-Michel Menger (EHESS-CNRS, Centre d’Etudes Sociologiques et Politiques Raymond Aron
L’œuvre musicale, sa production et sa carrière. Clôture, instabilité et conflits d’autorité.
Jusqu’à la fin du 18ème siècle, il était courant pour les compositeurs de considérer leurs œuvres comme un réservoir disponible d’idées et de matériaux dans lequel puiser pour composer, en pratiquant l’auto-emprunt, en recombinant des idées fécondes. Il était courant aussi pour un compositeur d’élargir son réservoir des idées et des matériaux de création en opérant des prélèvements dans la production des autres compositeurs, en copiant ouvertement les solutions inventives d’autrui, en adaptant et en réécrivant certaines œuvres antérieures, pour les faire connaître dans des contextes nouveaux, et pour des instruments et des combinaisons instrumentales nouveaux. Il était non moins fréquent pour un compositeur d’ajuster l’œuvre au contexte de son interprétation en écrivant des versions alternatives en fonction des caractéristiques des interprètes, et pour un interprète, ou pour le directeur d’opéra ou le responsable d’une société de concerts, de faire procéder à des changements jugés par lui profitables pour augmenter les chances de succès de l’œuvre, notamment si c’était une œuvre déjà ancienne qui s’était maintenue au répertoire lyrique et qu’il fallait moderniser pour la mettre au goût du jour.
La conception moderne de l’œuvre musicale émerge quand l’activité de création musicale se dote des attributs d’une activité experte, savante, défonctionnalisée, et exploitée sur un marché concurrentiel. La consolidation de l’identité matérielle de l’œuvre est requise par le développement de l’édition musicale, et la compétition par l’originalité est imposée par le développement d’un marché de la création qui se substitue aux relations de subordination à des patrons (mécènes et employeurs, selon le double sens du mot anglais). Le développement du marché musical distribue les activités respectives de création, d’interprétation, d’édition et d’exploitation par dérivation (arrangements, adaptations à partir des originaux, réductions) en autant de fonctions spécialisées qui se constituent en aires distinctes de professionnalisation. Mais cette spécialisation est aussi source de compétitions et de conflits d’expertise et de juridiction entre les diverses catégories de professionnels.
L’art lyrique offre ici un terrain d’analyse fécond. Car la nature intrinsèquement collaborative et multidisciplinaire de la représentation lyrique impose des jeux de négociation et des conventions beaucoup plus instables que dans le cas de la musique symphonique et instrumentale. La clôture progressive du répertoire lyrique sur un ensemble restreint d’œuvres consacrées a déplacé la concurrence par l’originalité vers la contribution des interprètes, des metteurs en scène, des musicologues, des dramaturges et des équipes de production scénique, qui sont parvenus à imposer leur autorité de recréateurs ou de co-créateurs, en parvenant à faire reconnaître la valeur ajoutée de leurs interventions et à accroître continument la demande qu’elles suscitent. Si le cas de l’art lyrique offre plus de relief, l’interprétation des œuvres instrumentales et orchestrales a connu une évolution similaire. Progressivement, le travail des interprètes et des chefs d’orchestre a été lié à la production de connaissances musicologiques destinées à étayer la compétition par l’originalité dans cette situation paradoxale de re-création, où l’interprète, qui paraît subordonné à l’œuvre et à son auteur doit motiver l’insubordination de sa contribution créative pour faire carrière.
L’approche sociologique adoptée consiste à redéfinir l’œuvre qui franchit le temps comme un bien intermédiaire durable : des connaissances érudites, des choix interprétatifs nouveaux, et l’insertion dans des réseaux changeants de références et d’usages entretiennent durablement le pouvoir qu’a l’œuvre de plaire, de signifier et d’intriguer. La variété de ses significations ne peut émerger que de la variabilité des décisions qui réalisent ce travail constant de transformation. Les conflits d’autorité sur l’identité et la signification de l’œuvre sont logés dans ce processus incessant.

Abdoulaye Niang (Université St Louis du Sénégal)
Le rap prédicateur islamique au Sénégal : une musique « missionnaire ».
La dynamique du rap sénégalais qui clame son aptitude à « parler de tout » semble tout naturellement la préparer à une rencontre inévitable avec l’islam – religion localement majoritaire – doté d’une logique fortement totalisante, et qui « s’occupe de tous les aspects » de la vie de l’individu ainsi que de la communauté. Contre-nature et inopportune ou salvatrice selon différentes conceptions, cette cohabitation a pourtant toujours été présente mais la nouveauté réside surtout dans la proportion remarquable qu’elle prend. Au-delà du rapport dialogique entre hip hop « galsen » et « international », de cette hybridité entre sacré et profane, la présence montante du « rap prédicateur islamique » – lui-même traversé par diverses tendances – illustre non seulement l’ancrage du hip hop dans la trame locale des rapports sociaux, mais permet également de procéder à une relecture du rôle du MC et même de l’artiste plus généralement dans le façonnement des opinions.

Emmanuelle Olivier (CNRS, CRAL)
De l’auteur aux régimes d’autorité. Réflexion à partir de quelques exemples maliens contemporains.
Le vaste répertoire de louanges chantées adressées au prophète Mohammaed et à ses médiateurs pratiqué aujourd’hui à Djenné (Mali) comprend d’anciennes pièces, les plus âgées datant du XIIIe siècle, qui côtoient des compositions plus récentes, dont certaines contemporaines. Or, quel que soit leur âge, ces louanges sont toujours le produit soit d’une « fabrication » soit d’une « transformation », effectuées par des élèves ou des maîtres coraniques. Ces derniers peuvent-ils être appréhendés en termes d’auteur ? Plutôt que de trancher cette question, j’interrogerai la notion d’autorité comme exercice d’un individu sur sa production musicale en me demandant quels en sont les usages locaux, anciens et/ou récents, et comment ils s’accommodent de la législation nationale malienne.

Juan Paulhiac (Doctorant Université Paris 8, Laboratoire d’Ethnoscénologie)
« On te casse les disques sur la figure ! » Méthodes informelles de protection des droits d’exploitation discographique dans le marché musical de la champeta à Cartagena.
Cette communication vise à tracer les formes de protection des droits d’exploitation de phonogrammes dans le marché local de la champeta, à Cartagena Colombie. Il s’agit de montrer comment, en dehors des normes internationales du droit de propriété intellectuel et patrimoniale, peuvent s’organiser des logiques de protection répondant à des spécificités socio-économiques locales dans un contexte de création musicale.
Des témoignages de terrain montrent que dans le marché local de la champeta la lutte pour l’exclusivité des droits d’exploitation des phonogrammes n’a pas toujours suivi les règles de l’industrie discographique formelle. Au début du développement de l’industrie locale du spectacle, le besoin de posséder des titres exclusifs pour animer les concerts des picós (sound systems) a poussé les agents, parfois de manière violente, à établir des formes de convenance pour la gestion de la propriété des supports musicaux. Avec le développement du marché local, les propriétaires des picós et futurs labels indépendants ont commencé à appliquer une méthode de « marquage » des contenus sonores, les plaças, imitant les inserts sonores dans les chansons à la radio. Ce système de marquage a émergé dans un contexte d’écoute basé sur l’évènement spectaculaire et a affecté le résultat esthétique du contenu musical. Avec l’arrivée d’internet et la vulgarisation des technologiques audiovisuelles, la production vidéographique a trouvé un moyen efficace pour maintenir vivante la production discographique sur le marché local, en mettant en place un nouveau type de produit, synthèse entre évènement spectaculaire, production discographique et création vidéographique : les videoconciertos. Bien que reposant sur un mode de production décentralisé au sein des agents du marché local, les videoconciertos n’échappent pas à la règle de la protection de propriété. Avec un système de logotypes permettant de marquer l’image, c’est l’ensemble de la filière du marché musical local qui se profile dans le contenu de ces nouvelles productions.
L’étude de ces formes de protection rend compte, d’une part de l’évolution des stratégies de signature des contenus sonores ou visuels qui accompagnent un certain nombre de changements dans les techniques écoute et affectent en conséquence sa dimension esthétique. D’autre part, les observations montrent que les stratégies locales de protection des droits émergent comme une nécessité liée à l’organisation socio-économique du système, avant même d’acquérir une dimension juridique.

Richard Shain (Philadelphia University)
Music Without Borders: Identity and Intertextuality in Atlantic Popular Musics.
Cette communication décrit une conversation musicale engagée depuis 45 ans entre Puerto Rico, Cuba, le Sénégal, le Perou et la Colombie. Ce dialogue comprend la circulation d’un motif musical popularisé pour la première fois dans une chanson des années 1950, Bomba Corazón, par le chef d’orchestre puertoricain Eddie Palmieri. Dans les années 1970, ce motif donne le fondement rythmique d’une chanson populaire sénégalaise, Yaye Boy. Puis la chanson entre dans le repertoire des groupes de salsa et de danzon au Pérou et à Cuba dans les années 1980 et 1990 bien que ses paroles ne soient pas en espagnol mais dans la langue véhiculaire du Senegal, le wolof. Au début du XXIe siècle, la chanson révisée apparaît dans les clubs colombiens. Les modèles et les vocabulaires existants ne rendent pas vraiment compte de la manière dont les musiciens de diverses cultures ont manipulé ce motif pour construire de nouvelles identités culturelles. Je propose que plutôt qu’une demonstration de l’hybridité et de l’appropriation, la musique générée à partir de ce motif soit plutot un exemple d’intertextualité.

Martin Stokes (Oxford University)
Cosmopolitanism and appropriation in the music of the Turkish Islamist movement.
The musical practices associated with the Turkish Islamist movement afford not only an understanding of the politics of the movement not fully articulated in official discourse, but also an opportunity to reflect on the circulatory dynamics of music making at a moment of complex technological mediation (notably digitization, file sharing and circulation on the web). Though the Turkish Islamist movement has been in power for well over a decade, culturally speaking much remains in a state of motion. 'Musical' practices, which extend from popular mass mediated music to recitation and other devotional practices are constrained by ideological pressures (which occasionally extend to the disavowal of the legitimacy of music), and a history of exclusion and marginalization in previous decades by the Turkish secular state. But its very marginality has also enabled and provoked new forms of creativity which take advantage of contemporary circulatory and regulatory processes. 'La creation musicale' emerges, in this perspective, as a dispersed, 'relayed' (to cite Georgina Born) process, involving complex social mediations. Terms such as 'cosmopolitanism' and 'appropriation' must be used with a certain amount of caution, in this perspective.

Catégories

Lieux

  • 2 rue Vivienne (INHA, Amphithéâtre) et 105 bd Raspail (EHESS, Amphithéâtre)
    Paris, France
  • 2 rue Vivienne (INHA, Amphithéâtre) et 105 bd Raspail (EHESS, Amphithéâtre)
    Paris, France

Dates

  • mercredi 23 mars 2011
  • jeudi 24 mars 2011

Mots-clés

  • Création musicale, auteur, œuvre, globalisation

Contacts

  • Emmanuelle Olivier
    courriel : afrinumsymposium2024 [at] gmail [dot] com

URLS de référence

Source de l'information

  • Emmanuelle Olivier
    courriel : afrinumsymposium2024 [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Pratiques et statuts de la création musicale », Journée d'étude, Calenda, Publié le vendredi 11 mars 2011, https://doi.org/10.58079/i1n

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