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Calenda - Le calendrier des lettres et sciences humaines et sociales

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Publié le vendredi 05 octobre 2012

Résumé

En 1775, dans sa préface bien connue au Barbier de Séville, un Beaumarchais ironique étalait sa très forte conscience de la part de stratégie inhérente à la réussite de l’écrivain. Ainsi tentait‑il d’amadouer son lecteur, convaincu du fait que « lorsqu’un auteur était sorti, quoique échiné, vainqueur au théâtre, il ne lui manquait plus que d’être agréé par vous, Monsieur, et lacéré dans quelques journaux, pour avoir obtenu tous les lauriers littéraires » (Brunn, 2001 : 66). Et c’est bien précisément de ce genre de logique propre à l’univers littéraire dont rendra compte Jacques Dubois, en affirmant que l’écrivain est toujours « dès le moment où il écrit, quelqu’un qui cherche sa place dans ce jeu de position, et [que] le statut de ses écrits […] passera immanquablement par la médiation des instances qui exercent l’autorité symbolique » (Dubois, 1978 : 131).

Annonce

Argumentaire :

En 1775, dans sa préface bien connue au Barbier de Séville, un Beaumarchais ironique étalait sa très forte conscience de la part de stratégie inhérente à la réussite de l’écrivain. Ainsi tentait‑il d’amadouer son lecteur, convaincu du fait que « lorsqu’un auteur était sorti, quoique échiné, vainqueur au théâtre, il ne lui manquait plus que d’être agréé par vous, Monsieur, et lacéré dans quelques journaux, pour avoir obtenu tous les lauriers littéraires » (Brunn, 2001 : 66). Et c’est bien précisément de ce genre de logique propre à l’univers littéraire dont rendra compte Jacques Dubois, en affirmant que l’écrivain est toujours « dès le moment où il écrit, quelqu’un qui cherche sa place dans ce jeu de position, et [que] le statut de ses écrits […] passera immanquablement par la médiation des instances qui exercent l’autorité symbolique » (Dubois, 1978 : 131).

Parmi les moyens permettant d’infléchir ces phénomènes médiateurs autant que la réception d’une œuvre, figure notamment la préface, qui a d’abord pour objectif d’encourager à une lecture de l’œuvre, et ensuite de garantir que cette lecture soit bonne, comme le disait Gérard Genette (1987). Mais en déplaçant la focale du lecteur vers l’ensemble des agents qui constituent la chaîne du livre, on s’aperçoit que la préface est également témoin de nombreux éléments qui se jouent dans et hors des textes : il convient dès lors d’interroger, en sus des indications ou recommandations de lecture qu’elle contient, tous « les aspects institutionnels et les facteurs sociaux qui en déterminent l’usage » (Michon, 1990 : 118). Dans cette perspective, la préface, écrite par l’auteur lui-même ou par un tiers, incarne le fief où se déploient des stratégies auctoriales et/ou éditoriales, individuelles et collectives, qui ont partie liée avec la position occupée dans le champ. Genette, au fond, ne dit rien d’autre quand il écrit que le paratexte « constitue, entre texte et hors-texte, une zone non seulement de transition, mais de transaction : lieu privilégié d’une pragmatique et d’une stratégie, d’une action sur le public au service, bien ou mal compris et accompli, d’un meilleur accueil du texte et d’une lecture plus pertinente — plus pertinente, s’entend, aux yeux de l’auteur et de ses alliés » (Genette, 1987 : 8). Que le préfacier y joue de modestie (feinte ou authentique), qu’il se serve de cette tribune pour répondre à la critique (réelle ou anticipée) ou qu’il explicite les circonstances de rédaction de l’œuvre, ce sont immanquablement des questions d’autorité qui se trouvent au cœur du discours préfaciel. Nous nous proposons ici d’ouvrir un espace de réflexion sur les jeux et enjeux de la préface, en questionnant la façon dont les représentations prenant place dans cet élément paratextuel peuvent être mises en lien avec les mouvements constants du champ littéraire. Tenant compte de la dimension polymorphe de ce discours d’escorte qui se présente quelquefois sous le nom de note au lecteur, d’avis ou de présentation, mais qui peut aussi, sous la forme de la postface, surgir en fin d’œuvre, les communications porteront sur des préfaces auctoriales ou allographes, et s’inscriront dans l’un des trois axes suivants :

1)      Historicité et rhétorique(s) de la préface

Plusieurs études ont démontré que, contrairement à une idée reçue ayant longtemps circulé, l’auteur tente d’imposer, dès le Moyen Âge, fût-ce discrètement, sa figure dans le texte et le paratexte. De cette façon, alors que le clerc doit « prouver par son étude qu’il a mérité l’autorité qu’il revendique en langue vernaculaire » (Rigolot, 2000 : 21), la présence de l’auteur se déploie en tant que prisme subjectif déterminant l’œuvre dès le xive siècle. Un tournant majeur s’opère quatre siècles plus tard, à un moment où la reconnaissance de la propriété intellectuelle devient un enjeu véritable et un objet de luttes (Chartier, 1996). Comment, en fonction de l’évolution générale du statut de l’auteur, se manifeste dans les textes liminaires des livres, un discours attestant des mutations en cours? De quelle façon cet espace discursif se modifie-t-il ensuite, sur les plans fonctionnel et rhétorique, au moment de l’apparition d’éditeurs indépendants, avec la multiplication des revues littéraires, la formation d’instances critiques et les développements croissants du marché du livre? Si, comme le notent Pascal Durand et Anthony Glinoer, l’avènement de l’éditeur fait perdre sa pertinence à la fonction encomiastique de la préface et de la dédicace, typique d’un système de mécénat au sein duquel on se devait de flatter un protecteur (Durand et Glinoer, 2005 : 39), quels rôles nouveaux jouent les préfaces une fois venu « le temps des éditeurs » (Michon, 1999-2004)? Quelles poétiques nouvelles s’y mettent alors en place? Comment ce type de discours peut-il se trouver détourné, parodié? Par qui? Ce sont les modifications de ces contraintes, enjeux et poétiques de la préface que cet axe entend interroger, d’un point de vue diachronique.

2)     Préfaces et sociabilités

Il s’agira ici de creuser la question suivante : comment le préfacier, en établissant dans la préface les raisons qui ont motivé la publication (une rhétorique que Genette réunit sous les thèmes du « pourquoi »), s’y prend-il pour acquérir de l’autorité dans le champ? Comme le souligne Michel Lacroix, toute « solitaire que puisse être l’écriture, le monde littéraire, lui, est éminemment social, pétri d’interrelations entre les multiples acteurs qui l’habitent et lui donnent vie » (Lacroix, 2003 : 475). Dès lors, comment le préfacier traite-t-il des autres agents de la chaîne du livre (confrères morts ou vivants, mécènes, protecteurs, éditeurs, typographes, critiques, lecteurs) et pour créer quels effets? Comment le « patronage » rejoue-t-il la figure de l’auteur? Quelle relation s’instaure entre un préfacier et un préfacé? Quelles conditions permettent à un individu d’en préfacer (ou de ne pas en préfacer) un autre? Une attention particulière devra être accordée au double mouvement qui s’exerce dans le transfert de capital symbolique par l’exercice de la préface, dans la mesure où, comme le note André Patient Bokiba, « [l]a fonction légitimatrice de la préface s’exerce tout aussi bien en direction de l’auteur, en tant que discours inaugural, qu’en faveur du préfacier, comme discours de confirmation […] » (Patient Bokiba, 1991 : 90). Par ailleurs, on ne se limitera pas forcément aux modes de sociabilité et aux médias littéraires : existe-t-il une poétique du préfacier politique, sportif, artiste ou acteur? Quels types de liens entre différents univers sociaux ces discours d’escorte permettent-ils? Y a-t-il des équivalents à la préface au cinéma, dans le format du documentaire, dans les jeux vidéo?

3)     Préfaces, postures et postérité

Si les tensions du champ se manifestent sur la préface et l’influencent, comment celle-ci, de retour, est-elle marquée par la pression que le préfacier tente d’exercer sur la trajectoire même de l’auteur en voulant en infléchir la légitimité? Comme le rappelle Genette, le « préposthume est évidemment une anticipation du posthume, une attitude face à la postérité » (Genette, 1987 : 263). Dès lors, la préface tardive incarne en particulier le lieu ultime où l’auteur est libre de façonner à sa guise son image, corrigeant le tir, accentuant certains traits, en gommant d’autres. À quels ethos (modestie, fausse humilité, dénégation, etc.) puise-t-il? Quelles postures, en tant que « manières singulières d’occuper une position dans le champ » (Meizoz, 2007 : 18) ces préfaces engagent-elles? Les faux-semblants et effets de mise en scène devront être scrutés à la loupe, et en particulier les marques de dénégation qui participent, on le sait, de la rhétorique de l’excusatio propter infirmitatem (Genette, 1987 : 211). On connaît moins la façon dont les postures individuelles mises en scène dans la préface se mutent en représentations collectives (poète maudit, intellectuel engagé, romancier populaire) et comment celles-ci évoluent dans le temps. Enfin, comment interroger les liens entre péritexte et texte, lorsque ce dernier fait usage, fictif, de la préface? Dans la satirique Physiologie du poëte (1841), on trouve une raillerie à l'égard du modèle du « poëte olympien » (inspiré par Hugo), accusé de n’écrire pas « la préface pour le livre, mais le livre pour la préface ». Si, comme le souligne Andrea Del Lungo, il faut « moins penser le paratexte en termes de commentaire — forme bien évidemment beaucoup plus vaste — que l’étudier dans ses valeurs connotatives et sémantiques » (Del Lungo, 2009) qu’ont à nous apprendre les représentations fictives de la préface? Quelles images du préfacé et du préfacier ébauchent-elles? La question du genre pourrait également constituer un terrain d’approche fructueux : quelles modifications rhétoriques impliquent les préfaces féminines? Ne se limitant pas à un rôle de commentaire critique, mais exerçant aussi une forme de contrôle hiérarchisant les productions, comment les préfaces peuvent-elles paradoxalement conduire à l’exclusion, ainsi que l’a montré Rachel Sauvé pour les écrits féminins du xixe siècle? Cette forme de cantonnement dans les genres mineurs s’applique à quel type de textes, et comment? En somme, quels échanges les préfaces allographes mettent-elles en évidence et quels effets de légitimation donnent-elles à voir?

Présentation des propositions de communications :

Les propositions de communications devront contenir les renseignements suivants :

  • Sur la première page : Nom et coordonnées complètes du présentateur
  • Sur la deuxième page : Axe dans lequel se situe la communication, Titre de la communication, Résumé de la communication (maximum 500 mots)

Les propositions de communications seront évaluées par les membres du comité scientifique et les membres du comité organisateur.

Elles devront être envoyées avant le 15 novembre 2012 par courrier électronique aux adresses suivantes : BO.Dozo@ulg.ac.be ; Marie‑Pier.Luneau@USherbrooke.ca et Denis.Saint-Amand@ulg.ac.be.

Une réponse sera rendue à la mi-décembre 2012.

Comité organisateur

  • Björn-Olav Dozo (Université de Liège)
  • Marie-Pier Luneau (Université de Sherbrooke)
  • Denis Saint-Amand (FNRS – Université de Liège).

Comité scientifique

  • Paul Aron (ULB)
  • Jean-Pierre Bertrand (ULg)
  • Pascal Durand (ULg)
  • Claude La Charité (UQAR)
  • Michel Lacroix (UQAM)
  • Marie-Andrée Beaudet (U. Laval)
  • David Vrydaghs (FUNDP)

Lieux

  • Liège, Belgique (4000)

Dates

  • jeudi 15 novembre 2012

Mots-clés

  • préface, histoire du livre, sociabilité littéraire, sociologie de la littérature

Contacts

  • Björn-Olav Dozo
    courriel : BO [dot] Dozo [at] ulg [dot] ac [dot] be

Source de l'information

  • Björn-Olav Dozo
    courriel : BO [dot] Dozo [at] ulg [dot] ac [dot] be

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Jeux et enjeux de la préface », Appel à contribution, Calenda, Publié le vendredi 05 octobre 2012, https://doi.org/10.58079/lsk

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