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Enquêter dans les Antilles françaises

Researching the French Antilles

Revue Pouvoirs dans la Caraïbe

Pouvoirs dans la Caraïbe journal

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Publié le mercredi 02 décembre 2015

Résumé

L’objectif de ce numéro de Pouvoirs dans la Caraïbe est de se pencher sur les difficultés méthodologiques auxquelles est confronté le chercheur en sciences sociales dans les départements français des Antilles (Guadeloupe, Martinique), tout en interrogeant la consistance de supposés « particularismes » propres à ces terrains.

Annonce

Argumentaire

L’objectif de ce numéro de Pouvoirs dans la Caraïbes est de se pencher sur les difficultés méthodologiques auxquelles est confronté le chercheur en sciences sociales dans les départements français des Antilles (Guadeloupe, Martinique), tout en interrogeant la consistance de supposés « particularismes » propres à ces terrains.

Historiquement, l’assimilationnisme colonial français a, il est vrai, longtemps interdit la prise en compte d’une singularité antillaise. Dans le contexte d’une Nation « une et indivisible », la diversité devait nécessairement être expulsée hors des territoires et les éventuelles particularités sociales et culturelles des Antilles ne pouvaient donc être prises en considération, ni politiquement ni, au reste, scientifiquement. Ainsi, « l’ethnologie, science de [la diversité culturelle] ne pouvait être que coloniale et pas l’ethnologie "de la France"… », raison pour laquelle, selon Michel Giraud, les recherches sur les départements français des Antilles ont longtemps été le fait de chercheurs nord-américains[1]. Ce sous-investissement des sciences sociales sur les terrains antillais peut être la cause d’une large méconnaissance scientifique des sociétés martiniquaises et guadeloupéennes, mais aussi d’une sous-estimation de leurs éventuelles « spécificités ».

A l’inverse, s’interroger sur ces « spécificités », en particulier sur celles qui peuvent avoir des effets sur les méthodologies d’enquête pour les chercheurs impliqués sur ces terrains, ne va pas sans risques et nécessite de poser, dès l’abord, un certain nombre de jalons. Parmi les travaux existant, nombreux sont ceux qui ont souligné les caractéristiques d’îles dont l’étroitesse, l’éloignement et la dépendance au « centre » tendent à amplifier les caractéristiques[2]. Mais l’idée même de singularisme impose déjà une réflexion sur le référentiel auquel on le rapporte.

La construction symbolique de la réalité antillaise est en effet porteuse de riches interrogations en la matière. Si les colons ont, dans un premier temps, essayé de se replacer dans des repères familiers (ainsi que le révèle significativement, dans la réalité quotidienne, le recours à des appellations européennes pour désigner par exemple certaines espèces végétales : l’abricot, la figue, la cerise, l’amandier, le poirier…), comme s’ils voulaient apporter avec eux leur écologie, ils ont très vite dû se résoudre à prendre acte de l’originalité de leur environnement, adoptant alors une organisation lexicale du monde fondée sur les catégories de l’ici et du là-bas, du « dedans » et du « dehors » (pour les terres de colonisation française, du « pays » et du « France », comme en témoigne l’adjonction de qualificatifs aux termes européens adoptés pour dénommer les espèces locales : « abricot-pays », « cerise-pays »)[3]. A ce titre, et comme le souligne l’écrivain cubain Antonio Benítez-Rojo, la pénétration des influences externes s’effectue dans une économie « où le signifiant du là est saisi à travers les codes locaux de l’ici déjà présents ». Signifiants « dont les “centres” sont localisés dans l’Europe pré-industrielle, dans les régions subsahariennes de l’Afrique et dans certaines zones de l’Asie du Sud […]. L’extérieur interagit avec le local comme un rayon à travers un prisme : réflexion, réfraction, décomposition »[4]. Et tandis que les hommes de cette terre nouvelle sont censés eux-mêmes changer et devenir physiquement autres, s’opère un lent mouvement de dérive qui éloigne irrémédiablement les cultures qui y émergent de celles de l’Ancien Monde.

On retrouve cette idée de transplantation dans de multiples réalités sociales, entre autres exemple avec les partis politiques locaux, en Martinique, dont les dénominations traduisent une volonté de revendiquer une spécificité locale. Dans un contexte où le passé colonial chevauche la réalité présente de l’État providence, où les allégeances se démultiplient au gré d’influences internes et externes, l’appartenance à un ensemble plus vaste semble en effet aller de pair avec l’invocation quasi permanente et le renforcement de ces dites « différences ».  De ce point de vue, comme le souligne Justin Daniel, le passage au politique de la revendication identitaire qui s’est développée ces cinquante dernières années est tout autant la conséquence des tentatives d’imposition d’une mono-identification de la part de l’État que le produit d’un travail de construction opéré localement par les élites aptes à maîtriser le récit identitaire, à le formaliser et à l’utiliser[5]. On ne s’étonnera pas dès lors que le terme « spécificité » soit fréquemment mobilisé par le personnel politique local, toutes tendances politiques confondues, dans le cadre des négociations avec les autorités centrales et/ou européennes. Autant de stratégies qui invitent à se distancier d’un recours abusif à l’idée d’une « spécificité » de la Martinique par rapport au reste des départements français.

La réflexion collective que nous entendons mettre en place à travers ce numéro sur les difficultés de l’enquête en sciences sociales dans les Antilles françaises prend place sur cet arrière-plan complexe et surtout ambivalent dont nous posons l’hypothèse qu’il fonde la texture du terrain antillais, tout à la fois émanation du territoire français et réalité historique et sociale incommensurable. Informée sur les limites de la notion de « spécificités » appliquée aux terrains de recherche investis, tout comme sur ses usages stratégiques, elle entend néanmoins poser la question de leurs effets sur le travail du chercheur. Car la déconstruction des dites stratégies identitaires n’ôte rien à leurs vertus performatives, autrement dit à leurs effets proprement politiques « consistant à donner à voir une réalité qui n’existe pas complètement tant qu’elle n’est pas connue et reconnue »[6]. Dit autrement, la question n’est pas tellement pour nous de savoir si l’invocation des « spécificités » antillaises est ou non justifiée, mais il nous importe d’interroger en revanche le fait que les stratégies différentialistes des acteurs peuvent de facto favoriser une distance, un obstacle, qui s’imposent à l’enquêteur et qui nécessitent, en retour, des stratégies méthodologiques adaptées. Au-delà, nous souhaitons également poser la question des obstacles matériels, bien réels, qui se présentent au chercheur dans le contexte de sous-investissement par les sciences sociales que nous avons décrit : absences de travaux scientifiques sur certains sujets, sur la bases desquels le chercheur puisse construire son objet, archives souvent introuvables, voire inexistantes, omniprésence de la culture orale, dispersion des sources et des témoins, etc.

L’objet de ce numéro lancé par Pouvoirs dans les Caraïbes n’est donc pas tant de vérifier l’hypothèse d’une « spécificité » du terrain antillais, que de rendre compte des questionnements voire des difficultés méthodologiques rencontrés par les chercheurs qui y travaillent. A ce titre, une attention particulière sera accordée aux analyses comparées, mettant en regard un terrain antillais avec un autre terrain de recherche, mais aussi à celles qui s’attachent à réfléchir aux positionnements éthique et épistémologique des enquêteurs. Trois pistes de réflexion sont ici pointées :

  • quelles sont les difficultés et les obstacles rencontrés par les chercheurs qui travaillent sur les Antilles françaises ?  
  • dans quelle mesure celles-ci ont-elles pu être surmontées, et dans quelles conditions ?
  • faut-il avoir recours à des méthodologies, des stratégies d’enquête spécifiques (au regard d’autres terrains ou de la littérature générale) pour pouvoir enquêter aux Antilles françaises ?

Les intentions de contributions présenteront le sujet abordé et son positionnement dans la littérature, l’enquête empirique, les matériaux et les résultats attendus.

Notes

[1] Giraud, Michel, 1999. La patrimonialisation des cultures antillaises. Ethnologie française, n°3 (p. 377).

[2] Jalabert, Laurent, 2007. La colonisation sans nom. La Martinique de 1960 à nos jours. Paris : Les Indes savantes ; Benoist, Jean, 1987. L’insularité comme dimension du fait social, in : Îles tropicales : insularité, insularisme. Actes du colloque de Talence (23-25 octobre 1986).  coll. « Îles et archipels », n° 8, DyMSET-CNRS. Pessac : Presses Universitaires de Bordeaux (p. 37-43) ; Bonniol, Jean-Luc, 1987. Micro-insularité et particularisme : approche comparée à partir de cas antillais et seychellois, in : idem (p. 67-86) ; Gay, Jean-Christophe, 2008. L’outre-mer français. Un espace singulier. Paris : Belin.

[3] L’Étang, Gerry, 2012. À la genèse des sociétés créoles : la variation écologique. Archipelies, n° 3-4 (p. 45-62).

[4] Cité par Bonniol, Jean-Luc, 2013. Au prisme de la créolisation. L'Homme, 3, n° 207-208 (p. 237-288).

[5] Daniel, Justin, 2002. L'espace politique aux Antilles françaises. Ethnologie française, vol. 32, n°4 (p. 589-600).

[6] Bourdieu, Pierre, 1994. Raisons pratiques, Paris : Seuil (p. 26).

Modalités de soumission

1. Les intentions de contributions prendront la forme d’un texte de 8.000 à 10.000 signes (hors bibliographie) envoyé à l’adresse des coordinateurs : lionelarno[at]gmail.com ; aurelie.roger[at]martinique.univ-ag.fr

Elles doivent être adressées en format électronique aux coordinateurs avant le 15 janvier 2016.

2. Les résultats de la pré-sélection, effectuée par les coordinateurs, seront communiqués au plus tard le 15 février 2016.

3. Les auteurs dont la proposition a été présélectionnée devront adresser leur article (70 000 signes maximum) aux coordinateurs au plus tard le 15 mai 2016. Les textes feront l’objet, après anonymisation, d’une évaluation par deux experts extérieurs.

Coordination 

Lionel Arnaud, Université Paul Sabatier, Toulouse 3, PRISSMH

Aurélie Roger, Université des Antilles, CRPLC


Dates

  • vendredi 15 janvier 2016

Mots-clés

  • enquête, terrain, Antilles françaises

Contacts

  • Aurélie Roger
    courriel : aurelie [dot] roger [at] martinique [dot] univ-ag [dot] fr
  • Lionel Arnaud
    courriel : lionelarno [at] gmail [dot] com

URLS de référence

Source de l'information

  • Aurélie Roger
    courriel : aurelie [dot] roger [at] martinique [dot] univ-ag [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Enquêter dans les Antilles françaises », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 02 décembre 2015, https://doi.org/10.58079/tx3

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