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Quand on fait parler les plantes

When plants talk

XVe séminaire d'ethnobotanique de Salagon

15th Salagon ethno-botanical seminar

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Publié le jeudi 04 février 2016

Résumé

Le 15ème séminaire d'ethnobotanique de Salagon souhaite s'attarder sur l'idée que les humains ne construisent pas ex-nihilo la parole des plantes. De l’arbre de la connaissance du bien et du mal au chêne « classé », du chapiteau-papyrus égyptien aux quatre dieux aztèques du maïs, de la magie antique « par les plantes » à la marguerite qu’on effeuille, du jardin d’amour au « langage des fleurs », du prunier d’Extrême-Orient au bouleau amérindien, de la couronne d’Olympie aux palmes académiques, la plante, chargée d’intercession avec les dieux et avec nos semblables, désormais investie de la fonction supplémentaire de représenter la nature chez les urbanisés, est une créature protéiforme de l’imaginaire des sociétés.

 

 

Annonce

Argumentaire

L’herbe nous ressemble (...). Elle a l’opiniâtreté de l’espérance et la profondeur de l’oubli. (...) Elle révèle à la fin son goût de temps et d’espace au poète qui, tant par dévotion que par conscience professionnelle, n’a pas hésité à brouter. Jacques Réda. L’herbe des talus. Gallimard, Folio, 1984

Plus peut-être que les autres usagers du temps, les ethnologues sont attentifs à l’ordre calendaire. Au point d’y introduire des catégories tout exprès à leur convenance. On va donc prétendre que le Séminaire d’ethnobotanique de Salagon, avec ses quinze années en 2016, entre en pleine phase adolescente, ce qui suppose quelques rites de passage. — Sans négliger que, dans nos sociétés, cet âge tend à se prolonger indéfiniment.

Pendant ces quinze ans, nous avons abordé plus de vingt thématiques générales, organisé un colloque, initié des travaux, des formations et des échanges. Une douzaine de volumes d’actes ont déjà été publiés, réunissant désormais le plus important corpus francophone moderne sur le sujet1. Corpus multiple, inégal, par là-même témoin des hésitations et des avancées dans le domaine.

D’intentions d’abord surtout méditerranéennes, le Séminaire s’est élargi à des problématiques européennes, puis internationales, spécifiques ou comparatistes.

D’emblée, le propos était d’aider à préciser les jalons d’une discipline très exposée à la “récupération”, en un temps où “plante” renvoie aussitôt à “nature” et “nature” à “bons emplois” (valorisables).

Il fallait, sans snober qui que ce soit, se démarquer des recettes, des “relances”, et autres “usages de la flore” avec l’ethnologue en expert incontournable, au besoin les observer comme des faits de terrain, s’attacher à construire, fût-ce de façon décousue, une anthropologie des rapports au végétal.

Ouverte aussi bien aux chercheurs qu’aux étudiants, et à tous honnêtes gens concernés par la réflexion sur l’un ou l’autre des nombreux aspects de la relation plantes-sociétés, l’entreprise n’a jamais visé l’élaboration d’un discours à usage interne seul. Avec le temps, toutefois, le propos s’est mieux construit. Les cogitations de l’ethnobotaniste in-situ ont bénéficié, lors des derniers séminaires, du dialogue critique avec un petit groupe de chercheurs, fidèles du Séminaire2, devenu “comité scientifique” informel, où se décident les thématiques et se discute leur mise en forme — exception faite de 2016 !

Rétrospective partielle ?

En cette “année commémorative”, revisiter les principales thématiques rencontrées depuis 2001 était une option intéressante. Toutefois, le fait que l’ethnobotanique n’ait pas de statut universitaire en France (sinon très fragmentaire) la contredit. La plupart des intervenants au Séminaire ne poursuivent pas de recherche permanente dans la discipline, ils s’écarteront souvent d’un thème exposé à Salagon pour passer à des travaux plus ou moins éloignés. Le suivi d’une recherche sur plusieurs années est rare.

Cependant, pour certains “grands thèmes” en mobilité permanente, des états réguliers de la réflexion entre intervenants posent des jalons utiles. — Sinon dans le mouvement propre de notre temps, du moins pour des rétrospectives futures où l’on percevra mieux les avancées. Ainsi bénéficions-nous des travaux des folkloristes, habituellement très lacunaires quant au questionnement ethnologique proprement dit, mais indispensables à la compréhension de l’évolution des représentations, savoirs et pratiques.

Il serait possible de consacrer une demi-journée à ces essais de mises au point. En privilégiant donc des thèmes transversaux, tels que :

  • L’aliment végétal comme lieu de projections et de satisfaction (éventuelle...) de “l’envie de nature”.
  • L’imaginaire du végétal au regard des choix (et/ou dépendances) culturels de la société, notre temps étant pris comme lieu géométrique des comparaisons.
  • Les “morales” et l’éthique associées aux plantes, sujet du séminaire 2015 où plusieurs questions importantes ont été abordées, qui valent un retour en forme d’essai de synthèse. Ce thème se relie au précédent, puisque, ici, imaginaire et construction à valeur éthique s’interpénètrent assez pour qu’on puisse observer “en temps réel” la genèse de la seconde sur la formalisation du premier.

Dans les trois options, c’est d’abord le contemporain qu’on interroge.

Retenu avec certaines réserves, ce thème, regardé de près, est trop vaste pour faire l’objet d’un séminaire propre. Il saute aux yeux que c’est de toute notre délégation de parole aux plantes qu’il s’agit.

De l’arbre de la connaissance du bien et du mal au chêne “classé”, du chapiteau-papyrus égyptien aux quatre dieux aztèques du maïs, de la magie antique “par les plantes” à la marguerite qu’on effeuille, du jardin d’amour au “langage des fleurs”, du prunier d’Extrême-Orient au bouleau amérindien, de la couronne d’Olympie aux palmes académiques, la plante, chargée d’intercession avec les dieux et avec nos semblables, désormais investie de la fonction supplémentaire de représenter la nature chez les urbanisés, est une créature protéiforme de l’imaginaire des sociétés. On ne pourra en retenir ici que quelques visages, non sans arbitraire3.

Quand on fait parler des muettes

Les humains ne construisent pas ex-nihilo la parole des plantes. La coévolution des animaux et des végétaux accompagne dès les origines le progrès des deux Règnes, démultipliée quand la vie terrestre s’affirme indépendamment de l’aquatique. Pour commencer, ce sont les plantes qui “parlent” aux animaux. Leurs discours sont des invites colorées, olfactives, gustatives, hormonales ; elles intéressent la reproduction et la dissémination chez la plante, chez la bête la nourriture, parfois la reproduction, et même le soin des maux. Quand émerge la conscience, l’offre des végétaux perdure mais il va s’y ajouter la projection de ce que l’humain suppose qu’ils lui disent. Effet de miroir permanent dans les cultures où la flore est présente.

On rappelle en bref ce qui sert à expliquer la prééminence animale dans l’imaginaire de beaucoup de sociétés : reconnaissance du partage des intelligences, des passions, des ruses, des penchants, des travers, etc. Ce que la plante n’exprime pas, ou de façon détournée, et de lecture forcément métaphorique. L’ethnologie en ses origines a projeté sur les faits des sociétés sa propre image de l’animal-modèle, même si des filiations totémiques, des parentés claniques ont été aperçues tôt, où des plantes pouvaient se substituer à l’animal habituellement tutélaire.

Les sociétés chamaniques regardent les plantes à caractère psychotrope (amanite tue-mouches, peyotl, ayahuasca, etc.) comme des médiatrices entre l’humain et les esprits, non comme des divinités par elles-mêmes — fussent-elles sacralisées à travers cette préférence. D’autres peuples y reconnaissent des alliances plus ou moins anthropocentrées. Les civilisations agricoles attribuent les ressources végétales fondatrices (blé, riz, maïs, etc.) au bienfait d’une déesse ou d’un dieu, contribuant encore à rétrécir la prise en compte de ce que le végétal, pour lui-même, peut “dire”. Quand ils défrichent, les latins préservent un lucus, le bois sacré où les esprits possesseurs, qu’ils le veuillent ou non, doivent se replier ; la forêt en elle-même est tenue hors-débat ; la nature telle que nous l’imaginons n’est pas encore inventée4.

Des Pères de l’Église retirés au désert dans l’assentiment du minéral dépassionné, loin de toute rencontre à risques avec les avatars végétaux des dieux anciens (ce qui n’empêche pas, au IVe siècle, Saint Antoine d’Égypte d’être un grand persécuté du Démon), aux Romantiques volontiers accrochés à la “robe (végétale) de la nature”, en passant par la retraite méditative Song dans la Chine contemporaine de notre Moyen-Âge à son apogée, — où la flore nourrit songeries, mélancolies et insouciances chèrement acquises —, la plante reste sans voix qui dirait ses propres attentes.

Il est possible que le mutisme d’un monde végétal cependant reconnu “vivant” entraîne son élection obligée comme intercesseur : il ne dit rien mais doit forcément transmettre des voix. L’omniprésence5 silencieuse des plantes a longtemps porté des masques, ceux des puissances qui renouvellent les printemps et hissent les arbres jusqu’aux racontars des oiseaux. Ne pas leur attribuer ces rôles, c’eût été vivre lesté d’un silence terrible, qui engloutit6.

“On fait parler les plantes” car elles sont muettes ; “on parle” par-dessus leur tête. C’est une fois finies les confidences des dieux qu’on va leur attribuer une parole propre — ce que notre temps essaie d’élaborer dans la confusion du saccage de la “nature” et des transcendances éparpillées. Néo-paganisme moins les divinités.

Aussi étrange que cela puisse sembler, ce sont nos sociétés des XXe et XXIe siècles qui attribuent aux végétaux, sinon des “volontés” propres, en tout cas des signes susceptibles de traduction sans nul dictionnaire préétabli. Les dieux passés en coulisses, la nature veut une façon ou une autre de ré-enchantement. Car le seul rapport de la raison et du monde finit toujours par gripper.

Les signes, qui sont porteurs à la fois de questions et de réponses (à d’autres propositions de signes...), diffèrent en même temps les questions. En notre temps, ils permettent un vécu “sensible” du réel où l’espace est moins borné, le temps plus souple, la raison mise en sourdine. Sous toutes les latitudes, les plantes proposent de tels contournements de l’inquiétude. Pour un temps, car les dieux nous verserons encore l’hydromel de l’inquiétude. Sans intentions propres, la plante du XXIe siècle s’en voit de plus en plus nantie.

La diseuse d’avenir

À Dodone, oracle le plus ancien du monde grec, Zeus, traduit par trois prêtresses, parlait dans le bruissement des feuilles7.

On a déchiffré les signes d’avenir dans le vol des oiseaux et les entrailles des animaux sacrifiés, on les recherche toujours dans le cours des astres, les figures des cartes, et de bien d’autres façons. À travers les siècles, cependant, la participation du végétal aux pratiques divinatoires semble la plus quotidienne de toutes. Dans les pays chrétiens, elle perdure quand les sacrifices païens ont disparu, se perpétue encore.

Décrire, sinon décrypter les multiples procédés de la “divination par les plantes” occuperait des séminaires. Ils considèrent tous le végétal comme un être dans le secret des puissances qui se jouent du temps, anticipent les destins. Ils associent des gestes, des magies (nombres, figures, mots énigmatiques...), font de la plante un “objet chargé” dont la nature propre s’éclipse derrière le rôle prophétique : a-t-on jamais vu la graine derrière le marc de café ? Les rituels, un jour, auront oublié les dieux.

Pourquoi la verveine, tenue dans la main droite quand on rend visite à un malade, fait-elle pleurer celui qui va guérir et rire celui qui va mourir ?8 On lui octroie une parenté avec les Parques.

Pourquoi les feuilles de buis, mises à la question dans une poêle de fer sur le feu, ou sur la pierre brûlante du foyer, annoncent-elles, dans leur plus ou moins grande giration sur elles-mêmes, leur gonflement ou leur combustion trop rapide, des présages les uns favorables, les autres sombres ? On attend aussi du buis, mis sous l’oreiller9 de la jeune fille, de lui montrer en rêve son futur époux. Et encore : cet arbuste, quand il prospère au jardin, est présage de bonheur10. Tandis que le laurier touché par la foudre annonce la mort du maître de la maison11. Les mythologies sont parvenues jusqu’au vingtième siècle dans la persévérance des feuilles.

Bonnes ou mauvaises moissons, annonces de fructifications abondantes ou de vergers stériles, de lait crémeux ou aqueux, naissances de fille ou de garçon, espérances de succès, de fortune, d’amour surtout : les plantes sont des diseuses universelles de bonne ou mauvaise aventure. Sans doute n’effeuille-t-on plus guère la marguerite en nos temps Meetic, mais bien d’autres pratiques plus ou moins divinatoires/régressives associées au végétal ou à ses produits, empruntées ou non à des cultures orales, se diffusent dans nos sociétés, visant en premier lieu le “ressourcement”, le “recentrage” (et variantes) de ceux qui ne peuvent plus vivre seulement le nez collé à l’écran, qui voudraient retourner en enfance de la raison, dans la croyance périlleuse.

Et faut-il encore évoquer la “signature” ? Elle explicite des intentions et des pouvoirs, magiques et médicaux surtout. On l’a rencontrée à plusieurs reprises à Salagon dans des commentaires qui la montrent, bien au-delà d’une pauvre mécanique de la similitude, comme inductrice de proto-science, et d’interrogation, de et sur la pensée même qui la découvre et l’interprète — toujours détentrice de questions irrésolues ; car les signes relèvent aussi du qui perçoit quoi en quel moment du temps des sociétés12.

On ne fera qu’évoquer les histoires innombrables où l’homéopathie fonde sa pharmacopée (ici dans le registre végétal), le recours de l’école des élixirs floraux à des perceptions du seul ressort du (de la) voyante(e) — où le signe partageable a lui-même disparu, où la plante se fait interlocutrice exclusive d’un(e) “suprasensible”. Là-dedans, qu’est-ce qui soigne ? Que sont devenues la racine, l’écorce, la feuille, la fleur ? Quel patient de l’homéopathie identifie Bovista, Cina, Colocynthis ou Staphysagria ? Qu’advient-il quand le nom perd la chose ? Que se passe-t-il quand la flore se réduit à des noms impartageables ?

La médiation poétique

Quand, au bord du fleuve Ladon, pour échapper aux assiduités de Pan, la nymphe Syrinx est changée en roseau, le végétal reste chargé de virginité à en mourir et de désir à pleurer. C’est le vent qui d’abord s’en fait l’interprète, entraînant une autre métamorphose, celle du désir en sublimation chantée13. On ne peut moins bien illustrer “Quand on fait parler les plantes”, puisque, dans la complicité du souffle, c’est ici la plante elle-même qui parle. — Semble-t-il. Car elle est mémoire d’une autre voix, celle de Syrinx, et intermédiaire de la parole sublime du dieu. Serait-elle donc toujours entremetteuse ?

Dans nos cultures, aux temps romantiques, l’effroi devant le désenchantement du monde, la surdité de Dieu, invente l’idée d’une parole secourable propre à la nature elle-même. Les mots célèbres d’Hugo vieillissant, “C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas”, sont à la fois ceux de la nouvelle croyance en une vérité intrinsèque possible du monde hors manigances humaines, et le constat d’inaptitude des philosophies à conforter celle que l’humain, pourtant, est seul capable d’édifier. Cent-cinquante ans plus tard, l’écologie à tendances fusionnelles se réapproprie Hugo (et autres références littéraires mises au goût du jour), sans vouloir approfondir davantage ce que “vérité de la nature” peut bien vouloir dire.

Pendant des millénaires, nourriture, remède, sorcière, servante, esclave, alliée des dieux inconnaissables, la plante acquiert un être propre quand le monde construit de ses dons et de ses sacrifices s’effraie de l’énormité de sa dette. Il faut alors lui trouver un discours réparateur. Par le détour poétique, les plantes s’humanisent ; on les charge de compassion après en avoir craint les pouvoirs. Bien plus proches en réalité qu’au temps des dieux dont elles portaient la voix, elles se font confidentes des mortels toujours étonnés de se reconnaître si brefs dans un temps terrestre qui les mesure, comme elles, en saisons — mais capables, aussi, de paroles flamboyantes, corolles sonores plus intelligibles que les oracles. Des roses de Ronsard au saule de Musset, des cerisiers d’Apollinaire aux amandiers de Jaccottet, des roses, encore et toujours, de Rilke, au saxifrage de Char, la flore propose aux Modernes jamais guéris de la vacuité céleste sa diversion inépuisable de comparaisons et de métaphores.

Dans les rituels funéraires, la fleur silencieuse n’y est pas moins chargée d’indicible que le poème où elle se prononce. Sans cesse fleuris, les lieux des attentats de novembre 2015 attestent que notre deuil “fait dire” aux plantes ce qu’elles représentent encore, en de telles circonstances, dans le regard occidental aujourd’hui : l’obstination de beauté savoureuse ici-bas, l’innocence qui contredit l’horreur, le sacrifice expiatoire14, une parole dont le mutisme fervent est compris de tous15. Avec l’avènement de la conscience, la coévolution s’est étendue au champ des émotions humaines. Les plantes qui ne parlent pas y ont acquis une charge poétique infinie.

L’attribution aux plantes d’une parole de vérité, tout au moins de présence à valeur transcendante substituée, dans nos cultures sous perfusion d’immédiateté, prônant le bonheur possible ici-bas — tandis que les “vérités” fondatrices s’éloignent jusqu’à l’oubli —, est un aspect majeur du thème en débat cette année. Longtemps à l’arrière-plan des affaires humaines, où simples interprètes, les plantes sont devenues le plus manifeste de la nature. Ce qu’on leur fait dire est désormais indissociable de ce qu’on attend du monde vivant lui-même : qu’il nous sauve.

Quand on fait mentir les plantes

Quand on “fait parler”, on peut aussi susciter une parole fausse qui conforte l’illusion ou le mensonge. Un exemple contemporain parmi tant d’autres  : la centrale thermique à bois “durable”, “verte”, etc., de Gardanne, près d’Aix-en-Provence, ex-centrale à charbon convertie au “renouvelable” par la multinationale allemande E.On. Productrice d’électricité seule avec un rendement de 35% maximum (pas de récupération de la chaleur pour le chauffage urbain, etc.), cette centrale brûle plus de 900 000 tonnes de bois/ans (2800 tonnes/jour)16. À terme, son bassin d’approvisionnement ira de Gap aux Cévennes. Pour le moment, elle importe du bois canadien (sans rire) mais les coupes à blanc ont commencé. Le combustible englobe aussi le bois de récupération : palettes, bois peint ou traité de déchetteries, etc.

Aidé à hauteur d’un milliard d’Euros par la Communauté Européenne au titre de soutien aux énergies renouvelables, l’opération permet à E.On de gagner des points carbone équilibrant l’impact des centrales à charbon de la firme. On ne dit pas que les forêts “puits de carbone” n’ont, au mieux, qu’un bilan carbone zéro, que le “bassin d’approvisionnement” ne peut l’assurer dans le long terme (sans parler du Réchauffement...), que la combustion du bois est aussi polluante que celle du pétrole ou du charbon, soufre en moins, etc.17 La plante, ici disparue dans le néo-concept de “biomasse” (comme “êtres vivants” dans “biodiversité”), n’en valide pas moins l’alibi de “renouvelable”. Elle a le dos large, qu’on la caresse ou qu’on la cogne.

Dira-t-on que le “langage des fleurs”, paroles végétales d’un discours amoureux maintenant presque oublié, peut être entendu avec des réserves analogues ? Est-on en droit d’associer une centrale à biomasse au forget-me-not ? C’est l’un des nombreux paradoxes proposés par l’interlocuteur végétal. Le propos du séminaire de Salagon est de les surprendre au passage18.

Que retenir ?

Puisque les plantes ne cessent de nous renvoyer nos attentes (éventuellement induites par leur silence, ou dans un rôle dont on les a chargées), elles ne “parlent” jamais hors du champ symbolique. Qu’on espère sa fleur ou son ombre, qu’on la brûle en offrande ou qu’on la soigne à sa fenêtre, qu’on la porte à l’oreille ou sur une tombe, qu’on la hume ou qu’on l’exècre, qu’on la convertisse en mégawatts ou en déclaration amoureuse, qu’on l’infuse ou qu’on la distille, qu’on la mange ou qu’on la tonde, la plante donne toujours une réplique silencieuse (nonobstant le bruit de la turbine ou de la tondeuse) où il faut toujours supposer une question humaine. Faire de l’ethnobotanique, c’est tenter d’interpréter la question humaine posée à un végétal aux signes plus ou moins capables d’influencer nos réponses.

Dans la multiplicité des approches possibles, il faudra retenir ce qui se réfère explicitement à l’intitulé de ce quinzième anniversaire du séminaire : quand on fait parler... Donc tenter de cerner de plus près ce qu’on veut entendre, de nous, à travers la plante. Car c’est bien nous, maintenant, qu’il nous faut apprendre à reconnaître sous ce masque.

Entre la délégation de vérité, évoquée plus haut, et l’alibi menteur dont on peut les charger, à travers les végétaux résonnent les voix des sociétés à un moment de leur histoire. Cet écho parfois bref, parfois très durable, léger ou profond, énigmatique ou simpliste, fait de la plante un témoin symphonique de l’Histoire, permanent dans la présence, changeant dans le timbre et l’harmonie. Pourquoi on passe par la médiation végétale pour en revenir à soi dans les problématiques de notre société est la question centrale de ce séminaire, en un temps où, tandis qu’on attribue de nouveau à la nature une parole de vérité, on veut éluder les paroles de vérité sur la nature. Il s’agit donc de contribuer à l’éclaircie — d’autant plus nécessaire que l’obscurité, comme on sait, gagne en de nombreux territoires des pensées partageables. Les propositions d’intervention devront tenir compte au plus près de cette attente.

Conditions de soumission

Les propositions (un résumé de 5000 caractères maximum) sont à renvoyer à l'adresse suivante : elisebain@hotmail.fr

avant le 18 avril 2016

Le quinzième séminaire annuel d'ethnobotanique aura lieu les 6, 7 et 8 octobre 2016 au musée de Salagon.

Des actes du séminaire seront publiés suite à la session.

Comité scientifique

  • Pierre Lieutaghi, ethnobotaniste
  • Danielle Musset, ethnologue
  • Jean-Yves Durand, ethnologue
  • Pascal Luccioni, enseignant de langues anciennes
  • Raphaële Garreta, ethnologue
  • Élise Bain, ethnologue (coordination du séminaire)

Notes

1 Lieutaghi, P., & D. Musset (édit.). Plantes, sociétés, savoirs symboles, matériaux pour une ethnobotanique européenne. Actes du Séminaire d’ethnobotanique de Salagon. Mane, Musée ethnologique de Salagon, 2001-2015. En cours, 9 volumes publiés. Voir sur le site du Musée de Salagon la liste des titres disponibles. Sur la genèse et l’évolution du lieu : Brousse, Carole, “Les racines de l'ethnobotanique”, in Les racines ou la métaphore des origines, Forcalquier, C'est-à-dire, 2015, pp. 189-210 ; et : “L’ethnobotanique au carrefour du Muséum national d’histoire naturelle et du Musée ethnologique de Salagon”, http://ethnoecologie.revues.org/2157

 2 Élise Bain, Jean-Yves Durand, Raphaële Garreta, Pascal Luccioni, Danielle Musset. En raisons des disponibilité des uns et des autres, le présent texte revient pour l’essentiel au seul signataire. Merci à tous pour leur relecture.

3 Ce texte intéresse d’abord nos cultures. Même s’il y a un imaginaire et des faits transculturels en rapport avec le végétal, la “parole des plantes” est loin d’être la même en tout lieu du monde où les humains la suscitent. Le Séminaire est particulièrement ouvert cette année aux comparaisons entre ces résonances.

4 “Pour que l’homme puisse habiter sans risque sur le sol de la cité, il fallait préalablement que soient expulsés les démons encombrants qui pouvaient s’y trouver. Cette libération était une condition nécessaire de la naissance de la cité, de l’émergence de la civilisation. Elle représentait un des aspects du passage du monde sauvage au monde civilisé”. Briquel, D., “Les voix oraculaires”, in Les bois sacrés, Actes du colloque international de Naples organisé par le Centre Jean Bérard et l’EPHE Ve section, collection du Centre J. Bérard n° 10, pp. 77-90 (préface Olivier de Cazanove et John Scheid), 1993.

5 Le propos, ici, n’est pas l’interrogation comparatiste entre les taxonomies végétales des sociétés forestières et les dénominations de la neige chez les Inuit. Question au demeurant nullement négligeable.

6 Les Indiens de la Côte Ouest du Canada vivent le dos tourné aux arbres qui leur fournissent des produits aussi essentiels que l‘écorce du Thuya géant. Leur panthéon de dieux-animaux dresse ses totems vers l’horizon marin. Leur forêt aux conifères gigantesques est le domaine des esprits obscurs dont on menace les enfants indociles. Ici, l’habitat côtier s’apparente à un territoire civilisé.

7 Homère, Odyssée, 14, 328-29 ; Hérodote, L’enquête, 2, 55.

8 Selon plusieurs manuels de “magie domestique”. À l’inverse Le livre des simples médecines assure que si, dans les mêmes circonstances, on demande au malade comment il va et qu’il répond “bien”, il guérira, qu’il mourra s’il répond “mal” (Platearius, Le livre des simples médecines, BN ms 12322, édition commentée 1986). Dans le Grand Albert, 2, 1, c’est la chélidoine qui fait chanter le malade condamné, et pleurer celui qui va survivre.

9 Beaucoup d’autres plantes chuchotent des confidences sur l’avenir à l’oreille des dormeurs.

10 Rolland, Flore populaire, 9, p.244, 248.

11 “Le laurier n’est jamais frappé de foudre que ce ne soit un présage de quelque grand mal-heur à venir”, dit Matthioli (Les commentaires, 1, 15, trad. A. du Pinet, 1680).

12 Lire ici Giorgio Agamben, Signatura rerum. Sur la méthode, 144 p., Vrin, 2008. — Aride, mais éclairant.

13 “Tandis qu’il [Pan après la métamorphose de Syrinx] soupirait, le mouvement de l’air dans les roseaux avait produit un son ténu, semblable à une plainte ; surpris par cet art singulier et cette voix si douce, le dieu avait déclaré : “Voilà comment je m’entretiendrai avec toi !” Et, ayant rapproché puis collé à la cire des roseaux inégaux, il avait su garder le nom de la jeune fille”. Ovide, Métamorphoses, I, vers 705-711, trad. Danièle Robert, Actes Sud Thésaurus, 2001.

14 Peu probable qu’on voie une fleur en plastique devant le Bataclan. C’est un bouquet de fleurs encore vivantes, innocentes aussi, qu’on sacrifie, chargé d’une douleur que l’hiver ne va pas décolorer jusqu’à l’innommable. Avec le don de vraie fleur funéraire, le chagrin exclut toute idée d’artifice.

15 Au moment où je relis ces lignes, la radio parle de la plantation d’un chêne, Place de la République à Paris, à la mémoire des victimes de l’année (sic). Arbre de grande taille si j’ai bien compris. Aura-t-il un avenir ? Les chênes ne sont guère des arbres adaptés à l’environnement urbain, surtout en pleine péjoration climatique. 

16 Ce volume de bois correspond à peu près à celui qui peut chauffer 250 000 maisons individuelles tout un hiver.

17 Pour en savoir davantage : Collectif SOS Forêts du Sud, www.sosforetsdusud.org — et aussi : www.alternativesforestières.org ; www.sosforet.org

18 Parmi n paradoxes, la mort du vieux chêne vert des Courmettes, entre Grasse et Nice, dans les années 1990. Cet arbre de 9 m de tour, sans doute la plus vieille yeuse de France, dans un bois plusieurs fois séculaire, a probablement succombé au piétinement des dévots qui allaient y célébrer des rituels druidico-chamaniques.

Lieux

  • Musée de Salagon
    Mane, France (04)

Dates

  • lundi 18 avril 2016

Mots-clés

  • plantes, langage

Contacts

  • Elise Bain
    courriel : elisebain [at] hotmail [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Elise Bain
    courriel : elisebain [at] hotmail [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Quand on fait parler les plantes », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 04 février 2016, https://doi.org/10.58079/uc4

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